Table ronde 1 - Développement humain et inégalités

M. François-Xavier Guillerm, animateur des débats

Cette matinée va s'articuler autour de deux tables rondes. La première, consacrée au développement humain et aux inégalités, réunit Mme Sophie Élizéon, MM. Éric Fruteau, Georges Patient, Thani Mohamed Soilihi et Olivier Sudrie.

M. Sudrie va intervenir tout de suite pour présenter le travail qu'il a réalisé à la demande de l'AFD. Il s'agit d'une étude d'évaluation du développement humain dans les outre-mer à partir de l'indice de développement humain.

Présentation introductive par M. Olivier Sudrie, Économiste, maître de conférences à l'Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines

Merci de m'avoir invité à présenter les résultats d'une étude qui nous a été récemment demandée par l'AFD pour essayer de mesurer les niveaux de développement dans les départements et collectivités d'outre-mer. L'objectif était de regarder le chemin parcouru, d'effectuer des comparaisons entre soi et vis-à-vis d'autres petites économies insulaires, d'autres régions ultrapériphériques européennes (Madère, Les Açores) et vis-à-vis bien sûr de la métropole.

Lorsqu'on se demande comment mesurer le développement, il y a une réponse qui vient très rapidement et qui d'ailleurs est apportée par de grandes organisations internationales comme la Banque Mondiale ou le Fonds Monétaire International : le produit intérieur brut (PIB) par habitant. La richesse par tête est ainsi souvent prise comme indicateur du développement.

Nous sommes naturellement capables de mesurer le PIB par habitant dans les outre-mer : la Martinique a par exemple une richesse d'environ 20 000 euros par an et par habitant. Et l'on peut comparer immédiatement ce chiffre à la situation métropolitaine où l'on est plutôt autour de 30 000 euros par an et par habitant, ce qui représente un écart d'environ 50 %. En appliquant cette méthode, on observerait que la Nouvelle-Calédonie ne se situe pas très loin de la métropole, suivie de la Guadeloupe et de la Martinique. La moyenne pour l'ensemble des départements et collectivités d'outre-mer s'établirait à 20 000 euros par an et par habitant.

Or le PIB par habitant pose le problème du pouvoir d'achat. Ce problème est assez présent en outre-mer comme l'a rappelé le président Larcher. La vie chère est en effet une réalité qu'il faut prendre en compte. Pour intégrer le paramètre du pouvoir d'achat, il faut disposer de comparaisons fiables. La méthode est assez simple : on prend comme référence un panier de la ménagère de 100 euros en métropole et on regarde combien le même panier coûterait dans un territoire d'outre-mer. À Nouméa par exemple ou en Polynésie, ce caddy coûterait 150 euros, soit 50 % plus cher qu'en métropole. En revanche, à La Réunion, l'écart ne serait que de 12 %.

Quoi qu'il en soit, il faut donc corriger l'indicateur « PIB par habitant » en intégrant le paramètre très important que constitue le pouvoir d'achat. En langage économique, on appelle cela « mesurer la richesse à parité de pouvoir d'achat ». Ainsi, en Nouvelle-Calédonie, on observe un PIB par an et par habitant de 27 000 euros. Mais, après correction et intégration du paramètre du pouvoir d'achat, le PIB descend à 20 000 euros par an et par habitant.

Le PIB par habitant présente un autre inconvénient : il occulte d'autres dimensions du développement comme la dimension sociale. En additionnant la dimension économique et la dimension sociale, on obtient le fameux indicateur de développement humain (IDH) évoqué par M. Dov Zerah. Il s'agit d'un indicateur composite, qui prend en compte le niveau économique (la richesse), mais aussi l'éducation (par exemple le nombre d'années d'études), la santé (par exemple l'espérance de vie à la naissance).

Tous les ans, le PNUD publie son rapport annuel. Dans ce rapport, il présente un classement des pays en fonction de leur IDH. En 2010, la Norvège se classait ainsi en première position alors que la République Démocratique du Congo occupait la dernière place. La France métropolitaine se situait en vingtième position. La Martinique et la Guadeloupe se situaient aux alentours de la quarantième place, au même niveau qu'un pays comme le Portugal. La Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna se situaient un petit peu plus loin, à un niveau équivalent à celui de la Roumanie. Ces quatre premiers territoires ultra-marins appartiennent à la catégorie des territoires présentant un IDH très élevé. D'autres territoires ultra-marins se positionnaient parmi les territoires à IDH élevé : La Réunion à la 72 ème place, la Guyane à la 76 ème et la Polynésie Française à la 77 ème . Enfin Mayotte occupait le 104 ème rang, dans la catégorie des pays à IDH moyen.

Au-delà de ce classement, comme l'a très bien indiqué M. Dov Zerah, nous avons travaillé sur l'écart de temps qui sépare le développement de la métropole et celui des territoires ultra-marins. Ainsi, nous avons calculé que la Guadeloupe et la Martinique avaient un écart de douze ans environ par rapport à la métropole. Le niveau de développement de la Nouvelle-Calédonie correspond, quant à lui, à celui que la métropole connaissait il y a vingt ans. Le décalage du développement de La Réunion, de la Guyane et de la Polynésie est de 25-30 ans. Il avoisinerait quarante ans pour Mayotte.

Nous nous sommes en outre interrogés pour savoir si les différentes composantes de l'IDH (économie, éducation et santé) étaient équilibrées. L'étude a révélé que cela n'était pas le cas. L'indicateur santé est très performant et correspond globalement au niveau observé en métropole. Le niveau d'éducation est assez satisfaisant même s'il est en moyenne inférieur de 20 % au niveau métropolitain. L'enjeu principal réside dans le développement économique qui est inférieur de 45 % à 50 % au niveau métropolitain.

Les progrès observés depuis les trente ou quarante dernières années sont énormes. J'ai commencé ma carrière comme africaniste et j'ai beaucoup travaillé sur le développement des pays subsahariens. En 1960, on vivait 30 % plus mal à Nouméa ou à Fort-de-France qu'à Abidjan. Aujourd'hui, sur le seul critère de la richesse, le rapport entre la Nouvelle-Calédonie ou la Martinique et la Côte d'Ivoire est de 1 à 20 en faveur de nos territoires ultra-marins. Si l'on considère l'IDH sur les vingt dernières années, on note une croissance de 15 % tirée essentiellement par les facteurs sociaux. Cette progression est identique à celle de la France métropolitaine même si l'écart entre l'IDH de l'outre-mer et celui de la métropole ne se réduit pas (environ 10 à 12 %).

Je souhaiterais terminer en insistant sur un point qui n'est à mon sens pas assez pris en compte : les inégalités de revenus. Les sociétés d'outre-mer sont beaucoup plus inégalitaires que la métropole. Or, l'IDH est un indicateur moyen qui peut masquer de profondes disparités au sein même de la population. Nous avons donc souhaité intégrer cette question en comparant les revenus des 25 % les plus riches et ceux des 25 % les plus pauvres. En métropole, l'écart est de 1 à 2. Dans les DOM (Guadeloupe, Guyane, Martinique, Réunion), l'écart est de 1 à 2,5. En Nouvelle-Calédonie, cet écart est de 1 à plus de 9 !

Je me suis exercé à intégrer ce paramètre dans le calcul de l'IDH de la Guyane. L'IDH des classes moyennes supérieures s'est nettement renforcé et correspond presque à celui de la métropole. Par contre, l'IDH des plus pauvres est inférieur de 40 % !

Je vous remercie de votre attention.

M. François-Xavier Guillerm, animateur des débats

Mme Sophie Élizéon, votre parcours vous a amenée à travailler à l'Agence Nationale pour l'Emploi de Pau, sur le plan local d'insertion à l'emploi à Gap et à Saint-Denis où vous avez été en charge du plan de cohésion sociale. Vous étiez déléguée régionale aux droits des femmes à La Réunion et, depuis quelques semaines, vous êtes Déléguée interministérielle de l'égalité des chances pour les Français d'outre-mer. Vous vous occupez donc du sort des ultra-marins dans l'Hexagone et vous souhaitiez faire écho à l'étude qui vient d'être présentée par M. Olivier Sudrie.

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