B. QUELLE ARTICULATION ENTRE INTERVENTION DE L'UNION EUROPÉENNE ET INITIATIVES BILATÉRALES ?

Au-delà du projet de garantie pour la jeunesse et du paquet de la Commission dans ce domaine, des États membres ont choisi la voie bilatérale pour tenter de remédier à leurs difficultés. L'Allemagne, dont le succès en matière de lutte contre le chômage des jeunes est statistiquement indéniable, constitue, à cet égard, un partenaire privilégié.

L'Espagne et l'Allemagne ont ainsi signé le 21 mai dernier un accord de coopération dont l'objectif principal est de permettre à 5 000 jeunes Espagnols d'accéder à un emploi chaque année, au travers de la formation professionnelle en alternance allemande ou de l'accès à un poste de travail qualifié en Allemagne. Un tel dispositif vient, de fait, concrétiser une inclinaison espagnole à l'émigration vers l'Allemagne. Fin 2012, 43 458 travailleurs espagnols étaient affiliés au régime allemand de sécurité sociale. 30 000 Espagnols environ se sont installés en Allemagne en 2012, soit 45 % de plus que l'année précédente. Madrid avait, au préalable, lancé un « plan d'entreprenariat et emploi jeunes », inspiré du modèle allemand. Le plan comprend au total 100 mesures, dont l'introduction des « mini-jobs », l'exemption de cotisations sociales ou des déductions fiscales en cas d'embauche d'un jeune chômeur ou d'accès à un premier emploi, des dispositions favorisant l'auto-entreprenariat ou la création d'entreprise et le développement de la formation professionnelle. 28 000 contrats de formation et d'apprentissage ont depuis été signés, 31 000 jeunes devenant auto-entrepreneurs. Si cette initiative est louable, il convient de s'interroger sur la prime accordée à la mobilité. Il existe un risque réel de favoriser un départ des travailleurs plus qualifiés et donc d'affaiblir certains États.

Un accord a également été signé entre le Portugal et l'Allemagne le 22 mai. Il prévoit la création au Portugal d'une banque publique de développement, à l'image de celle créée en Allemagne : la Kreditanstalt für Wiederaufbau (KfW). Cet établissement financier devrait permettre de financer les petites et moyennes entreprises qui recrutent.

Le chômage des jeunes en Allemagne

Établi à 8,1 % des 15-24 ans, le taux de chômage des jeunes allemands est le plus faible de l'Union européenne. Ce taux a été diminué de moitié depuis 2005. Sur 100 jeunes, 44 poursuivent leurs études, 16 sont en formation professionnelle et 31 travaillent. Plus de 1,6 million de jeunes allemands sont actuellement en apprentissage. 60 % sont dans la finance et le commerce et 27 % dans l'artisanat. Sur les 38,7 millions d'actifs, 59 % sont issus de l'apprentissage.

Le système éducatif allemand est dual. À côté de l'enseignement général, l'Allemagne a mis en place une formation à visée professionnelle qui combine expérience de travail, apprentissage sur le tas et enseignement en classe au sein d'écoles spéciales, les Berufsschulen . Cette voie vers la professionnalisation est choisie à la sortie de l'école primaire. L'enseignement professionnel implique, en outre, entreprises et syndicats. Le dialogue avec les partenaires sociaux a notamment permis d'actualiser régulièrement les formations pour chaque type de qualification : durée d'apprentissage, rémunération, contenu des enseignements et nature de l'examen final. Les qualifications des enseignants sont dans le même temps régulièrement contrôlées. Ce sont ces acquis du système dual allemand qu'il convient de valoriser au niveau européen.

Le taux de chômage des jeunes réduit ne saurait néanmoins masquer une réalité démographique : le nombre de jeunes de 15 à 24 ans qui s'établissait à 10 millions de personnes en 2005, est aujourd'hui en-dessous de 9,5 millions. Le taux national occulte, par ailleurs, de profondes disparités entre les Länder . Si en Bavière ou au Bade-Wurtemberg le taux de chômage des jeunes tourne autour de 5,5 %, il dépasse 13 % dans le Brandebourg ou à Berlin. La précarisation importante du marché du travail est également un des corollaires de ce faible taux de chômage des jeunes.

L'apprentissage est par ailleurs sujet à critiques outre-Rhin, un quart des jeunes qui suivent une telle formation l'abandonnent avant la fin. L'apprentissage concerne, en outre, des professions qui n'offrent pas toujours de réels débouchés. Enfin, le nombre de place d'apprentis tend également à diminuer.

Les accords de coopération signés avec l'Espagne et le Portugal tentent de répondre au vieillissement de la population active et à l'absence de relève. 6,5 millions d'actifs devraient ainsi prendre leur retraite d'ici à 2030. Le manque de main d'oeuvre est particulièrement sensible dans les domaines de l'ingénierie, de la médecine, de la physique et de l'hôtellerie.

Prenant acte de ces accords, le président du Conseil européen a salué, dans un courrier adressé aux chefs d'États et de gouvernements européens le 24 mai dernier, l'intérêt des Etats membres pour la question du chômage des jeunes. Il a néanmoins rappelé que cette problématique méritait un traitement européen, craignant implicitement que la multiplication des initiatives bilatérales ne trouble la lisibilité de l'action de l'Union européenne dans ce domaine.

La France et l'Allemagne ont dépassé cette logique bilatérale en proposant, le 28 mai dernier, un New Deal pour l'Europe, avec pour objectif d'établir un partenariat public-privé contre le chômage des jeunes. Ce plan, qui a vocation à compléter le mécanisme de garantie pour la jeunesse, devrait comporter trois axes :

• Permettre aux entreprises qui recrutent des jeunes un accès à des crédits à taux bas. La Banque européenne d'investissement (BEI) pourrait également accorder des crédits aux entreprises qui s'engageraient à recruter ou à former des jeunes. La France préconise ainsi de permettre aux entreprises employant plus de 5 % d'alternants d'avoir accès aux financements de la BEI ;

• Renforcer l'apprentissage en entreprise, en mettant en oeuvre un programme de type Erasmus en faveur de l'alternance. Il prendrait le relais des bourses Leonardo qui existent déjà en matière d'apprentissage. Le nouvel Erasmus + constitue un cadre idéal pour la mise en place de ce programme ;

• Aider les jeunes à créer leur propre entreprise.

La France souhaite qu'une partie du produit de la taxe sur les transactions financières, qui pourrait être mise en oeuvre au sein de onze États membres, soit dédiée au financement de ce plan.

La réunion des ministres de l'Emploi et du Travail de l'Union européenne, prévue le 3 juillet à Berlin, présidée par le Président de la République et la chancelière allemande, a permis de réaffirmer ces objectifs, désormais formalisés dans une « feuille de route ». Elle a également été l'occasion d'évaluer les dispositifs et les pratiques mis en place dans chacun des États membres. Elle avait été précédée de deux rencontres, le 14 juin à Rome et le 19 juin à Madrid réunissant les ministres de l'Emploi et du Travail allemand, espagnol, français et italien. Une nouvelle réunion devrait être organisée d'ici à la fin de l'année à Paris afin de mesurer les progrès déjà accomplis en vue de mettre en oeuvre ces pistes de travail.

Les conclusions du Conseil européen des 27 et 28 juin 2013 insistaient également sur le rôle de la BEI dans la lutte contre le chômage des jeunes via son initiative « Des emplois pour les jeunes » et son programme « Investir dans les compétences ». L'utilisation des fonds de la Banque européenne d'investissement n'est, cependant, pas sans susciter d'interrogations. Le Pacte de croissance signé par les États membres en juin 2012 a permis d'augmenter son capital de 10 milliards d'euros. La BEI peut désormais lever un peu plus de 60 milliards d'euros pour financer de nouveaux prêts d'ici à 2015, dont une partie pourrait se concentrer sur les petites et moyennes entreprises. En France, la Caisse des dépôts et consignations jouera le rôle de guichet pour accéder en régions à ces crédits. La capacité d'octroi de prêt de la BEI était jusque-là d'environ 50 milliards d'euros par an. Reste que le président de la Banque lui-même craint que les attentes à l'égard de son établissement dans la lutte contre le chômage des jeunes soient au-delà du possible.

La Banque européenne d'investissement

La Banque européenne d'investissement (BEI) est l'institution de financement à long terme de l'Union européenne. Elle octroie des prêts et garanties. Ses interventions permettent d'attirer des financements d'autres sources, en particulier des ressources provenant du budget de l'Union européenne. Elle apporte également une aide sur le plan des capacités administratives et de la gestion de projets de manière afin de faciliter la mise en oeuvre de l'investissement.

Ses priorités d'intervention vont au soutien des entreprises, en particulier les PME, mais aussi à la correction des déséquilibres économiques et sociaux entre les régions, à la protection et à l'amélioration de l'environnement naturel et urbain. Elle entend également promouvoir l'innovation, relier les infrastructures régionales et nationales de transport et d'énergie et soutenir un approvisionnement énergétique durable, compétitif et sûr.

Doté d'un capital de 232 milliards d'euros, le montant des prêts octroyés en 2012 représentait 52 milliards d'euros.

Afin de compléter ce soutien de la Banque européenne d'investissement aux petites et moyennes d'entreprises, il conviendrait d'encourager la formation au niveau européen de pépinières d'entreprises favorisant celles qui recrutent justement des jeunes. Elle irait de pair avec l'appel au développement de l'auto-entreprenariat contenu à la fois dans la communication de la Commission sur le chômage des jeunes et l'aide à la création d'entreprise annoncée par le New Deal . La France a également mis en place, au travers du système NACRE, un dispositif qui aide les jeunes sans emploi à créer leur entreprise. Un opérateur d'accompagnement aide ainsi le jeune à monter son projet tant au plan juridique que financier. Un prêt à taux zéro peut ainsi être octroyé et favoriser l'octroi d'un prêt bancaire complémentaire. Un tel système pourrait être décliné à l'échelle européenne.

Il conviendra d'être attentif à la mise en oeuvre de ce New deal . La référence à la politique sociale américaine des années trente est ambitieuse. Le programme américain avait débouché sur le renforcement du fédéralisme et sa déclinaison au plan social. L'hétérogénéité des politiques et des pratiques sociales au sein de l'Union européenne rend, à première vue, difficile une telle évolution. Le Conseil européen des 27 et 28 juin 2013 a présenté, à ce titre, un certain nombre de pistes de travail ambitieuses qu'il s'agisse de la réforme des systèmes d'enseignement et des marchés du travail, de l'amélioration de l'environnement économique des jeunes entreprises ou de l'allègement de la fiscalité sur le travail. Il a néanmoins rappelé que la plupart de ces chantiers étaient de la seule responsabilité des Etats membres, reconnaissant explicitement les limites de l'Union européenne en la matière.

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