C. UNE PRÉSENCE MILITAIRE FRANÇAISE EN AFRIQUE D'ABORD AU SERVICE DES AFRICAINS

1. Des points d'appuis irremplaçables pour protéger nos intérêts de sécurité, qui sont aussi ceux des Africains et des Européens
a) Une présence qui conditionne réactivité, proportionnalité et autonomie de la réaction

Nous voulons souligner la pertinence, pour la défense de nos intérêts y compris de sécurité, qui sont aussi ceux de l'Europe, aussi bien que pour préserver la libre disposition d'eux-mêmes des peuples des États sahéliens, d'avoir un dispositif pré positionné en Afrique.

Ces points d'appui nous confèrent 2 atouts majeurs :

- une position unique en Afrique, qui nous confère un atout incontestable aux yeux de nos partenaires dans les relations internationales, que ce soit avec les organisations africaines régionales ou continentales, mais également avec nos partenaires bilatéraux, (États-Unis, Canada, Royaume-Uni) et au sein des organisations comme l'ONU ou l'Union Européenne. Militairement, la France est crédible en Afrique et notamment en Afrique de l'Ouest dès lors qu'il s'agit de défendre la liberté des peuples ; la France est écoutée, la France est attendue.

- cette présence militaire nous donne, si les États concernés en formulent la demande, une liberté d'action politique avec des forces aguerries et acclimatées, immédiatement déployables, à proximité des foyers de crise.

Les 5 piliers du dispositif militaire français en Afrique

1) le réseau des attachés de défense (29 attachés de défense et 22 attachés de défense non-résidents, qui nous permet d'être présents dans 54 États africains ) ;

2) le dispositif de coopération de la DCSD (une centaine de coopérants = formation de l'ordre de 50 000 hommes chaque année) ;

3 ) les accords de défense et de coopération ( 8 accords de partenariat de défense (Cameroun, Centrafrique, Comores, Côte d'Ivoire, Djibouti, Gabon, Sénégal, Togo) et 16 accords de coopération ) ;

4) le dispositif des forces de présence et des forces de souveraineté (la Réunion) ;

5) une partie de nos déploiements en OPEX .

Il nous apparaitrait dangereux de céder à ce que nous appelons la « tentation du hors sol », (qui résulterait, en fait, de contraintes budgétaires) et qui consisterait à considérer que des capacités de transport stratégiques rendraient désormais caduque la nécessité de disposer d'une empreinte au sol à proximité des zones de crise, et particulièrement au Sahel et en Afrique de l'Ouest.

Cela pour plusieurs raisons :

D'abord, plus la réponse militaire est rapide , plus elle est efficace et surtout proportionnée . Plus l'intervention tarde, plus son niveau de violence (et son coût) sont élevés. C'est la fameuse image du départ d'incendie, qu'on peut arrêter en jetant un verre d'eau si l'on est à côté, mais qui nécessitera de lourds moyens si on laisse le feu s'étendre.

Ensuite, seule la présence sur zone dans la durée permet la connaissance fine des hommes et du terrain propre à garantir le succès de l'action et, là encore, sa juste proportionnalité dans les moyens engagés. Si les forces françaises ont en la matière une véritable expertise, c'est naturellement en raison de l'excellente formation de leurs officiers mais aussi de leur connaissance des sociétés du continent africain, de leurs histoires et de leurs cultures, que leur confère cette proximité du terrain. Disposer de troupes aguerries et acclimatées est un atout irremplaçable. À cet égard, vos rapporteurs saluent, outre l'habileté de la manoeuvre et le courage de leur engagement, la modération du feu dont ont su faire preuve nos forces lors de l'opération Serval, qui a caractérisé un style de combat « à la française 142 ( * ) » qui a fait l'admiration de nos partenaires.

Le vieil adage suivant lequel toute guerre commence et se termine au sol conserve à notre sens toute sa réalité, même si le risque de l'enlisement doit être toujours pesé et circonscrit : les stratégies contre-insurrectionnelles doivent être laissées aux forces autochtones autant que possible. Le scénario décrit comme celui du « pas vu pas pris », d'une intervention exclusivement aérienne, qui minimise l'exposition au sol et le risque de pertes difficilement supportables pour des opinions publiques « fatiguées » des interventions extérieures, n'est sans doute approprié qu'à certaines situations bien particulières et ne saurait être considéré comme le schéma général de toutes les interventions futures.

Enfin, la première mission d'une armée est de protéger nos concitoyens ; ils sont nombreux dans la région, nous l'avons déjà dit.

Serval a montré que la France avait besoin de ses points d'appui en Afrique, besoin d'une empreinte au sol . Nous estimons donc qu'une présence pré positionnée en Afrique de l'Ouest, avec l'accord des États concernés, reste indispensable, en complément du dispositif d'alerte Guépard qui montré toute sa pertinence, et que cette présence doit avoir suffisamment d'épaisseur pour permettre, le cas échéant, d'entrer en premier.

Même si c'est toujours dans le cadre de la légalité internationale, et le plus souvent possible avec nos alliés, (internationaux, dans le cadre de l'ONU, européens, ou régionaux), nous devons aussi être capables d'agir, au Sahel, seuls , en totale autonomie, et ce d'autant plus que nous sommes confrontés à la situation qui résulte du « pivotement » stratégique américain vers l'Asie 143 ( * ) , à la contraction généralisée des budgets de défense en Europe et à la faiblesse de la réponse des autres Européens face aux crises qui secouent la région.

Serval rompt de ce point de vue la logique des précédents engagements, effectués en coalition derrière les États-Unis, comme l'Afghanistan, et marque le retour à une autonomie de décision, qui nécessite une autonomie de moyens. À cet égard, la question des trous capacitaires de nos forces (transport, ravitaillement, observation...) ayant déjà été largement débattue, nous n'y revenons ici que pour souligner sa souveraine importance .

b) Passer d'un réseau hérité des interventions passées à l'affirmation assumée d'une protection des intérêts de sécurité de la France, des États du champ et des pays européens eux-mêmes

La présence militaire française en Afrique est aujourd'hui peu lisible car elle se décompose artificiellement , pour des raisons historiques et budgétaires, en plusieurs sous-catégories qui empêchent d'avoir une vision globale, alors même que, dans les faits, notre dispositif est souple et que nos « points d'appui » interagissent très étroitement, les uns comme les autres étant en mesure de détacher des moyens au profit d'une autre zone, en fonction de la localisation et de l'intensité d'une crise :

- Tchad pour la RCA et le Mali,

-  Gabon pour la RCA,

- Serval qui a ponctuellement détaché des moyens dans le cadre de la prise en otage du pétrolier Adour dans le golfe de Guinée.

Un des critères de notre dispositif militaire en Afrique est bien sa flexibilité et sa capacité à transférer ses capacités d'un endroit à l'autre de notre zone d'intérêt .

On ne peut donc qu'être frappé du décalage entre la présentation qui est parfois faite de notre dispositif par certains commentateurs et sa grande cohérence opérationnelle.

En Afrique, notre dispositif militaire, de 10 000 hommes environ (sans la Réunion et Mayotte), combine en effet aujourd'hui :

- des forces de souveraineté (La Réunion-Mayotte : les forces armées en zone sud de l'océan Indien (FAZSOI) représentent environ 1 900 militaires des trois armées) ;

- des forces de présence permanente (3 000 environ) qui ont deux statuts distincts : les Forces françaises au Gabon , environ 900 militaires à Libreville, dont 450 permanents, et les Forces françaises stationnées à Djibouti , contingent français numériquement le plus important en Afrique, avec 1 900 militaires, dont 1 400 permanents, qui sont les bases prépositionnés prévues par le Livre blanc de 2008 ; et les Éléments français au Sénégal 144 ( * ) , à Dakar, autour d'un « pôle opérationnel de coopération à vocation régional » de 350 militaires, dont environ 260 permanents ;

- et des opérations extérieures (OPEX), résultant d'opérations « temporaires », pour un total de 6 000 hommes environ (4 200 pour le Mali, 1 000 au Tchad (Épervier) et 1 000 autres entre la Côte d'Ivoire (Licorne et Onuci), la République Centre Africaine, et les dispositifs de lutte contre la piraterie Atalante et Corymbe).

Il faut y ajouter les Forces françaises aux Émirats Arabes Unis , sur la péninsule arabe (700 hommes environ), dans le cadre d'un accord intergouvernemental avec ce pays créant une implantation militaire française permanente.

Sur le plan budgétaire, le coût annuel des forces prépositionnées est de l'ordre de 400 millions d'euros , celui des OPEX (budgété à 630 millions d'euros en 2013) variant, suivant les années, entre 800 millions et un milliard d'euros (comme ce fut le cas en 2011 et comme cela sera vraisemblablement le cas en 2013 compte tenu de Serval, dont le coût de 400 millions d'euros aujourd'hui, pourrait s'élever à 550 ou 600 millions d'euros sur l'année).

Carte n° 15 : Présence militaire en Afrique (prépositionnement et OPEX)

Source : état-major des armées

Ces différences de statut, auxquelles correspondent aussi des différences de mode de financement (les OPEX ayant un mode de financement particulier) sont le résultat de l'histoire mais nuisent un peu, aujourd'hui, il faut bien le dire, à la compréhension globale et à la lisibilité de notre dispositif.

La réalité, c'est que rien n'aurait été possible au Mali sans « Licorne » (450 personnes), sans « Épervier » (950 militaires), sans « Sabre » (forces spéciales). Aucun de ces dispositifs ne figure pourtant expressément au rang des bases prépositionnées du Livre blanc de 2008, qui ne prévoyait qu'une base par façade maritime africaine.

Prenons l'exemple du Tchad , échelon aérien lourd dans notre dispositif militaire en Afrique, qui est bien souvent présenté comme la rémanence d'une ancienne OPEX (remontant à 1986 pour Épervier, mais aux années 1970 pour la première intervention française sur le sol tchadien) ce qu'il est en effet sur le plan budgétaire. N'est-il pas plus pertinent aujourd'hui de le considérer comme un point névralgique pour la défense de nos intérêts de sécurité , à l'heure où le sud Libyen se fragilise et où les connexions se densifient entre les terrorismes, du Nord Sahel à la Corne de l'Afrique, du Maghreb à l'Afrique sub-saharienne ?

N'est-il pas un pivot tout à fait central au coeur de la bande sahélo saharienne ?

Cette catégorisation éclatée prête donc le flanc à la critique et nourrit l'idée (fausse) que nos points d'appui en Afrique seraient un réseau hérité , centré sur le passé, alors que c'est au contraire une présence justifiée par la montée des menaces concernant notre sécurité et celle des Etats alliés, et en particulier :

1- la bande sahélo-saharienne , en raison d'un terrorisme qui s'en prend clairement à nos intérêts ;

2- Le centre Niger, en raison de l'uranium qui en est extrait et qui couvre notamment 30% de nos besoins civils ;

3- Les flux maritimes qui partent du Golfe de Guinée et approvisionnent notre économie : y transitent 30% de nos besoins en énergie fossile. Les autoroutes de la drogue en provenance d'Amérique latine y approvisionnent le marché français (46% des saisies de drogue en France en 2012 provenaient d'Afrique) ;

4- L'Afrique de l'Ouest et le Maghreb, en raison de la densité de la communauté française : la majorité des 200 000 Français en Afrique y est concentrée. Au cours des 5 dernières années , les militaires français ont procédé à une évacuation ou préparé une évacuation de nos ressortissants une dizaine de fois. C'est aussi la région dont la plupart des communautés immigrées en France sont originaires et où elles ont conservé des liens ;

5- Enfin, le golfe arabo-persique , en raison des accords de défense que nous avons avec 3 pays de la péninsule arabique.

Recommandation : Sans doute serait-il souhaitable de mettre un peu de clarté dans les concepts s'agissant de nos « points d'appui » en Afrique (forces de souveraineté, forces pré positionnées, OPEX), pour se conformer à la réalité des intérêts dont nous assurons la défense et briser l'image (fausse) d'un réseau hérité des interventions passées.

2. Un pilotage politique de notre dispositif militaire en Afrique est nécessaire et doit reposer sur des principes clairs
a) Un pilotage politique de haut niveau est nécessaire

Pour fixer les grandes lignes de notre présence militaire en Afrique, un pilotage politique de haut niveau est évidemment nécessaire. Alors que les deux concepts qui définissent l'horizon de notre présence sur le continent (africanisation, européanisation) n'ont pas montré, à ce jour du moins, leur pertinence, et même si la perspective doit en être maintenue , il nous revient de faire des choix politiques clairs, faute de quoi la contrainte budgétaire ne manquera pas de dicter des évolutions « au fil de l'eau ».

Notre dispositif militaire en Afrique ne sera efficace que s'il est souhaité et accepté par les Africains . Ceci suppose de définir nos objectifs au niveau stratégique, de les inscrire, en liaison avec les États concernés, dans une démarche d'approche globale (gouvernance - sécurité - développement) et de nous assurer de la coordination de l'action de l'ensemble des acteurs concernés. Une clarification apparait à ce jour nécessaire, que ne pouvait peut être pas opérer le Livre blanc.

(1) Les deux paradigmes de notre présence militaire en Afrique (européanisation - africanisation) n'ont, pour le moment, pas montré leur pertinence

La doctrine militaire française en Afrique 145 ( * ) s'appuie sur un profond renouvellement des modalités d'intervention sur un continent qui a vu, depuis les indépendances, les forces françaises intervenir une trentaine de fois.

Refusant la position d'un gendarme obligé de l'Afrique , sans pour autant s'interdire d'intervenir lorsque les intérêts français majeurs sont en jeu , la France cherche à s'appuyer désormais systématiquement, dans le cadre de la légalité internationale exprimée par les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU, sur les organisations régionales africaines, et inscrit de plus en plus souvent son action dans un cadre multilatéral.

La reformulation de la politique de sécurité en Afrique, dans la foulée de la création de l'Union africaine et de la conceptualisation par les Africains d'une architecture de sécurité reposant sur des échelons régionaux (la CEDEAO en Afrique de l'Ouest), a donc avant tout consisté à africaniser et si possible à européaniser notre mode d'action, pour le faire sortir d'un tête-à-tête politiquement et économiquement coûteux avec des pays devenus indépendants depuis 1960.

Dès 1997, le concept RECAMP (rétablissement des capacités africaines de maintien de la paix), formulé par le Gouvernement français, transpose la vision française des enjeux de paix et de sécurité sur le continent africain. Articulé autour d'actions de formation, d'entraînement et de soutien à l'engagement opérationnel des contingents africains, il s'appuyait, à l'origine, sur la structure des organisations sous régionales pour développer un dialogue adapté et des cycles d'exercices ayant pour ambition de rythmer la montée en puissance des capacités collectives africaines.

En 2004, le concept RECAMP est révisé en profondeur à la suite de la création de l'Union africaine (UA). Trois ans plus tard, l'Union européenne (UE) définit à Lisbonne un projet de partenariat stratégique avec l'UA, prenant en compte l'émergence d'un échelon continental africain de prévention et de gestion des crises. La France transfère alors la gestion de la dimension continentale du programme RECAMP à l'UE, interlocuteur naturel de l'UA en matière de paix et de sécurité, dans ce qui devient le programme EUROCAMP.

Cette nouvelle posture est réaffirmée dans le discours du Cap du 28 février 2008 dans lequel le Président de la République annonçait que les accords de défense seraient systématiquement renégociés avec les pays partenaires et feraient l'objet d'une transparence totale, ne comportant plus de clause secrète. Ce discours fixe aussi pour objectif prioritaire à la présence militaire française en Afrique l'aide apportée à bâtir un dispositif de sécurité collective , en particulier avec la mise en place des « forces en attente » de l'Union africaine. Au-delà de cet objectif il affirme que « la France n'a pas vocation à maintenir indéfiniment des forces armées en Afrique », ouvrant la voie au rétrécissement, programmé par le Livre blanc de 2008, des forces stationnées sur le continent africain.

Quatre axes ont ainsi été tracés : réduction de la présence militaire française permanente en Afrique, priorité au renforcement des capacités africaines , renégociation des accords de défense, appui sur un cadre multilatéral . Mais ces principes doivent s'adapter avec pragmatisme aux situations créées par l'urgence, ainsi au Mali en janvier 2013.

(2) Les forces pré positionnées en Afrique, un rétrécissement programmé dans le Livre blanc de 2008, un « angle mort » du Livre blanc de 2013

Le Livre blanc de 2008 programmait un rétrécissement de la présence militaire en Afrique, qui n'a pas totalement été mis en oeuvre et qui n'aurait d'ailleurs pas permis, s'il avait été mené à terme, d'intervenir au Mali dans les mêmes conditions.

En 2008, il était en effet affirmé que « La France n'a pas vocation à être militairement présente en permanence sur les mêmes bases . (...) La France procédera donc à la conversion progressive de ses implantations anciennes en Afrique, en réorganisant ses moyens autour, à terme, de deux pôles à dominante logistique, de coopération et d'instruction, un pour chaque façade , atlantique et orientale, du continent, tout en préservant une capacité de prévention dans la zone sahélienne . ». Ne devaient donc être conservés que le Gabon et Djibouti, avec une allusion sans doute au Tchad via la mention de la zone sahélienne.

La création, en marge du Livre blanc, de la base des Émirats Arabes Unis , ainsi que le maintien, vu les circonstances, d'opérations plus anciennes n'ont pourtant pas empêché le mouvement de décrue significative de se poursuivre.

De fait, les forces stationnées en Afrique ont continûment diminué, sans doute plus sous l'effet de la contrainte budgétaire qui se resserrait que de choix politiques clairement formulés . Sur le continent africain, les effectifs des forces françaises s'élevaient à environ 30 000 hommes après les indépendances, à 20 000 dans les années 1970, à 15 000 dans les années 1980, à 10 000 dans les années 1990. Elles s'élèvent à environ 3 000 aujourd'hui (hors OPEX). La décrue a été effective depuis le Livre blanc de 2008, elle a notamment porté sur les Éléments français au Sénégal, avec le repli des forces françaises au Cap Vert.

Graphique n° 16 : Évolution des forces prépositionnées en Afrique

Source : état-major des armées

Le Livre blanc de 2013 ne mentionne que presque incidemment les points d'appui en Afrique, indiquant juste sur le fait que, pour ses interventions, « La France pourra s'appuyer sur des déploiements navals permanents dans une à deux zones maritimes, sur la base des Émirats arabes unis et sur plusieurs implantations en Afrique, dont l'articulation sera adaptée , afin de disposer de capacités réactives et flexibles à même de s'accorder aux réalités et besoins à venir de ce continent et de notre sécurité. ».

Le document n'avance aucun chiffre précis, non plus qu'il ne précise en quoi consistera la « ré articulation » des points d'appui en Afrique.

Le chef d'état-major des armées, l'Amiral GUILLAUD 146 ( * ) , commentait récemment en termes positifs cet état de fait : « Le Livre blanc prend acte de cette nécessité de conserver plusieurs points d'appui en Afrique, sans indiquer combien, de façon à laisser assez de souplesse pour que nous puissions nous déployer aux endroits nécessaires. »

Vos rapporteurs considèrent que cette absence de fixation d'un format et d'une articulation claire mériterait d'être corrigée par un engagement public, dans un contexte de déflation des moyens et des effectifs et d'attrition de la préparation opérationnelle.

Les déflations d'effectifs à réaliser en application du nouveau Livre blanc sont en effet considérables. 24 000 postes seront supprimés en plus des 10 000 restants de la précédente loi de programmation, soit au total 34 000. En outre, 1 000 postes devront être libérés, pour permettre les créations jugées nécessaires dans certains secteurs à développer comme le renseignement ou la cyber défense.

Dans ce contexte, il aurait été judicieux et préférable que le Livre blanc trace des perspectives plus claires pour les points d'appui en Afrique et tire toutes les conséquences des évènements récents, où ils ont montré leur caractère indispensable.

Nous tenons toutefois à souligner deux éléments positifs du Livre blanc qui viendront indirectement conforter (mais sans exclusive) nos points d'appui et nos opérations en Afrique. Le premier est l'acquisition de drones de surveillance Reaper (2 dans l'immédiat, sous réserve de l'approbation du Congrès américain, qui seront vraisemblablement positionnés à Niamey, sur un ensemble de 12 drones 147 ( * ) à venir dans les 6 prochaines années), le deuxième est le renforcement des capacités des services de renseignement et des forces spéciales .

(3) Une attrition de la coopération structurelle en contradiction avec la volonté de développement de capacités africaines de sécurité

Une autre contradiction manifeste entre notre volonté politique affichée (faire émerger des capacités africaines de sécurité) et la réalité de notre action s'observe en matière de coopération militaire structurelle , dont les crédits sont en diminution constante.

Ses orientations sont certes aujourd'hui approuvées par les autorités politiques au niveau ministériel (comme par exemple les nouvelles orientations définies en 2011 autour de priorités géographiques et sectorielles) mais suivant des axes prioritaires d'action qui n'ont pas fait l'objet d'arbitrages en Conseil de défense depuis 2004 148 ( * ) .

Le précédent rapport décrivait la dramatique attrition de ses moyens au cours du temps (laminés entre 2007 et 2010, ses crédits subiront de nouvelles coupes de 2013 à 2015), en termes tant de budget que de coopérants disponibles pour engager des actions pourtant essentielles : on perçoit tout de suite le bénéfice par exemple, que notre pays peut retirer de la formation d'un expert spécialiste de la fraude documentaire dans les pays d'immigration illégale vers la France, ou encore d'un expert spécialiste de la lutte contre les narcotrafics.

Or ce n'est plus aujourd'hui que de 345 coopérants (pour 149 pays partenaires) et 86 millions d'euros dont dispose cette coopération. Le nombre de coopérations a été diminué par dix ces vingt-cinq dernières années.

Sans moyens, peut-on réellement attendre des résultats ?

Dans un contexte budgétaire de rareté des ressources, le pilotage et l'établissement de priorités est d'autant plus nécessaire.

b) Deux principes doivent guider nos décisions
(1) Premier principe : mieux coller à nos intérêts stratégiques

Nous l'avons dit, notre présence militaire en Afrique n'est pas l'héritage dépassé d'un passé révolu. Pour autant, elle pourrait être mieux centrée sur la protection de nos intérêts en matière de sécurité, et sur ceux des pays concernés quand ils en formulent la demande.

Nous avons déjà posé, dans notre précédent rapport, la plupart des questions qui devraient, à note sens, être débattues :

- le centre de gravité (Est-Ouest) de nos points d'appuis est-il bien positionné ? Beaucoup d'effectifs sont aujourd'hui concentrés sur la Corne de l'Afrique et la péninsule arabe, alors que les communautés françaises vivent majoritairement en Afrique de l'Ouest, zone où la menace ne fait que s'aggraver ; de la même façon, le centre de gravité nord-sud parait trop bas sur la façade ouest africaine ;

Effectifs des forces françaises

Ressortissants inscrits

Observations

Sénégal

250 à 350

18 300

+ 5 000 Français non-inscrits

+ Environ 3 500 touristes/ semaine en saison haute

+ Proximité forte des zones de crise au Sahel

Gabon

900 env.

11 000

Base pré positionnée en Afrique de l'Ouest (Livre blanc 2008)

- la pertinence, à côté des bases à effectif important, de « points d'appui » plus légers , du type des Éléments français au Sénégal (250 à 350 hommes), semble démontrée. Faut-il aller, dans la région sahélienne, vers une politique de « nénuphars » s'appuyant notamment, outre le Mali (Serval prolongé), le Tchad (Épervier), échelon aérien lourd qui a montré toute sa pertinence, sur le Niger (opération Sabre et Malibéro des forces spéciales 149 ( * ) , drones...), sur le Burkina Faso, voire sur la Mauritanie ?

- la véritable épopée logistique des troupes et des matériels français de l'opération Serval, depuis Dakar où ils ont été débarqués par le BPC Dixmude jusqu'au Nord Mali, a montré l'importance des ports , pendant que l'Afghanistan nous rappelait les coûts importants d'un désengagement logistique par voie aérienne. Faut-il rééquilibrer en conséquence nos effectifs, par exemple entre Libreville et Dakar ou Abidjan (qui cumule les avantages d'accès simultanés à un port en eaux profondes et à un aéroport) ?

À la réflexion, vos rapporteurs persévèrent dans l'idée que le centre de gravité de nos implantations militaires en Afrique mériterait d'être repositionné : aujourd'hui trop concentré au fond du golfe de Guinée où se trouve la majorité de nos forces (Gabon), il gagnerait à être remonté au Nord. Déséquilibré entre la façade Ouest et la façade Est de l'Afrique (où nous avons 12 avions, 2 groupements tactiques inter armés et 8 hélicoptères, en incluant nos capacités aux Émirats Arabes Unis), il gagnerait aussi à être rebasculé vers l'Afrique de l'Ouest, où sont nos intérêts les plus anciens, et d'abord nos ressortissants. Enfin, au vu notamment de l'expérience réussie des Éléments français du Sénégal, un meilleur ratio pourrait être trouvé entre forces d'action et unités de coopération et de formation.

Recommandation : déplacer vers le Nord et l'Ouest le centre de gravité de nos implantations militaires en Afrique, renforcer notre stratégie d'accès ( port ) et nous appuyer sur des échelons « légers » en nénuphars autour des zones de crise (bande sahélo-saharienne).

(2) Deuxième principe : appuyer par un dispositif global de présence la montée en puissance des architectures de sécurité régionales

La condition de l'acceptation par les Africains de la présence militaire française en Afrique, et donc de sa légitimité, est naturellement qu'elle contribue réellement à la montée en puissance des architectures de sécurité africaines. Une réflexion renouvelée s'impose en la matière : on ne peut à la fois vouloir la consolidation des capacités africaines et ne pas travailler à leur émergence. Ce point est essentiel.

Nous en sommes convaincus : il nous faut mieux articuler géographiquement, organiquement et politiquement, la présence militaire française avec les architectures de sécurité africaines, dont nous devons favoriser et accélérer l'émergence.

Lors du cinquantième anniversaire de l'Union Africaine à Addis Abeba le 25 mai dernier, dont il était le seul invité occidental, le Président de la République François Hollande affirmait : « Je considère que ce sont les Africains qui doivent assurer eux-mêmes la sécurité de l'Afrique. Mais la France est prête à travailler avec les Africains, pour renforcer les capacités d'action, pour doter les armées africaines des moyens de répondre à toutes les agressions. (...) Nous définirons ensemble les formes de la meilleure coopération pour prévenir et traiter les conflits, et pour lutter partout contre le terrorisme. »

Le Président sénégalais Macky SALL ne dit pas autre chose lorsqu'il affirme 150 ( * ) : « Le moment est venu que les États-Unis soient à nos côtés, comme la France l'est, pour que l'Afrique se donne les moyens de réagir de façon autonome quand le besoin s'en fait sentir (...). Il n`est pas acceptable que nous appelions des soldats européens pour venir régler des problèmes sur notre territoire ».

L'adosser à la montée en puissance des capacités africaines, c'est une condition décisive pour une bonne acceptation par les Africains de notre présence militaire en Afrique, la première étant évidemment l'expression de la volonté des États concernés.

Dans ce contexte, on pourrait imaginer la constitution de deux pôles de présence militaire française spécifiquement dédiés à la coopération avec les organisations régionales (CEEAC 151 ( * ) et CEDEAO), à, respectivement, Libreville (qui pourrait être redimensionné à la baisse, sur le format qui prévaut aujourd'hui pour les éléments français du Sénégal) et Dakar (qui pourrait être renforcé).

Recommandation : Mieux articuler la présence française avec les échelons régionaux des forces africaines, avec deux pôles dédiés à la coopération à respectivement Dakar (CEDEAO) et, sur le même format, à Libreville (CEEAC), afin d'appuyer la montée en puissance des capacités africaines.

(3) Tentative de redéfinition de la présence militaire française en Afrique

En appliquant les principes définis ci-dessus, vos rapporteurs ont tenté de faire émerger, au cours de leurs entretiens 152 ( * ) ce que pourrait être, demain, notre présence militaire en Afrique.

Cet exercice a pour seul objectif de lancer le débat, dans la perspective notamment du sommet de décembre consacré à la sécurité, et ne constitue pas une réflexion totalement aboutie. Il reste naturellement conditionné à l'accord des pays africains concernés, matérialisé par les accords de défense qui nous lient à eux.

Il ne faut pas réduire notre présence militaire en Afrique. Elle répond, nous l'avons dit, à l'intérêt des pays concernés et à un souci de sécurité qui déborde le cadre de nos intérêts stratégiques et intéresse aussi bien les pays du Magrheb et le l'Afrique de l'Ouest que les pays européens. La montée en puissance de capacités africaines reste notre objectif à long terme.

Nous avons besoin d'une vision de long terme reposant sur l'intérêt des pays africains aussi bien que sur les nôtres propres.

La présence militaire française en Afrique pourrait s'articuler autour de :

- 2 pôles opérationnels de coopération (désignés POC sur la carte ci-après) spécifiquement dédiés à la coopération avec les organisations régionales africaines (CEEAC 153 ( * ) et CEDEAO), à, respectivement, Libreville (allégé) et Dakar (renforcé) ;

- 3 bases opérationnelles avancées (désignées BOA sur la carte ci-après) Abidjan, Djibouti et les Émirats :

Côte d'Ivoire : Abidjan, port en eaux profondes stratégiquement situé, pourrait être un point d'appui (commandement- logistique- réservoir de forces) permettant de concourir à la sécurité de l'Afrique de l'Ouest et de la bande sahélo saharienne.

Émirats Arabes Unis : Cette base participerait à la défense du golfe arabo-persique et à la protection de nos ressortissants. Le niveau de forces serait redimensionné pour permettre un strict maintien en condition opérationnelle des matériels. Elle pourrait être renforcée le cas échéant par les moyens de Djibouti.

Djibouti . Cette base serait un point d'appui pour des opérations dans le golfe et l'océan Indien, ainsi qu'un pôle d'influence et coopération avec l'Afrique de l'Est. Les moyens terrestres et aériens conserveraient un niveau suffisant compte tenu de nos accords de défense et pour pouvoir renforcer rapidement le dispositif des Émirats Arabes Unis.

- Un réseau de « nénuphars » (en vert sur la carte ci-après) autour de la zone de crise que constitue aujourd'hui la bande sahélo-saharienne (reposant sur les dispositifs Épervier, Sabre et Serval).

Carte n° 17 : Tentative de redéfinition de notre présence militaire en Afrique


* 142 D'après les termes employés par le général Vincent Desportes lors de son audition par vos rapporteurs

* 143 Rappelons que les Etats-Unis ont apporté un soutien précieux à l'opération Serval qui est détaillé dans le rapport « Mali : comment gagner la paix », de même que, dans un cadre bilatéral, certains Etats membres de l'Union européenne, ou encore le Canada.

* 144 A noter que les EFS n'étaient pas listés par le livre blanc de 2008 comme une base prépositionnée en tant que telle, seuls Libreville et Djibouti ayant ce statut

* 145 Voir à cet égard les deux rapports d'information de la commission sur le sujet : « La politique africaine de la France », M Josselin de Rohan, n°324, 2010-2011 et « La France et la gestion des crises africaines : quels changements possibles ? » n° 450, juillet 2006, MM. Dulait, Hue, Pozzo Di Borgo et Boulaud

* 146 Audition devant l'assemblée nationale le 22 mai 2013

* 147 Pour un montant de 670 millions d'euros

* 148 Source : entretiens conduits par les rapporteurs

* 149 Voir notamment http://www.lepoint.fr/editos-du-point/jean-guisnel/niger-les-forces-speciales-protegeront-les-mines-d-uranium-d-areva-23-01-2013-1619466_53.php et http://www.marianne.net/blogsecretdefense/Que-fait-le-COS-dans-le-nord-du-Niger_a1002.html

* 150 Interview au journal Le Monde le 30 juin 2013

* 151 Communauté économique des États d'Afrique centrale

* 152 Avec l'aide de responsables militaires qu'ils souhaitent ici remercier d'avoir contribué à nourrir leur réflexion

* 153 Communauté économique des États d'Afrique centrale

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