2. Une activité qui a connu de profondes évolutions au cours des vingt dernières années
a) Une prostitution désormais majoritairement exercée par des personnes étrangères

Au début des années 1990, 80 % des personnes prostituées étaient françaises. Les bouleversements géopolitiques intervenus au cours de cette décennie, qu'il s'agisse de la dislocation de l'Union soviétique, des conflits dans les Balkans ou des crises politiques en Afrique, ont encouragé l'arrivée de personnes originaires de ces pays.

Ainsi, en 2011, 80 % des personnes identifiées en France comme prostituées étaient de nationalité étrangère, ce pourcentage atteignant 90 % pour la prostitution de rue 9 ( * ) . Selon l'OCRTEH, celles-ci sont pour l'essentiel originaires de Roumanie, de Bulgarie, du Nigéria, du Brésil et de Chine. La BRP indique elle aussi que plus de 85 % des personnes qui se prostituent à Paris seraient de nationalité étrangère.

Les données fournies par les associations vont dans le sens des estimations des services de police.

Le rapport d'activité 2012 de l'association Grisélidis souligne ainsi que 14 % des personnes rencontrées cette année-là étaient françaises tandis que 45 % étaient originaires d'Afrique subsaharienne, 35 % d'Europe de l'Est et 6 % d'un autre pays.

L'association Information, prévention, proximité, orientation (Ippo), implantée à Bordeaux, dit quant à elle accueillir 57 % de personnes venant d'Afrique subsaharienne, 28 % venant d'Europe de l'est et environ 10 % de Françaises.

Lors de son audition, l'association ALC, située à Nice, a estimé à 85 % la part des personnes d'origine étrangère au sein de la population prostituée de Nice. Elles seraient pour l'essentiel originaires du Nigéria, de Bulgarie et de Roumanie. La présence de nombreuses personnes transgenres, quasi-exclusivement originaires d'Amérique latine, a également été soulignée par cette association.

b) La réalité croissante des réseaux de prostitution et de la violence

Cette inversion du rapport entre prostituées françaises et étrangères s'est accompagnée d'un changement des modes d'exercice de la prostitution.

La prostitution dite « traditionnelle » est en forte diminution. Selon l'OCRTEH, la prostitution de rue française représente désormais 10 % de l'ensemble et est exercée par des femmes dont la moyenne d'âge s'approche de soixante ans.

A l'inverse, il est possible de considérer qu' une très grande partie des personnes prostituées de nationalité étrangère sont soumises à l'influence de réseaux de proxénétisme et de traite des êtres humains.

Selon l'OCRTEH, les victimes des réseaux sont à 90 % des femmes, la plupart du temps en situation irrégulière sur le territoire .

Les réseaux sont le plus souvent de type communautaire , c'est-à-dire que les victimes et leurs proxénètes proviennent de la même région, du même pays ou ont la même appartenance ethnique. L'attachement des personnes à leur proxénète est en outre assuré par la nécessité pour elles de rembourser la dette qu'elles ont contractée au moment de leur passage en France et par la menace que fait peser le réseau sur leur famille restée dans le pays d'origine . Dans la plupart des cas, le remboursement de la dette est rendu particulièrement difficile par les multiples prélèvements appliqués sur le produit des passes, notamment pour leur assurer le droit d'occuper une partie du trottoir.

Premiers historiquement, des réseaux d'Europe de l'est se sont développés dans les années 1990 , venant « concurrencer » la prostitution traditionnelle en pratiquant des prix très faibles. Les jeunes femmes, souvent en situation de fragilité économique et psychologique, sont d'abord séduites par un garçon, le « lover boy », qui les introduit dans le réseau. Elles sont ensuite violentées et abusées par leurs proxénètes, les témoignages recueillis faisant même état de véritables « parcours de dressage ».

Les réseaux d'Afrique subsaharienne sont en majorité nigérians. Les jeunes femmes sont vendues par leur famille entre 8 000 et 14 000 euros au réseau. Une cérémonie dite du « juju » est célébrée au cours de laquelle est confectionnée une amulette censée les protéger. Très souvent, elles subissent des sévices physiques et sexuels à la fois dans leur pays d'origine et durant le trajet qui les mène jusqu'en Europe. Une fois arrivées en France, ces jeunes femmes sont prises en charge par des « Mama », le plus souvent d'anciennes prostituées, à qui elles doivent rembourser une dette pouvant atteindre 60 000 à 65 000 euros. L'amulette devient alors un outil de contrainte psychologique pour obliger les jeunes femmes à travailler et les empêcher de dénoncer le réseau.

La prostitution chinoise, qui était essentiellement présente à Paris depuis le début des années 2000, tend à se développer dans d'autres grandes villes de France. Selon la BRP, ce type de prostitution, à l'origine peu soumis aux réseaux, est exercé par des femmes généralement plus âgées que la moyenne 10 ( * ) , venues en France pour travailler dans la restauration ou la confection. Se rendant compte qu'elles ne parviennent pas à renvoyer suffisamment d'argent à leur famille restée en Chine et qui a emprunté pour elles auprès d'un réseau de passeurs, elles sont incitées à se tourner vers la prostitution.

Au cours des années 2000, des membres de la communauté chinoise ont développé un proxénétisme immobilier, démarchant des locataires d'appartements à qui ils proposent de reverser une partie du produit des passes en échange de la mise à disposition du logement. En 2012, la BRP a réalisé sept procédures concernant le proxénétisme chinois.

Selon la BRP, la prostitution originaire d'Amérique latine est également soumise en partie aux réseaux . Il s'agit essentiellement de jeunes transsexuels qui se retrouvent à la merci de proxénètes leur proposant de payer le trajet vers la France ainsi que leur opération.

L'influence des réseaux s'exerce également sur internet. Hébergés dans des pays étrangers, des sites de petites annonces proposent au client d'appeler un standard téléphonique auprès duquel sont négociés le tarif, le lieu et les modalités de la prestation. Une fois arrivé sur place, le client appelle à nouveau le standard qui lui donne les informations nécessaires pour lui permettre de rejoindre la personne prostituée.

Les prix pratiqués étant plus élevés que ceux de la prostitution de rue et les personnes ayant la possibilité d'en conserver une plus grande partie (environ la moitié), il leur est possible d'amasser en peu de temps des sommes relativement importantes.

Les personnes proposant des prestations sexuelles tarifées sur internet ne maîtrisent cependant ni le rythme ni la nature de celles-ci et ne sont pas moins protégées contre les clients violents que les prostituées de rue. Envoyées en France avec un visa touristique, elles sont entièrement prises en charge, ne passant pas plus de trois ou quatre jours dans la même ville, afin d'éviter les contacts avec la police ainsi que toute forme de relation suivie avec les clients. Le proxénétisme de luxe utilise des modes opératoires semblables. Les femmes qui exercent dans ces réseaux sont pour l'essentiel originaires de pays d'Europe de l'Est.

En 2012, l'OCRTEH a démantelé 52 réseaux de prostitution. Cette même année, 751 victimes de la traite ont été identifiées dans le cadre de procédures judiciaires.


* 9 Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales - Rapport annuel 2012 sur la criminalité en France, p. 226.

* 10 Selon des données de l'OCRTEH recueillies au cours d'enquêtes judiciaires, leur moyenne d'âge était en 2012 de 42 ans. Les femmes concernées avaient entre 27 et 56 ans.

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