Rapport d'information n° 692 (2012-2013) de MM. Martial BOURQUIN , Gérard LE CAM , Jean-Jacques LASSERRE et Jackie PIERRE , fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 26 juin 2013

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N° 692

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 26 juin 2013

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur le déplacement d'une délégation de cette commission en Italie les 29 et 30 avril 2013 ,

Par MM. Martial BOURQUIN, Gérard LE CAM, Jean-Jacques LASSERRE et Jackie PIERRE,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Daniel Raoul , président ; MM. Martial Bourquin, Claude Bérit-Débat, Gérard César, Alain Chatillon, Daniel Dubois, Pierre Hérisson, Joël Labbé, Mme Élisabeth Lamure, M. Gérard Le Cam, Mme Renée Nicoux, M. Robert Tropeano , vice-présidents ; MM. Jean-Jacques Mirassou, Bruno Retailleau, Bruno Sido , secrétaires ; M. Gérard Bailly, Mme Delphine Bataille, MM. Michel Bécot, Alain Bertrand, Mme Bernadette Bourzai, MM. François Calvet, Roland Courteau, Marc Daunis, Claude Dilain, Alain Fauconnier, Didier Guillaume, Michel Houel, Serge Larcher, Jean-Jacques Lasserre, Jean-Claude Lenoir, Philippe Leroy, Mmes Valérie Létard, Marie-Noëlle Lienemann, MM. Michel Magras, Jean-Claude Merceron, Jackie Pierre, Ladislas Poniatowski, Mme Mireille Schurch, M. Yannick Vaugrenard .

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Une délégation de quatre membres de votre commission des affaires économiques 1 ( * ) , conduite par M. Martial Bourquin, s'est rendue en Italie du Nord les 29 et 30 avril 2013.

Constatant que les districts industriels de la Lombardie accomplissent des performances à l'exportation comparables à celles de l'Allemagne avec une organisation très différente, la mission sénatoriale s'est s'attachée à analyser les facteurs de cette compétitivité industrielle qui s'appuie majoritairement sur l'organisation en réseau de micro-entreprises.

Alors que notre pays s'est engagé dans la voie de la réindustrialisation et de l'amélioration de sa compétitivité, la mission s'est efforcée de renouveler les analyses traditionnelles souvent trop centrées sur la dimension purement organisationnelle des districts italiens. Même si la fragilité de ce modèle italien ne doit pas être sous-estimée, la mission a constaté que le ressort de sa réussite réside dans une passion pour le design et la montée en gamme qui s'exprime dans des très petites entreprises industrielles travaillant non seulement en réseau mais aussi et surtout de façon extrêmement solidaire. Deux de ces caractéristiques - la montée en gamme et la solidarité des opérateurs - ont été parfaitement diagnostiquées comme des enjeux décisifs d'amélioration de la compétitivité de l'économie française. En revanche, le design, en tant que force de propulsion industrielle apparait comme un enjeu dont le potentiel mobilisateur n'a pas été suffisamment exploité dans notre pays, en particulier dans notre système éducatif.

Lors de sa réunion du mercredi 26 juin 2013, la commission des affaires économiques a autorisé la publication du présent rapport d'information.

SYNTHÈSE

OBSERVATIONS DE LA MISSION SÉNATORIALE SUR SON DÉPLACEMENT
EN ITALIE DU NORD, LES 29 ET 30 AVRIL 2013

L a mission s'est s'attachée à analyser de façon précise comment l'Italie parvient à relever le défi de l'exportation et de la compétitivité industrielle en s'appuyant majoritairement sur des micro-entreprises.

Tout en rappelant les difficultés politiques, financières et économiques de l'Italie, plusieurs instituts d'études économiques comme le Xerfi ont rappelé, en mars 2013, que les régions industrielles du Nord, sont le lieu de bonnes pratiques dont la France pourrait s'inspirer .

L'idée n'est pas nouvelle puisque, dans les années 1990, le district italien - qui se définit comme une concentration géographique de PMI travaillant en réseau autour d'un produit, d'un métier ou d'une technologie - était un concept très prisé des spécialistes du développement local. La Datar avait alors favorisé le développement de "systèmes productifs localisés " (SPL) conçus comme la traduction française des districts à l'italienne, par exemple en Haute-Savoie, dans le Puy-de-Dôme ou en Haute-Vienne.

Aujourd'hui, dans un contexte économique nouveau , caractérisé, en France, par un seuil d'endettement public élevé et un déficit extérieur qui limitent les possibilités de relance budgétaire, ce sont les performances industrielles de l'Italie qui justifient un réexamen des facteurs de son succès.

Globalement, alors que le commerce extérieur de la France était déficitaire de 67 milliards d'euros en 2012, l'Italie, dont la dépendance énergétique est plus forte que la nôtre, a enregistré un excédent de 11 milliards d'euros en 2012 (qui succède à un déficit de 26 milliards en 2011). De façon encore plus frappante, l' excédent manufacturier de l'Italie atteint 94 milliards d'euros alors que la France est déficitaire de 37 milliards d'euros.

Plusieurs explications s'imposent de façon immédiate : l'Italie compte presque deux fois plus d'entreprises exportatrices qu'en France (205 382 contre 117 106) et la robotisation de son industrie est environ deux fois plus avancée (62 300 unités en Italie contre 34 500 en France). Globalement, la réussite de l'industrie italienne se caractérise par une montée en gamme de ses produits dont les débouchés, en particulier dans le secteur du luxe, sont assez faiblement sensibles aux effets de taux de change et aux prix.

Les difficultés de l'exercice

Les diverses publication de notre représentation économique dans ce pays signalaient, avec réalisme, la difficulté de ces investigations à travers la « mosaïque italienne » en rappelant :

- d'une part, que l'Italie est un pays complexe, fragmenté, et parfois difficilement « lisible » : il n'est pas facile d'y trouver des informations fiables et pertinentes pour en tirer une synthèse ou un modèle exemplaire ;

- et, d'autre part, que les positions commerciales sont souvent établies de longue date et difficiles à bousculer, avec un poids non négligeable du politique dans les affaires. Nos conseillers du commerce extérieur recommandent aux entrepreneurs français de bien mesurer la différence constatée dans le fonctionnement du monde économique de nos deux pays : l'Italie est un pays décentralisé et peu homogène où les relations personnelles et les multiples réseaux jouent un rôle déterminant, ce qui nécessite, plus qu'en France, l'implication personnelle de tous les dirigeants pour nouer des relations individuelles indispensables.

En Italie, ces relations de confiance, souvent fondées sur un lien familial, permettent à chaque petite entreprise d'agir non pas en tant qu'entité individuelle mais en tant que composante solidaire d'un ensemble économique.

Les conclusions de la mission sénatoriale.

Au cours d'un déplacement de deux jours brefs mais intensifs, la mission sénatoriale a pu tirer plusieurs enseignements utiles de l'observation de quelques mécanismes de l'économie du Nord de l'Italie.

Pour l'essentiel, les parlementaires ont constaté que l'aspect « organisationnel », sur lequel se sont concentrés de très nombreux travaux analysant la nature et les métamorphoses des districts industriels, n'était pas le seul facteur digne d'intérêt. En effet, sur le terrain, la passion pour le design appliquée à l'industrie apparait bien comme le moteur principal d'un cercle vertueux qui entretient à la fois la montée en gamme des produits italiens et l'enthousiasme des entrepreneurs pour la « beauté du geste » artisanal ou industriel. Sur ce second point, on peut signaler que les travaux et investigations sur le rôle moteur du design sont très peu nombreux et se demander si notre système scolaire, universitaire et économique s'attache suffisamment à stimuler l'interaction entre l'esthétique et la production alors même que les choix des consommateurs du monde entier se portent massivement sur les produits - y compris de haute technologie - les plus élégants.

I. LES DISTRICTS INDUSTRIELS DU NORD DE L'ITALIE : UNE PERFORMANCE À L'EXPORTATION COMPARABLE À CELLE DE L'ALLEMAGNE AVEC UNE ORGANISATION TRÈS DIFFERENTE.

A. LA MISSION SÉNATORIALE S'EST CONCENTRÉE SUR UNE RÉGION SPÉCIFIQUE : LA LOMBARDIE

a) Frappée par la crise, la Lombardie reste structurellement la région la plus solide d'Italie au plan économique.

Région la plus riche d'Italie et au deuxième rang en Europe derrière l'Île de France, la Lombardie, qui rassemble 16 % de la population du pays, représente à elle seule un cinquième du PIB italien.

La région lombarde a été sévèrement frappée par la crise économique mondiale : le PIB a subi en 2009 un recul de 6,2 %, contre 5,5 % au niveau national, et n'a pas retrouvé depuis son niveau d'avant-crise. La structure même de son économie explique ces évolutions, la Lombardie se caractérisant par sa forte ouverture internationale et par une spécialisation dans les activités industrielles qui représentent 30,4 % de la valeur ajoutée créée dans la région

Si les tensions sur le marché du travail ont provoqué un doublement du taux de chômage, passé de 3,2 % de la population active en 2007 à 7,1 % l'an dernier, la région demeure l'une de celles où son niveau demeure le plus bas (10,7 % au plan national).

b) La Lombardie a résisté à la désindustrialisation

L'agriculture a été la base du développement économique de la région. Elle a connu un processus de mécanisation et de restructuration et se concentre principalement sur la production de céréales (maïs, soja, froment), légumes, fruits (poires et melons) et de vin. La production de fourrage est très développée et utilisée dans le cadre de l'élevage bovin et porcin.

L'industrie est dominée par des petites et moyennes entreprises familiales, souvent sous-traitantes de l'industrie allemande, et par la présence de plusieurs grandes entreprises. Elle est florissante dans de nombreux secteurs, en particulier ceux de la mécanique, l'électronique, la métallurgie, le textile, la chimie, la pétrochimie, la pharmacie, l'agroalimentaire, le mobilier et les chaussures. Milan et sa province comprennent près de 40 % des entreprises industrielles lombardes. La part de l'industrie dans l'emploi est largement supérieure à la moyenne italienne (36,2 % des actifs contre 29,9 %).

Dans le secteur tertiaire, le commerce et la finance sont les principaux moteurs de l'activité. Milan est le siège de la bourse italienne, l'une des places financières majeures en Europe, et le siège des principales banques italiennes. La foire de Milan est par ailleurs le plus grand espace d'exposition d'Europe. Les activités bancaires, de transports, de communication et de services aux entreprises ont une place importante. Le tourisme a également un poids significatif, notamment en matière de tourisme d'affaires. Le tertiaire reste le secteur le plus important dans l'économie lombarde, tout comme dans le reste de l'Italie.

Fortement atteinte par les effets de la crise mondiale du fait de la structure même de son économie, la Lombardie demeure toutefois le moteur économique de l'Italie et présente des résultats bien supérieurs à la moyenne italienne en termes d'activité. Sa faiblesse réside néanmoins dans un moindre investissement dans les nouvelles technologies, en comparaison avec certaines régions européennes.

Les autorités locales rencontrées par la mission sénatoriale, et en particulier la ville de Milan, misent sur l'organisation de l'exposition universelle de 2015 pour relancer le dynamisme de la région.

c) L'ouverture internationale de la Lombardie

Très tournée vers l'international, cette région assure près du tiers des échanges du pays, et sa capitale, Milan, siège de nombreuses entreprises privées et de la Bourse italienne, est la véritable capitale économique et financière de l'Italie.

La Lombardie exporte à 55 % en Europe et la France est le deuxième client de la région (11,6 % du total des exportations), après l'Allemagne (14,3 %). La Lombardie est par ailleurs l'une des quatre régions du groupe de coopération interrégionale « quatre moteurs pour l'Europe » avec le Bade-Wurtemberg, la Catalogne et Rhône-Alpes.

Les principaux secteurs d'exportations, composées à 98 % de produits manufacturés, sont les machines (20 % des ventes), les produits de la métallurgie (18 %), la chimie-pharmacie (14 %), les équipements électroniques et électriques (12 %) et les moyens de transport (7 %). Les produits traditionnels du « made in Italy », le textile-habillement et les chaussures, représentent 10 % des ventes, tandis que les produits agricoles et des industries agroalimentaires atteignent 4,7 %.

Le premier poste d'importations est constitué de la chimie-pharmacie (22 %), des équipements électroniques et électriques (19 %), avant la métallurgie (12 %) et les produits pétroliers (7 %).

B. L'INDUSTRIE : UNE FORCE MOTRICE DE L'ÉCONOMIE ET DE LA SOCIÉTÉ ITALIENNE

1. Une force industrielle qui surmonte les obstacles liés à la complexité institutionnelle, juridique et administrative
a) L'industrie représente le quart du PIB en Italie (le septième en France).

L'industrie assure près d'un quart de la valeur ajoutée de l'activité économique italienne.

Après l'Allemagne et la France, l'Italie a connu, après la seconde guerre mondiale, un « miracle économique » avec une très forte croissance de la production industrielle, près de 6 % par an entre 1950 et 1960, qui a transformé son économie en véritable puissance industrielle. Fortement touchée par le choc pétrolier de 1973, l'économie italienne a, cependant, connu un deuxième « miracle » dans la seconde moitié des années 1980 avec une tertiarisation accrue de son économie.

Si l'industrie est le secteur qui a le plus souffert de la crise actuelle (en juin 2012, l'indice de production industrielle italien se situait à 24,6 %, en-dessous de son pic d'août 2007), la composante industrielle de l'économie italienne demeure essentielle même si sa part dans la valeur ajoutée totale de l'activité économique s'est réduite, avec la croissance des services, passant de 27,4 % en 2001 à 24,6 % en 2011 (de 19,6 % à 15,9 % pour le secteur manufacturier). L'industrie est le champ d'activité de plus de 23 % des entreprises recensées en 2010 (10 % hors construction) et assure 28,3 % des emplois en 2011. Les exportations de produits manufacturés représentent plus de 20  % du PIB (17 % pour la France) et le secteur dégage de manière structurelle un excédent commercial substantiel. En outre, l'Italie figure au huitième rang de la production manufacturière mondiale.

Ces activités sont basées essentiellement sur la fabrication de machines et équipements, l'Italie ayant conquis la place de deuxième fabricant et exportateur de machines-outils après l'Allemagne, la métallurgie, suivis par l'industrie agroalimentaire et les autres secteurs phares du « Made In Italy » que sont le textile, le cuir et l'habillement. Toutefois, au cours de la période 2001-2010, seuls quatre secteurs ont vu leur valeur ajoutée augmenter : les machines et équipements, les équipements électriques, les produits pharmaceutiques et la fabrication de papier. Les secteurs traditionnellement en pointe ont, en revanche, enregistré une réduction de leur valeur ajoutée, comme dans l'industrie textile, la confection et l'habillement, les produits en cuir (-23,6 %), la fabrication de mobilier (-17,4 %), la fabrication de véhicules (-10,5 %) ainsi que les industries agroalimentaires, les boissons et le tabac (-3,4 %).

b) Une puissance industrielle capable de franchir certains obstacles administratifs et institutionnels

On établit souvent un lien entre la compétitivité d'une économie et la stabilité ainsi que l'efficacité de son environnement institutionnel normatif et administratif.

Sans contester la pertinence de cette affirmation, on peut cependant signaler que les districts italiens accomplissent des performances à l'exportation en surmontant divers obstacles.

- La complexité et la fragmentation institutionnelle : sur le terrain, la mission sénatoriale a pu vérifier que l'Italie est un pays parfois difficilement «lisible» pour des Français habitués à une certaine centralisation. Nos conseillers du commerce extérieur estiment d'ailleurs préférable de parler «des Italies» plutôt que de l'Italie. Ce pays hétérogène, avec un clivage accentué entre le nord et le sud est aussi très fragmenté, régionalisé, voire «local». « Il n'est pas facile d'y récolter des informations fiables, complètes, structurées et pertinentes pour en tirer une synthèse ou un « business model » à dérouler partout de la même manière ».

- Une réglementation pléthorique : de très nombreuses normes et réglementations, imposées à divers niveaux administratifs (Etat, régions, province, communes) et établies en «parallèle» des réglementations européennes, constituent souvent autant de freins à l'action.

- La corruption : un des signes de son existence en Italie s'est récemment manifesté par la création, le 31 janvier 2013, du Comité interministériel de prévention et de lutte contre la corruption et l'illégalité dans l'administration publique. Ce Comité, prévu par la loi 190/2012 dite Legge anticorruzione, est chargé d'adopter le Plan national anticorruption contenant les lignes directrices qui permettront l'élaboration par les collectivités locales de leur propre programme anticorruption.

RAPPEL INSTITUTIONNEL - L'ITALIE COMPTE TROIS NIVEAUX DE STRUCTURES LOCALES : 20 RÉGIONS, 103 PROVINCES ET 8 104 COMMUNES

- Les régions sont qualifiées par la Constitution de « pouvoirs autonomes ». Elles disposent d'une compétence législative exclusive dans certains domaines et, par ailleurs, de compétences partagées avec l'Etat. Cinq d'entre elles bénéficient d'un « statut spécial », qui leur garantit une plus large autonomie : le Val d'Aoste, le Frioul-Vénétie Julienne, le Trentin-Haut Adige, la Sicile, la Sardaigne.

- Les provinces et les communes sont qualifiées de « pouvoirs locaux ». Elles disposent du pouvoir réglementaire dans le cadre de compétences transférées ou déléguées par l'Etat ou les régions.

Au cours des entretiens conduits par la mission sénatoriales, des chefs d'entreprises italiens implantés en France ont, a contrario , témoigné de l'efficacité de l'Etat et du soutien apporté par les collectivités territoriales aux opérateurs économiques dans notre pays.

2. L'industrie est le principal moteur de l'emploi

L'industrie reste le principal moteur de l'économie italienne. Elle est à l'origine des gains de productivité de l'ensemble du système. Ce secteur crée les emplois de qualité les mieux rémunérés et concentre la plupart des efforts de recherches. L'industrie assure 78 % des revenus issus des exportations, qui servent à financer les importations de biens et de services. Les simulations effectuées par le centre d'études de la Confindustria montrent que plus d'un tiers du PIB et quelque 8,2 millions de salariés sont directement ou indirectement liés au secteur manufacturier. Sans la contribution essentielle de ce secteur au commerce extérieur, le système économique italien connaitrait un déficit difficilement soutenable. Les comparaisons avec l'Europe confirment que là où l'industrie affiche les meilleurs résultats, les revenus augmentent plus rapidement. L'Italie du nord, plus spécialisée dans la mécanique, est en concurrence avec les régions d'Europe centrale et du nord. Le sud du pays, où le poids du secteur de l'habillement est plus important, fait face à la concurrence de l'Europe méridionale et orientale.

C. L'OFFENSIVE À L'EXPORTATION EST PORTÉE PAR DES MICRO-ENTREPRISES

Les résultats du commerce extérieur italien en 2012 se résument au passage d'un solde commercial déficitaire (-30 milliards d'euros en 2010 et -25,5 en 2011) à un excédent de 11 milliards d'euros en 2012. Cette amélioration spectaculaire résulte, certes, d'un affaissement des importations mais également de la bonne tenue des exportations, en particulier vers les pays tiers à l'Union européenne. En effet, les exportations à destination de l'UE ont stagné en 2012 même si elles demeurent le principal débouché des ventes italiennes (54 % des exportations). A l'inverse, les exportations vers les marchés hors UE, progressent de 9,2 %, après une hausse de 14,8 % en 2011.

Les secteurs à l'exportation traditionnellement porteurs sont les branches machines, métallurgie et textile-habillement (plus de 40 % des exportations) dont les ventes progressent respectivement de 2,9 %, 4,9 % et 2,6 % ; l'agro-alimentaire (7 % des ventes) est en hausse de 6,7 % et la pharmacie également en hausse de 12,5 %.

Le recul des achats italiens s'est particulièrement manifesté dans les importations de produits de la métallurgie (-11 %), le secteur transports et automobile (-21,3 %, la chute pour le seul secteur automobile atteignant -26,2 %) et l'informatique (-20,2 %).

Cette évolution témoigne d'une dualisation croissante du tissu entrepreneurial transalpin : les entreprises dont le marché est purement domestique souffrent à la fois de l'atonie de la demande et de la raréfaction du crédit tandis que les entreprises exportatrices maintiennent ou accroissent leurs parts de marché et soutiennent l'activité.

1. Un révélateur de l'efficacité des districts : le déficit commercial record de la France vis-à-vis de l'Italie en 2012

De façon générale, l'Italie est un partenaire de premier plan pour la France puisqu'elle est son deuxième client et son quatrième fournisseur. La part de marché française, après avoir perdu plus de trois points dans la première partie des années 2000 s'est stabilisée depuis quatre ans aux alentours de 8,3 %.

Le service économique régional de notre ambassade en Italie a analysé de façon précise le nouveau creusement, en 2012, de notre déficit commercial avec ce voisin européen.

L'activité en Italie a subi une forte contraction en 2012, avec un recul du PIB de 2,2 %, résultant d'une forte compression des moteurs internes de la croissance, consommation et investissement, entraînant un affaissement des importations. Dans ce contexte, les exportations françaises vers l'Italie ont reculé de 6,5 % - le plus fort repli parmi nos principaux partenaires commerciaux - alors que nos exportations ont progressé de 3,1 %. Les importations françaises en provenance d'Italie, qui avaient augmenté de 6,3 % en 2011, marquent également un repli de 1,3 % en 2012, avec une évolution inverse de celle de l'ensemble de nos importations (+0,9 %).

Au total avec des exportations françaises en recul plus prononcé que celui des importations, le déficit commercial de la France vis-à-vis de l'Italie s'est à nouveau dégradé en 2012 alors qu'il s'était légèrement réduit en 2011 : il s'établit à 4,6 milliards d'euros contre 2,8 en 2011.

Les composantes sectorielles de ce déficit sont particulièrement significatives de la puissance industrielle italienne.

D'une part, la France enregistre des contre-performances dans les secteurs stratégiques de l'automobile et l'agriculture

Certes, les exportations du secteur de la chimie, qui reste notre premier poste exportateur avec 14 % des ventes françaises, ont légèrement reculé, mais dégagent un excédent français de l'ordre de 2 milliards d'euros.

Cependant, les produits de l'agriculture et de l'agroalimentaire, représentant respectivement 7 % et 11 % de la valeur de nos ventes vers l'Italie avec un excédent structurel sur longue période, se sont repliés à l'exportation en 2012 : un tassement des excédents en est résulté (1,72 milliard d'euros pour l'agriculture contre 1,87 en 2011, et 0,484 milliard d'euros pour l'agroalimentaire contre 0,724 en 2011).

La baisse de l'excédent dans les matériels de transport (près de 13 % du total de nos exportations) est variable selon les branches : d'une part, les livraisons restent particulièrement dynamiques dans l'aéronautique (648 millions d'euros) et le matériel ferroviaire (273 millions d'euros), à l'inverse des exportations de véhicules automobiles qui accentuent leur décrochage de 2011 (-16 %), ramenant le surplus commercial de 1,51 milliard d'euros à 1,16 cette année.

D'autre part, les déficits traditionnels de la France (machines, textile, plastiques) se sont globalement accrus.

Les importations de machines , qui représentent plus de 14 % de nos achats, se stabilisent mais nos ventes sont en sensible repli, accentuant l'important déficit du secteur, à -3,3 milliards d'euros contre -3,2 en 2011.

Pour les autres secteurs italiens traditionnellement performants sur notre marché, le déficit français s'est globalement maintenu au même niveau ou légèrement creusé en 2012, comme pour le textile-habillement (11,7 % de nos importations, solde de -2,2 milliards d'euros), les plastiques (8,4 %, solde de -1,7 milliard d'euros) ainsi que l' électro-ménager (6,1 %, solde de -0,967 million d'euros).

En revanche, on observe un recul des importations de produits de la métallurgie (13 % de nos achats en provenance d'Italie) plus prononcé que celui des exportations, conduisant à une légère réduction du déficit (-1,29 milliards d'euros contre -1,39 un an auparavant).

EVOLUTION DES ÉCHANGES FRANCE-ITALIE PAR SECTEURS EN 2012

Source : SER de Rome, données Douanes françaises

Le nouveau Plan national pour l'exportation, présenté le 16 janvier dernier, a pour ambition d'augmenter de 9 % le montant des exportations d'ici 2015.

2. Le défi de l'exportation est principalement relevé par les micro-entreprises italiennes

Une des caractéristiques de l'Italie est de compter plus de 5 millions d'entreprises, réparties entre l'agriculture, l'industrie, le commerce et les services et la grande majorité d'entre elles (95 %) sont des micro-entreprises. Ces micro-entreprises ont, en grand nombre, pris des mesures draconiennes pour affronter des marchés toujours plus mondialisés, développer leurs gammes de produits et accroître leur flexibilité afin de se lancer sur les marchés internationaux. Les micro-entreprises sont devenues le fer de lance des exportateurs italiens

Le tissu industriel italien se distingue par l'importance du capitalisme familial et du réseau des petites entreprises. Parmi les 1,05 million d'entreprises industrielles italiennes recensées en 2010 (dont 58 % appartiennent au secteur de la construction), seules 1 549 emploient plus de 250 personnes. L'économie italienne, qui dispose de relativement peu de très grands groupes à l'échelle internationale - dix entreprises italiennes figurent parmi les 500 premières mondiales, contre 39 entreprises françaises et 37 allemandes - compte néanmoins quelques grands groupes emblématiques - dont Fiat, ENI, ENEL, Olivetti, Benetton, Finmeccanica... Cependant, le tissu industriel est principalement constitué par un réseau dense de PME (dont 89,7 % emploient moins de 10 personnes), véritables porte-drapeaux du savoir-faire italien, souvent regroupées au sein des 140 « districts industriels » et organisées en réseaux (412 contrats de réseaux signés en juin 2012). Ces dernières, qui font la force du système économique italien par leur dynamisme et leur savoir-faire, se caractérisent par une forte ouverture au progrès technique, une production ciblée et sur-mesure et une part importante de leur activité à l'exportation. Concentrées dans la plaine du Pô, de la Vénétie au Piémont en passant par la Lombardie et le Centre de l'Italie, les entreprises industrielles italiennes sont liées pour une part non négligeable d'entre elles par des liens de sous-traitance à d'importants groupes allemands qui jouent le rôle de « locomotives » à l'exportation.

A l'international, les petites entreprises ont modifié leur spécialisation et réorienté leur positionnement. La part des biens liés à la mode dans les exportations s'est ainsi réduite de 21,5 % en 1991 à 14 % en 2011, alors que celle des produits à plus forte intensité technologique a progressé de 61 % à 67 %. Sur le plan géographique, la part de l'Union européenne dans les exportations italiennes s'est réduite de 61,4 % en 2000 à 55,6 % en 2011 au profit des pays émergents à forte croissance dont la part s'est accrue de 21,3 % à 29,3 %.

II. UNE PASSION POUR LE DESIGN ET LA MONTÉE EN GAMME QUI S'EXPRIME DANS DES MICRO-ENTREPRISES INDUSTRIELLES TRAVAILLANT  EN RESEAU

Les économistes ont tenté, depuis plusieurs dizaines d'années, d'élucider le « secret » de la réussite du modèle industriel italien en s'attachant principalement à le rechercher dans le mécanisme des districts. Or ce dernier semble difficilement transposable en dehors des frontières italiennes, comme en témoignent les expériences conduites en France.

La mission sénatoriale a en revanche été frappée, au cours de son déplacement en Lombardie par la passion pour le design et pour la qualité des produits qui apparaît sinon comme « l'esprit du capitalisme italien » du moins comme un ressort fondamental de l'efficacité industrielle de ses PME. Les succès de ce modèle lombard semblent ainsi imputables à un cercle vertueux entre les grappes de micro-entreprises et la créativité des personnes qui y exercent leur talent.

A. LES RÉSEAUX D'ENTREPRISES INDUSTRIELLES ITALIENNES : UNE RÉUSSITE DIFFICILEMENT TRANSPOSABLE À L'ÉTRANGER

Comme le fait observer M. Marc Maupas-Oudinot, dans une synthèse élaborée pour la mission sénatoriale, les districts industriels et les contrats de réseaux, sont devenus, au fil des années, une des spécificités du tissu économique italien, très axé sur les PME. C'est en effet la taille réduite des entreprises italiennes qui les a conduites à mener des politiques de regroupement dès les années 1970 avec la création des premiers districts industriels, ces derniers n'ayant été reconnus par la loi qu'en 1991. Par la suite, après dix ans de débat sur le rôle et l'identité des districts, le « contrat de réseau d'entreprises » a été finalement introduit dans le système juridique italien par une loi de 2009.

Alors que le district est un modèle d'organisation souple et peu encadré reposant sur le territoire, le contrat de réseau est un instrument réglementé se basant sur l'objet social commun et le regroupement par filière, dont les districts eux-mêmes peuvent se servir.

1. Le district industriel : une organisation territoriale

Les districts industriels permettent aux entreprises d'un certain territoire (qui recouvre le plus souvent les départements ou les régions) de coordonner leurs activités productives. Dans ce cadre, chacune des entreprises intéressées continue à y exercer son activité dans son domaine de spécialisation ou d'excellence, alors que les autres phases productives sont réalisées par les autres membres du même district. Ce dispositif garantit la continuité de la production et réduit les coûts accessoires, améliorant ainsi la compétitivité de l'ensemble. Les districts industriels sont au nombre de 101 et regroupent environ 275 000 entreprises.

Selon le cinquième rapport sur les districts industriels d'Intesa Sanpaolo qui porte sur les années 2010-2011, les entreprises organisées en districts ont de meilleures performances, en particulier à l'exportation, que celles qui ne le sont pas. Les meilleurs résultats proviennent des secteurs des métaux (dont les ventes ont progressé de 8,8 % en 2011), de la mécanique (+7,5 %), de l'alimentaire (+6,2 %) et surtout du secteur emblématique de la mode avec une croissance de 8,6 % en 2011 pour les entreprises en districts, contre 4,1 % pour les autres. Globalement, les districts industriels ont enregistré un chiffre d'affaires en croissance de 3 % en 2011-2012 et une hausse des profits de 5,8 % contre, respectivement, 1 % et 4,3 % pour l'industrie hors districts. Le rapport identifie les 11 meilleurs districts en termes de performance de croissance, d'exportation et de rentabilité en citant les machines pour emballages à Bologne, les pneus à Bergame, les lunettes à Belluno et l'habillement à Naples .

2. La relance des districts par les contrats de réseau, dans une logique de filière

Le droit italien indique que, par définition, les contrats de réseaux sont des accords conclus par plusieurs entreprises qui s'entendent pour exercer en commun une ou plusieurs activités économiques rentrant dans le cadre de leurs objets sociaux respectifs dans le but d'accroitre leur capacité innovante et leur compétitivité. Le contrat de réseau doit être inscrit au registre du commerce où les entreprises ont leur siège.

La réglementation des districts s'applique également aux réseaux d'entreprises . Réseaux et districts ont, en effet, les mêmes finalités de diffusion des savoir-faire, de développement de projets marketing communs, d'investissements dans la recherche, d'exploration de nouveaux marchés et d'accroissement de la capitalisation, le regroupement se faisant, dans un cas, par filière, et dans l'autre, par zone géographique.

Ces modes d'agrégation extrêmement souples permettent aux entreprises de garder leur autonomie ou de créer une entité juridique commune, en continuant de bénéficier des mêmes aides fiscales, financières et administratives.

Fin 2012, trois ans après leur création, 647 contrats de réseaux, concernant 3 350 entreprises, 6 fondations et 4 associations sont enregistrés. Selon Aldo Bonomi, vice-président de Confindustria pour les réseaux d'entreprises, qui a porté le projet dès sa conception, l'objectif, d'ici quatre ans, est d'atteindre le seuil de 2 000 contrats de réseaux, impliquant environ 10.000 entreprises, pour favoriser leur capacité d'internationalisation. Le ministère du Développement économique, ainsi que les associations professionnelles, auraient sensibilisé la Commission européenne afin d'obtenir une reconnaissance internationale des contrats de réseau. Le premier contrat de réseau international ayant été mis en place inclut une entreprise française.

Territorialement, les contrats de réseaux concernent 99 provinces, appartenant aux vingt Régions d'Italie. Les zones géographiques privilégiées sont le Nord-est pour le nombre de contrats (246) et le Nord-ouest pour le nombre d'entités impliquées (986). Presque la moitié des contrats implique entre 4 et 9 entreprises, qui sont pour la plupart des sociétés de capitaux. Les secteurs les plus prisés sont ceux des services (384 entreprises), du BTP et du bâtiment écologique (334), de l'ameublement et des loisirs (226).

3. Un exemple de réussite difficilement transposable à l'étranger

Le succès des réseaux d'entreprises s'explique par un ensemble de facteurs :

- la souplesse de l'instrument qui permet de mettre en commun une partie de l'activité tout en préservant l'autonomie des co-contractants ;

- au-delà de la filière, le contrat de réseau a pour objectif la promotion de produits "made in Italy" et de l'exportation ;

- pour les PME, cet instrument est un des seuls qui favorise leur compétitivité dans un contexte de crise et de mondialisation des échanges ;

- les contrats de réseaux facilitent l'accès au crédit : les banques ont ainsi proposé des services de conseil spécialisé et des « bonds de réseaux » ont été institués;

- ils compensent enfin le faible niveau d'intervention de l'Etat, les aides d'Etat italiennes étant parmi les plus basses de l'Union européenne.

A titre d'exemple, le contrat de réseau peut être utilisé à titre défensif, lorsque la production d'une grande entreprise dépend de ses fournisseurs et sous-traitants. C'est dans ce contexte que Gucci (groupe Kering, anciennement Pinault-Printemps-Redoute) a incité ses fournisseurs à se regrouper : trois réseaux d'entreprises ont ainsi été institués, avec le soutien de la Confindustria locale, concernant 24 PME qui emploient 635 personnes. Les fournisseurs, dans le cadre du contrat de réseau, se sont engagés contractuellement à collaborer en termes d'efficacité productive, d'innovation technologique et organisationnelle, de standards de qualité et de sécurité. Gucci a un rôle de sponsor du réseau et de consultant organisationnel et financier. Selon le vice-président de Gucci, Micaela Le Divelec Lemmi, le groupe entend préserver les métiers d'excellence de sa filière, tant en Toscane où elle compte 60 fournisseurs et des dizaines de sous-traitants, qui emploient 7 000 personnes sur les 45 000 qui alimentent toute la filière productive de Gucci en Italie).

Les contrats de réseau ont ainsi permis :

- de relancer les districts industriels, une organisation traditionnelle longtemps vantée mais mise à mal par la disparition et la délocalisation de petites entreprises ;

- et de sauver des petites entreprises italiennes dont la taille ne permet pas d'affronter, seules, la récession et la mondialisation.

Cet outil s'inscrit dans la tendance toujours plus marquée des entreprises italiennes à s'orienter non pas vers un « marché de masse » mais vers une « masse de niches » centrées sur la montée en gamme du produit.

B. LES RESSORTS FONDAMENTAUX DE LA RÉUSSITE ITALIENNE : UNE ORGANISATION MOINS GÉOMÉTRIQUE QUE DANS D'AUTRES PAYS MAIS PLUS DE CRÉATIVITE

Comme le signalent les conseillers du commerce extérieurs aux entrepreneurs français souhaitant s'implanter en Italie : « nous avons, en France, souvent une meilleure capacité à prévoir, à programmer l'avenir et donc à nous organiser. Notre expérience des finances ou de la logistique de toute la chaîne est vraisemblablement plus importante. Mais, les italiens, eux, sont souvent d'excellents entrepreneurs, d'excellents commerciaux et des industriels très créatifs et réactifs ». Sur le terrain, la mission a constaté la place centrale qu'occupent les ingénieurs de production dans les entreprises à succès ; ces ingénieurs sont en proximité très étroite avec les commerciaux et restent en permanence à l'écoute des besoins des clients.

Par ailleurs, on a parfois tendance à réduire le design à l'aspect extérieur des objets fabriqués et à son seul apport esthétique. Bien au contraire, comme l'ont souligné les entrepreneurs entendus par la mission sénatoriale, « le design est le moteur » de la conception et de l'innovation : le designer ne dessine pas seulement des objets, il imagine de nouvelles façons de vivre et le processus de production se structure autour de cette orientation.

Selon les trop rares travaux conduits sur ce sujet, le « design thinking », né dans la Silicon Valley, se caractérise par de nouvelles méthodes de résolution de problèmes complexes et par une approche centrée sur l'utilisateur (« Design by the people for the people »). Cette approche implique également la transversalité des métiers et des acteurs de l'innovation: ingénieurs, architectes, managers, sociologues, designers,... tout autant que la transversalité des cultures. En valorisant non seulement les aspects fonctionnels mais également affectifs, le design oriente la production vers un rééquilibrage entre désirabilité, faisabilité technique, durabilité et rentabilité.

CONCLUSION

A l'issue de ce déplacement, la délégation formule trois principales observations et suggestions.

L'Italie du Nord a conservé un socle industriel puissant : l'économie française doit reconstruire le sien après une phase de tertiarisation excessive.

Comme le rappelle le rapport de M. Louis Gallois 2 ( * ) , Commissaire général à l'investissement, le décrochage de l'industrie française, qui s'est amorcé dans les années 1970 s'est accéléré au cours de la dernière décennie, par rapport à l'Allemagne, mais aussi par rapport à la Suède ou l'Italie. La part de l'industrie (hors construction) dans la valeur ajoutée totale, en France, est passée de 18 %, en 2000, à un peu plus de 12,5 %, en 2011, nous situant désormais à la 15 ème place parmi les 17 pays de la zone euro, bien loin de l'Italie (18,6 %), de la Suède (21,2 %) ou de l'Allemagne (26,2 %). La France a ainsi perdu plus de 2 millions d'emplois industriels en 30 ans.

Contribuant à ce déclin, un certain nombre de choix politiques et économiques ont délaissé la cause industrielle au profit d'autres stratégies. En effet, les dernières décennies ont consacré l'avènement d'une société post-industrielle et l'idéologie dominante a incité par la même occasion à mobiliser des priorités budgétaires pour le secteur des services, jugé moins coûteux en investissement et riche en perspectives d'emplois. Au final, ce sous-investissement dans l'industrie s'illustre par une comparaison chiffrée : 34 500 robots industriels, avec une moyenne d'âge élevée, sont en service en France, contre 62 000 en Italie et 150 000 en Allemagne. Cependant, depuis 2008, la crise immobilière, bancaire et financière a mis à mal les fondements de cette stratégie économique en suscitant un intérêt nouveau pour l'industrie, comme socle d'une nouvelle politique économique.

La France semble donc avoir misé de façon un peu excessive sur la tertiarisation de son économie . On constate aujourd'hui, en Italie, que la région Lombarde, qui reste structurellement la région la plus solide d'Italie au plan économique, est aussi la plus industrielle .

Enrichir les représentations économiques parfois trop focalisées sur le modèle allemand.

Encourager le développement des entreprises de taille intermédiaire (ETI) constitue un des axes majeurs de la structuration de notre tissu industriel. Les raisons pour lesquelles les PME françaises grandissent trop rarement pour devenir de véritables ETI sont multiples et le rapport Gallois précité préconise un faisceau d'initiatives publiques favorables à la croissance des petites entreprises en soulignant notamment l'importance des interventions en fonds propres de la Banque publique d'investissement.

On fait souvent observer que les grosses PME exportatrices qui font le succès industriel de l'Allemagne s'y développent au sein d'une communauté d'intérêts entre les entreprises les plus importantes d'un secteur et son écosystème de sous-traitants.

En Italie, la mission a constaté que les « grappes » de micro-entreprises parviennent également à réaliser des performances remarquables à l'exportation. Bien que l'analyse juridique ou organisationnelle des districts puisse présenter un certain intérêt, la mission a constaté sur le terrain que leur socle est avant tout constitué par la force des liens de solidarité familiale et personnelle . L'exemple italien vient donc confirmer l'importance fondamentale de la solidarité du tissu industriel .

En même temps, les limites des districts sont soulignées par les italiens eux-mêmes. En premier lieu, les réseaux de micro-entreprises sont trop dépendants des commandes des grands groupes étrangers. C'est pourquoi les économistes de la Banque centrale italienne estiment qu'il est essentiel, pour préserver l'avenir industriel de leur pays, de développer des grandes entreprises capables de jouer un rôle de « locomotive ». De plus, la logique de transmission familiale des petites entreprises est en train de se fragiliser : en effet, un certain nombre de jeunes aspirent à des modes de vie différents de ceux de leurs parents et ne souhaitent pas reprendre l'activité familiale.

Ces observations amènent à constater la singularité et les spécificités nationales - voire locales - des structures industrielles performantes. Cependant, en Allemagne et en Italie, le facteur commun de cette réussite industrielle réside dans une solidarité qui s'exprime à travers le consensus social allemand ou la force des liens familiaux et personnels italiens. Le modèle français, traditionnellement trop conflictuel au plan social et économique parait cependant susceptible de s'orienter vers une nouvelle voie, encouragée par plusieurs mesures législatives adoptées ou en cours de débat au Parlement, dans laquelle le ressort qui anime l'économie sociale et solidaire pourrait jouer un rôle déterminant.

La compétitivité de la France passe aussi par la créativité et le design

Le rapport Gallois, dont l'objectivité et la pertinence ont contribué à rassembler notre pays autour de l'objectif de réindustrialisation et d'amélioration de la compétitivité comporte des développements qui ciblent, à juste titre, l'impératif de montée en gamme des produits français. Pour y parvenir, ce rapport souligne opportunément la nécessité de favoriser l'innovation et de la recherche-développement, sans pour autant citer une seule fois le mot « design ».

Au cours de son déplacement en Italie, la mission a été frappée de constater à quel point la montée en gamme des produits italiens est liée à une culture de la « beauté du geste industriel » qui imprègne les entrepreneurs quel que soit la taille ou la nature de leur activité. Le design semble ainsi partie intégrante de la « fibre » italienne et de la stratégie offensive des entreprises.

Enseignée dans les grandes universités américaines, comme Stanford, le MIT ou Harvard, l'approche globale du Design qui, aux Etats-Unis s'exprime, par exemple, dans les produits emblématiques de téléphonie mobile, peine à s'imposer en France, alors qu'elle apparait très proche de nos préoccupations d'innovation industrielle, sociale et environnementale. La prédisposition italienne pour fabriquer des objets haut de gamme et innovants est, comme cela a été rappelé à la mission, transmise de génération en génération en Italie et, par ailleurs, on constate, dans ce pays tout comme aux Etats-Unis, une tendance au décloisonnement des matières enseignées, en particulier à l'Université, où les étudiants choisissent couramment de combiner des unités de valeur dans le domaine technique - scientifique ou commercial - et artistique.

Il semble donc plus que jamais nécessaire de mieux articuler, en France, l'industrie et le goût pour l'esthétique, alors même que notre système éducatif a tendance à les séparer, contribuant à la reproduction et à la persistance de cloisonnements hérités du passé.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 26 juin 2013, sous la présidence de M. Daniel Raoul, la commission des affaires économiques examine le rapport d'information sur le déplacement d'une délégation de la commission en Italie, à Milan, les 29 et 30 avril 2013, présenté par M. Martial Bourquin, rapporteur.

M. Daniel Raoul, président . - Je vous propose de procéder à l'examen du rapport d'information sur le déplacement d'une délégation de la commission en Italie, à Milan, les 29 et 30 avril 2013.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Quelques mots, d'abord, pour dire que nous avons été particulièrement bien reçus en Italie du Nord par notre représentation économique qui essaye de pallier son manque de moyens par une très grande compétence et pour mieux situer le but de notre déplacement.

La presse généraliste parle souvent des difficultés politiques de l'Italie mais les instituts d'études économiques spécialisés viennent de rappeler, début 2013, que les régions industrielles du Nord sont le lieu de bonnes pratiques dont la France pourrait s'inspirer. Ces bonnes pratiques démontrent leur efficacité : l'excédent manufacturier de l'Italie atteint 94 milliards d'euros en 2012 alors que la France est déficitaire de 37 milliards d'euros.

Plusieurs explications s'imposent de façon immédiate : l'Italie compte deux fois plus d'entreprises exportatrices qu'en France (205 382 contre 117 106) et la robotisation de son industrie est plus avancée (62 300 unités en Italie contre 34 500 en France). Globalement, la réussite de l'industrie italienne se caractérise par une montée en gamme de ses produits dont les débouchés, en particulier dans le secteur du luxe, sont assez faiblement sensibles aux effets de taux de change et aux prix.

Mais ces considérations générales n'expliquent pas en détail le secret de la réussite des districts italiens. L'idée d'essayer de les acclimater en France n'est pas nouvelle. Dans les années 1990, c'était un concept très prisé des spécialistes du développement local. La Datar avait alors lancé les systèmes productifs locaux (SPL) conçus comme la traduction française des districts à l'italienne, par exemple en Haute-Savoie, dans le Puy-de-Dôme ou en Haute-Vienne.

Le bilan de cette expérience qui s'est accompagné d'une profusion de travaux de recherche, est que nous sommes parvenus à trouver une définition du district : c'est une concentration géographique de petites et moyennes industries (PMI) travaillant en réseau autour d'un produit, d'un métier ou d'une technologie. Cependant, il faut bien constater que l'économie française s'est orientée vers la tertiarisation au cours des vingt dernières années alors que les districts italiens, même s'ils existent aussi dans le secteur agricole, sont surtout remarquables dans le domaine industriel.

Aujourd'hui, dans un contexte économique nouveau, caractérisé en France par un seuil d'endettement public élevé et un déficit extérieur qui limitent les possibilités de relance budgétaire, ce sont les performances industrielles de l'Italie qui justifient un réexamen des facteurs de son succès.

L'élément le plus surprenant, pour ceux qui se réfèrent en permanence au « modèle allemand », c'est que l'Italie parvient à relever le défi de l'exportation et de la compétitivité industrielle en s'appuyant majoritairement sur des micro-entreprises.

Avant notre départ, on ne nous avait pas caché que l'analyse des véritables ressorts de la réussite italienne n'est pas simple. Les publications de nos conseillers du commerce extérieur, qui sont des experts de terrain, signalent de façon très réaliste la difficulté des investigations à travers la « mosaïque italienne » pour deux principales raisons :

- d'une part, l'Italie est un pays complexe, fragmenté, et difficilement « lisible ». Il n'est pas facile d'y trouver des informations fiables et pertinentes pour en tirer une synthèse ou un modèle exemplaire ;

- d'autre part, l'Italie est un pays où les relations personnelles et les multiples réseaux jouent un rôle déterminant. Ces relations de confiance, souvent fondées sur un lien familial, permettent à chaque petite entreprise d'agir non pas en tant qu'entité individuelle mais en tant que composante solidaire d'un ensemble économique. Au-delà des analyses macro-économiques, une économie ne peut pas être comprise si on ne prend pas en compte l'histoire et les personnes.

Nous avons tenté, au cours d'un déplacement de deux jours, bref mais intense, de déjouer les pronostics les plus pessimistes en apportant un regard actualisé sur l'expérience italienne. Pour l'essentiel, je le dis d'emblée, dans le passé, nous avons peut-être trop focalisé notre attention sur les structures et pas assez sur le ressort fondamental que constitue la passion du design appliqué à l'industrie et qui se traduit à la fois, économiquement, par une capacité de monter en gamme et socialement par des emplois plus gratifiants avec l'idée toujours présente de la beauté du produit du geste industriel. Étymologiquement, je rappelle que le mot « design » n'est pas un anglicisme comme les autres puisqu'il provient du latin « designare » qui signifie « dessiner », et renvoie au concept de « signe » ou d'empreinte.

En réalité, je viens en quelques mots de résumer le message essentiel de la première partie du rapport qui constate que les districts industriels du nord de l'Italie réalisent une performance à l'exportation spectaculaire fondée sur une organisation aux antipodes du « modèle allemand ».

Je me contenterai ici de deux observations complémentaires. D'une part, on établit souvent un lien entre la compétitivité d'une économie et la stabilité ainsi que l'efficacité de son environnement institutionnel, normatif et administratif. Or on peut constater que les districts italiens accomplissent des performances à l'exportation en surmontant de nombreux obstacles : la corruption, la complexité et la fragmentation institutionnelle ainsi qu'une réglementation pléthorique. C'est une preuve de la puissance du modèle industriel italien. Par contraste, au cours des entretiens conduits par la mission sénatoriale, des chefs d'entreprises italiens implantés en France ont souligné l'efficacité de l'Etat et du soutien apporté par nos collectivités territoriales aux opérateurs économiques.

Ma seconde remarque est que l'industrie, qui représente le quart du produit intérieur brut (PIB) en Italie et seulement le septième en France, est une force motrice de l'emploi. La Région lombarde a été sévèrement frappée par la crise économique mondiale du fait de son ouverture internationale : son PIB a subi en 2009 un recul de 6,2  %, contre 5,5  % au niveau national, et n'a pas retrouvé par la suite son niveau d'avant-crise. Le taux de chômage a doublé en Lombardie, passant de 3,2  % de la population active en 2007 à 7,1  % l'an dernier, et pourtant ce niveau de chômage est plus bas qu'ailleurs en Italie (10,7  % au plan national).

J'ajoute aussitôt que l'emploi n'est pas seulement une notion quantitative. Nous avons, par exemple, rencontré un entrepreneur qui fabrique des parapluies haut-de-gamme pour le marché du luxe ; son enthousiasme pour son métier est particulièrement frappant et le rend très combatif face aux difficultés, ce qui contraste avec la France.

S'agissant de l'analyse technique des districts, il faut bien avouer que les très nombreux travaux qui y ont été consacrés ont bien du mal à faire émerger des constats et des recommandations très précises. Sur le terrain, trois idées principales se dégagent. La première, c'est la spontanéité du phénomène. On peut le relier à une caractéristique qui a été soulignée lors des réunions : les Italiens comptent plus sur eux-mêmes que sur l'Etat face aux difficultés. L'assurance chômage étant très peu développée, les employés n'ont pas intérêt à s'y inscrire et s'efforcent avant tout de préserver leur emploi. Par-dessus tout, un économiste a insisté sur le socle familial des districts, ce qui renvoie à un système de valeurs partagées par ces communautés transmises de génération en génération : « Les districts sont importants en Italie parce que la famille est importante ».

En second lieu, ces initiatives spontanées bénéficient cependant de soutiens publics et d'un cadre juridique qui se sont développés pour accompagner les districts industriels et les aider à surmonter leurs difficultés. Une loi de 1991 a défini les districts industriels comme des concentrations sur des aires géographiques données d'ensembles de PME. Je signale au passage que le dénombrement des districts n'est pas simple : selon les sources, les chiffres varient entre 100 et 200 sans que soient clairement distingués les districts agricoles, qui correspondent à nos coopératives, et industriels. De façon plus générale, comme l'ont signalé nos interlocuteurs, en Italie, les statistiques « cachent les phénomènes plus qu'ils ne les révèlent », en particulier parce que les moyennes masquent de très fortes inégalités territoriales. Depuis 2009, un certain nombre d'aides ont été mises en place pour relancer les districts, qui ont une base géographique, par des « contrats de réseau », dans une logique de filière. Réseaux et districts ont les mêmes finalités de mise en commun des savoir-faire, de développement de projets marketing, d'investissements dans la recherche, d'exploration de nouveaux marchés et d'accroissement des capacités de financement. Ces modes d'agrégation extrêmement souples permettent aux entreprises de garder leur autonomie ou bien de créer une entité juridique commune, en continuant de bénéficier des mêmes aides fiscales, financières et administratives. Fin 2012, trois ans après leur création, 647 contrats de réseaux, concernant 3 350 entreprises, 6 fondations et 4 associations sont enregistrés. Ces regroupements compensent le faible niveau d'intervention de l'Etat, les aides d'Etat italiennes étant parmi les plus basses de l'Union européenne.

Par ailleurs, je rappelle que l'indemnisation du chômage, réformée en 2012, est quasi inexistante en Italie qui a, en revanche institué depuis 1947, un dispositif non pas d'assurance chômage mais de couverture partielle de la rémunération du salarié qui conserve son emploi et son statut. Cette Cassa integrazione guadagni (CIG) vise à préserver les savoir-faire et les « gestes industriels », ce qui constitue une aide précieuse pour les PMI.

Le troisième constat est celui de la fragilité des districts et des limites de ces réseaux. Tout d'abord, les districts italiens risquent d'être rachetés et absorbés par des entreprises allemandes ou françaises parce que les représentants des jeunes générations ont tendance à vendre l'entité dont ils héritent plutôt que de la reprendre. En second lieu, les districts connaissent des difficultés de financement : les normes européennes limitent les aides publiques et les entités industrielles sont composées d'unités trop petites pour être cotées en bourse. Enfin, l'enseignement professionnel a décliné et on nous a cité le cas d'une entreprise italienne reprise par un groupe allemand qui implante son propre dispositif de formation.

L'avenir, selon les économistes de la Banque centrale italienne, que nous avons entendus, c'est l'accroissement de la taille des entreprises pour atteindre un seuil critique de 50 à 500 personnes. Le but est de faciliter l'accès au crédit bancaire et de financer l'innovation puisqu'à l'heure actuelle, les dépenses de recherche-développement et les dépôts de brevets sont, en Italie, inférieurs à la moyenne européenne. Jusqu'à présent, les aides fiscales à la recherche étaient quasi-inexistantes, mais un dispositif a été mis en place par le Gouvernement de Mario Monti : l'objectif affiché est le doublement de l'effort de recherche qui, en Italie, ne demande qu'à se développer, ce pays possédant des chercheurs extrêmement créatifs. Encore faut-il que la taille des entreprises le permette.

Trois enseignements majeurs, à mon sens, peuvent être tirés de l'ensemble de ces observations.

Tout d'abord, le modèle italien, c'est d'abord la préservation d'une force motrice industrielle, et il nous faut, avant tout, en France, rectifier l'erreur tragique de conception économique qu'est la tertiarisation excessive.

Un récent ouvrage, La crise qui vient : la nouvelle fracture territoriale de Laurent Davezies, publié en octobre 2012, résume le sens général des réalités que nous observons tous sur le terrain en France. La principale difficulté de notre pays, plus encore que la crise économique elle-même, se situe dans la crise des remèdes aux ralentissements structurels ou conjoncturels. Les amortisseurs traditionnels sont en panne. Pour s'en convaincre, il suffit de rappeler que le choc sur l'emploi qui est intervenu de 1992 à 1994 a été aussi important que celui que nous connaissons depuis 2008 mais, il y a 20 ans, 40  % des pertes d'emplois salariés privés ont pu être compensées par des créations d'emplois publics et dans le secteur des services. Aujourd'hui, dans un contexte de croissance molle et avec une dette publique écrasante, l'industrialisation et le « redressement productif » de la France apparaissent comme la seule et unique voie permettant le maintien du modèle social français ;

Le second enseignement de l'observation du cas italien, c'est que cette réindustrialisation, qui est le défi majeur de notre pays, fait l'objet de représentations économiques qui doivent être perfectionnées. Certains se focalisent, par exemple, sur le « modèle » allemand et en tirent la conclusion que la seule et unique voie est celle de l'accroissement de la taille de nos PME. C'est en partie vrai, mais l'Italie du Nord illustre également la possibilité d'asseoir une force industrielle très offensive à l'exportation sur des micro-entreprises organisées en réseaux géographiques - c'est la définition des districts italiens- mais aussi en réseaux conçus dans une logique de filière.

Cependant, il ne suffit pas de coopérer pour réussir. Dans les années 1970, l'économie italienne était spécialisée dans le moyen de gamme, ce qui aurait pu se révéler fatal. Puis les entreprises ont réagi à la montée des productions des pays émergents en recherchant des petits marchés de niche qui restent en dehors de la cible de la Chine et du Brésil. Les districts ont ainsi pu capturer la valeur ajoutée dans des secteurs haut de gamme peu exposés à la concurrence. L'Italie est aujourd'hui leader dans 250 marchés alors que la France concentre ses performances les plus remarquables au niveau mondial sur quelques secteurs comme l'aéronautique ou le ferroviaire. En tout état de cause, c'est le moyen de gamme qui reste le compartiment le plus fragile.

Le secret de la réussite italienne n'est donc pas seulement « organisationnel » et les « multinationales de poche » ne sont pas l'alpha et l'oméga de la compétitivité. Le principal ressort, c'est la culture italienne de la créativité et du design appliqué à l'industrie. L'ingénieur de production a une image valorisée en Italie alors qu'en France, répétons-le inlassablement, les ingénieurs n'hésitent pas à travailler dans la banque ou la finance. En Italie, comme l'ont souligné les dirigeants d'une entreprise de fabrication de meubles, on ne dissocie jamais le design de la recherche. Le design gouverne tout le processus d'innovation ;

Au total, ce déplacement nous invite à mieux hiérarchiser les ressorts fondamentaux de l'activité créatrice d'emploi et ses freins. Contrairement à certaines affirmations, on peut avoir en France un environnement plus propice à la création de valeur et hisser nos produits au plus haut niveau.

Ce que je retiens surtout de cette mission, c'est que nous avons beaucoup à apprendre de cette volonté de produire et de cette habitude de coopérer, malgré les difficultés liées à la crise.

M. Jean-Jacques Lasserre . - J'ai été surpris par les performances de ce réseau de petites PME-PMI, qui pratiquent une solidarité sans angélisme. Si leur modèle a des limites liées à la petite taille des entreprises et à leur dépendance à l'égard de la famille, il engendre de l'imagination et une volonté d'entreprendre. Les petites structures trouvent avec l'arme du design une réponse au défi lancé par les grandes entreprises. Ils comptent plus sur eux-mêmes que sur l'aide de l'Etat mais envient les relations institutionnelles et les soutiens publics qui existent en France. Il faut se demander comment on pourrait combiner ces deux systèmes ?

M. Jackie Pierre . - Les petites entreprises ont créé une dynamique pour réussir : par exemple, le marchand de parapluies que nous avons rencontré parvient ainsi à exporter tout en fixant des prix élevés et la qualité des produits est ici primordiale. En même temps, les entrepreneurs comptent surtout sur eux-mêmes et sur leur famille.

M. Bruno Retailleau . - Le rapport qui vient d'être présenté illustre le fait que les mentalités, qui ne peuvent pas être transformées aisément, précèdent et gouvernent les structures économiques. Alors qu'on a tendance à souligner le contraste entre les systèmes allemand et italien, j'y vois des points communs avec l'importance de la famille qui apporte une vision de long terme, ainsi que dans la décentralisation qui permet de donner plus d'agilité aux entreprises sur les territoires. Une différence entre les entreprises françaises et celles de ces pays réside dans le taux de marge, qui est de l'ordre de 27  % en France, 38  % en Italie et plus de 40  % en Allemagne : or le taux de marge est essentiel pour permettre l'investissement, la prise en compte du progrès technique et donc la compétitivité.

M. Marc Daunis . - Comme nous l'avions vu à Sofia Antipolis avec la mission sur la désindustrialisation, les systèmes productifs locaux diffusent une culture du maintien des savoir-faire locaux. Par exemple, dans le textile, la conservation d'un axe stratégique sur la recherche et la délocalisation de la partie de la production qui représente le moins de valeur ajoutée permettent de maintenir une marge assez importante. Par ailleurs, je ne crois pas qu'il y ait de « modèle » allemand ou italien. En revanche, nous pouvons tirer certaines leçons de l'expérience de ces pays : la priorité à l'appareil industriel de production ou l'ancrage dans le territoire. Je constate toutefois que des grandes entreprises italiennes s'efforcent de créer des centres de recherche en France. Enfin, nous avons sous-estimé l'importance du design en France et devons désormais le mettre en avant dans nos pôles de compétitivité. Il s'agit d'adapter les ruptures technologiques aux attentes des utilisateurs.

Mme Élisabeth Lamure . - Je voudrais savoir si vous avez eu le sentiment que les industriels et les consommateurs italiens étaient attachés au « made in Italy » : certains produits sont en effet s'affichent comme « Designed in Italy », mais fabriqués en Chine. Et pour revenir à l'exemple du fabricant de parapluies, je veux souligner que le même enthousiasme existe chez de nombreux entrepreneurs français !

Mme Mireille Schurch . - Chaque district se limite-t-il à une seule filière ? Nous avons perdu cette force en France, où les PME d'un même secteur sont implantées partout sur le territoire. Qu'en est-il de la situation dans le sud de l'Italie ? Pouvez-vous nous dire si le modèle de ces districts est pérenne ? Je souhaiterais également savoir comment ces petites entreprises exportent alors que les nôtres n'y parviennent pas : est-ce seulement une question de design ou disposent-elles de liens avec les grandes entreprises ? Enfin, quelles sont les conditions de travail dans ces entreprises, qu'il s'agisse du salaire minimum ou des procédures de licenciement ?

M. Bruno Sido . - Je note cette volonté de continuer à s'industrialiser et m'interroge également sur la pérennité de ces entreprises familiales, ainsi que sur l'organisation sociale : la réglementation du travail est-elle importante, les contrats sont-ils à durée indéterminée ? Enfin, quelle est la validité des statistiques dont nous disposons sur ce pays ?

Mme Renée Nicoux . - Je suis un peu surprise car l'économie italienne, dans son ensemble, est encore plus en difficulté que celle de la France. Quel est le poids de l'économie parallèle ? Je crois, moi aussi, qu'il ne faut pas nécessairement chercher à copier les « modèles » italien ou allemand : un article récent indique que 70  % des chômeurs allemands vivent en-dessous du seuil de pauvreté. Il faut toutefois s'inspirer de ce qui fonctionne bien.

M. Ladislas Poniatowski . - La comparaison avec la France est intéressante. Vous avez évoqué le régime d'indemnisation du chômage, mais avez-vous des éléments sur les autres charges des entreprises ? Un rapport récent a ainsi montré que la différence de charges est responsable d'une partie de la différence de prix des médicaments entre la France et l'Italie : ne s'agit-il pas de l'une des raisons du dynamisme italien ?

M. Roland Courteau . - Quels sont les points forts que les Italiens admirent chez nous ? Le prix de l'énergie est-il l'un des éléments de leur compétitivité ? Quel est enfin le rôle de la formation professionnelle ? Chez Airbus, par exemple, de nombreux sous-traitants ont du mal à recruter alors le secteur est créateur d'emplois.

M. Daniel Raoul, président . - Les dernières ruptures technologiques n'ont pas été prises en compte dans la formation.

M. Martial Bourquin . - Je rappelle tout d'abord que notre déplacement n'a duré que 48 heures et pour apporter des réponses précises aux nombreuses questions qui ont été soulevées sur le cas italien, il faudrait nécessairement une immersion plus longue dans ce pays et des études approfondies. Nous avons tout de même eu la chance de bénéficier, pendant ces deux jours, de la compétence de notre représentation économique : elle nous a permis de rencontrer des interlocuteurs qui ont pu établir des comparaisons entre le système italien et le nôtre. Je rappelle d'abord que la métropole milanaise est la deuxième d'Europe et qu'elle se caractérise par son ouverture internationale. En second lieu, l'Italie ne produit quasiment pas d'énergie et celle-ci coûte environ deux plus cher qu'en France : c'est un sérieux handicap pour l'économie italienne. Par ailleurs, en ce qui concerne le coût du travail, les entrepreneurs qui ont exercé leur activité à la fois en France et en Italie ont indiqué que les charges globales pesant sur les entreprises étaient de 10 à 15  % plus élevées en France dans l'industrie lourde, mais comparables dans l'agroalimentaire ou la pharmacie. En revanche, ils ont souligné que, pour les entreprises, l'accompagnement des pouvoirs publics était bien meilleur dans notre pays.

Il a également été souligné à très juste titre par Jean-Jacques Lasserre que la solidarité, en Italie, est une nécessité économique, compte tenu du faible niveau d'intervention de l'Etat. Par ailleurs, il n'y a pas en Italie de salaire minimum ni de système d'allocation chômage comparable au nôtre. Les salariés italiens sont indemnisés tout en conservant leur emploi lorsque leur entreprise est en période de sous-activité. On estime également que l'économie parallèle représente, en Italie, environ 20  % du PIB contre 10  % en France.

Par ailleurs, la banque centrale italienne s'interroge sur la pérennité des districts et des réseaux italiens de micro-entreprises en soulignant la nécessité de financer la recherche-développement. S'agissant des performances de l'industrie italienne à l'exportation, il convient d'abord de rappeler la présence d'une importante diaspora italienne à l'étranger. D'autre part, l'exportation est un impératif pour l'industrie de ce pays, compte tenu de l'insuffisante solvabilité du marché intérieur. En ce qui concerne le « made in Italy », les italiens y restent attachés mais s'efforcent avant tout de conserver la maîtrise du design. Il faut avant tout insister sur la culture et la famille qui sont les deux caractéristiques essentielles du système italien : toute la question est de savoir comment pourra évoluer ce dernier puisqu'on nous a indiqué que l'Italie manque de jeunes repreneurs des structures traditionnelles. En revanche, on constate dans ce pays un réflexe qui consiste à se tourner vers la production industrielle de valeur et une prédilection générale pour l'acte productif et la beauté du geste qui fait un peu défaut en France.

S'agissant de la question des taux de marge évoquée tout à l'heure, je rappelle qu'on a traité l'industrie en France dans les années 1970 en distribuant des revenus aux actionnaires sans tenir suffisamment compte de la nécessité de réinvestir. L'innovation est une composante essentielle de l'avenir de notre économie et je fais observer que même si les italiens ne déposent pas autant de brevets qu'ils le pourraient, pour économiser le coût important de la procédure, ils introduisent en permanence des innovations dans leurs produits.

En fin de compte, je rejoins ceux qui estiment préférable de parler d'exemple italien ou allemand plutôt que de « modèle ». Il est vain d'essayer de transposer des schémas en oubliant qu'ils sont avant tout déterminés par facteurs historiques et des spécificités nationales mais il est cependant utile de s'inspirer des bonnes pratiques et, de ce point de vue, la coopération des entreprises, l'affinité pour l'acte productif et le design ainsi et surtout que la montée en gamme méritent d'être soulignés à travers l'expérience italienne. J'ajoute aussi que la centralisation étatique que nous avons connue en France depuis la Libération avec une concentration des moyens sur l'objectif de développement d'une quarantaine de grands groupes champions au niveau mondial doit aujourd'hui être complétée par une attention toute particulière pour les territoires. Il faut que nos PMI soient soutenues pour y trouver un environnement favorable à leur croissance et pour devenir le fer de lance de notre réindustrialisation.

ANNEXE 1
COMPOSITION DE LA DÉLÉGATION

La délégation était composée de :

- M. Martial Bourquin (SOC - Doubs) ;

- M. Jean-Jacques Lasserre (UCR - Pyrénées Atlantique) ;

- M. Gérard Le Cam (CRC - Côtes d'Armor) ;

- M. Jackie Pierre (UMP - Vosges).

ANNEXE 2
PROGRAMME DU DÉPLACEMENT

Lundi 29 avril :

4h15 : Départ du Sénat pour Milan

8h45 Arrivée de la délégation à Milan

Accueil de MM. Joël Meyer, Consul Général de France à Milan, Marc Maupas-Oudinot, ministre conseiller pour les affaires économiques et Mme Camille Einhorn, responsable d'études au Service économique régional

10h00 Mairie de Milan - M. Franco D'Alfonso , adjoint au Maire chargé des activités productives, Mme Cristina Tajani , adjointe au Maire chargée des politiques pour le travail, le développement économique, l'université et la recherche, M. Alessandro Pollio , directeur général pour les activités productives et M. Roberto Santaniello , directeur des relations internationales

11h45 Entretien avec M. Giacomo Vaciago, professeur d'économie

13h00 Déjeuner avec quelques Conseillers du commerce extérieur de la France (CCEF)

15h30 Entretien avec M. Federico Bega, responsable du service Zones stratégiques et marchés prioritaires de Promos (Agence pour les activités internationales de la Chambre de commerce de Milan), et Mme Federica Villa , Responsable Présidence et Relations institutionnelles de la Chambre de commerce de Milan

17h00 Entretien avec M. Giuseppe Sopranzetti, directeur de la Filiale Lombardie de la Banque d'Italie , Economie régionale

19h00 Apéritif à l'invitation de M. Joël Meyer, Consul général de France à Milan.

Mardi 30 avril :

9h00 Entretien avec Mme Teresa Gargiulo, directrice du centre d'études et des politiques industrielles et M. Nicola Orsi, directeur des relations institutionnelles, Federlegno-Arredo, fédération professionnelle des entreprises du bois et d'ameublement

10h15 Entretien avec M. Bruno Dapei, président du Conseil de la Province de Milan, M. Giuseppe Marzullo, président de la commission pour l'emploi de la Province de Milan, M. Paolo Giovanni Del Nero , Assesseur de la Province de Milan, délégué à l'industrie, aux petites et moyennes entreprises, à l'artisanat, au commerce et à la formation professionnelle

12h30 Déjeuner avec des chefs d'entreprises italiens

15h00 Visite de l'entreprise italienne Francesco Maglia (usine de parapluie)

16h15 : Départ de Milan


* 1 Cf. Annexe 1 : Composition de la délégation de la commission.

* 2 Pacte pour la compétitivité de l'industrie française - Rapport au Premier ministre - 5 novembre 2012

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