PREMIÈRE PARTIE - LE DOPAGE : UN ENJEU ÉTHIQUE ET SANITAIRE

I. LE CONSTAT D'UN PROBLÈME PERSISTANT

A. LE DOPAGE DES SPORTIFS, UNE RÉALITÉ DIFFICILE À COMBATTRE

1. Un phénomène qui traverse l'histoire du sport

L'histoire du dopage, aussi longue que celle du sport, est marquée par des faits divers parfois tragiques qui surgissent de manière récurrente sur la scène de l'actualité sportive.

Quelque douze ans après le malaise de Jean Malléjac durant l'ascension du Mont Ventoux pendant le Tour de France 1955, consécutif à la prise d'amphétamines, la mort de Tom Simpson réveille pour la première fois fortement les consciences et contribue aux balbutiements de la lutte contre le dopage.

Le rapport d'autopsie du coureur cycliste britannique révèle l'absorption d'amphétamines qui, associées à une chaleur et un effort intenses ainsi qu'à une déshydratation accentuée par la consommation d'alcool, ont emmené la capacité thermorégulatrice de l'organisme au-delà de ses limites, provoquant un collapsus cardiaque.

Le décès de Simpson, à l'âge de vingt-neuf ans, intervient une année après le refus des cinq premiers coureurs du championnat du monde de cyclisme sur route de se soumettre à un contrôle antidopage. Il contribue à la mise en place de la commission médicale du comité international olympique (CIO) qui interdit officiellement le dopage. Il débouche également sur l'introduction en 1968 des premiers contrôles antidopage à l'arrivée de chaque étape de la grande boucle.

Bien que le monde du cyclisme admette lui-même l'existence en son sein d'une « culture du dopage » 11 ( * ) spécifique, les autres disciplines sportives ne sont pas épargnées.

En 1988, le sprinteur canadien Ben Johnson pulvérise le record mondial du 100 mètres aux Jeux olympiques de Séoul (9''79), battant Carl Lewis. Sa performance est invalidée quelques semaines plus tard, l'athlète ayant été testé positif au stanozol , un stéroïde anabolisant.

L'ampleur du scandale incite le gouvernement fédéral canadien à installer la commission d'enquête « Dubin » 12 ( * ) sur le recours aux drogues et aux pratiques interdites pour améliorer la performance athlétique. Celle-ci met au jour les responsabilités des différents acteurs impliqués et pointe notamment le retard pris par la fédération d'athlétisme dans la mise en place de tests de détection du dopage. Elle contribue à l'installation de l'agence canadienne antidopage.

Malgré le très fort retentissement médiatique de ce scandale, l'étendue des pratiques dopantes n'est véritablement révélée au grand public qu'à l'occasion de l' affaire Festina ayant touché le cyclisme professionnel en 1998.

Après l'interpellation à la frontière franco-belge du soigneur de l'équipe, Willy Voet, en possession de plusieurs centaines de doses de produits dopants et stupéfiants (EPO, amphétamines, hormones de croissance, testostérone), le directeur sportif de l'équipe, Bruno Roussel, avoue l'existence d'un système organisé d'approvisionnement des coureurs en produits dopants. À la suite de ces révélations et des aveux de plusieurs coureurs, l'équipe Festina est exclue de la compétition. Le 22 décembre 2000, Willy Voet et Bruno Roussel sont condamnés à des peines de prison.

Quasiment concomitant de l'affaire des « veuves du Calcio » 13 ( * ) , le scandale de la Juventus de Turin met au jour, dans un contexte d'hypermédicalisation du football, l'usage d'EPO (érythropoïétine) par plusieurs sportifs du club entre 1994 et 1998.

La relaxe en 2005 de l'administrateur-délégué (Antonio Giraudo) et du médecin du club (Riccardo Agricola) ne remet pas en cause les conclusions des expertises médicales réalisées au cours du procès : au-delà de la pharmacopée impressionnante retrouvée dans l'infirmerie du club (281 sortes de médicaments, parmi lesquels des stimulants, des antidépresseurs ou encore des corticoïdes), des variations anormales des taux d'hémoglobine sont mises en évidence pour plusieurs joueurs. L'expertise du professeur Giuseppe d'Onofrio, hématologue, conclut à l'utilisation quasi certaine d'EPO ou de transfusions sanguines pour deux joueurs (Conte et Tacchinardi) et très probablement pour six autres footballeurs, parmi lesquels le Français Didier Deschamps, dont le taux d'hématocrite a pu atteindre 51,9 %. Ce niveau laisse supposer une stimulation exogène compte tenu des variations importantes des mesures d'hémoglobine 14 ( * ) .

Autre pays européen, autre scandale. Le 23 mai 2006, le médecin Eufemiano Fuentes et un certain nombre de personnalités du cyclisme sont arrêtés par la garde civile espagnole, au cours de l'opération Puerto . Selon des informations concordantes, le milieu du football serait touché par cette affaire et celui du tennis pourrait l'être également 15 ( * ) .

Cette affaire est symbolique d'une extension à la fois géographique et sportive du dopage. Pourtant, il est difficile de réunir de nouveaux éléments, tant la culture du silence semble être consubstantielle à celle du dopage.

2. Le règne de l'omerta, facteur de complexité de la lutte contre le dopage
a) « Le dopage, c'est les autres »

Bien que les travaux de votre commission d'enquête aient parfois incité à une certaine libération de la parole 16 ( * ) , les différentes informations communiquées à votre rapporteur ont confirmé l'existence indéniable et généralisée d'une « loi du silence » entretenue par le monde sportif lui-même.

À tout le moins l'évocation du dopage dans le sport suscite-t-il fréquemment un malaise et, pour reprendre les termes employés par Michel Boyon, le sujet « a toujours été entouré de beaucoup de mensonges et d'hypocrisie » 17 ( * ) .

Marc Sanson, ajoute que certaines fédérations préfèrent s'accommoder de cette omerta « plutôt que de s'exposer à la réalité du problème et à ses conséquences » 18 ( * ) .

Bernard Amsalem va même jusqu'à révéler que « le dopage constitue un sujet tabou entre fédérations . Il ne fait jamais l'objet de débats au CNOSF (Comité national olympique et sportif français ) » 19 ( * ) .

Tout le dilemme du monde sportif, soumis à des enjeux financiers et politiques qui le dépassent, est en effet de devoir concilier les attentes de la société de consommation avec la promotion des valeurs humanistes censées l'animer (respect, loyauté, solidarité ou encore le dépassement de soi).

Il est particulièrement révélateur qu'à de nombreuses reprises devant votre commission d'enquête d'anciens sportifs ou représentants d'une discipline sportive donnée aient cherché à minimiser l'exposition de leur sport respectif au risque du dopage tout en pointant du doigt d'autres sports qui seraient plus touchés. Ainsi qu'en convient Michel Rieu, « tous les dirigeants de clubs et de fédérations affirment que le dopage est une chose épouvantable mais qu'heureusement le sport dont ils ont la responsabilité est plutôt épargné » 20 ( * ) .

Dans cette optique, Jean-François Lamour, pourtant éminent défenseur de la lutte antidopage, estime par exemple que « l ' escrime est peut-être plus protégée que d'autres pour une raison simple : dans ce sport, l'aspect technique est largement supérieur à l'aspect physique. Le dopage renforce l'endurance comme dans le cas de l'EPO ou améliore la force comme la testostérone ou les corticoïdes, destinés à rendre l'effort répété plus supportable. En escrime, la force physique n'est nécessaire qu'à l'explosion du geste... » 21 ( * ) .

De même, David Douillet affirme qu'« en judo, la victoire dépend heureusement de nombreux paramètres non réductibles à la forme physique : on ne peut gagner sans une technique, un mental, une concentration infaillibles » 22 ( * ) .

Laurent Jalabert juge, au contraire, que « le dopage, ce n'est pas seulement courir vite ou pédaler longtemps. Cela peut aussi concerner, par exemple, la précision du tir ou la lutte contre le sommeil » 23 ( * ) .

Quant à Jean-Marcel Ferret, il assure que « les sports les plus touchés sont des sports énergétiques, où il suffit de prendre certains produits pour améliorer les performances de 20 % à 25 %. Dans le football, la performance physique n'est pas tout. L'intelligence de jeu, la tactique et la technique comptent également » 24 ( * ) .

Dans le même ordre d'idées, Francesco Ricci Bitti souligne que « le tennis est un sport où le dopage n'a pas un impact direct sur la performance » 25 ( * ) .

L'ensemble de ces affirmations tend à être démenti tant par les statistiques (cf. infra ) que par les témoignages recueillis par votre rapporteur , lesquels montrent que les sports de précision ou qui seraient à dominante tactique ne sont pas épargnés par le dopage.

Marc Sanson rappelle ainsi que « pendant plusieurs années, les coureurs automobiles ont utilisé de la tacrine, produit utilisé dans le traitement de maladies comme celle d'Alzheimer, qui permettait de mémoriser les parcours routiers » 26 ( * ) .

Patrick Schamasch reconnaît quant à lui que les bêtabloquants sont susceptibles d'être utilisés dans le golf : « ils abaissent le rythme cardiaque et limitent donc les tremblements, ce qui peut être une aide précieuse dans le petit jeu, le putting. L'interdiction des belly putters à partir de l'an prochain pourrait accroître les risques » 27 ( * ) .

Enfin, Stéphane Mandard rapporte que d'autres sportifs que les cyclistes ont également été soupçonnés d'être les clients du docteur Eufemiano Fuentes, parmi lesquels des footballeurs, des tennismen, des athlètes ou encore des handballeurs. « Après quelques recherches, on pouvait s'apercevoir qu'il n'avait pas seulement sévi dans le milieu cycliste, mais d'abord dans l'athlétisme, avec la fédération espagnole, au moment des Jeux olympiques de Barcelone. J'ai pu m'entretenir avec lui en 2006 et il s'est confié à moi. J'ai eu confirmation qu'il s'occupait aussi de footballeurs de grands clubs » 28 ( * ) .

b) Les effets de la loi du silence

À l'évidence, le contexte d'omerta largement généralisée si l'on en juge d'après la rareté des aveux circonstanciés de la part des sportifs ou des médecins incriminés, rend la recherche de la preuve du dopage particulièrement difficile.

C'est avec une amertume amplement partagée que Marie-George Buffet notait ainsi devant votre commission d'enquête au sujet de l'affaire Armstrong : « on a compté quelques repentis puis, d'un seul coup, tout s'est arrêté. Le grand déballage qui devait avoir lieu à l'UCI, les grands bouleversements annoncés, n'ont pas eu lieu » 29 ( * ) .

Ce déni de responsabilité laisse en outre songeur quant à la capacité du sport à s'autoréguler , c'est-à-dire à faire respecter les règles qu'il a lui-même contribué à s'imposer. Ce phénomène est aggravé par ce que d'aucuns dénoncent comme une consanguinité observée dans plusieurs instances d'encadrement où d'anciens sportifs ayant concouru lors de périodes fortement imprégnées par les affaires de dopage sont censés assumer un rôle d'information, voire de prévention 30 ( * ) .

L'omerta nuit également au travail d'information et de pédagogie indispensable à la lutte contre le dopage, en particulier auprès des jeunes, que ceux-ci se destinent ou non à une carrière de haut niveau.

Dans ces conditions, il n'est pas rare que le dopage fasse l'objet d'un déni de la part des sportifs eux-mêmes , en particulier dans un contexte d'hypermédicalisation de certaines disciplines. Marc Sanson résume ainsi l'absence de tout sentiment de culpabilité chez certains sportifs : « Ils admettent le dopage comme un état de fait qui s'impose à eux et qui fait quasiment « partie du jeu » . On se rappelle la phrase tristement célèbre d'un coureur cycliste lors de l'affaire Festina en 1998, qui avouait s'être dopé " à l'insu de son plein gré " » 31 ( * ) .

Comme l'a également expliqué Erwann Menthéour, coureur cycliste dopé repenti, tout se passe dans son sport comme si les sportifs les plus vulnérables étaient amenés à concevoir dès leur plus jeune âge le dopage comme faisant partie intégrante du système : « dès mes quinze ans, j'ai su que j'allais me doper. J'avais vu mon frère le faire avant moi. Cela revenait à satisfaire les exigences de ce métier » 32 ( * ) . Philippe Gaumont décrit pour sa part cette triste réalité ainsi: « On se baladait avec nos seringues et on les sortait sans aucune pudeur. Pour nous, c'est devenu des objets aussi banals qu'une brosse à dents » 33 ( * ) .

Indépendamment du monde sportif lui-même, l'omerta alimente une certaine ambivalence du public et des médias . Dans une société qui fait la part belle au « sport-spectacle », le public manifeste aisément une certaine incrédulité, refusant de savoir ou de croire. Philippe-Jean Parquet qualifie en ces termes ce qui constitue d'abord un problème de société avant de toucher le sport en particulier : « Le problème réside dans l'attitude des citoyens : comment perçoivent-ils le dopage sportif et les conduites dopantes ? Le travail que je mène avec des directeurs des ressources humaines du secteur privé me conduit à penser que nombre de citoyens ont une conscience altérée du phénomène. Ils sont, pour employer un terme psychiatrique, dans le déni. Ce n'est pas une dénégation : ils savent que le dopage existe, mais ils font comme s'il n'existait pas » 34 ( * ) .

Enfin, le contexte d'omerta dans lequel baigne le dopage complique naturellement le devoir d'information des médias et le travail d'investigation journalistique. Plusieurs journalistes ont évoqué devant votre commission d'enquête leurs difficultés à évoquer les affaires de dopage dans une situation qui les conduit inexorablement à s'opposer à des confrères pratiquant un journalisme de l'événement et du plaisir.

Stéphane Mandard expose la situation en ces termes : « quand on commence à enquêter, on se retrouve vite ostracisé : on casse la belle mécanique . On subit donc des pressions et des intimidations , qui font partie de notre quotidien... » 35 ( * ) .

Pierre Ballester le rejoint : « notre capital ferveur est largement entamé lorsque, dans le dos du prestidigitateur, nous découvrons le secret des tours. Les enquêtes sportives sont en définitive peu nombreuses. La première a été celle de la caisse noire de Saint-Étienne en 1982. Il y a eu ensuite OM-VA en 1993, puis Festina en 1998. Mais le public se moque complètement du dopage ! Selon une récente enquête, 68 % des gens ont intégré l'idée qu'il faisait partie du sport » 36 ( * ) .

Votre rapporteur considère que cette atmosphère empêche en très grande partie au monde du sport d'avancer sur la question de la lutte antidopage . En effet, refuser d'évoquer un problème n'a jamais permis qu'il se règle. Sur ce sujet, la citation d'Émile Zola en exergue de l'ouvrage de Tyler Hamilton sur ses pratiques dopantes est particulièrement bien choisie : « quand on enferme la vérité sous terre, elle s'y amasse, elle y prend une force telle d'explosion que, le jour où elle éclate, elle fait tout sauter avec elle ».

À cet égard, les réactions du peloton cycliste face à la publication du rapport de la présente commission d'enquête sont très surprenantes, d'autant qu'il a été souligné à plusieurs reprises, et les auditions l'ont démontré, que les différentes disciplines seraient traitées sur un plan d'égalité :

- soit elles révèlent une peur que des révélations sur les pratiques actuelles des coureurs soient faites, ce qui serait inquiétant du point de vue du rapporteur ;

- soit elles relèvent de la simple lassitude de l'évocation du dopage dans cette discipline et sur l'épreuve du Tour de France, et c'est étonnant dans la mesure où une prise de parole publique et générale sur le sujet n'a finalement jamais été faite.

Sur ce sujet, votre rapporteur considère quant à lui que, dans la situation actuelle, le silence alimente le doute.

C'est la raison pour laquelle, s'agissant du cyclisme, mais votre rapporteur considère qu'on pourrait l'élargir aux autres sports, une commission « vérité et réconciliation » serait la seule à même de permettre une libération de la parole, de dissiper le climat de suspicion et de repartir sur les bases d'une confiance partagée.

Proposition n° 1 Mettre en place une commission « vérité et réconciliation », sous l'égide du monde sportif, faisant le jour sur les pratiques dopantes actuelles et passées dans le sport

3. La médicalisation de la performance : un contexte porteur d'ambiguïté et de dérives

Compte tenu de la tendance générale à la médicalisation de la société, dont le dopage constitue l'une des manifestations extrêmes, les pratiques dopantes dans le sport peuvent apparaître comme une réalité mouvante difficile à cerner .

Le développement massif des équipements et mesures scientifiques et techniques dans le sport de haut niveau met en échec toute tentative de définition du dopage fondée sur une distinction entre moyens naturels de l'organisme et amélioration artificielle de la performance. Il semble que l'enjeu ne soit plus, en effet, d'établir une ligne de démarcation entre naturel et artificiel mais de définir jusqu'où il faut admettre l'intervention de la science dans le sport et la transformation des corps par la technique.

À cet égard, le classement de certaines substances ou méthodes peut se révéler malaisé. Françoise Lasne ne cache pas son embarras : « Quelquefois, la frontière est très floue. Je pense en particulier aux caissons hypoxiques, utilisés pour provoquer la production par l'organisme d'EPO naturelle. Dans quelle mesure s'agit-il de dopage ?... D'un autre côté, pourquoi ne pas interdire les séjours en altitude, qui ont les mêmes effets ? » 37 ( * ) .

Au regard de ces difficultés, le positionnement de la médecine du sport est en outre particulièrement délicat . L'étendue des missions imparties aux médecins d'équipe pose en effet question. La médecine sportive qui a vu le jour à compter des années 1960 se situe très loin de la médecine de soin familiale traditionnelle, centrée sur le patient à l'exclusion de tout intérêt extérieur. Le médecin d'équipe agit aussi au soutien de la performance dans l'intérêt de son employeur, ce qui brouille les frontières entre ce qui relève du domaine sanitaire et ce qui ressortit au domaine sportif .

À ce sujet, Marc Sanson rappelle que les médecins du sport « sont chargés de « mettre l'athlète en état de concourir » au besoin par n'importe quel moyen et subissent trop souvent des pressions considérables de l'entourage du sportif (famille, entraîneurs, club), voire du sportif lui-même, de la fédération et des partenaires financiers » 38 ( * ) .

À titre d'exemple, Jean-Marcel Ferret, ancien médecin de l'équipe de France de football championne du monde en 1998, indiquait à votre commission d'enquête qu'Aimé Jacquet considérait que « le médecin du sport n'est pas là uniquement pour administrer des soins aux blessés. Il est associé à la préparation athlétique de l'équipe , il a son mot à dire sur les charges de travail, il doit imposer ses convictions en matière de diététique, de récupération, d'horaires. Bref, en dehors des options strictement techniques ou tactiques, je ne vois pas de domaines où le médecin ne puisse et ne doive être, pour l'entraîneur, un partenaire de tous les instants » 39 ( * ) . Cette conception de la médecine du sport est ainsi assez extensive. Jean-Marcel Ferret assume au demeurant avoir été le pilier de la « préparation médico-sportive » 40 ( * ) des athlètes .

Sans revenir sur le rapport institutionnalisé entre la science et le sport, tel qu'observé en ex-RDA ou en ex-URSS, la participation délibérée de certains médecins aux protocoles de dopage aggrave le sentiment d'ambiguïté éprouvé au regard de médicalisation du sport. Comme l'a indiqué l'Académie de médecine, compte tenu du développement de pratiques dopantes d'une complexité croissante, il ne fait nul doute que « les protocoles de dopage actuellement en cours ne peuvent être établis que grâce à la contribution active de scientifiques médecins et pharmaciens » 41 ( * ) .

La mise au jour des scandales et le démantèlement des réseaux de dopage confirment en effet le rôle central joué par certains médecins dans les affaires de dopage organisé (les Italiens Francesco Conconi ou Michele Ferrari, le Belge Éric Ryckaert, les Espagnols Luis Del Moral ou Eufemiano Fuentes ou encore le Français François Belloq). La mise au point des protocoles nécessite un savoir approfondi en pharmacologie ou encore en physiologie de l'exercice pour pouvoir prédire le temps d'élimination des substances, leur fenêtre de détection, la durée de leurs effets et peut également impliquer d'avoir accès à des laboratoires avant les compétitions.

L'existence de ces pratiques de dopage « sous contrôle médical » ne va pas sans affaiblir les efforts de prévention du dopage se fondant sur les risques sanitaires graves encourus qui sont pourtant bien réels, en particulier pour tous les pratiquants jeunes ou amateurs livrés à eux-mêmes.

En dépit des dénégations de certains médecins, nous sommes aujourd'hui bien loin d'une médecine de gestion des traumatismes et des blessures, ce qui doit inciter à la vigilance sur le rôle de l'entourage médical des sportifs .

Selon les informations transmises à votre rapporteur par le Conseil national de l'Ordre des médecins, huit sanctions ont été prises entre 2001 et 2012 par le Conseil national sur la base de la prescription abusive de produits ayant pour objet le dopage sportif.

Ces décisions, souvent prises pour une durée assez courte, mériteraient d'être davantage relayées auprès des autorités antidopage et surtout faire l'objet de mesures préventives auprès des sportifs. Votre rapporteur considère que l'arsenal des mesures conservatoires que l'AFLD peut prendre (article L. 232-23-4 du code du sport) pourrait utilement être complété par la possibilité d'interdire, pour une certaine durée, aux sportifs de travailler avec un certain nombre de médecins ayant participé à des pratiques dopantes.

Proposition n° 2 Donner la possibilité à l'AFLD d'interdire aux sportifs de collaborer
avec certains médecins ayant participé à des pratiques dopantes


* 11 Voir notamment l'audition de Pat McQuaid du 5 juin 2013 ou encore l'ouvrage de Christophe Brissonneau, Olivier Aubel, Fabien Ohl, L'épreuve du dopage : Sociologie du cyclisme professionnel , Puf, 2008.

* 12 Du nom de Charles Dubin, juge en chef de la Cour d'appel de l'Ontario.

* 13 Cette affaire a conduit à la réalisation d'une enquête épidémiologique lancée en 1990 à la suite d'alertes de veuves de joueurs et dont les résultats sont très alarmants. L'étude porte sur 24 000 joueurs du Calcio (séries A à C) de 1960 à 1996. Elle fait état de taux de leucémie ou de tumeurs de l'appareil digestif deux fois supérieurs à la moyenne nationale et d'une surreprésentation de certaines pathologies telle la sclérose latérale amyotrophique. Voir notamment Eric Jozsef, « L'affaire des veuves du Calcio rebondit », Libération , 6 janvier 2003.

* 14 Jean-Pierre de Mondenard, Dopage dans le football, Jean-Claude Gawsewitch, 2010.

* 15 Voir le compte rendu du déplacement de votre commission d'enquête en Espagne.

* 16 Voir notamment les auditions de Bernard Amsalem et Felipe Contepomi du 18 avril 2013 et de Laurent Bénézech du 30 mai 2013.

* 17 Audition du 11 avril 2013.

* 18 Sports d'élite et dopage de masse. Entretien avec Marc Sanson , Esprit, août-septembre 2010, p. 29-30.

* 19 Audition du 18 avril 2013.

* 20 Audition du 4 avril 2013.

* 21 Audition du 27 mars 2013.

* 22 Audition du 14 mars 2013.

* 23 Audition du 15 mai 2013.

* 24 Audition du 5 juin 2013.

* 25 Audition du 15 mai 2013.

* 26 Audition du 20 mars 2013.

* 27 Audition du 29 mai 2013.

* 28 Audition du 3 avril 2013.

* 29 Audition du 20 mars 2013.

* 30 S'agissant du cyclisme, Philippe Gaumont déplorait ainsi que : « chaque structure est dirigée par d'anciens coureurs. Et qui dit ancien coureur dit pratiquement ancien dopé. Alors tout baigne dans le silence, dans cette éducation de non-dits ». Voir Prisonnier du dopage , 2005, p. 217.

* 31 Sports d'élite et dopage de masse. Entretien avec Marc Sanson , Esprit, août-septembre 2010.

* 32 Table ronde sur les enjeux sociétaux des pratiques dopantes du 18 avril 2013.

* 33 Prisonnier du dopage , 2005, p. 235.

* 34 Audition du 28 mars 2013.

* 35 Audition du 3 avril 2013.

* 36 Audition du 25 avril 2013.

* 37 Audition du 27 mars 2013. Un caisson hypobare vise à recréer les conditions d'altitude pour stimuler la production de globules rouges.

* 38 Sports d'élite et dopage de masse. Entretien avec Marc Sanson , Esprit, août-septembre 2010.

* 39 Audition de M. Jean-Marcel Ferret du 5 juin 2013.

* 40 Ibid.

* 41 Michel Rieu et Patrice Queneau, Rapport à l'Académie de médecine, « La lutte contre le dopage : un enjeu de santé publique, Sport et Dopage », 9 février 2012.

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