C. Quelles voies pour l'amélioration du dialogue entre science et société ?

M. Marc Mortureux, directeur général de l'ANSES. - Je tiens d'abord à vous remercier de nous avoir réunis car je pense que nous manquons terriblement en France de cette culture de débat, notamment sur les sujets sur lesquels il est nécessaire de progresser ensemble .

L'ANSES est au coeur de la problématique de la relation entre science et société, son rôle étant de créer les conditions permettant de redonner de la crédibilité à l'expertise scientifique . Nous devons apporter de manière complète et objective tous les éléments de nature scientifique aux décideurs afin de les aider dans la gestion des risques. Notre rôle ne consiste pas à rassurer ou à inquiéter mais uniquement à informer.

L'ANSES permet de disposer d'un modèle qui concilie une très grande rigueur scientifique, un process scientifique indépendant de toute pression et une ouverture à l'ensemble des acteurs de la société tant en amont qu'en aval de ce processus scientifique.

Dans le cadre de l'étude Séralini, nous avons essayé de mettre en place ces éléments avec la constitution d'un groupe d'experts scientifiques. Notre travail ne doit pas être celui d'un comité de relecture mais nous devons resituer une étude dans un ensemble plus large. Nous avons également souhaité procéder à une restitution à l'ensemble des parties prenantes.

Notre volonté est d'afficher une certaine neutralité et de discuter avec les acteurs sur les suites à donner. Nous prenons du recul et nous ne prenons pas partie. L'agence n'a d'ailleurs pas communiqué durant le processus d'élaboration de son avis, gage de sa crédibilité.

Le modèle que nous avons su instituer suscite un grand intérêt à l'étranger . Il s'articule notamment autour de l'indépendance de l'expertise scientifique. Il ne s'agit pas uniquement de prévenir les conflits d'intérêts, même si à ce niveau nous avons mis en place de nombreuses règles avec un comité et un code de déontologie. Ainsi, avant chaque réunion de collectifs d'experts, pour chaque point de l'ordre du jour, l'Agence s'engage à examiner les risques de conflit d'intérêts. Nous ne laissons pas à l'expert la responsabilité d'identifier d'éventuels risques. De plus, si des risques sont identifiés, l'expert ne participe ni aux débats ni aux délibérations.

S'agissant de la méthodologie d'expertise, les attentes en matière de transparence ne portent pas uniquement sur les résultats mais également sur les méthodes employées . Il s'agit pour nous d'un sujet de travaux permanents. Le développement des méthodologies, l'apport des sciences humaines et sociales, la nécessité de faire apparaître explicitement les avis minoritaires sont des éléments essentiels.

L'indépendance de l'expertise passe également par la diversité des sources d'information . Il est ainsi apparu dans le cadre de l'étude que nous avons menée qu'il existait très peu de données scientifiques disponibles sur les études long terme. Il importe donc de mieux documenter ce type de sujets. À ce titre, il semble opportun, dans des cas particuliers qui suscitent des questionnements sur le plan sanitaire, d'être en mesure de mobiliser des financements pour mener des études d'envergure comme c'est le cas aux États-Unis.

Enfin, la question de l'ouverture de l'expertise est centrale . À cet égard, nous avons d'ailleurs signé une charte d'ouverture de l'expertise aux acteurs de la société civile et nous avons mis en place une gouvernance originale qui est construite sur la base des cinq collèges du Grenelle de l'environnement et avec des parties prenantes qui ont une part active, tant en amont qu'en aval de l'expertise scientifique (capacité d'auto-saisine, participation à l'élaboration de nos priorités dans le programme de travail, efforts de restitution pour contribuer au débat public). Cette attitude globale d'ouverture ne se traduit pas par la garantie du risque zéro mais par la garantie du zéro mépris. Elle nous permet d'être à l'écoute et d'identifier les signaux et ainsi de nous prémunir de l'un des grands risques auquel une agence de sécurité sanitaire est soumise, à savoir le risque d'accoutumance.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président de l'OPECST. - Je donne tout de suite la parole à Mme Christine Noiville, Présidente du Comité économique, éthique et social du HCB. Nous nous connaissons depuis très longtemps. Nous avons participé à des débats sur les OGM il y a fort longtemps.

Mme Christine Noiville, présidente du Comité économique, éthique et social (CEES) du HCB. - En effet, nous n'avons pas le sentiment que grand-chose ait changé.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président de l'OPECST. - Le CEES est un comité que nous avons créé par la loi de 2008, et que j'avais demandé dans l'un des premiers rapports sur les OGM il y a très longtemps. Certains le décrient, mais pour ma part, j'y suis allé et je remercie Christine Noiville d'avoir organisé cette confrontation qui est très difficile.

Mme Christine Noiville, présidente du CEES. - Merci de me remercier. Je pense qu'il serait intéressant de dresser un jour un bilan du fonctionnement de ce Comité, mais donnons-nous le temps de le faire.

Je voudrais revenir sur trois points.

Le premier concerne la teneur de la recommandation du CEES sur la saisine Séralini. Étant interrogé dans le cadre de cette table ronde sur le dialogue entre la science et la société, le CEES constitue, de ce point de vue, un poste d'observation privilégié puisqu'il s'agit d'un comité de parties prenantes qui siègent aux côtés du comité scientifique.

Le CEES a compris que cette étude n'était pas conclusive mais que ses conclusions ont généré la confusion la plus totale dans l'esprit des citoyens, et ce d'autant que la question relative à la durée des études de toxicologie à 90 jours est posée depuis plus de 15 ans et fait l'objet d'une controverse et d'un conflit sans que les scientifiques ne parviennent à se mettre d'accord. Une telle situation est incompréhensible pour le public, comme le disait Monsieur Alberganti.

Dans ce contexte, le CEES propose de mener une étude à long terme sur le NK603 sous l'égide des pouvoirs publics et dans une perspective contradictoire, où des scientifiques travailleraient ensemble et non les uns contre les autres . Ce fonctionnement suppose peut-être de mobiliser d'autres scientifiques, comme l'a laissé entendre Francis Chateauraynaud tout à l'heure.

Je précise que cette recommandation a été rendue à l'unanimité des membres qui siègent actuellement au CEES. Il est vrai que cinq organisations ont démissionné il y a neuf mois, mais une recommandation similaire avait été rendue à l'unanimité précédemment.

Le second point est exprimé à titre personnel. Il me semble nécessaire d'encadrer correctement les alertes environnementales et sanitaires afin d'éviter que les lanceurs d'alerte ne procèdent selon une logique du scandale médiatique, quelles que soient les raisons qui peuvent les y pousser. La société fait en effet les frais de ces alertes en se trouvant en permanence exposée sans ménagement à un discours anxiogène. Certes, il est indispensable que le public soit informé du fonctionnement de la science, y compris au travers des controverses, mais il n'est pas acceptable qu'il soit pris en otage de messages anxiogènes . Il est nécessaire de mettre en place un système qui canalise les alertes ainsi qu'une autorité qui les instruise correctement.

Le troisième point concerne le problème de confiance qui existe vis-à-vis de la manière dont est organisée l'expertise scientifique non seulement sur ce sujet, mais également sur d'autres (médicaments, produits chimiques...). La société, me semble-t-il, comprend en effet de moins en moins le dispositif règlementaire selon lequel les expertises sont réalisées par les entreprises elles-mêmes et seulement supervisées par les agences et autres instances publiques . Ce système tend à produire de la défiance. Il importe donc, à mon avis, de mener une réflexion sur les propositions émises depuis quelques années par l'ANSES notamment. Les agences publiques doivent disposer de moyens pour réaliser leurs propres études. À ce niveau, pourrait être mis en place un fonds administré par la puissance publique et financé par les entreprises permettant de réaliser un certain nombre d'expertises.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président de l'OPECST. - Merci. Je voudrais pour terminer donner la parole à Jean Masson, l'ancien Président de l'INRA de Colmar, qui, dans le cadre d'une expérimentation plein champ sur la vigne à Colmar, a essayé en vain d'instaurer un dialogue entre science et société. Ses essais ont été détruits alors qu'ils avaient pourtant été acceptés dans un dialogue préalable. Je vous laisse la parole pour expliquer combien il est difficile d'organiser le dialogue sur un sujet où il existe des religions bien établies.

M. Jean Masson, ancien président du centre INRA de Colmar. - Dans un cadre strictement dédié à la recherche, notre objectif était de produire des données sur les mécanismes fondamentaux biologiques de la vigne et sur l'impact environnemental sur ces mécanismes fondamentaux, en particulier les modes de protection contre les maladies à virus.

Rapidement, notre projet de recherche a dû faire face à une forte opposition. L'INRA a donc fait le choix, plutôt que de protéger le site, de l'ouvrir au dialogue et de mettre en place un groupe hybride d'une quinzaine de personnes - membres d'associations, vignerons, représentants de la viticulture, voisins - afin d'essayer de combiner les objectifs scientifiques du projet dans une logique d'écoute . Nous avons ainsi construit collectivement un protocole de recherche qui permettait d'apporter des données pour renseigner ces questions, qu'elles soient d'un ordre scientifique au sens de l'INRA ou d'un ordre plus global, celui du respect de plusieurs valeurs. De ce fait, le protocole initialement prévu par l'INRA a été complètement transformé.

Notre approche biotechnique a également été critiquée par les membres du groupe au motif qu'elle ne faisait pas suffisamment appel à des pratiques de viticulture biologique. Nous avons donc construit tous ensemble un protocole qui permettait d'aboutir à un consensus de pratiques de viticulture biologique, qui à l'heure actuelle est appliqué dans des parcelles par des vignerons qui ont adhéré spontanément à ce projet. Ces travaux sont financés par France Agrimer et sont conduits par Olivier Lemaire. Il a même été nécessaire de construire avec tous les membres du groupe des projets annexes pour répondre à des questions qui pouvaient être décalées par rapport aux savoirs scientifiques usuels.

Le projet scientifique que nous avons ainsi bâti a reçu l'aval de tous les membres du groupe ainsi qu'une reconnaissance au travers de l'ANR. Par conséquent, cette démarche collective de prise en compte de tous les savoirs, lorsqu'elle aboutit dans un cadre de construction de projet de recherche scientifique, peut entrer dans des cadres scientifiques et produire davantage de données que celles dont nous disposions à l'origine.

La méthodologie du groupe de travail s'est appuyée sur des codes du groupe repère : la valorisation de tous les savoirs, la légitimation des acteurs et de la démarche, la co-construction de projets de recherche diversifiés, la publication d'écrits scientifiques qui impliquent le groupe (nous avons ainsi publié dans des revues qui font autorité des articles sur le fonctionnement du groupe en traitant de questions agronomiques mais aussi un peu philosophiques et éthiques).

En conclusion, sur neuf années d'engagement d'un collectif hybride, nous sommes partis de l'évaluation technologique interactive sur la question des OGM . Nombre de personnes étaient alors persuadées que nous agissions dans un but de commercialisation alors que l'objectif était uniquement de produire des données dans un cadre de recherche. Finalement, il apparaît que, sur ces neuf ans, l'engagement collectif transforme les parcours scientifiques, les questionnements et les gens .

Aujourd'hui, nous travaillons sur un autre sujet, projet REPERE financé par le Ministère de l'écologie et du développement durable impliquant l'association des viticulteurs d'Alsace, la chambre de consommation d'Alsace, Alsace Nature, l'Université de Strasbourg et l'INRA, visant, avec les mêmes codes, à valoriser les savoirs de tous afin d'inscrire la viticulture dans un cadre plus respectueux de l'environnement (projet « éco-phyto » 2018). Tous les membres d'origine du groupe sont encore là, notamment un sénateur d'Europe écologie et un député (Antoine Herth), et travaillent avec nous. Ce groupe s'intéresse à une question beaucoup plus large que ce petit essai et fait travailler avec nous les élus pour avoir une ouverture vers l'extérieur.

En neuf ans, nous sommes passés d'un cadre de recherche en science agronomique assez biotechnique à la nécessité de nous approprier des problématiques en sciences humaines et sociales . Nous sommes associés avec des associations et l'université de Strasbourg, notamment deux professeurs en épistémologie des sciences. Merci.

Débat

M. Gérard Liebeskind. - Je fais partie des 58 personnes condamnées à Colmar pour avoir arraché cette vigne. Nous avions décidé d'agir de la sorte parce que Monsieur Masson entre autres ne dit pas toute la vérité. Monsieur Masson, vous savez aussi bien que moi qu'une partie importante du Comité local de suivi avait démissionné, écoeurée par la manière dont ce test était suivi.

Vous affirmez qu'il n'est nullement question d'ambitions commerciales, pourtant le porte-greffe a été breveté aux États-Unis. Par qui ? Pouvons-nous le savoir ? De plus, vous aviez implanté ces essais à proximité des vignobles les plus haut de gamme de la région Alsace. Les propriétaires ne voulaient pas prendre le risque de mettre la clé sous la porte si leurs vins étaient contaminés par des OGM. Monsieur Masson, vous devez dire toute la vérité sur ce sujet !

M. Jean Masson, ancien président du centre INRA de Colmar. - Votre enthousiasme vous fait faire des amalgames un peu rapides. Je vous rappelle que le sujet sur lequel j'ai travaillé porte sur le dialogue entre science et société. Ce que vous venez de mettre sur la table est hors sujet. Cela dit, si je dois faire un commentaire suite à votre intervention, je souhaiterais que, lorsqu'un établissement public mène des projets de recherche de cet ordre, la loi de 2008 soit appliquée à la lettre.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président de l'OPECST. - Les lois sont faites pour éventuellement être changées, mais une fois que la loi est votée, elle s'applique. J'ai participé à l'élaboration de la loi de 2008. Je vous rappelle d'ailleurs que même José Bové a reconnu que cette loi avait été rédigée dans de bonnes conditions de discussions.

M. Gérard Liebeskind. - Nous étions à l'Assemblée avec José Bové sur la mezzanine pour combattre cette loi. L'amendement Chassaigne a été cassé alors qu'il était intelligent. S'il avait été conservé, nous ne serions pas en train de mener un tel débat puisque les OGM auraient été bannis de France. En effet, il prévoyait d'autoriser la culture uniquement pour les OGM qui avaient prouvé leur innocuité. Aujourd'hui, vous êtes 20 ou 30 contre M. Séralini dans une réunion où le peuple français n'est même pas représenté.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - J'aimerais que nous sortions par le haut un jour de tous ces débats. Les ancêtres des commissions dont nous parlons, c'est-à-dire l'ANSES et le HCB, qui étaient l'AFSSA et la CGB - pour lesquels j'ai été expert -, avaient déjà eu des désaccords sur les effets statistiques et leur interprétation du NK 603 et je rappelle qu'il existe également des données contradictoires sur le Roundup. Nous avons pris ce modèle pour voir, en 90 jours, si ces effets significatifs portaient vraiment à des pathologies. Mais brusquement, les descendants de ces commissions semblent perdre la mémoire. Et si j'ai entretenu des rapports cordiaux avec l'ANSES, cela n'a pas été le cas avec le HCB.

Il ne me semble pas opportun en outre que le comité de l'ANSES qui a évalué mes travaux compte parmi ses membres une personne - le toxicologue qui donnait l'interprétation entre les statistiques et les effets - qui avait déjà participé à l'évaluation du maïs NK 603 en 2003. Il faut changer les personnes dans un tel cas. Mes résultats remettant en cause les conclusions des agences, il me semble difficile d'être à la fois juge et partie.

S'agissant des études pour la diversité des sources, il aurait été opportun de comparer mes données à celles qui existaient déjà pour le NK 603 et pour le Roundup in vivo .

Ensuite, vous avez affirmé que vous ne disposiez pas des données du Roundup. Or vous étiez en train d'évaluer les données de commercialisation ou les données brutes qui ont permis la mise sur le marché du Roundup. Si vous les avez, donnez-les à Monsieur Le Déaut, parce qu'à ce moment-là, mes données seraient publiques également. Je remarque que ces données, qui sont dans un bureau allemand, sont aujourd'hui toujours gardées secrètes.

La transparence est d'autant plus importante qu'elle concerne les plus longues analyses de sang qui ont été réalisées sur un mammifère, seul modèle avant l'homme.

Une expertise contradictoire sera nécessaire car, depuis quinze ans, l'État demande aux institutions et aux grands organismes de recherche de se rapprocher de l'industrie. Nous sommes face à un corporatisme d'intérêt et à un émoussement de l'expertise contradictoire. Les données devraient être analysées, dans le respect mutuel, face à un comité scientifique qui pourra être formé par des journalistes également, comme cela se fait dans une mairie dans une délibération publique.

Il est également question de données sur la santé qui n'ont pas de raison, selon la loi, d'être cachées puisque l'article 25 de la directive 2001-18 et le règlement 2003 qui en ressort indiquent clairement que les effets sur la santé et l'environnement doivent être publics et ne peuvent être considérés comme faisant partie du secret d'entreprise.

Ensuite, il restera, à mon avis, en tant que chercheur dans ce domaine, à évaluer vie entière sur des rats tout ce pour quoi nous sommes exposés vie entière. Procéder de la sorte nous permettrait de sortir de ces débats. Si nous n'évaluons pas sur le mammifère vie entière les impacts de produits auxquels nous sommes soumis vie entière, nous passerons à côté d'une série de pathologies chroniques au détriment de la santé publique.

M. Olivier Godard, directeur de recherche au CNRS. - Je précise que j'ai préparé un texte plus long pour cette audition que j'ai remis à M. Le Déaut et que je peux mettre à la disposition de tous ceux qui m'en feront la demande.

Au-delà des conflits d'intérêts, qui constituent une question surfaite puisque tout le monde est lié à un intérêt idéologique, professionnel, familial, régional, etc., nous devons nous insister sur la qualité de l'argumentation produite au sein des comités et sur le sérieux de la discussion critique qui y est menée. Le thème de l'indépendance de l'expert est souvent un leurre. La véritable question pour la qualité de l'expertise n'est pas là mais dans l'organisation du travail collectif et dans le manque de moyens assez général des instances d'expertise . Accuser les experts de conflit d'intérêts est devenu une arme rhétorique facile pour récuser ceux qui ne plaisent pas au porteur d'arme, comme l'a montré cet après-midi à plusieurs reprises M. Séralini.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Non, je pense au contraire que nous devons accepter les conflits d'intérêts et mener à bien l'expertise contradictoire.

M. Olivier Godard, directeur de recherche au CNRS. - Qui est légitime pour affirmer que nous avons besoin de mener des études plus longues spécialement pour les OGM ? Je suis surpris que le CEES du HCB se soit estimé compétent sur ce plan. Pour ma part, je n'en sais rien, n'étant spécialiste ni de biologie, ni de toxicologie. Il me semblerait opportun que chacun reste dans son rôle.

M. Marc Mortureux, directeur général de l'ANSES. - Pour revenir sur la problématique de la constitution des collectifs d'experts, il serait en effet judicieux de procéder à un renouvellement fréquent pour se prémunir contre le risque d'accoutumance. D'ailleurs, nous avons des règles qui prévoient ce renouvellement tous les trois ans. Cependant, ce n'est pas parce qu'un expert a par le passé participé à l'examen de dossiers qu'il n'est plus apte à réexaminer de nouvelles données de façon objective et impartiale.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Je demande seulement qu'il les compare aux données existantes.

M. Marc Mortureux, directeur général de l'ANSES. - Je suis inquiet de constater la tendance collective de la communauté scientifique à prendre ses distances avec l'expertise scientifique telle qu'elle existe dans nos agences à cause de ce phénomène de suspicion permanente . Nous risquons à terme d'être confrontés à un véritable problème de compétence pour réaliser notre travail. Je trouve que nous sommes très prudents et que nous avons des règles extrêmement strictes. Encore une fois, je partage tout à fait cette exigence de renouvellement, mais attention à ne pas aller trop loin.

S'agissant des données relatives au Roundup, je vous rappelle ce que nous avons écrit : nous tenons à votre disposition toutes celles dont nous disposons sur le Roundup. Il n'existe cependant pas de données d'essais long terme sur le mélange.

Mme Dominique Parent-Massin, présidente de la Société française de toxicologie. - Je rappelle qu'il n'est pas possible de mener une étude toxicologique sur vie entière parce qu'en toxicologie, il est nécessaire de n'avoir qu'un seul paramètre variable, à savoir l'exposition aux toxiques ou à l'aliment. Les animaux qui vieillissent ont des métabolismes hépatiques et une excrétion qui évoluent et nous savons que les résultats sont ininterprétables au-delà de deux ans. Nous en avons l'expérience.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Je voulais dire deux ans.

Mme Dominique Parent-Massin, présidente de la Société française de toxicologie. - Ne m'interrompez pas. Que vous ai-je dit tout à l'heure ?

D'autre part, les agences sont certainement les mieux placées pour déterminer s'il est nécessaire de refaire l'étude. Il importe de souligner que 12 agences ont donné un avis négatif sur cette étude. Les agences peuvent donner un avis scientifique. Ensuite, les gestionnaires du risque pourront prendre la décision.

M. Michel de Pracontal, journaliste. - Je suis le journaliste de Mediapart qui a publié l'identité de la société de Saint-Malo où a été menée l'étude.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - C'est vous qui le dites.

M. Michel de Pracontal, journaliste. - Vous avez dit que vous n'infirmiez ni ne confirmiez. J'ai essayé d'identifier cette société par le biais du numéro d'agrément qui est indiqué dans l'article de Monsieur Séralini. Ce numéro d'agrément est donné par un arrêté préfectoral. J'ai contacté le service administratif compétent, la DCSPP 35, mais celui-ci m'a opposé qu'il s'agissait de données confidentielles. J'ai essayé d'obtenir ces données par d'autres sources au niveau ministériel, mais je n'ai pas eu davantage de ressources. Je pose donc la question : existe-t-il un désir de l'administration de ne pas mettre M. Séralini en difficulté sur ce point ?

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Vous êtes sur la mauvaise voie.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président de l'OPECST. - Je conclurai en quelques mots. Vous avez tous demandé la transparence sur toutes les données, y compris sur les plans cadastraux sur lesquels étaient menées des expérimentations . Il m'apparaît évident qu'il est nécessaire de faire la transparence sur toutes les données, aussi bien pour ceux qui demandent des autorisations que pour ceux qui fournissent des éléments dans le cadre du débat scientifique. Monsieur, je relayerai cette demande, comme je relayerai la demande de transparence sur la totalité des autorisations.

Les OGM sont-ils une question dépassée ? Tout à l'heure, le ministre s'est exprimé en disant qu'il existait d'autres techniques aux côtés des OGM. Il m'apparaît, comme je l'ai dit en introduction, que les biotechnologies doivent être complémentaires de toutes les autres technologies et qu'il n'est pas possible d'écarter une technologie du champ d'expérimentation . Les biotechnologies doivent être utilisées et, si certains OGM n'ont aucune utilité, d'autres apportent des bénéfices en matière de santé, comme le montre l'exemple de l'insuline fabriquée par génie génétique pour traiter le diabète. 150 millions d'hectares d'OGM sont cultivés dans le monde, mais aucune réponse n'a été apportée par Monsieur Mortureux quant à la présence de NK 603 dans les aliments. Je vous laisserai 20 secondes à la fin pour répondre. Dans tous les cas, nous sommes tributaires des technologies utilisées dans d'autres pays.

Vous avez abordé deux points qui ne font pas consensus. S'agissant des interprétations statistiques des tests, il sera nécessaire d'instaurer au niveau européen des bonnes pratiques afin d'éviter toute contestation . Quant à la durée des tests, elle doit dépendre de l'objet de la recherche.

Je crois que nous ne pouvons pas parler des OGM en général, quand nous sommes sur le NK 603 et quand nous sommes dans des liens avec un produit phytosanitaire qui est le Roundup . Il existe des OGM qui, au niveau de l'insertion, peuvent induire des métabolites et des métabolismes, il peut exister des activations de gènes dormants, mais nous ne pouvons pas globaliser ce sujet qui est éminemment complexe. Ceux qui le globalisent appartiennent à une religion. Or la science n'est pas une religion et doit permettre le débat entre personnes d'opinions différentes.

Il semble nécessaire d'encadrer les lanceurs d'alerte afin de ne pas être soumis à des alertes successives et anxiogènes. Quand on compare l'amiante et le sang contaminé aux OGM, on n'est pas dans la même situation . La dangerosité de l'amiante était connue depuis 1898 et des lobbies ont agi pour que l'amiante continue d'être utilisée. Dans le sang contaminé, la situation était différente. En tout cas, dans les années 1983 à 1985, pour avoir établi le rapport de la commission d'enquête sur ce sujet, je peux vous assurer qu'on ne le savait pas. J'ai entendu Gérard Chermann qui était l'un des codécouvreurs du virus du sida dire en 1985 que les patients qui avaient eu le VIH étaient immunisés. Il est évident que les connaissances ont évolué par la suite. Nous ne sommes pas dans le même sujet. Néanmoins, je crois qu'il faudra encadrer les lanceurs d'alerte, comme cela a été dit tout à l'heure. Monsieur Godard a plaidé pour la gestion au niveau du Parlement de fonds publics - ressources rares aujourd'hui - pour mener les expériences qui nécessitent d'être mises en oeuvre.

Enfin, vous avez tous dit qu'il faudra retrouver la confiance de la société . Je ne pense pas que les controverses telles que celle que nous avons vécue ici y contribuent. Nous devrons encore travailler et organiser des débats, pour que la société reprenne confiance dans la science, dans ses chercheurs, dans l'expertise et, par ricochet, dans le monde politique qui fait appel à cette expertise.

Merci à tous et à toutes et à bientôt.

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