1. Les collectivités ultramarines du Pacifique : un potentiel de richesses qui nourrit l'innovation

M. Philippe Lemercier, Délégué général à l'Outre-mer, Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER)

Avant de rentrer dans le vif du sujet, je me permets de vous rappeler en quelques mots ce qu'est l'IFREMER et ce qu'est la relation de l'IFREMER avec l'outre-mer et plus particulièrement avec le Pacifique.

L'IFREMER est un établissement public de recherche à caractère industriel et commercial, qui a été créé au milieu des années 80. Il compte environ 1 500 personnes.

L'IFREMER a toujours eu une relation privilégiée avec l'outre-mer et plus particulièrement avec le Pacifique où notre Centre IFREMER du Pacifique, implanté à Tahiti, a fêté ses 40 ans en 2012 et où notre Station d'Aquaculture de Nouvelle-Calédonie à Saint Vincent fêtera ses 40 ans en 2013.

En effet, avec 120 personnes basées outre-mer, en permanence, nous sommes présents en Guyane, en Martinique, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à l'île de La Réunion et bientôt, je l'espère, à Mayotte mais également en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.

Le Pacifique représente entre 65 et 70 % de l'ensemble des moyens consacrés par l'Institut à l'outre-mer.

En tant qu'organisme de recherche finalisée, nous avons un objectif prioritaire en outre-mer qui est d'y mener des actions de recherche en appui au développement socio-économique, des actions qui se déclinent :

- d'une part, par un appui aux politiques publiques, notamment dans les domaines de surveillance, d'aménagement et de gestion des ressources.

- et d'autre part, par une contribution au développement de filières locales de production, dans les domaines :

des ressources vivantes : dans des secteurs traditionnels comme la pêche et l'aquaculture mais aussi émergents comme ce qui relève de la biodiversité avec notamment les biotechnologies ;

des ressources minérales et énergétiques.

Pour la mise en oeuvre de ses programme, IFREMER les tisse en partenariat très étroit avec les collectivités locales : accord(s) cadre IFREMER/État/collectivités de Nouvelle-Calédonie (Gouvernement et trois provinces) depuis 1978 et notamment le dernier en date relatif à une diversification de nos activités en Nouvelle-Calédonie et accord cadre tissé sur les mêmes principes avec la Polynésie Française.

Concernant le sujet de notre discussion, deux points doivent être soulignés :

- il faut rappeler que notre société a rarement autant ressenti le fait que notre ambition de développement socio-économique, avec notamment la valorisation de notre potentiel de richesses, dépendait largement de notre capacité d'acquisition de connaissances et d'innovation mais également de l'articulation entre le monde de la recherche et le monde des entreprises ;

- il faut également souligner et rappeler que nos actions de recherche en appui à la valorisation des ressources (vivantes ou non), doivent être menées en permanence avec le souci de concilier cet objectif avec la préservation des écosystèmes et de la biodiversité. C'est la question de la protection du milieu marin et de la connaissance des risques.

Concernant le potentiel de richesses, nos collectivités du Pacifique n'en manquent pas.

Sans rechercher l'exhaustivité, je peux citer : les ressources vivantes, avec les ressources exploitées comme la pêche et l'aquaculture mais aussi l'ensemble de la biodiversité ; les ressources minérales ; les ressources énergétiques.

Concernant les ressources vivantes :

La pêche outre-mer représente environ 50 000 t/an avec 12 500 t/an (données 2011) pour la Polynésie, 3 500 t/an pour la Nouvelle-Calédonie (2 500 t de pélagiques et 1 000 t d'espèces des lagons) et environ 600 t/an pour Wallis et Futuna). La consommation dans le Pacifique y est relativement importante (par habitant) et le secteur est même légèrement exportateur en Polynésie française. Il y a donc un intérêt à développer ce secteur qui a aujourd'hui un poids socio-économique important, essentiellement en terme d'emplois (évalué à environ 7 000-8 000 emplois en outre-mer).

Concernant les perspectives de développement les plus raisonnables :

- il y a des marges de progrès dans la rentabilité des exploitations, comme dans le perfectionnement des techniques de pêche et la formation des équipages ;

- mais les perspectives d'augmentation en tonnage des débarquements sont globalement limitées et concernent essentiellement les grands pélagiques, soit au large (par de grands navires) soit à portée de la petite pêche côtière.

Ces perspectives ne pourront pas se concrétiser en dehors de la connaissance de la ressource, de l'adaptation des flottilles et des améliorations techniques.

Concernant l'aquaculture et ses perspectives dans le Pacifique, parmi les principales filières aquacoles en outre-mer, on distingue aujourd'hui :

- la perliculture en Polynésie française, (7 000 emplois),

- la crevetticulture, principalement en Nouvelle-Calédonie (environ 1 000 emplois) et à un degré moindre en Polynésie française.

S'y ajoutent aujourd'hui quelques filières en émergence comme notamment :

- la pisciculture marine (élevage en cages flottantes) en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie ;

- la production de microalgues qui concerne aujourd'hui la Nouvelle-Calédonie et qui représente un champ considérable d'innovation pour un secteur à forte valeur-ajoutée potentielle en terme de production industrielle mais aussi en terme de bio-remédiation.

En terme de perspectives, l'aquaculture est dans un contexte très différent de celui de la pêche avec :

- un secteur encore relativement modeste à l'exception de la perliculture et de la crevetticulture mais...

- un secteur qui offre cependant des perspectives de développement importantes (bêches de mer, crabes, huîtres, pectens, bénitiers...).

Même s'il peine à se développer.

Le secteur de la biodiversité outre-mer, dont notamment la biodiversité marine, présente aujourd'hui de véritables perspectives de valorisation.

Tout d'abord, je rappelle que l'outre-mer français abrite une biodiversité exceptionnellement riche, tant en milieux terrestres que marins, et que 80 % de la biodiversité française se trouve dans les ROM et COM françaises.

À titre d'exemples, je rappelle que le lagon de la Nouvelle-Calédonie est classé au patrimoine mondial de l'UNESCO et que des démarches sont en cours pour y classer également une partie de l'archipel des Marquises.

Aujourd'hui, cette richesse est souvent menacée, en particulier dans nos collectivités insulaires du Pacifique, par les conséquences des activités humaines, du changement climatique et des risques naturels majeurs.

La recherche est là aussi indispensable pour protéger et valoriser cette biodiversité, et plusieurs axes doivent être développés dont notamment :

- acquisition de connaissances sur la biodiversité et son environnement, en considérant que la biodiversité de l'infiniment petit (micro-organismes, bactéries, micro-algues) est très peu connue et qu'en biodiversité semi-profonde et profonde le Pacifique et plus particulièrement la Nouvelle-Calédonie (morceau du continent ancien du Gondwana, désormais ennoyé) représente un hot spot de gisement considérable ;

- bio-prospection en microbiologie à des fins de développements bio-technologiques ;

- systèmes d'observation, d'information, bancarisation des données, modélisation et aide à la gestion ;

- et enfin optimisation des modalités de conservation que sont les AMP et les parcs naturels.

Sur ce dernier point, outre les exemples cités pour la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française de sites inscrits au patrimoine mondial ou proposés comme tels, il est important de citer ici l'accord France/Nouvelle-Calédonie/Australie relatif à la Mer de Corail et le lancement en novembre 2012 à Nouméa, sous l'impulsion du haut-commissariat et de la présidence du Gouvernement, d'une réflexion stratégique sur la gestion intégrée du domaine maritime de la Nouvelle-Calédonie pouvant aboutir au dépôt d'un dossier conjoint avec l'Australie de parc marin sur la mer de Corail. Il est également significatif de souligner la réflexion calédonienne sur une stratégie marine dans le contexte Calédonie 2025.

C'est d'ailleurs dans cet objectif que de nombreux acteurs français de la recherche dans cette région du Pacifique se sont structurés, il y a deux ans, pour créer le Grand Observatoire du Pacifique Sud (GOPS). Un observatoire qui fédère aujourd'hui 17 membres avec les Universités de Polynésie française et de Nouvelle-Calédonie, les organismes nationaux et locaux présents dans la zone (IRD, IFREMER, IRSN,...) mais aussi des acteurs scientifiques de métropole.

Concernant les ressources minérales :

Comme vous le savez, le marché mondial des matières premières et plus particulièrement celui des minéraux métalliques, des métaux dits de haute technologie comme les cobalt, titane, platine, terres rares mais aussi le pétrole offshore et les hydrates de méthane est en pleine mutation. C'est aujourd'hui une obligation stratégique pour les pays développés comme la France d'envisager une diversification de leurs approvisionnements.

Il est aujourd'hui avéré, grâce aux nombreuses explorations scientifiques menées durant les dernières décennies, que beaucoup de ces métaux sont présents dans les grands fonds marins via différents types de minéralisations (sulfures hydrothermaux, encroûtements de manganèse, nodules) dont certaines suscitent l'intérêt des industriels qui envisagent de les exploiter.

Au-delà des eaux internationales, nos zones marines d'outre-mer et plus particulièrement dans le Pacifique (67,4 % des ZEE françaises) présentent un potentiel pour ces différents types de ressources.

Quelques exemples :

- sulfures polymétalliques hydrothermaux à Wallis et Futuna et très vraisemblablement en Nouvelle-Calédonie ;

- encroûtements de manganèse enrichis en cobalt, platine et terres rares : les encroûtements les plus riches en cobalt actuellement connus au niveau mondial se situent en Polynésie (Tuamotu). La Nouvelle-Calédonie recèle également de ces encroûtements mais le potentiel reste inexploré ;

- nodules : dans les ZEE d'outre mer français des nodules enrichis en cobalt sont connus à l'ouest de la Polynésie et de la ZEE de Clipperton ; les zones ou les nodules sont les plus riches et les plus fortement concentrés se situent dans les eaux internationales dans le centre du Pacifique Nord, là où la France a obtenu un permis d'exploration auprès de l'Autorité Internationale des Fonds Marins (AIFM) : permis maintenu par l'IFREMER.

Les grands enjeux liés à l'exploration/exploitation de ces ressources minérales par la France et les collectivités peuvent être déclinés ainsi :

- partant du constat que nos ZEE sont très peu connues, au-delà du programme de cartographie EXTRAPLAC (pour l'extension du plateau continental français), il convient d'abord de définir une stratégie nationale d'exploration des ressources minérales des grands fonds et de la biodiversité associée, avec comme premier objectif un programme d'inventaire des ressources minérales potentielles et de la biodiversité : cette nécessité a été évoquée lors du CIMER de juin 2011 et elle est actuellement en discussion au sein du COMES (COmité pour les MEtaux Stratégiques, créé en janvier 2011) ;

- des enjeux de recherche dans trois grands domaines : la compréhension des mécanismes de minéralisation ; la technologie ; l'environnement, afin d'être capable, dans la perspective d'une exploitation des ressources minérales, de proposer des solutions respectueuses de l'environnement. Sur ce dernier point, une expertise collective a été lancée, à laquelle nous participons.

Compte tenu de l'importance des moyens qui devront être mobilisés et des enjeux industriels, il est clair qu'une telle ambition devra bénéficier d'une bonne articulation entre la recherche publique et les industriels.

L'exemple des trois campagnes d'exploration de Wallis et Futuna montre que des choses concrètes se font dans ce domaine, dans le cadre d'un partenariat public-privé qui a rassemblé de grands opérateurs comme Technip, Eramet, AREVA au début, mais aussi des partenaires publics comme l'IFREMER, l'AAMP et le BRGM.

Je n'en dis pas plus sur ce sujet car je pense qu'il sera évoqué dans quelques minutes par les représentants de Technip et d'ERAMET.

Concernant les ressources énergétiques renouvelables et plus particulièrement les énergie marines :

Je rappelle que l'insularité de la plupart des territoires ultra-marins entraîne une forte dépendance aux énergies fossiles dans le mix énergétique et renforce d'autant l'intérêt d'y développer l'utilisation d'énergies renouvelables.

Notre outre-mer, plus particulièrement dans le Pacifique, présente de nombreux atouts en terme d'énergies marines renouvelables (EMR) avec notamment :

- l'énergie thermique des mers (ETM) en Polynésie, mais aussi aux Antilles et à La Réunion ;

- l'énergie houlomotrice ainsi que l'énergie hydrolienne en Polynésie et à La Réunion et, à un moindre degré, en Nouvelle-Calédonie et aux Antilles.

Plusieurs projets de démonstration d'EMR sont en cours outre-mer et plus particulièrement en Polynésie dans les secteurs suivants : ETM, climatisation, utilisation de la houle et utilisation du courant.

Toutes ces filières sont à des degrés de maturation différents et vont continuer à nécessiter des efforts considérables en terme de recherche-développement. Et comme je l'ai déjà évoqué pour les ressources minérales, il sera indispensable d'assurer une bonne coordination de la recherche et une bonne articulation entre la recherche publique et les industriels.

Là-aussi, des initiatives concrètes voient le jour. Je citerai deux exemples :

- l'Alliance Nationale de Coordination de la Recherche pour l'Énergie (ANCRE) qui vise à mieux coordonner la recherche sur l'énergie menée par 19 organismes publics nationaux ;

- la création d'un Institut de recherche entièrement dédié aux énergies marines : France Énergies Marines.

Créé dans le cadre des investissements d'avenir, la labellisation de l'IEED « FRANCE ÉNERGIES MARINES » a été annoncée en mars 2012.

Avec aujourd'hui 57 partenaires, « FRANCE ÉNERGIES MARINES » réunit les industriels, les instituts de recherche et les universités, les Conseils régionaux des zones littorales.

Je signale ici que la région de La Réunion est membre de France Énergies Marines et le territoire de Nouvelle Calédonie en est partenaire.

D'autres régions et territoires ultramarins devraient rejoindre FEM.

L'IFREMER sera fortement impliqué dans les travaux de recherche menés dans le cadre de FEM, apportant ainsi sa contribution à l'IEED, mais l'IFREMER continuera à développer ses propres travaux de recherche soit dans le cadre de partenariats industriels, soit dans le cadre de programmes nationaux ou européens.

Concernant les énergies fossiles et l'exploration de nouvelles zones, la région profonde Nouvelle Calédonie, Australie... semble être une des dernières du globe pour laquelle il manque encore un certain nombre de données (notamment sismique) pour conduire les recherches fondamentales nécessaires en géologie, géodynamique... Elle est considérée comme une zone « super frontier » principalement à cause de sa dimension, de la couverture de données associées et de ses profondeurs d'eau. Il est reconnu que les nombreux bassins sédimentaires qui la jonchent ont pu générer la présence des hydrocarbures et pourraient être économiquement exploitables.

Je terminerai cette introduction par quelques mots sur les caractéristiques de notre recherche dans le Pacifique et sur ses forces et faiblesses pour faire face aux différents challenges que je viens d'évoquer :

Les forces :

- de nombreuses forces de recherche en présence avec notamment :

2 universités : l'UPF et l'UNC ;

plusieurs organismes de recherche nationaux basés en permanence dans le Pacifique: IRD, IFREMER, BRGM, IRSN, EPHE... ;

de nombreux organismes ou universités basés en métropole et intervenant ponctuellement sur place : Mnhn, IPG, UPMC... ;

de nombreux organismes locaux : ILM, IPNC, IAC.

- Une recherche qui se fédère et se structure avec les créations d'UMR (EIO...), le Grand Observatoire du Pacifique Sud (GOPS), le Laboratoire d'Excellence Labex CORAIL avec 9 membres (dont 4 universités), créé dans le cadre des investissements d'avenir, le projet de PRESICA en Nouvelle-Calédonie ;

- la réflexion autour d'un réseau d'intérêt de l'Union Européenne envers le pacifique (PACE-Net) ;

- un appui depuis la métropole, en particulier pour les équipes d'organismes nationaux (IFRECOR, Net-Biome...) ;

- la création de Alliances entre les organismes publics nationaux : ANCRE mais également AllEnvi (Alliance pour l'environnement) qui vient de se structurer avec une composante « outre-mer ».

- Une recherche qui s'efforce souvent de répondre aux attentes des acteurs locaux (collectivités, professionnels,...) par la formalisation d'accords cadre entre les collectivités et certains organismes (IFREMER, BRGM...).

Les faiblesses :

- une articulation recherche-industrie encore à renforcer en développant les relations et partenariats entre les acteurs de la recherche et les professionnels (relations avec la grappe d'entreprises de Tahiti Fa'ahotu et le Technopôle de NC piloté par l'ADECAL) ;

- un développement encore insuffisant des partenariats public-privé ;

- une coopération régionale encore insuffisante, avec les pays de la région Pacifique ;

- une utilisation très insuffisante par les acteurs de la recherche (publics et privés) des crédits européens.

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