B. LES PROPOSITIONS DE LA MISSION COMMUNE D'INFORMATION

La mission recommande d'achever l'extension du rôle des autorisations de mise sur le marché (AMM), de pousser à son terme le perfectionnement de la gouvernance et d'assurer un plus grand respect du droit.

Étendre le rôle des AMM devrait conduire à renforcer les exigences portant sur les conditionnements et les étiquettes, mais aussi à introduire des indications précises quant au matériel d'épandage et aux équipements de protection individuelle à utiliser (1).

Pousser à son terme le perfectionnement de la gouvernance du dispositif d'AMM suppose d'éliminer les brouillages provoqués par des conflits d'intérêts et d'organiser l'effectivité du contrôle public sur l'innocuité des pesticides autorisés (2).

Assurer un plus grand respect du droit passe tout d'abord par un perfectionnement des dispositifs de sanctions par les juridictions administratives ou pénales, ensuite par l'attribution d'une protection légale aux lanceurs d'alerte, enfin par l'introduction de l'action de groupe dans l'ordonnancement juridique (3).

1. Étendre le rôle des autorisations de mise sur le marché (AMM)

Une mise en oeuvre rigoureuse des nombreux textes communautaires applicables devrait suffire pour l'essentiel à conférer aux AMM un rôle plus effectif dans la protection des utilisateurs en améliorant les emballages et des étiquettes (a), en précisant les propriétés des matériels d'épandage et des équipements de protection individuelle à utiliser (b).

a) Améliorer les emballages et les étiquettes

Les produits sont commercialisés aujourd'hui dans des emballages qui ne devraient pas être utilisés et avec des étiquettes ne satisfaisant pas aux principes qu'elles devraient respecter.

(1) Le conditionnement devrait être mieux précisé par l'AMM

A ce jour, il n'y a pas de texte distinguant le conditionnement des pesticides parmi l'ensemble des préparations chimiques dangereuses. En revanche, la directive 1999/45/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 1999 concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relative à la classification, à l'emballage et à l'étiquetage des préparations dangereuses comporte un certain nombre d'exigences applicables aux produits phytopharmaceutiques (article 1 er , point 4, et article 22, point 2) pour autant qu'ils présentent quelque danger.

L'administration délivrant l'autorisation de mise sur le marché est donc fondée à accompagner celle-ci de prescriptions relatives aux emballages, pour reprendre le terme utilisé par l'article 9 de cette directive.

Les principaux éléments à respecter sont les suivants :

- les emballages doivent empêcher toute déperdition du contenu , être suffisamment solides pour résister aux manipulations et ne pas être susceptible d'être attaqué par le contenu ;

- la présentation doit exclure tout risque de confusion avec des denrées alimentaires ;

- les récipients contenant des préparations mises à disposition du grand public doivent disposer d'une fermeture de sécurité empêchant l'ouverture par des enfants ; ils doivent en outre porter une indication de danger détectable au toucher .

Or, au cours de ses investigations, la mission s'est vu remettre par le représentant d'une grande société un produit destiné au grand public, contenu dans une bouteille en plastique blanc dont la forme était analogue à celle d'une bouteille de lait d'un litre et dont le bouchon était facile à dévisser, sans le moindre dispositif de sécurité. Identique à celui disponible dans les rayons des lieux de commercialisation, cet emballage aurait dû être proscrit par l'AMM. Cet exemple a pour mérite de souligner que l'autorisation de mise sur le marché devrait systématiquement comporter les mentions applicables aux emballages en vertu de la directive mentionnée supra .

Dans le même esprit, la mission recommande que le conditionnement des produits phytopharmaceutiques - qu'ils soient destinés aux professionnels, agricoles ou non agricoles, ou aux particuliers - soit précisé, dans toute la mesure du possible, par l'AMM , afin d'éviter les accidents de manipulation notamment lorsque le produit doit être transvasé dans un matériel d'épandage.

(2) L'étiquetage devrait être clair et ne pas se transformer en notice fleuve

Là encore, le droit en vigueur serait satisfaisant si sa mise en oeuvre ne justifiait quelques critiques.

Précisons que, si les références juridiques ont été quelque peu modifiées par le « paquet pesticides », les dispositions applicables aux produits commercialisés entre le 14 juin 2011 et le 14 juin 2015 sont en fait les mêmes que celles déjà en vigueur jusqu'en 2011 :

- en effet, les produits phytopharmaceutiques autorisés dans le cadre de la directive 91/414/CEE devaient comporter un étiquetage conforme aux annexes IV et V de cette directive, complétée par l'article 10 de la directive 1999/45/CE, mentionnée supra .

- tout produit phytopharmaceutique mis sur le marché depuis le 14 juin 2011 est soumis au règlement (UE) n° 547/2011 de la Commission, du 8 juin 2011, portant application du règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil concernant les exigences en matière d'étiquetage des produits phytopharmaceutiques. Or, le règlement n° 547/2011 a précisément pour but de reprendre, en les actualisant, les annexes IV et V de la directive 91/414. Tant que la directive 1999/45/CE du 31 mai 1999 reste en vigueur, elle doit, elle aussi, être respectée.

- à compter du 1 er juin 2015 en revanche, les produits phytopharmaceutiques considérés comme des préparations dangereuses devront respecter - outre le règlement n°547/2011 - le titre III (soit les articles 17 à 34) du règlement (CE) n°1272/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relatif à la classification, à l'étiquetage et à l'emballage des substances et des mélanges, modifiant et abrogeant les directives 67/548/CEE et 1999/45/CE et modifiant le règlement (CE) n° 1907/2006. Le règlement n°1272/2008 est déjà en vigueur pour les substances chimiques.

Le risque à éviter est celui d'un étiquetage consistant d'abord à protéger l'industriel par une masse d'informations que son abondance même rend totalement illisible pour l'utilisateur.

Un étiquetage doit alerter l'utilisateur sur les risques associés à la manipulation ou à l'utilisation du produit et l'informer sur les précautions à prendre .

Or, la tendance constatée n'est pas compatible avec cet objectif dès lors que les étiquettes prennent la forme d'un livret de dix à vingt pages qu'il faut presque détacher de l'emballage pour enfin lire un texte en caractères minuscules.

La recommandation de la mission est donc la suivante : que l'AMM autorise un étiquetage entièrement lisible sur la face apparente du produit, quitte à compléter cette information par un document plus étoffé, dont la présentation devra toutefois rester compatible avec le niveau de connaissance scientifique légitimement attendu de la part des utilisateurs . La directive 1999/45 observe que, en règle générale, il suffit de six phrases au maximum pour décrire les risques et de six autres pour délivrer les conseils de prudence (article 10).

Les étiquettes des mélanges destinés au grand public devraient ainsi être compréhensibles par toute personne ayant suivi la scolarité obligatoire. Ils devraient également éviter toute mention susceptible de tromper l'acheteur sur la nature du produit : il arrive encore aujourd'hui que des mélanges d'engrais et d'herbicides soient mis en vente dans de grandes surfaces avec la seule mention « engrais ».

(3) La composition chimique devrait intégralement figurer sur l'emballage

Actuellement, la réglementation communautaire impose d'indiquer les concentrations en substances actives (règlement n° 547/2011, annexe I) et, le cas échéant, les produits chimiques ayant motivé la classification « préparation dangereuse » (directive 1999/45, article 10).

Or, un corps chimique peut entrer dans la composition d'un produit phytopharmaceutique sans être pour autant une de ces substances actives, ni motiver par sa seule présence un classement en préparation dangereuse, mais présenter néanmoins certains risques ne serait-ce qu'en interaction avec un autre produit, fût-ce de manière accidentelle. En pareille circonstance, le centre antipoison sollicité doit impérativement connaître de façon exhaustive la composition du ou des mélanges éventuellement en cause . Ne pas communiquer une information chimique au praticien revient à priver son patient d'une chance de guérison.

Cette recommandation d'exhaustivité n'est pas contradictoire avec la précédente recommandation de simplicité, car elle se limite à un seul aspect et rien ne s'oppose à ce que la composition chimique exhaustive figure en fin de notice, dans un cadre clairement destiné à l'information du corps médical. Il ne s'agit pas de faire figurer la formule chimique du produit mais le nom de tous les composants de la formulation.

Bien que cette suggestion aille au-delà du droit communautaire, il ne semble pas qu'elle outrepasse le pouvoir d'appréciation dont les autorités nationales disposent actuellement.

b) Indiquer le matériel d'épandage et les équipements de protection individuelle à utiliser

Les autorisations de mise sur le marché devraient s'accompagner d'indications contraignantes sur les caractéristiques des matériels d'épandage et sur les équipements de protection individuelle à utiliser.

(1) Le matériel d'épandage à utiliser

Le matériel d'épandage est soumis à la directive 2006/42/CE du Parlement européen et du Conseil, du 17 mai 2006, relative aux machines et modifiant la directive 95/16/CE. En vigueur depuis le 29 décembre 2009, la directive de 2006 a été complétée par la directive 2009/127/CE du 21 octobre 2009 en ce qui concerne les machines destinées à l'application des pesticides, si bien que le matériel d'épandage fait l'objet de prescriptions spécifiques au sein de la directive « machine ». Dans ce texte, le mot « machines » désigne aussi ce que cette directive qualifie de « quasi- machines », c'est-à-dire un « ensemble qui constitue presque une machine, mais qui ne peut assurer à lui seul une application définie. Un système d'entraînement est une quasi-machine. La quasi-machine est uniquement destinée à être incorporée ou assemblée à d'autres machines ou à d'autres quasi-machines ou équipements en vue de constituer une machine à laquelle la présente directive s'applique » (article 2).

Cette directive comporte un très grand nombre de spécifications tendant à garantir la sécurité des utilisateurs. Parmi tous les textes intervenant dans le domaine des pesticides mais ne trouvant pas leur origine dans le code du travail, celui-ci est sans aucun doute le plus protecteur pour les utilisateurs. Les modifications introduites en 2009 tendent surtout à mieux protéger l'environnement.

Il reste que le domaine d'application extrêmement vaste couvert par le texte de 2006 le conduit à privilégier la prévention des risques inhérents à l'usage de toute machine. Ses rédacteurs se sont donc principalement attachés à protéger contre les menaces d'ordre mécanique ou électrique. Les seuls risques attribuables à une cause chimique mentionnés dans cette directive concernent l'inflammation de l'appareil ou l'intoxication de l'usager par des gaz produits par la machine. Or, l'épandage des pesticides n'est pas assimilable à l'émission de gaz toxiques, bien que le comportement de certaines gouttelettes très fines répandues dans l'atmosphère présente une grande analogie avec celui d'un gaz. Dans ces conditions, la conformité des appareils à cette directive ne suffit pas nécessairement à garantir la sécurité de l'opérateur malgré les ajouts opérés en 2009.

Pour cette raison, la mission recommande que l'AMM précise, en tant que de besoin, les caractéristiques auxquelles devra satisfaire le matériel utilisé pour l'épandage du produit considéré .

Pour être complet, précisons que les tracteurs agricoles relèvent de la directive 2003/37/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 mai 2003 concernant la réception par type des tracteurs agricoles ou forestiers, de leur remorque et de leurs engins interchangeables tractés, ainsi que des systèmes, composants et entités techniques de ces véhicules, et abrogeant la directive 74/150/CE. Toutefois, pour les risques non envisagés par la directive 2003/37, les directives « machines » de 2006 et 2009 restent applicables (article 1 er de la directive 2006/42/CE).

(2) Les équipements de protection individuelle (EPI) à mettre en oeuvre

Ni les dossiers fournis par les pétitionnaires, ni les AMM accordées à ce jour ne décrivent les caractéristiques auxquels doivent satisfaire les équipements de protection individuelle devant protéger l'utilisateur de pesticides. Or, la diversité des matériaux utilisés pour ces équipements est notamment justifiée par la variété des molécules dont il faut empêcher le contact avec la peau ou la pénétration dans les poumons. Comment s'y retrouver ?

L'enjeu, évident sur le plan sanitaire, se complique d'un problème de responsabilité du chef d'exploitation envers ses salariés : l'employeur est tenu d'assurer la protection sanitaire des personnes qu'il emploie, mais ne dispose d'aucune information lui permettant d'opérer un choix pertinent des équipements propres à assurer cette protection.

C'est pourquoi la mission recommande que le dossier d'AMM et l'autorisation elle-même soient accompagnés de précisions sur la nature exacte des équipements de protection individuelle à utiliser et sur leurs conditions d'emploi . En effet, les filtres des masques, mais aussi les gants et les combinaisons peuvent perdre leur efficacité initiale après seulement quelques heures d'utilisation. L'INRS et le CNRS ont ainsi mis en évidence que la protection apportée par une combinaison pouvait diminuer rapidement en deux heures d'utilisation, pour être illusoire au-delà de trois heures. Il ne suffit donc pas d'indiquer la nature des tissus ou des filtres : il faut aller jusqu'aux conditions précises de mise en oeuvre de ces équipements.

Ainsi complété, le dispositif d'AMM pourrait mieux jouer son rôle, à condition de conduire jusqu'à son terme le perfectionnement de sa gouvernance.

2. Pousser à son terme le perfectionnement de la gouvernance du dispositif d'autorisation de mise sur le marché (AMM)

Pour la mission, il s'agit d'éviter le brouillage provoqué par les conflits ou les liens d'intérêts (a) et d'organiser un contrôle public effectif de l'innocuité des pesticides autorisés (b).

a) Mettre fin au problème lancinant des conflits d'intérêts

Les deux principales activités où des conflits d'intérêts sont susceptibles d'intervenir sont, d'une part, la confusion entre prescription et vente de pesticides (1), d'autre part, la constitution de comités d'experts chargés de conseiller les pouvoirs publics, mais constitués au moins partiellement de personnes travaillant avec les producteurs de pesticides (2).

Ces deux situations appellent des solutions distinctes, mais la seconde se retrouve dans nombre d'autres domaines nécessitant une intervention de l'échelon politique. À ce titre, la mission recommande l'adoption d'une loi générale sur les conflits d'intérêts (3).

(1) Séparer la prescription et la vente de pesticides

Si aucune disposition législative ou réglementaire n'impose aujourd'hui qu'une seule et même personne morale prescrive ou au moins recommande des traitements phytopharmaceutiques et vende les produits permettant de les réaliser, aucune disposition ne l'interdit. Dans l'écrasante majorité des départements, les coopératives agricoles jouent les deux rôles dont la synergie apparaît malsaine.

La mission recommande de mettre fin, dans toute la mesure du possible, à ce mélange des genres, pour le moins préjudiciable à la confiance que le prescripteur doit inspirer. Les prescriptions pourraient émaner des chambres d'agriculture, les coopératives et le négoce conservant leur rôle de vente finale aux agriculteurs.

Idéalement, les conseillers devraient non seulement avoir suivi une formation adaptée, mais ils devraient aussi être indépendants des producteurs de produits phytopharmaceutiques.

(2) Constituer des comités d'experts crédibles

La difficulté consiste à concilier les objectifs a priori contradictoires : réunir des personnes connaissant parfaitement le sujet technique à étudier, ne faire appel qu'à des experts dépourvus de tout lien avec les intérêts privés concernés par ces travaux. L'exercice peut s'apparenter à la quête du Graal, voire à la quadrature du cercle, d'autant que le secret dont bénéficient les résultats des expériences conduites en vue de l'AMM limite de facto l'information mise à disposition des chercheurs, sauf de ceux qui travaillent au moins partiellement pour l'industrie.

Aucune solution simple ne permet d'exclure les conflits d'intérêts sans risquer d'amoindrir le niveau d'excellence des experts recrutés .

En premier lieu, la mission recommande de lever le secret sur les données brutes des expériences réalisées dans le cadre des demandes d'AMM. Sans porter atteinte au secret de fabrication, qui doit être préservé, cette recommandation devrait favoriser le recrutement de personnes parfaitement qualifiées malgré l'absence de tout lien professionnel avec le producteur de pesticides.

Cependant, cette première évolution ne suffirait pas nécessairement. Surtout, elle n'aurait pas de résultat probant avant un certain délai, variable selon les cas. Il convient donc de la compléter.

Il pourrait être envisagé de scinder les comités d'experts en deux groupes, l'un réunissant les experts ayant déclaré des intérêts dans l'industrie ou le commerce de pesticides, l'autre constitué des personnes non exposées à des conflits d'intérêts .

Ce deuxième groupe assumerait seul la responsabilité des conclusions présentées au nom du comité d'experts, les personnes ayant déclaré des conflits d'intérêts participant à la réflexion collective sans jouer de rôle dans la rédaction finale de l'avis adressé aux pouvoirs publics. Ainsi, la transparence et une répartition claire des attributions permettrait d'éviter les soupçons suscités dans l'opinion publique par des décisions prises sur le fondement d'avis présenté par des personnes, certes compétentes, mais dont on apprend post factum que leur analyse n'était peut-être pas désintéressée.

Cette solution pourrait être transposée à bien d'autres situations où l'intervention des pouvoirs publics doit être éclairée par des scientifiques.

(3) Adopter une loi sur les conflits d'intérêts
(a) Le premier défi à relever consiste à définir les conflits d'intérêts

En effet, le droit français ne comporte aucune définition de cette notion , sinon via l'incrimination de « prise illégale d'intérêts » par l'article 432-12 du code pénal, qui reste partielle en regard de ce que l'on entend généralement par conflits d'intérêts.

Au demeurant, la commission de réflexion pour la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique, qui a remis son rapport au Président de la République le 26 janvier 2011, n'a trouvé que deux pays - le Canada et le Portugal - disposant d'une définition légale des conflits d'intérêts.

À juste titre, cette commission a observé que la définition retenue par l'OCDE se situait « en partie sur un terrain extra juridique ». Rappelons cette définition : « Un conflit d'intérêts implique un conflit entre la mission publique et les intérêts privés d'un agent public, dans lequel l'agent public possède à titre privé des intérêts qui pourraient influencer indûment la façon dont il s'acquitte de ses obligations et de ses responsabilités ».

Le projet de loi élaboré à la suite de ce rapport - mais jamais venu en discussion devant le Parlement - comporte, à son article premier, une caractérisation du conflit d'intérêts comme le fait qu' une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public estime se trouver dans une situation dans laquelle sa probité ou son impartialité pourrait être mise en doute . Il est inutile d'insister sur le flou juridique d'une approche fondée sur l'opinion subjective d'un agent public sur ce que pourrait être l'opinion tout aussi subjective des personnes ayant un doute sur son action...

Bien que l'exercice soit très ardu, le droit de l'apparence ne doit pas devenir flou, sauf à encourir les foudres du Conseil constitutionnel. C'est pourquoi la mission souhaite l'engagement d'une réflexion permettant de graver dans le marbre de la loi des critères objectivement vérifiables constitutifs d'un conflit d'intérêts.

(b) Non moins redoutable est la conséquence à tirer d'un conflit avéré

L'OCDE, le Conseil de l'Europe et le projet de loi mentionné ci-dessus ne laissent que deux solutions aux personnes concernées par un conflit d'intérêts : l'éviter ou cesser, au moins temporairement, d'exercer sa fonction.

Ainsi, l'article 2 du projet de loi disposait qu'en pareilles circonstances « les personnes appartenant à des instances collégiales s'abstiennent de siéger » (article 1 er , alinéa 4). Cela revenait à généraliser la pratique du déport, bien connue dans la sphère de la justice.

Appliquée au monde de l'expertise, cette conséquence pourrait entraver la constitution de comités d'experts dignes de ce nom. Une approche plus réaliste est donc nécessaire.

(c) Engager véritablement un débat réaliste

La mission propose que la loi générale sur les conflits d'intérêts comporte des dispositions évitant de paralyser l'expertise publique. Cela suppose de faire prévaloir la transparence sur la suspicion.

Sans aller plus avant dans le cadrage du texte général qu'elle appelle de ses voeux, la mission observe que les réflexions conduites à ce jour - au sein de l'OCDE et du Conseil de l'Europe s'agissant des instances internationales, par le service central de prévention de la corruption et par la commission de réflexion sur la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique pour ce qui est de la France - apportent une matière très substantielle, largement reprise dans le projet de loi élaboré mais non déposé en 2011. La mission estime simplement nécessaire de compléter cette approche pour préserver l'expertise.

b) Organiser l'effectivité du contrôle public sur l'innocuité des pesticides autorisés

Ce contrôle pêche actuellement par deux faiblesses principales : les laboratoires dont les études sont présentées à l'appui des demandes d'AMM sont choisis par les pétitionnaires, ce qui laisse planer un doute regrettable sur la solidité scientifique des dossiers. C'est ainsi que, par exemple, l'effet cocktail dû aux interactions entre pesticides ou entre résidus de pesticides reste trop souvent inconnu.

C'est pourquoi la mission recommande la fin du libre choix intégral des laboratoires par les pétitionnaires (1) et le développement des recherches sur les effets cocktails (2).

(1) Limiter le libre choix des laboratoires par les pétitionnaires

Sur ce point, le règlement n°1107/2009 dispose que les données sont fournies par le pétitionnaire, mais il n'impose pas que celui-ci choisisse de façon discrétionnaire les laboratoires effectuant les tests imposés.

Bien qu'aucune personne auditionnée n'ait formellement contesté la valeur scientifique des données présentées à l'appui de demandes d'AMM, l'ANSES pourrait désigner, dans chaque cas, la structure d'expertise chargée de réaliser les examens réglementaires relatifs à la santé, de manière à mettre fin à la suspicion qui plane aujourd'hui de façon malsaine sur les fondements expérimentaux des AMM .

Au moins en un premier temps, l'ANSES pourrait choisir les laboratoires dont l'intervention est nécessaire pour répondre aux demandes complémentaires formulées par l'agence lorsqu'elle instruit les demandes d'AMM ou des demandes de renouvellement.

Il n'y aurait là aucune source de dépenses publiques supplémentaires, les laboratoires désignés par l'agence étant rémunérés par le pétitionnaire. La seule difficulté concerne la tarification des examens, librement discutée aujourd'hui, mais qui devrait être fixée par l'autorité administrative si la recommandation est mise en oeuvre.

Tel est le prix à payer pour que le dossier présenté à l'appui d'une demande d'AMM, donc l'autorisation elle-même, soit insoupçonnable. À ce propos, le règlement n° 546/2011 du 10 juin 2011 instituant des principes uniformes d'évaluation et d'autorisation des produits phytopharmaceutiques impose aux États membres de s'assurer que « les données fournies sont acceptables sur le plan de la quantité, la qualité, de la cohérence et que la fiabilité est suffisante pour permettre une évaluation appropriée du dossier » (annexe du règlement, introduction, paragraphe 2). Cette précision sonne comme l'aveu implicite que les qualités requises n'étaient pas nécessairement satisfaites jusqu'alors.

Il reste à savoir comment les États membres pourraient dorénavant effectuer ce contrôle, sauf à se contenter de vérifier que les laboratoires respectent les « bonnes pratiques de laboratoire », codifiées par la directive 2004/9/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004.

Au demeurant, chaque autorisation concerne un produit phytopharmaceutique donné, alors que les utilisateurs, a fortiori les consommateurs, sont confrontés à divers produits ou résidus.

(2) Développer la recherche sur les effets cocktails

L'idée n'est pas nouvelle, puisque le programme Périclès conduit depuis 2009 par l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) et par l'AFSSA (devenue l'ANSES) a précisément pour objet d'étudier les interférences entre résidus de pesticides dans l'alimentation.

Il reste toutefois à en exploiter les résultats et surtout à étendre la recherche aux impacts des effets cocktails sur la santé des personnes manipulant ou épandant des pesticides, sur celle de leur famille ainsi que sur celle des riverains. Cette extension est particulièrement indispensable, s'agissant de produits susceptibles de rester dans le corps humain pendant une longue période, si bien que des interactions peuvent intervenir entre éléments chimiques absorbés tout au long de la vie, professionnelle ou non.

A noter que les effets cocktails peuvent toucher particulièrement les personnes qui interviennent directement sur place. Il convient de ne pas se limiter aux seuls produits phytopharmaceutiques, puisque, par exemple, les agents de RFF travaillant sur les voies ferrées arpentent des endroits généreusement aspergés d'herbicides - dont les effets sont rémanents sur des surfaces de pierres, faute de bactéries pouvant dégrader le glyphosate - et que les traverses en bois ont été traitées avec la créosote , un produit biocide non agricole.

Cette recommandation est conforme des orientations officialisées au niveau communautaire, mais nullement concrétisées à ce jour :

- le 23 décembre 2009, le Conseil de l'Union européenne (environnement) a adopté des « Conclusions » consacrées aux effets des combinaisons de produits chimiques. Dans ce document, le Conseil se félicite de l'initiative de la Commission visant à entreprendre une étude, qui devra être achevée dès le début de 2010, afin d'examiner la base scientifique pour l'évaluation des risques liés aux effets d'une exposition conjuguée et à de multiples substances chimiques, il attend avec intérêt le rapport de la commission sur la mise en oeuvre d'ici 2010 de la stratégie communautaire concernant les perturbateurs endocriniens et l'examen du plan d'action de l'UE pour l'environnement et la santé (Points 5 et 6 des conclusions) ;

- en fait de rapport achevé début 2010, il fallut attendre le 31 mai 2012 pour que la Commission européenne publie un communiqué de presse consacrée à « une nouvelle approche de l'évaluation des mélanges chimiques ». Après avoir observé que les associations de substances chimiques peuvent avoir « des effets que n'ont pas les substances prises séparément », la Commission affirme que la complexité scientifique du sujet « ne doit pas être un prétexte à l'inaction ». Très juste. Mais il est à déplorer que la conclusion pratique de ce communiqué de presse se résume à la promesse de publier un rapport sur ce thème à l'horizon 2015...

Si la mission approuve les principes affirmés au niveau communautaire, elle ne peut se contenter d'en déduire qu'il soit urgent d'attendre !

Il est au demeurant un autre domaine où l'inaction serait coupable : la mise en oeuvre effective du droit applicable.

3. Assurer une meilleure application du droit en vigueur

Pour garantir une application plus rigoureuse du droit en vigueur, il convient d'abord de perfectionner les dispositifs de sanctions par les juridictions administratives ou pénales (a), ensuite d'attribuer une protection légale aux lanceurs d'alerte (b), enfin d'introduire l'action de groupe dans l'ordonnancement juridique (c).

a) Perfectionner les dispositifs de sanction par les juridictions administratives ou pénales

Il s'agit, pour l'ordre administratif, de rendre au Conseil d'État la compétence de juger en premier et dernier ressort le contentieux des AMM (1) et, pour l'ordre judiciaire, de réunir en un livre spécifique du code pénal toutes les incriminations d'atteinte à l'environnement ou à la santé (2), en améliorant de façon drastique les modalités de la coopération transnationale intra-européenne contre la fraude (3).

(1) Rendre au Conseil d'État sa pleine compétence pour le contentieux des AMM

Dans le régime antérieur au décret n° 2010-164 du 2 février 2010, le Conseil d'État jugeait en premier et dernier ressort les autorisations de mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques, qui sont juridiquement analysées comme des décisions individuelles produisant leurs effets sur plus d'un département.

Or, ce décret a modifié l'article R. 313-11 du code de justice administrative, précisément pour soustraire les « recours dirigés contre les actes administratifs dont le champ d'application s'étend au-delà du ressort d'un seul tribunal administratif » aux matières que le Conseil d'État est compétent pour connaître en premier et dernier ressort. Ensuite, la haute juridiction s'est déclarée incompétente pour examiner, fût-ce en référé, une demande tendant à suspendre l'AMM dont bénéficiait le produit phytopharmaceutique Cruiser OSR. (CE référés, 29 juillet 2011, Union nationale de l'apiculture française, requêtes n° 350716 et 351020).

Il en résulte que le contentieux des AMM est actuellement dispersé entre les tribunaux administratifs, où il est examiné entre deux requêtes portant sur tel ou tel arrêté préfectoral ou municipal... Or, des décisions ayant une telle incidence sur l'ensemble du territoire national devraient être tranchées de manière rapide et uniforme , ce que ne permet pas le parcours juridictionnel conduisant du tribunal administratif à la cour administrative d'appel pour aboutir finalement au Conseil d'État, bien trop tard pour que l'arrêt rendu puisse produire quelque effet. Comment oublier que l'autorisation ou l'interdiction d'employer un produit phytopharmaceutique peut produire des effets sur des millions d'hectares, avec des enjeux sanitaires, économiques, et environnementaux de grande ampleur ?

En conséquence, la mission propose une modification de l'article R. 311-11 du code de justice administrative rétablissant la compétence antérieure du Conseil d'État pour connaître en premier et dernier ressort des AMM relatifs aux produits phytopharmaceutiques .

A noter qu'il existe un précédent : le contentieux de l'urbanisme commercial avait été soustrait par ce même décret du 2 février 2010 à la compétence en premier dernier ressort du Conseil d'État, avant que le statu quo ante ne soit rétabli par un texte inverse du Premier ministre.

(2) Revoir les modalités de la coopération transfrontalière intra-européenne contre la fraude

Lors de la table ronde juridique organisée par la mission le 17 juillet 2012, les représentants des douanes, de la gendarmerie nationale, de la magistrature, de la brigade nationale d'enquêtes vétérinaires et phytosanitaires (BNEVP) et de la DGCCRF ont insisté sur l'ampleur de la fraude interétatique au sein de l'Union européenne et sur les difficultés majeures qui entravent la coopération des services concernés appartenant à des États membres distincts .

Ainsi, des personnes mal intentionnées peuvent apporter via un port communautaire des substances chimiques dont chacune est licite au regard du droit communautaire, pour les transférer dans un autre pays où elles sont transformées en produit phytopharmaceutique frauduleux destiné à l'exportation - donc non soumis à une AMM nationale - pour être commercialisées dans un troisième État membre, dont les services voient leur action gênée par la combinaison de deux facteurs distincts : le principe de libre circulation des marchandises au sein de l'Union européenne et l'atonie dont font preuves les autorités du pays où le produit a été fabriqué.

L'utilisation frauduleuse des importations parallèles a également été mise en exergue.

Mme Annaïck Le Goff, magistrat, vice-président chargée de l'instruction au Pôle de santé publique du Tribunal de grande instance de Marseille a décrit, en l'absence de traçabilité du produit d'importation parallèle, des cas de « dévoiement total de la réglementation sur les importations parallèles » qui tirent parti de la libre circulation des marchandises et de la libre concurrence pour échapper à l'analyse des produits à l'origine inconnue et faussement étiquetés comme des produits autorisés .

Par ailleurs, la libre circulation des produits interdit à la douane de contrôler les introductions , c'est-à-dire les produits provenant d'un État de l'Union européenne.

L'action des fraudeurs, quelle que soit la nature de l'atteinte commise en passant d'un État à un autre, est facilitée par la lourdeur des procédures juridictionnelles mises en oeuvre au moment de l'enquête, puisqu'une année peut ne pas suffire pour que tel juge d'instruction obtienne la réponse à une demande dont il aura saisi son homologue d'un État membre en passant par la voie hiérarchique. Dans ces conditions, les infractions peuvent se dérouler en toute quiétude et quasiment à l'abri de poursuites effectives.

Or, un système européen dénommé « Système d'alerte rapide pour les denrées alimentaires et les aliments pour animaux » (SARDANE) a démontré son efficacité dans la coopération transfrontalière contre les fraudes alimentaires, avec des commissions rogatoires exécutées dans des délais record . Ce système est basé sur le règlement (CE) n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2002, établissant les principes généraux et des prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l'Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant les procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires.

La mission propose que les modalités de cette coopération dans le domaine alimentaire soient appliquées mutatis mutandis à la lutte contre les fraudes à la législation sur les pesticides . La matière juridique est, certes, distincte, mais les intervenants institutionnels dans chaque pays sont sensiblement les mêmes. Puisqu'ils peuvent communiquer rapidement dans un cas, on peut raisonnablement penser qu'ils peuvent aussi le faire dans d'autres situations, même si l'élaboration d'un nouveau règlement serait sans doute nécessaire.

Mais pour que les services de recherche ou de jugement soient saisis, encore faut-il que les atteintes au droit - effectives ou soupçonnées avec des présomptions sérieuses - soient portées à leur connaissance. À cette fin, il convient de protéger les lanceurs d'alerte.

b) Accorder une protection légale aux lanceurs d'alerte

Bien que leur apport commence à être bien reconnu au plan international (1), les lanceurs d'alerte restent juridiquement mal protégés en droit français (2).

(1) Le rôle des lanceurs d'alerte est de plus en plus reconnu au plan international

Dès 1998, l' OCDE a adopté une « Recommandation » concernant l'amélioration des comportements éthiques dans le service public, un document dont l'une des finalités consistait précisément à protéger les lanceurs d'alerte.

Adoptée le 31 octobre 2003 par l'assemblée générale de l'ONU, la Convention des Nations Unies contre la corruption dispose : « Chaque État partie envisage d'incorporer dans son système juridique interne des mesures appropriées pour assurer la protection contre tout traitement injustifié de toute personne qui signale aux autorités compétentes, de bonne foi et sur la base de soupçons raisonnables, tous faits concernant les infractions établies conformément à la présente Convention. » (Article 33)

Plus récemment, le G20 s'est doté en novembre 2010, à Séoul, d'un plan anticorruption , dont le point 7 est consacré à la protection des lanceurs d'alerte . De même que dans les cas de l'OCDE et de l'ONU, le G20 entendait favoriser ainsi la lutte contre la corruption, un aspect certes légitime, mais partiel du sujet.

Le Conseil de l'Europe a adopté, le 29 avril 2010, la résolution 1729 (2010) et la recommandation 1916 (2010) tendant à protéger les « donneurs d'alerte » . Ces textes invitent les membres du Conseil à compléter, si besoin est, leur législation sur ce sujet. Autant dire que la France est invitée au moins à un travail d'inventaire...

Outre ces instances internationales, plusieurs États se sont dotés d'une législation spécifiquement destinée à protéger les lanceurs d'alerte.

La plus connue est la loi américaine dénommée « Whistleblower Protection Act of 1989 », bien que le premier texte assurant une certaine protection aux lanceurs d'alerte soit le « False Claims Act » du 3 mars 1863, souvent désigné comme « Lincoln Act », en hommage au président des États-Unis en fonction à cette date. Il apparaît toutefois que l'ancienneté et la notoriété du droit nord-américain en ce domaine soient insuffisantes à protéger véritablement les « whistleblowers ». En effet, en 2010, M. Pieter Omtzigt, rapporteur du texte sur la protection des donneurs d'alerte devant l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a observé : « Selon les recherches effectuées aux États-Unis, les donneurs d'alerte potentiels tendent a rester silencieux principalement pour deux raisons : tout d'abord, le sentiment que leurs mises en garde ne seront pas suivies des effets attendus, ensuite, par crainte des représailles ». 38 ( * )

(2) Il est temps que la France se dote d'une loi de portée générale protégeant les lanceurs d'alerte

Bien que la situation ait évolué au cours de la dernière décennie, la jurisprudence est encore trop souvent le seul rempart juridique dont disposent nos concitoyens signalant un abus ou un manquement.

Habituellement considérée comme le premier texte législatif français en ce domaine, la loi n° 2007-1598 du 13 novembre 2007 relative à la lutte contre la corruption comporte en effet des dispositions destinées à protéger les salariés à l'occasion de faits de corruption révélés de bonne foi dans l'exercice de leurs fonctions (article L. 1161-1 du code du travail, rédigé par l'article 9 de la loi). Sa portée reste néanmoins limitée par le fait que ce texte s'applique uniquement aux révélations de faits de corruption dont un salarié de droit privé aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions. Sur le plan des principes, le renversement de la charge de la preuve opéré à l'alinéa 3 de l'article L. 1161-1 n'en reste pas moins une disposition fondatrice .

Plus récemment, la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement a demandé au Gouvernement de présenter un rapport sur « l'opportunité de créer une instance propre à assurer la protection de l'alerte ». Cet organisme devrait garantir « l'instruction des situations d'alerte ». Le principe était relativement clair, mais n'a pas eu la moindre suite, jusqu'à présent.

Enfin, l'article 43 de la loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé a inséré dans le code de la santé publique l'article L. 5312-4 dont la rédaction est calquée sur le texte introduit en 2007 dans le code du travail, à deux différences près :

- au lieu d'évoquer des faits de corruption, le nouveau dispositif mentionne la sécurité sanitaire des produits de santé et des médicaments ;

- la protection ainsi accordée n'est pas limitée aux salariés relevant du droit privé.

Ce bilan montre que le mouvement vers une législation protectrice des lanceurs d'alerte est engagé, mais qu'il reste à pousser cette logique jusqu'à son terme .

Sans même attendre l'institution d'une éventuelle autorité de l'alerte et de l'expertise, la mission propose qu'une loi soit adoptée prochainement pour appliquer à tous les cas d'alerte donnée de bonne foi le dispositif déjà introduit - avec une portée malheureusement restreinte - dans les codes du travail, en 2007, et de la santé publique, en 2011.

Si l'on ajoute à ces évolutions la création en France d'une action collective en responsabilité civile, on peut raisonnablement penser que la pratique des industriels et des intermédiaires commerciaux se rapprochera réellement de ce que les dispositions applicables sont censées imposer.

c) Introduire l'action collective en droit français

Ce sujet a largement été discuté au sein de la commission des lois lorsqu'elle a examiné pour avis, au cours de la session parlementaire 2011-2012, le projet de loi sur la consommation , dont la commission des affaires économiques était saisie au fond. En raison des élections législatives du printemps 2012, ce texte n'a pu être discuté en séance plénière, mais cette situation contingente n'enlève rien à l'intérêt du débat qui s'est instauré en commissions pour aboutir à la proposition d' introduire en droit français une action de groupe fondée sur l'adhésion volontaire (article 12 de la proposition de loi, modifiant l'article L. 412-2 du code de la consommation et l'article L. 211-15 du code de l'organisation judiciaire).

La mission commune d'information propose de reprendre ce dispositif, dont il convient de rappeler ici les grandes lignes :

- les consommateurs lésés seraient autorisés à s'unir pour réclamer une indemnité au professionnel ;

- des garde-fous doivent prévenir les abus : l'action est filtrée par les associations agréées, seules autorisées à introduire une action de groupe ; le motif de l'action est strictement limité à l'indemnisation des seuls dommages matériels issus d'un manquement contractuel ou précontractuel d'un professionnel à l'égard d'un consommateur ou d'un manquement aux règles de la concurrence ;

- cette action de groupe serait organisée en deux phases distinctes : au cours de la première, l'association présente au juge des cas lui permettant de se prononcer sur la responsabilité du professionnel et de définir les consommateurs concernés, ainsi que le mode de publicité à retenir pour les informer et le délai pendant lequel les consommateurs peuvent se joindre à l'action ; pendant la seconde phase, le juge statuerait sur la recevabilité des demandes d'indemnisation et sur le montant de celles-ci.

L'adhésion volontaire à l'action (principe dit de l'« opt-in »), éviterait les dérives découlant du principe (dit de l'« opt out ») où quelques-uns parlent au nom de consommateurs qui n'ont rien demandé, et qui ne sont peut-être même pas informées de cette action. De même, les dérives procédurières seraient contenues du fait même que la responsabilité du professionnel ayant été tranchée dans la première phase, la seconde phase ne pourrait plus porter que sur la détermination des victimes et de la réparation.

Fort logiquement, le texte élaboré par la commission des lois et approuvé par celle de l'économie tendait à suspendre pendant le cours de l'instance la prescription des actions civiles en responsabilité contre le professionnel pour des faits similaires. Par ailleurs, l'autorité de la chose jugée ne serait établie qu'à l'égard des professionnels et des consommateurs qui se sont joints à l'action.

L'intérêt d'un tel dispositif pour la protection de la santé face aux dangers des pesticides tient au fait que l'utilisation de produits phytopharmaceutiques par des milliers - parfois par des dizaines de milliers - d'agriculteurs ne provoque pas nécessairement de dommages très graves pour chacun, mais peut occasionner un grand nombre de dommages limités .

Il en va de même pour les paysagistes ou les particuliers utilisant des produits destinés au jardinage.

L'action de groupe a précisément pour objet d'être utilisée en pareille situation.

Les agriculteurs pourraient utiliser l'action de groupe - a priori en cas de dommages plus limités que l'accident survenu à M. Paul François - alors que les victimes hésitent fort logiquement aujourd'hui à engager une action judiciaire dont elles peuvent redouter le coût et la durée, d'autant que plaider ne fait pas partie des traditions paysannes.

La mission estime qu'introduire l'action de groupe est une solution préférable à l'inversion systématique de la charge de la preuve lorsque survient une pathologie connue pour être provoquée par des pesticides.

Les suggestions qui précèdent peuvent être classées en deux catégories : celles spécifiques au domaine envisagé par la mission ou celles de portée générale ayant néanmoins des répercussions importantes sur le thème « pesticides et santé ».

Les premières suggestions, contrairement aux secondes, ne relèvent pas du domaine de la loi au sens de l'article 34 de la Constitution. Le Parlement européen est compétent pour débattre de ce sujet à l'échelle des vingt-sept États membres.

Ainsi, sont compétents la Commission européenne, le Conseil européen, le Parlement européen, l'exécutif de la République française, mais le Parlement national ne peut, en principe, intervenir sur ces sujets que via le contrôle qu'il doit exercer sur l'action des pouvoirs publics, en limitant son initiative à des analyses et à de simples suggestions.

Il est paradoxal qu'un sujet ayant une telle importance pour la santé publique à court, moyen et long termes soit traité par voie de décrets ou d'arrêtés ministériels, éventuellement éclairés par des rapports ou des débats parlementaires.

Recommandations de la mission d'information

Procédure d'autorisation de mise sur le marché des pesticides (AMM)

J.1 Contrôle de validité des autorisations de mise sur le marché des pesticides :

Au terme de cinq années de mise sur le marché, le titulaire de l'autorisation devrait faire établir, à ses frais, un rapport d'étape par un laboratoire choisi par l'ANSES selon un cahier des charges défini par cette agence.

J.2 Conditionnement des pesticides :

- l ' étiquetage : il doit être lisible , explicite, mentionner tous les composants du produit et ne pas se transformer en notice fleuve,

- le bidon : il devrait être standardisé , déjà à l'intérieur d'une même firme, transparent , non doté d'un opercule thermo-scellé, pourvu d'un bouchon normalisé et d'un clapet anti-inhalation , d'un poids non excessif ,

- le produit : prêt à être utilisé .

J.3 Composition chimique du produit :

Faire figurer sur l'emballage le nom de tous les composants du produit ainsi que sa classe et un code-barre lisible par un téléphone portable pour doubler et/ou compléter cette information.

J.4 Contenu des avis d'autorisations de mise sur le marché :

Y inclure des indications contraignantes sur :

- le conditionnement et l' étiquetage des produits,

- les caractéristiques des matériels d'épandage ,

- les équipements de protection individuelle à utiliser.

- les délais de réentrée : à différencier selon l'usage des produits dans les champs ou sous serre .

J.5 Conflits d'intérêt :

Adopter une loi sur les conflits d'intérêts, comprenant la définition des conflits et des liens d'intérêt et fixant les conséquences à tirer d'un conflit avéré.

J.6 Conseil lors de la vente de pesticides :

Le conseiller, qui ne saurait être le distributeur, doit jouer un rôle analogue à celui du pharmacien pour les médicaments.

Son conseil doit être donné par écrit et proposer d'abord des solutions fondées sur l'emploi de techniques alternatives .

Le conseiller a l'obligation de signaler tout incident sous peine de perdre son agrément.

Une évaluation de l'efficacité de ces nouvelles méthodes de conseil est à prévoir dans les deux ans.

J.7 La prescription et la vente de pesticides :

Viser à les s éparer, dans toute la mesure du possible (par exemple, en vendant à prix coûtant les pesticides dans les coopératives).

J.8 Analyse de l'impact des substances et produits sur la santé :

- assurer l'indépendance de l'aspect santé de l'évaluation des substances et produits par la création d'un fonds, abondé par les industriels, pour financer les évaluations par des laboratoires choisis par les agences d'évaluation , de manière à mettre fin à la suspicion sur l'origine des données fournies aux évaluateurs, aux éventuels conflits ou liens d'intérêts, etc.

- il en serait de même en cas de doute sur la fiabilité d'une étude ou de nécessité d'études complémentaires , l'ANSES choisirait les laboratoires d'analyse de manière à assurer le caractère contradictoire de celle-ci.

Dans tous les cas, les tests relatifs à la santé réalisés sur des mammifères devraient l'être sur leur vie entière .

Les études et analyses relatives à la santé , notamment celles ayant précédé une autorisation de mise sur le marché, doivent être publiques .

J.9 Contentieux des AMM :

Redonner au Conseil d'État sa pleine compétence en premier et dernier ressort, le champ de validité de l'AMM étant national. Cela devrait également permettre d'accélérer le jugement des procédures de recours.

J.10 Coopération transfrontalière intra-européenne contre la fraude :

En revoir les modalités pour la renforcer .

J.11 Concurrence déloyale intra et extracommunautaire :

Mener une étude sur la commercialisation en France de produits agricoles ayant été traités dans d'autres pays avec des pesticides interdits en France.

J.12 Autorisations de mise sur le marché (AMM) :

Les harmoniser entre États européens pour lutter contre la fraude : exemple d'un produit interdit en France mais autorisé en Espagne et qui est finalement utilisé en France.

J.13 Réglementation des préparations naturelles peu préoccupantes (PNPP) :

Adapter leur autorisation de mise sur le marché spécifique - notamment son coût - de manière à encourager le recours aux PNPP.

Statut de l'alerte

J.14 Lanceurs d'alerte :

Leur accorder une protection légale .

J.15 Action collective :

L'introduire dans le droit français y compris dans le domaine de la santé avec la possibilité d'obtenir réparation non seulement de préjudices matériels mais aussi de préjudices corporels ou moraux .

J.16 Préjudice de contamination :

Inscrire dans la loi ce préjudice d'angoisse reconnu par la jurisprudence lorsqu'il y a eu un dommage résultant d'une exposition professionnelle à des pesticides cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques (CMR) ou provoquant des perturbations endocriniennes.


* 38 Rapport présenté le 14 septembre 2009 à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page