B. Quelles conditions pour une recherche et une expertise transparentes ?

M. Jean-François Dhainaut, président du Haut Conseil des biotechnologies. - Permettez-moi de revenir sur un certain nombre de fondamentaux qui sont indispensables dans une discussion aussi animée que celle que nous menons. Il me semble essentiel de définir de manière distincte les notions de recherche transparente et d'expertise transparente.

Une recherche transparente est une recherche dont l'objectif, la méthodologie, l'ensemble des résultats et des conclusions sont connus et sont facilement consultables . Le nombre de revues sur le web est quelque chose d'extrêmement important pour la diffusion de l'information. De cette manière, ces informations peuvent faire l'objet de vérifications et de discussions au sein de la communauté scientifique dont les débats doivent également être accessibles.

Les recherches constituent des bases de données trop précieuses pour ne pas être partagées par l'ensemble de la communauté qui doit pouvoir effectuer des analyses collégiales quand cela est utile et cela vaut pour toutes recherches, que ce soit les travaux demandés aux pétitionnaires ou pour des travaux académiques. Cela ne devrait pas souffrir d'exceptions surtout lorsque les études portent sur la sécurité sanitaire ou environnementale. Il existe de nombreux exemples où la consultation et l'analyse de ces bases de données ont permis des avancées qu'aucun travail isolé n'aurait pu obtenir. Inversement, la non-transparence de données de plusieurs études a abouti soit à une découverte trop tardive d'évènements indésirables, soit à des alertes infondées. Les conditions d'une recherche transparente sont le libre accès à toutes les données des travaux scientifiques et à toutes les discussions qu'elles ont suscité dans la communauté scientifique.

De plus, la qualité et la légitimité de l'expertise nécessitent une grande transparence sur les liens d'intérêt et des procédures d'expertise collégiale.

Si la déclaration publique d'intérêt vise à identifier les liens qui existent entre les experts et les entreprises privées, la qualification des intérêts déclarés par les experts se heurtent à de nombreuses difficultés, à savoir : la diversité des liens sans montant financier déclaré ; la nature des liens pertinents d'intérêt à déclarer qui ne se limitent pas à l'industrie ; la qualification des liens d'intérêt et la potentielle contradiction qui existe entre compétence et indépendance ; la complexité d'analyse qui suppose une connaissance approfondie du secteur économique correspondant ; la difficulté parfois de concilier le principe de transparence et le respect du secret industriel ; la gestion délicate des conflits d'intérêt en séance qui doit reposer sur une procédure de bonne pratique adoptée de façon collégiale.

De telles procédures sont cependant indispensables pour restaurer la confiance dans l'expertise.

En outre, le respect du principe du contradictoire et la possibilité d'expression des avis divergents sont également considérés comme les fondements de l'expertise collective . La recherche du consensus comme l'expression systématique d'avis divergents ne sont pas des objectifs en eux-mêmes, mais la possibilité de garantir l'expression d'avis divergents, que ce soit à travers la composition initiale d'un groupe d'experts intégrant la diversité des opinions et/ou des disciplines concernées ou à travers une procédure permettant de faire apparaître des divergences éventuelles lors des séances, constitue naturellement un gage de qualité et de transparence de l'expertise collective. La transparence externe nécessite que tous les comptes rendus soient mis en ligne, incluant les motivations des avis minoritaires.

Finalement, c'est cette expertise collective transparente qui est la meilleure garante de la qualité, c'est la rigueur de la discussion critique de la littérature scientifique et des données soumises qui est menée au sein du collectif d'expertise. Ces discussions doivent être menées de façon approfondie, sans s'abandonner aux facilités de la logique d'autorité. Les experts doivent également disposer des moyens suffisants pour procéder aux vérifications nécessaires. De plus, ils doivent expliquer leurs évaluations et leurs conclusions à la lumière des données objectives disponibles.

Certes, la gestion des conflits d'intérêts est importante mais il faut également donner aux collectifs d'experts les moyens d'effectuer leur expertise et le temps nécessaire pour travailler sereinement et efficacement.

M. Paul Deheuvels, membre de l'Académie des sciences, professeur à l'Université Pierre et Marie Curie. - Ce que vous venez de dire est, sur le plan philosophique et intellectuel, absolument magnifique, sauf que les hommes sont des hommes, et je vois partout, y compris dans d'autres domaines que celui dont nous parlons aujourd'hui, des groupes constitués de personnes qui s'efforcent d'empêcher que des vérités différentes de celles qu'ils admettent voient le jour. C'est une histoire vieille comme le monde, et nous devons prendre acte de l'existence, dans toutes les disciplines, de corps constitués, pour ne pas dire de mafias, qui font systématiquement tout ce qu'ils peuvent pour empêcher d'autres équipes scientifiques de publier leurs travaux, pour peu que ces derniers ne soient pas conformes à ce qu'ils pensent. Cela arrive aussi d'ailleurs pour d'autres raisons moins avouables.

Nous ne vivons certes pas dans un monde parfait, et si nous voulons que la science progresse, nous devons permettre la surgescence d'idées qui n'entrent pas dans la ligne « politiquement correcte » suivie par la majorité, comme par les groupes dominants. Ces derniers disposent du pouvoir scientifique, et gèrent les crédits de recherche, faute desquels rien ne peut être fait. Empêcher cette surgescence en procédant à une gestion de la recherche trop directive, ou basée sur un consensus collectiviste, ne pourrait que conduire à l'échec, ne serait-ce que par la stérilisation des idées originales.

Se pose également le problème de la saine concurrence entre équipes de recherche. Une trop grande transparence dans les publications nuirait à la confidentialité des travaux. Celle-ci est nécessaire, comme elle l'est dans l'industrie, où il serait impensable de transmettre, en temps réel, des secrets de fabrication à ses concurrents. La description irénique que vous avez faite de la science serait parfaite si la science était parfaitement honnête, composée de groupes aimablement structurés, de personnes animées en permanence de bonnes intentions. J'ai bien peur que ce soit loin d'être le cas.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président de l'OPECST. - Merci beaucoup. Monsieur Godard, vous avez la parole.

M. Olivier Godard, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). - Vous m'avez demandé d'aborder la question de la transparence de la recherche et de l'expertise scientifique. Il existe trois manières d'appréhender cette idée de transparence.

La première manière consiste à imaginer que chercheurs et experts puissent devenir transparents au point de disparaître dans la relation entre le public et l'accès à la connaissance. Il est en fait illusoire de croire que le public pourrait avoir un accès direct à la compréhension de ce qui a été établi par la science. Il s'agit d'une illusion car nous savons que pour interpréter correctement une photo ou un tableau de chiffres le public a encore besoin d'experts. Les experts sont en effet indispensables pour éviter ainsi les manipulations autour des données brutes.

La seconde manière serait de demander aux experts et aux chercheurs d'exposer dans le détail tous leurs concepts, leurs théories ou leurs hypothèses, mais aussi de livrer toutes leurs données brutes. Je vous laisse imaginer la quantité d'informations que le public devrait alors absorber s'il devait avoir accès à ce « tout ». Une sélection est indispensable. De toute façon le sens de ces données brutes est inaccessible au grand public. La transparence totale sur « tout » est un mythe. Dans le cadre d'un débat spécialisé entre collègues, les chercheurs ont naturellement à livrer les éléments critiques, les protocoles, les données pertinentes. Imaginez que les climatologues aient à livrer toutes les données brutes de leurs simulations qui peuvent prendre plusieurs semaines de traitement sur les ordinateurs les plus puissants disponibles. Qu'en ferait le public ? Les chercheurs doivent certainement expliquer les grandes lignes de leur démarche mais il n'est pas possible pour le profane de faire l'économie d'une relation de confiance . Cette confiance ne peut venir que de l'assurance que l'expertise a été conduite dans le respect de règles de procédures bien ajustées et effectivement suivies. Cela demande notamment une transparence sur le cadrage de l'expertise, c'est-à-dire l'ensemble des questions posées aux experts, les limites du périmètre assigné à cette expertise, l'échéance qui lui est fixée pour remettre leur rapport et aussi les indications sur le mode de raisonnement pertinent à adopter par les experts du point de vue de l'usage de l'expertise par la décision, en particulier pour le traitement des incertitudes et des risques d'erreur et pour les conditions de validité des recommandations éventuellement faites.

La troisième manière de comprendre la transparence est d'exiger la publicité de l'avis, y compris d'avis minoritaires lorsqu'il en existe, ce qui est la pratique désormais admise. Je ne vais pas commenter davantage ce troisième point.

En revanche il y a une question qui importante : « faut-il rendre publique l'intégralité des débats menés au sein des comités d'experts ? ». C'est-à-dire mettre des caméras vidéo et des enregistreurs partout. Certains le proposent, d'autres le font au nom du droit à l'accès aux documents administratifs, mais selon moi cette évolution est de nature à porter fortement atteinte à la qualité de l'expertise collective en altérant la profondeur et l'efficacité de la discussion au sein de ces comités.

En effet, la valeur ajoutée de l'expertise collective réside dans la discussion rigoureuse menée au sein du groupe d'experts . Cette discussion doit pouvoir enrichir les analyses et positions initiales des experts et ces experts doivent avoir la possibilité psychologique d'en changer et de s'inscrire dans une perspective d'apprentissage. C'est ce processus d'apprentissage collectif au sein du groupe qui peut converger sur un avis qui engage le collectif. Ce processus serait bloqué si par une surveillance vidéo les experts étaient amenés à se comporter comme s'ils intervenaient dans un forum public dans lequel ils devraient défendre une position définie d'avance.

Il existe en fait une confusion entre deux modalités d'interaction entre experts et profanes. La première est l'expertise collective débouchant sur un avis rendu public ; la seconde est le témoignage public d'experts devant un tiers - un auditoire, un jury - qui juge de la vraisemblance et de la qualité des arguments entendus . À mon avis, cette confusion révélée par les débats sur la transparence témoigne de l'influence excessive prise par une logique médiatique qui veut tout savoir et tout révéler mais aussi par la manière de penser des juristes autour de la figure du procès. Or l'expertise collective relève d'une éthique de la discussion et non d'une éthique du procès mettant en présence les avocats des parties opposées et une instance de jugement.

La transparence a également une importante dimension politique. Vouloir la transparence, c'est vouloir combattre les faux-semblants, les trompe-l'oeil ou les manipulations. Cela implique la reconnaissance de l'existence d'ordres différents et le respect de l'éthique propre à ces différents ordres.

Ainsi il ne revient ni aux médias, ni à l'industrie, ni aux ONG, ni aux politiques de dicter les bonnes pratiques dans le domaine des études toxicologiques. Symétriquement, les propos que des scientifiques tiennent dans les media destinés au grand public, même si les signataires sont nombreux ou se réunissent pour pétitionner, ne relèvent pas du débat scientifique ou de l'expertise en tant que tels et ne doivent pas être pris pour ce qu'ils ne sont pas . Comme les autres professions, les chercheurs peuvent être emportés par leurs engagements sociaux ou idéologiques ou par leurs intérêts. Je citerai par exemple un texte récent intitulé « Science et conscience » signé par plus d'une centaine de chercheurs. Ils y affirment à propos de l'étude Séralini qu'« en tout état de cause, disqualifier le protocole suivi dans le cadre de cette étude revient à disqualifier du même coup les données ayant fondé les décisions d'acceptation des OGM par les experts. Il est remarquable de voir ces mêmes experts accepter (même s'ils le critiquent parfois) un protocole expérimental quand il donne des résultats qui vont dans le sens de l'acceptation d'une technique et le démolir aussi ardemment quand les résultats vont dans le sens opposé. Ceci est à notre avis totalement contraire à toute déontologie scientifique. »

Cette argumentation est totalement fallacieuse et la déontologie scientifique est ici convoquée à bien mauvais escient. Les signataires de ce texte se livrent ici, en pleine connaissance de cause peut-être pour les rédacteurs ou à leur insu pour ceux qui l'ont signé sans trop faire attention, à une manipulation de l'opinion, d'autant plus qu'ils impliquent la déontologie scientifique dans la corruption de leur argumentation. Voici pourquoi.

Tout scientifique familier des tests statistiques sait que les éléments de preuve ne sont pas les mêmes selon que l'accent est mis sur l'évitement des « faux négatifs », cas d'effets réels non repérés par un test, ou des « faux positifs », cas où l'on croit avoir repéré des effets là où il n'y en a pas. Prendre une souche de rat qui développe spontanément des tumeurs pour un test à 90 jours est pertinent et équilibré pour éviter suffisamment les « faux négatifs » sans avoir une pollution des résultats par des « faux positifs ». Si aucun effet négatif ou aucun signe précurseur que de tels effets pourraient exister ne sont constatés, il est légitime d'en tirer une forte présomption d'absence d'effet et d'arrêter là les tests. Il ne s'agit cependant pas d'une preuve d'absence d'effets car aucun test, par construction, ne donnera cette preuve, compte tenu des limites de tout test. La sécurité ne peut pas se définir à partir d`une exigence de preuve de l'innocuité : cette idée est fallacieuse car inaccessible à un savoir scientifique.

Prolonger les tests sur deux ans comme l'a fait l'équipe Séralini implique d'exposer à un grand nombre de « faux positifs ». Pour aboutir à la démonstration d'un effet spécifique réellement attribuable à la substance testée, il est alors nécessaire d'augmenter la puissance statistique du test, c'est-à-dire la taille des échantillons et tout particulièrement la taille du groupe témoin en fonction du nombre d'hypothèses testées distribuées sur les différents groupes. C'est d'ailleurs ce que réclamaient les protocoles internationaux en matière de tests et c'est ce qui a été mis en évidence par les comités d'experts des agences qui ont examiné cette publication. C'est ce que n'a pas fait l'équipe Séralini et ce qui invalide les conclusions qu'on peut en tirer sur l'existence d'effets pathologiques des substances testées.

Dans ce cas d'espèce, où se situe la transparence ? Afin de limiter les possibilités de manipuler le public, il est manifeste que la transparence qui importe le plus est celle qui vise la méthode scientifique et ses justifications, d'autant plus que des scientifiques eux-mêmes peuvent en venir à jouer de l'ignorance du public en la matière.

Ce qui me trouble beaucoup est qu'en dépit du rejet unanime par toutes les agences d'expertise françaises, européennes et internationales qui se sont saisies de ce dossier, l'impression a quand même prévalu chez un certain nombre de chercheurs, dans les médias, parmi les ONG, chez des responsables politiques, en particulier des députés, que l'étude Séralini présentait une base solide pour asseoir le doute sur l'incidence sanitaire du NK 603 et du Roundup . Tout se passe comme si cette équipe avait scientifiquement tort, mais politiquement raison ! Cela témoigne d'une dérive, que je trouve inquiétante, du fonctionnement politique de notre société dans son rapport à la science.

J'ai été surpris et choqué d'entendre des députés affirmer leur total soutien à cette étude, ignorant les évaluations rendues par les agences d'expertise, sortant ainsi complètement de leur ordre de compétence. J'ai été pareillement surpris et choqué de voir le Comité économique, éthique et social du HCB demander déjà une nouvelle étude fiable et rigoureuse des éventuels risques sanitaires liés au maïs NK603, alors que le Conseil scientifique du HCB a priori compétent pour ce type de questions, a décidé de prendre le temps de la réflexion pour déterminer s'il y a lieu de faire évoluer une nouvelle fois les procédures d'évaluation des risques biotechnologiques. Des chercheurs qui ne sont pas spécialistes de ces problèmes, des ONG, des politiques demandent des études de « long terme » sur les risques du NK603 et des OGM en général. Est-ce suffisant pour que, séance tenante, sans autre instruction du dossier, les protocoles soient modifiés et de nouvelles études soient engagées ? Pourquoi faudrait-il que ces caprices justifiés par le souci de plaire à l'opinion soient financés sur fonds publics ? Aucune étude ne sera suffisante pour épuiser la soif de ceux qui veulent tout savoir ou pour calmer la vindicte de ceux qui se sont engagés dans un combat d'opposition aux biotechnologies qui est devenu imperméable aux évaluations scientifiques. Il est possible que des études toxicologiques doivent être menées au-delà de 90 jours. Peut-être n'est-ce pas vraiment utile. Il appartient aux spécialistes de le déterminer, comme il est nécessaire de se demander pourquoi il faudrait absolument faire de la surenchère d'études sur les OGM et se contenter d'études sommaires pour toutes les autres techniques de changement génétique des variétés cultivées, y compris les procédés classiques de sélection variétale. Il existe une asymétrie de traitement absolument choquante du point de vue de l'exigence de cohérence dans l'objectif de sécurité. Il importe de réfléchir aux critères permettant de déterminer où s'arrêter dans les évaluations et tests précédant les autorisations, en tenant notamment compte de la question du coût et des délais associés à ces études, déjà bien plus élevés en Europe que dans d'autres régions du monde.

Pour y voir plus clair sur une base scientifique, il me semblerait opportun d'organiser une conférence de consensus entre professionnels compétents pour faire le point sur les méthodologies et les champs d'application de l'ensemble de ces études de risques et déterminer les besoins éventuels de révision des protocoles .

Un dernier point. Nombreux sont ceux qui expriment la revendication d'une indépendance de l'expertise. Si l'on veut aller jusqu'au bout de cette demande, on doit noter que l'ANSES, dont les comités d'expertise qui font certainement un bon travail rigoureux, n'est pas une agence institutionnellement indépendante. Son conseil d'administration et son directeur sont en effet nommés par les autorités publiques ; les représentants de l'administration ont plus de 50 % des sièges du conseil d'administration et le directeur peut être démis sans délai de ses fonctions s'il ne convient pas au pouvoir politique en place. Il conviendrait donc de reprendre la réflexion sur le statut de l'ANSES afin qu'elle que cette agence puisse assurer ses missions de service public de manière institutionnellement indépendante, à la manière, par exemple, d'une autorité comme la Banque centrale européenne . Je vous remercie.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président de l'OPECST. - Merci, Monsieur Godard, pour votre suggestion. L'ANSES a été créée et ses statuts ont été modifiés. Il est vrai qu'une agence du type de l'Autorité de sûreté nucléaire est plus satisfaisante, dans la mesure où des commissaires sont nommés et où le Président de l'ASN passe devant le Parlement et peut être récusé.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - La science de mon étude a encore une fois été remise en cause après un discours qui pouvait être accepté. Je voudrais rappeler que la souche recommandée même pour les études de cancérogénèse par le National Toxicology Program est le rat Sprague Dawley et qu'il n'existe aucune norme OCDE sur les OGM puisqu'il n'existe même pas de test obligatoire de trois mois, ce qui, à mon avis, est un scandale.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président de l'OPECST. - Il existe tout de même une norme OCDE sur l'exécution des tests. Je l'ai vue.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Certes, mais pas sur ce qu'il faut faire avec des tests de nutrition avec des OGM. Même sur ces tests à long terme (452, 453), notre étude n'étant pas une étude de cancérogénèse, elle devrait être faite lorsque l'on a un soupçon avéré de tumeur, ce que nous n'avions pas, les groupes doivent être composés d'au moins dix rats pour mener des études statistiques poussées en biochimie. Nous avons suivi ces recommandations et à ce titre ces statistiques ne sont pas contestables.

En outre, vous semblez focaliser sur les tumeurs alors qu'il existe des pathologies hépatorénales y compris chez les femelles et des problèmes de déséquilibre des hormones sexuelles. Cela paraît évident.

Ensuite, il est inacceptable qu'aujourd'hui, l'ensemble de la communauté scientifique n'ait pas accès aux analyses de sang sur les tests à 90 jours parce que, là, même les pétitionnaires peuvent admettre qu'il y a 50 effets significatifs au bout de 90 jours pour voir si cela correspond aux miens ou pas, de façon à ce que nous puissions sortir de ce dilemme. Il convient d'exiger la transparence pour tous les tests similaires menés avec la même souche et sur le même nombre de rats, avec des durées différentes certes, mais nous, nous avons des checkpoints à chaque mois, donc nous pouvons comparer les effets à 3 mois. Donnons tout, sortons de ce dilemme et arrêtez de faire comme si nous n'avions pas respecté des normes qui n'existent pas !

Mme Dominique Parent-Massin, présidente de la Société française de toxicologie. - Je crois qu'il existe une confusion concernant la demande de données brutes. Quand les agences demandent les données brutes aux auteurs de l'étude, ils ne demandent pas de les publier, ils demandent aux auteurs des études de les fournir aux agences afin de pouvoir mener une expertise de qualité et tout citoyen européen peut demander à l'EFSA les études avec tous les détails et les données brutes.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Elles n'ont pas celles du Roundup par exemple.

Mme Dominique Parent-Massin, présidente de la Société française de toxicologie. - Je ne vous ai jamais interrompu, Monsieur Séralini.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Je l'ai fait, et cela ne marche pas.

Mme Dominique Parent-Massin, présidente de la Société française de toxicologie. - Vous avez demandé à l'EFSA les données brutes du dossier du maïs transgénique NK 603. Elles vous ont été envoyées et vous les avez reçues. Tout le monde peut avoir ici les études. S'agissant des souches, il est possible d'utiliser différentes souches de rat. Le National toxicological program que vous avez cité utilise des Fisher et non des Sprague Dawley, mais quand on utilise les différentes souches, on tient compte des données spontanées. Quand on utilise la souche Sprague Dawley en cancérologie, on tient compte de l'apparition de 50 à 60 % de tumeurs spontanées.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Je répète une nouvelle fois qu'il ne s'agissait pas d'une étude de cancérologie mais bien d'une étude de toxicologie long terme. Les données historiques ne tiennent pas compte du contenu en OGM et en pesticides.

Mme Dominique Parent-Massin, présidente de la Société française de toxicologie. - Vous n'avez pas appliqué les lignes directrices de l'OCDE !

M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président de l'OPECST. - Votre étude n'aurait certainement pas eu le même retentissement si l'accent avait été mis sur les données hépatites ou sanguines plutôt que sur les tumeurs. Il est vrai cependant qu'à aucun moment, vous n'avez employé le mot de « cancer », mais à partir du moment où vous montrez à la télévision et dans les journaux une tumeur, l'impact est très fort sur l'opinion publique. Vous n'avez pas dit, c'est vrai...

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Quoi donc ?

M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président de l'OPECST. - Vous n'avez pas dit qu'il y avait un phénomène de cancérisation.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Certains rats ont en effet développé des tumeurs. Nous nous devions de publier les données de mortalité et les données de tumeurs brutes puis de montrer les pathologies les plus fréquentes. Les journalistes sont ensuite libres de reprendre les éléments qu'ils souhaitent. Pour moi, il n'y a pas de haute commission pour régler ce que font les journalistes .

M. Jean-Christophe Pagès, président du Conseil scientifique du HCB. - Une différence statistique sur le plan de la biologie ne révèle pas forcément une anomalie. Il peut y avoir des différences statistiques sur la valeur du sodium chez ces rats alors que les deux valeurs sont dans la norme des rats. La physiologie doit être interprétée mais vos interprétations sont complètement erronées.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Avant de dire « la norme des rats dans leur ensemble », je sais bien que c'est le critère qui vous fait dire que l'on ne voit rien dans l'étude de Monsanto, mais il faut d'abord comparer aux contrôles de l'expérience qui sont élevés dans les mêmes conditions, sinon la norme des rats dans leur ensemble ne veut rien dire car on n'a pas suffisamment de données comme dans l'épidémiologie humaine.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président de l'OPECST. - Monsieur Chateauraynaud, vous êtes directeur d'études à l'EHESS et directeur du groupe de sociologie pragmatique et réflexif. Vous avez la parole.

M. Francis Chateauraynaud, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS), directeur du Groupe de sociologie pragmatique et réflexive (GSPR). - Les échanges sont d'une extraordinaire densité. En premier lieu, j'aimerais rappeler la polémique suscitée par un article publié fin 1995 par Science et Vie avec pour titre « cancer et nucléaire ». Derrière, il y a eu une étude d'épidémiologie menée par Jean-François Viel qui a été publiée dans le British Medical Journal. Il s'agit de leucémies et d'une étude bio-statistique sur le Cotentin avec une nouvelle méthode statistique et des systèmes de recherche de populations exposées en zoomant progressivement par zones concentriques. Effectivement, il y avait un facteur 4, et cela a suscité d'intenses controverses sur la manière de mener les études et de communiquer les résultats. En fait, nous commençons à avoir une histoire longue de ces affaires de controverses ratées ou de conflits réussis. Peut-être serait-il temps de dresser un bilan des expériences passées et de disposer enfin d'une histoire collective à l'échelle nationale et internationale des controverses sanitaires, environnementales ou technologiques. Je trouve que nous avons des pertes de mémoire assez remarquables, y compris sur un même dossier.

J'attire votre attention sur un rapport remis en novembre 2010 à l'ANR que presque personne n'avait ouvert avant les conclusions de l'étude Séralini. Intitulé « Les OGM entre régulation économique et critique radicale » il revient sur 25 années de controverses. Son chapitre 11 avait déjà pour titre : « une controverse impossible ? Le cas Séralini », et décrivait les difficultés à poser un espace commun d'argumentation, de construction des instruments, des données et des preuves.

Du coup, on peut s'étonner de cet effet de retour de l'histoire. S'agissant des OGM, il sera donc difficile de faire table rase du passé et de recommencer une controverse comme si nous étions dans un monde idéalisé. Il existe une longue histoire, les positions se sont cristallisées et il sera difficile de faire ce qu'un philosophe appelle de la révision des croyances . Il existe un point de basculement - ce que les Anglo-saxons appellent un turning point -
au-delà duquel il est difficile de fabriquer de l'accord entre savants et d'échanger des arguments. Nous aurons des acteurs porteurs d'arguments, mais les acteurs compteront davantage que les arguments. Le nombre de signataires des pétitions deviendra plus important que le contenu de ce qui est dit.

Nous basculons de l'épreuve de légitimité scientifique vers une épreuve de force et la première chose à faire collectivement est de tirer les leçons du passé. Je crois que l'Office le fait d'une certaine manière. Mais l'affaire OGM nous oblige à réfléchir aux moyens de collectiviser l'immense casuistique accumulée depuis des décennies autour des risques .

Sur la question des mots d'ordre concernant l'expertise, dans un entretien publié dans La Recherche en 1998 et intitulé « Pour une agence de l'expertise scientifique », Marie-Angèle Hermitte prévoit qu'à terme des experts pourraient être mis en cause ou condamnés, ce qui est actuellement le cas des sismologues italiens. Une de ses propositions est de mettre en place une agence de l'expertise qui assurerait l'organisation du contradictoire. Si la confrontation des thèses en présence se cristallise sur des oppositions fondamentales (ou « deep disagreements »), il est alors nécessaire de faire intervenir un tiers, un supérieur commun, pour reprendre un concept de philosophie politique, afin d'arrêter la dispute en et de la trancher. À cet égard, l'introduction du ministre de l'Agriculture est frappante puisqu'il estime qu'il s'agit avant tout d'un problème de conflit entre des modèles agricoles. Il semblerait que, de son point de vue, cette question soit déjà tranchée.

Actuellement chez les parlementaires est en oeuvre un processus de construction législatif d'un texte sur l'alerte et l'expertise, avec en fond un projet de Haute autorité de l'alerte et de l'expertise que quelqu'un comme André Cicolella notamment appelle de ses voeux. En 1996, mon laboratoire avait posé ce concept de lanceur d'alerte, à partir de l'analyse approfondie des affaires de vache folle, d'amiante ou de nucléaire . La protection du lanceur d'alerte est importante mais il est aussi décisif en effet de voir quel type d'expertise peut être organisé lorsqu'une alerte est prise au sérieux.

Il me semble que, dans nos affaires, il existe quatre formes de dispositifs qui peuvent assurer à peu près les quatre conditions rappelées d'ailleurs par le Conseil économique, éthique et social du HCB : indépendance, transparence, pluralisme et contradictoire.

Force est de constater que de nombreux dossiers se traitent désormais devant les tribunaux et que les vérités qui sont alors exprimées ne sont pas forcément triviales. Sheila Jasanoff, une sociologue, juriste et philosophe américaine, a montré que, parfois, les scientifiques étaient amenés à approfondir leurs recherches pour répondre aux contraintes de preuves attendues par les juristes, qui n'étaient pas nécessairement celles qu'attendraient des programmes de recherche comme ceux que financent l'ANR ou l'Europe à travers les FP7.

Le modèle expertise/contre-expertise fonctionne, mais à quelles conditions ? Nous avons plusieurs cas, déjà avec le CRIGEN d'ailleurs, ou avec Greenpeace sur d'autres dossiers.

Un autre modèle important est celui de l'expertise collective . On réunit un maximum de gens compétents de façon à organiser la liste des connaissances établies, des points controversés ou des zones d'incertitude. La première expérience en France fut le rapport d'expertise collective sur l'amiante coordonné par l'INSERM en 1997. À l'échelle internationale il y a évidemment le GIEC. Depuis de multiples expertises collectives ont eu lieu. Avec à chaque fois le problème de la liste des participants, de la gestion des points de vue minoritaires et de la place laissée aux acteurs qui contestent l'expertise officielle.

Il existe également un modèle d'expertise distribuée . Dans ce cadre, plusieurs acteurs en concurrence produisent des expertises sans nécessairement se coordonner. Des instituts de recherche, des agences, des ONG contribuent à produire une expertise distribuée entre une multiplicité d'acteurs. Nous assistons alors à un déplacement de la connaissance qui circule sans qu'il existe forcément une confrontation directe.

Enfin, il y a une forme d'expertise revendiquée par de nombreux acteurs dont des ONG, une expertise participative qui intègre des acteurs qui n'ont pas a priori la légitimité scientifique pour participer à la controverse . Or très souvent par le simple fait de poser des questions qui n'avaient pas été posées, ces acteurs profanes, ou ces représentants de la société civile font avancer considérablement les dossiers - comme c'est le cas avec les conférences de citoyens par exemple.

Pour qu'un dossier puisse trouver son chemin et pour que puissent émerger les lignes de consensus ou d'accord qui font défaut, il est nécessaire de faire jouer ces différents modèles d'expertise, sans nier ou recouvrir les sources de conflit . Si les médias ne surgissent qu'une fois que toutes les formes d'expertise ont été explorées, on n'aura pas les mêmes phénomènes d'explosion polémique. Le problème est que très souvent les causes ne passent pas dans ces différents dispositifs, faute d'être prises au sérieux, ce qui conduit à un point de basculement vers une situation irréversible.

Dans tout ça, de manière sous-jacente, se pose la question de la recherche publique. Il existe un nombre croissant de consortium et de partenariats publics/privés . Récemment, le Président de la République nous a invité à nous orienter encore davantage vers ces modèles de fonctionnement. Se pose alors la question du partage sans lequel naissent les conflits d'intérêts dont on a vu les effets, et il est donc nécessaire de procéder à des choix clairs de programmation de la recherche et des financements publics de façon à assurer l'indépendance de l'expertise.

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