CONCLUSION

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente du groupe d'études « Médias et nouvelles technologies »

Nous avons aujourd'hui tenté de savoir si la révolution numérique était une révolution sociétale. Bien que tous les sujets n'aient pas été traités, tel celui du handicap, nous avons pu aborder de nombreuses facettes de cette révolution : sociales, économiques, culturelles, mais aussi cognitives, voire psychologiques, questions qui sont au coeur de la réflexion sur notre système éducatif.

Marc Foglia et Serge Tisseron se sont accordés sur le fait que nous passions progressivement d'un modèle vertical et magistral de transmission de la connaissance à un partage entre pairs et à une élaboration collective du savoir ; tandis que, dans une vision résolument optimiste, Bruno Patino a estimé que les différents usages étaient appelés à se conjuguer.

En revanche, il a noté que les modèles économiques avaient tendance à se détruire mutuellement, François Momboisse faisant une analyse similaire lorsqu'il pointe les risques du numérique pour le commerce traditionnel appelé à se réinventer. Jérôme Leleu a, quant à lui, démontré que les nouvelles technologies étaient un puissant atout pour la croissance et la compétitivité.

La question a ensuite été posée de l'exploitation de ces technologies prometteuses pour les citoyens ou pour les entreprises et Bernard Cathelat a expliqué à quel point les trackings et autres match-marketing , constituaient autant d'outils puissants pour ces dernières, voire pour les États qui veulent dominer les comportements économiques et sociaux des citoyens.

Dans quelle mesure pourront-ils les utiliser ? Jusqu'où ira-t-on ? Quelles vont être les possibilités de se déconnecter ? De se couper de cette virtualité omniprésente ? Que peut faire l'école, dont le rôle a notamment été souligné dans la déconnexion du monde du tout numérique ?

Si pour le sociologue Jean-Claude Kaufmann, Internet est un nouveau monde dont l'émergence est encore plus importante que la découverte de l'Amérique, passé l'émerveillement, on semble atteindre aujourd'hui une certaine maturité en visant à concilier plusieurs enjeux : les remarquables possibilités de développement offertes dans tous les domaines, une croissance durable et l'État de droit.

A propos de ce dernier, Me Barbry a surtout souligné la difficulté du droit à occuper le terrain du numérique, qui brouille les espaces et les frontières, comme cela est illustré par l'exemple de l' opt-in .

Marc Le Glatin, considérant que l'implication de l'État devait être renouvelée du fait de la transformation de l'art dans la révolution numérique, s'est appuyé sur des exemples locaux, très parlants pour les sénateurs.

Au cours de nos débats, la question de l'école, abordée en particulier par Denis Kambouchner et Pauline Mercury, est apparue véritablement centrale.

Nous en retenons l'importance de la formation au numérique non seulement des plus jeunes, mais aussi des salariés.

Trop souvent encore, le numérique scolaire est traité par les collectivités comme une simple question d'équipement sans vision globale qui prendrait en compte les programmes, le rôle des réseaux sociaux ou les évolutions de la pédagogie. Pour y parvenir, servons-nous de l'avant-garde que constituent les technopédagogues !

Bernard Benhamou nous a parlé des droits du citoyen et du droit au silence des puces, pour la RFID, l'identification par radiofréquence, notamment, comme complément au respect du droit. Le vertige suscité par ces propos m'a rappelé l'ouvrage de Joël de Rosnay, qui n'a pu être avec nous, et intitulé « Et l'homme créa la vie ».

Isabelle Falque-Pierrotin a ensuite estimé que la conciliation entre des gouvernances anglo-saxonne et européenne était un premier pas vers la construction d'un cadre démocratique. Les lois nationales ou communautaires ne suffisent pas et la régulation au jour le jour complète très utilement le droit, même si, comme l'a souligné Michel Boyon, les législations se sont souvent bien adaptées à l'évolution numérique, ce à quoi le Sénat a pris toute sa part. Il a également rappelé que le régulateur de l'audiovisuel était très attentif au développement de la télévision connectée.

Quid du niveau européen ? S'agissant de la régulation, Thibault Kleiner nous a confirmé que point trop n'en faut. Pour le reste, l'autorégulation a ses limites et l'incitation financière peut être un moyen. Dans tous les cas, le débat entre les institutions est utile. A ce titre, je ne puis que regretter que la réunion de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC) du mois d'avril dernier n'ait abordé la question du marché unique numérique que sous l'angle des échanges commerciaux sans évoquer les questions d'identité, de protection des données et surtout de cette stratégie industrielle dont nous avons cruellement besoin, comme le démontre le secteur du livre numérique. En matière fiscale, la France suivie par l'Allemagne, a été un fer de lance mais je ne suis pas certaine que tous les États membres aient pris la mesure des enjeux. D'une façon plus générale, la régulation du secteur numérique participe de cette Europe que nous devons construire.

A nous enfin de mettre en place un cadre nous permettant de tirer le meilleur parti de cette chance que constitue le numérique pour notre monde en profonde mutation.

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