2. Structures locales

Comme l'indique Martin Vanier, professeur de géographie et d'aménagement à l'université Joseph Fourier (Grenoble I), « l'architecture territoriale de la France n'est certainement pas parfaite, mais ce qui est problématique, c'est moins la carte des territoires que l'usage qu'on en fait , par le fonctionnement des collectivités, en leur sein et entre elles, par la pratique des compétences, par l'état de la fiscalité locale, part le rapport à l'ingénierie, etc. On promet toujours de réformer la carte, mais le fonctionnement et les pratiques ? Faut-il « que tout change pour que rien ne change ? » .

a) La commune, pilier de la ruralité

Tout d'abord, il convient d'affirmer la nécessité du maintien de la commune , des quelque 36 000 communes françaises, cadre administratif et politique porteur par excellence de l'idée de ruralité, garant de la prise en compte des campagnes dans la gestion des affaires publiques. C'est par la commune que la ruralité , qui tend à disparaître des zonages à vocation opérationnelle de l'INSEE 67 ( * ) , conserve une expression propre et obligée .

Cette expression passe bien entendu par la participation de l'ensemble des communes au corps électoral du Sénat , mais aussi par la participation de toute commune, en tant que telle et quelle que soit sa taille, aux organes de l'intercommunalité . Le rôle des communes en tant qu'échelon de proximité, affirmé par l'ensemble des élus locaux, ne semble plus guère contesté à l'heure actuelle. Mais les modes changent... Il faudra donc veiller sur le long terme à la pérennité de la commune rurale et à sa représentation en bonne et due forme au sein des organes délibérants des EPCI.

Il faudra aussi veiller à l'association des communes rurales à l'ensemble des structures de dialogue territorial qui pourront être mises en place afin de surmonter, au-delà des problèmes du découpage communal auquel répondent les intercommunalités, l'ensemble des questions issues de l'enchevêtrement des compétences et des financements territoriaux.

On pense ici aux conférences territoriales des compétences que la future loi de décentralisation devrait instituer, mais aussi à toutes structures de concertation, de contractualisation et de décision qui existeraient ou seraient instituées dans une intention équivalente au sein de tel ou tel périmètre de projet : bassins de vie, pays...

b) Des circonscriptions rurales trop isolées des villes

La ruralité sera de moins en moins pensée indépendamment de la ville, dont les campagnes sont l'arrière-pays géographique, économique, démographique et écologique.

Pour le sénateur Edmond Hervé, « Rien n'est plus néfaste que l'opposition ville-campagne et pour mettre en oeuvre la politique qui vous intéresse, nous devons avoir une approche décentralisée, partenariale, ascendante et volontariste.

« Pour ce faire, il faut tout d'abord définir un territoire homogène, avec un esprit d'appartenance, capable de mise en commun. Ce peut-être un bassin de vie, un pays, une vallée, une ou des intercommunalités.

« Un territoire « révélé » par des élus, des acteurs économiques, associatifs, une autorité administrative, un chercheur...

« Il faut ensuite bâtir, écrire un projet qui soit débattu, transversal, fondé sur une culture de développement, de confiance et d'action. Ce projet aura d'autant plus de consistance qu'il bénéficiera d'une fonction de diagnostic, d'observation, de veille, de prospective. Cette fonction peut être assurée par des agences de développement (cf. les agences d'urbanisme) qui peuvent dépendre du département (prévue par les lois Defferre de 1982-1983), d'une ou plusieurs intercommunalités, de l'université, d'un organisme privé par délégation. Pour que cette mission fonctionne, il faut identifier les défis à relever ».

Cependant, dans le panorama ainsi déployé de l'avancée des interactions entre ville et campagne, la gouvernance semble avoir pris du retard.

Pour prendre l'exemple de l' intercommunalité , principal outil de mise en cohérence des politiques publiques à l'échelon local, nombre d'entre elles ont été conçues, à la périphérie des villes grandes et moyennes, dans un esprit de défense et d'endiguement : la campagne a marqué son territoire, à la complémentarité inscrite dans la géographie a été préférée une césure dérivée de l'opposition traditionnelle entre la ville et la campagne.

Tout indique que l'achèvement en cours de la carte de l'intercommunalité, à laquelle le ministre de l'intérieur, auditionné par la délégation du Sénat aux collectivités territoriales le 23 octobre 2012 a affirmé son attachement et qui devrait faire entrer la quasi-totalité des communes françaises dans un établissement public de coopération intercommunale (EPCI), ne modifiera pas cette situation en parfaite contradiction avec l'ensemble des recherches tendant à identifier les périmètres les mieux susceptibles de servir de cadre à une gouvernance conforme aux réalités actuelles de la géographie économique et humaine.

En d'autres termes, les périmètres des EPCI ne correspondent pas toujours aux bassins de vie ou aux zones d'emploi dans lesquels devrait idéalement être mis en oeuvre le déploiement d'un grand nombre de politiques publiques décentralisées .

Ce découplage accentue la difficulté de faire face aux phénomènes analysés par ailleurs dans le présent rapport : les conflits sur l'usage du territoire campagnard entre anciens et nouveaux ruraux ; les choix à faire entre la logique d'expansion de la ville et la logique de pérennisation du milieu rural ; la prégnance d'une demande, portée en particulier par les nouveaux arrivants, d'alignement sur le niveau des services au public disponibles en ville ; la complexification de la politique des transports résultant de la multiplication des migrations quotidiennes pendulaires ; la complexification de la politique de l'urbanisme dans les campagnes dont l'économie repose sur une base résidentielle.

Concrètement : comment répartir rationnellement les objectifs de production de logements entre les communes d'une aire urbaine comprenant plusieurs intercommunalités, comment planifier efficacement la politique des déplacements à l'intérieur d'une zone d'emploi partagée entre plusieurs intercommunalités ?

Ces difficultés ne seront pas résolues par la voie d'un illusoire redécoupage de la carte territoriale en fonction des interdépendances et des flux identifiés par les économistes, les sociologues et les géographes. C'est donc en recourant aux autres dispositifs de gouvernance territoriale qu'il faudra affronter les défis adressés, aujourd'hui et demain, à la ruralité.

c) Quelques avancées en cours

Les dispositifs précités vont être bientôt réformés dans le cadre de l'acte III de la décentralisation annoncé par le Président de la République à l'occasion des Etats généraux de la démocratie territoriale réunis par le Sénat les 4 et 5 octobre derniers. Il s'agit de fournir des remèdes aux dysfonctionnements généraux de la gouvernance territoriale, qui ne diffèrent guère d'un territoire à l'autre : enchevêtrement des compétences décentralisées, complexité des circuits décisionnels, doublonnages et déperdition d'énergie .

En matière de gouvernance, les grandes orientations de la réforme en vue sont connues, elles bénéficieront aux campagnes comme aux autres territoires. Le Président de la République a ainsi évoqué lors des Etats généraux 68 ( * ) la création d'un Haut Conseil des territoires regroupant toutes les structures existantes et servant d'instance de concertation, d'évaluation et de négociation entre les territoires, l'Etat et les représentants des associations d'élus, le droit à l' expérimentation , le pouvoir d'adaptation locale de la loi et des règlements , l'allègement des normes, la clause générale de compétence, le maintien de l'absence de tutelle d'une collectivité sur d'autres, le principe du chef de file, la possibilité de laisser les collectivités s'organiser et décider en commun par un pacte de gouvernance territoriale.

Des progrès de la gouvernance des territoires sont donc en gestation pour le court et le moyen termes. Les territoires ruraux en profiteront, la prise en compte de leurs besoins en exigera d'autres.


* 67 On rappelle que le zonage en aires urbaines, qui n'établit pas de distinction entre l'espace à dominante urbaine et l'espace à dominante rurale, est symptomatique à cet égard.

* 68 Allocution du Président de la République aux Etats généraux de la démocratie territoriale,
le 5 octobre 2012.

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