D. LUTTER CONTRE LE HARCÈLEMENT ET LES VIOLENCES SEXUELLES

Le harcèlement sexuel et le harcèlement moral, ainsi que les violences sexuelles demeurent une réalité largement occultée et cependant plus présente qu'on ne veut bien le croire dans l'enseignement supérieur et la recherche.

Il se rencontre aux différentes étapes du cursus universitaire, peut affecter les relations entre étudiants et professeurs ou les relations entre collègues, mais pour autant qu'on puisse en juger en l'absence d'études précises, il semble que la période des études doctorales y soit particulièrement propice.

Le harcèlement sexuel prend des formes comparables à celles que l'on retrouve dans les autres domaines de la vie sociale, au sein des entreprises ou dans les administrations. Mais sa problématique prend, dans l'enseignement supérieur et la recherche, des caractéristiques spécifiques en raison du contexte dans lesquels surviennent ces situations.

Celles-ci tiennent à la relation particulière qui existe entre le doctorant et son directeur de thèse et qui suppose des réunions de travail régulières en tête à tête, échappant par nature à tout contrôle social.

Cette situation est encore accentuée par le fait que beaucoup d'universitaires ne disposent pas d'un bureau et sont conduits à recevoir leurs étudiant-e-s chez eux ou dans un café ou encore au restaurant.

La pratique assez répandue d'évoquer l'avancement des travaux de recherche lors d'un déjeuner, ou d'un dîner, n'est en elle-même pas condamnable, mais elle peut malgré tout générer des ambivalences.

Au demeurant, une certaine forme de séduction intellectuelle est inhérente à la relation qui existe entre un doctorant et le directeur de thèse qu'il s'est choisi et qui exerce naturellement sur lui un certain ascendant. Comme le reconnaissait Vincent Berger au cours de son audition, ce face à face constitue en lui-même un terrain à risques. Il n'est d'ailleurs pas rare que, en dehors de toute pression et de toute contrainte, celui-ci débouche sur des relations sentimentales et parfois sur des unions durables qui relèvent du champ de la vie privée.

Le contexte est donc par lui-même délicat mais ne saurait pour autant tout excuser.

La situation d'extrême dépendance dans laquelle le doctorant se retrouve par rapport à son directeur de thèse, dont les appréciations portées sur ses travaux et les recommandations ont une importance déterminante pour la suite de sa carrière est, par elle-même, un facteur de risques, et peut favoriser d'inacceptables dérives.

La vulnérabilité des étudiant-e-s est encore aggravée par le fait que, n'étant considéré-e-s que comme des « usagers du service public » , ils ou elles ne bénéficient ni de la protection juridique apportée par le code du travail aux salariés, ni de la protection statutaire assurée aux agents publics.

Votre délégation souhaite que l'on prenne la mesure de la gravité de ces agissements et des dommages individuels et collectifs dont ils sont la cause.

Elle rappelle qu'aux termes de la loi du 6 août 2012, le harcèlement sexuel est un délit puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende.

Les travaux que la délégation a conduits à l'occasion de la discussion de cette loi ont souligné la gravité des souffrances psychiques que ces agissements sont susceptibles de provoquer chez leurs victimes.

Outre la souffrance et les situations d'échec qu'elles peuvent provoquer chez les étudiant-e-s et les jeunes chercheurs-ses qui en sont les victimes, ces agissements sont de nature à causer un préjudice important à notre système d'enseignement supérieur et à compromettre son rayonnement et sa recherche d'excellence. Les personnes entendues par votre rapporteure ont en effet insisté sur l'ombre que ces comportements, et plus encore l'impunité dont ils jouissent, portent sur l' image à l'étranger de nos universités et de nos établissements. Les propos échangés sur les forums Erasmus comporteraient fréquemment des avertissements dissuasifs sur les risques de harcèlement auxquels s'exposent les étudiant-e-s qui envisagent de venir poursuivre leurs études en France.

L'étendue de ce phénomène étant peu connue, il convient tout d'abord d'en prendre la mesure.

Dans le rapport qu'elle avait consacré au rétablissement du délit de harcèlement sexuel, la délégation aux droits des femmes avait formulé une recommandation n° 10 demandant que l'enquête générale sur les violences envers les femmes, dont elle demandait la réalisation, comporte un volet particulier sur la réalité des atteintes sexuelles et du harcèlement sexuel dans l'enseignement supérieur.

Une nouvelle enquête « Violences et rapports de genre » (VIRAGE) a bien été lancée par la ministre des droits des femmes, mais il semblerait, d'après les informations contenues dans le rapport de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale 4 ( * ) , que le champ de l'enseignement supérieur en ait été exclu.

Votre délégation demande que les violences sexuelles et le harcèlement sexuel dans l'enseignement supérieur fassent l'objet d'une enquête distincte si la nouvelle enquête « violences et rapports de genre » ne permet pas de cerner leur réalité.

Elle souhaite, en second lieu, que soit développée une politique de prévention et d'information précisant les peines auxquelles s'exposent les agresseurs et indiquant aux victimes potentielles la procédure à suivre.

Elle estime qu'il serait utile de clarifier le flou déontologique dans lequel se déroulent les études doctorales en formulant une sorte de « guide des bonnes pratiques ».

La délégation juge en outre nécessaire de remédier au caractère asymétrique et inégal de la procédure disciplinaire qui lui paraît devoir être profondément réformée :

- en veillant à la composition paritaire de la section disciplinaire ;

- en élargissant ses possibilités de saisine à une autorité autre que le président de l'université ou de l'établissement, et notamment à la responsable de la mission égalité ;

- en procédant à la distinction des instances d'instruction et des instances de jugement.

De l'aveu des personnes auditionnées par votre rapporteure, l'impunité dont jouissent le plus souvent les auteurs de ces agissements tient largement au prestige dont ils jouissent dans leur discipline et, dans la mesure où ils sont jugés par leurs pairs, à l'embarras qu'éprouvent leurs collègues à sanctionner un confrère qu'ils connaissent et qu'ils estiment pour la qualité de ses travaux.

Aussi votre délégation recommande-t-elle que les faits de harcèlement sexuel soient jugés par la section disciplinaire d'un établissement autre que celui dont relèvent la victime et l'auteur présumé de ces agissements.

Elle souhaite en outre que les écoles doctorales soient systématiquement tenues informées des signalements présentant une consistance suffisante.


* 4 Rapport d'information n° 1007 (14 ème législature), fait au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes de l'Assemblée nationale, sur le projet de loi (n° 835) relatif à l'enseignement supérieur et à la recherche, par M. Sébastien Denaja, p. 43.

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