SYNTHÈSE DU RAPPORT

La politique de développement constitue avec sa diplomatie et sa politique de défense un des piliers de la politique étrangère de la France. Elle est un élément essentiel du dialogue Nord-Sud, qui est devenu avec la fin de la guerre froide un enjeu central de la géopolitique mondiale. La France est d'autant plus légitime à peser dans ce dialogue qu'elle est le 4ème donateur en matière d'aide publique au développement. Sa politique de coopération est destinée, avec celle des autres États donateurs, à concourir aux Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), définis dans le cadre de l'ONU pour lutter collectivement contre la pauvreté et les inégalités et destinés à être intégrés après 2015 dans le cadre plus large des Objectifs pour le développement durable (ODD), lesquels font actuellement l'objet d'une large consultation. Si ces objectifs constituent un point de ralliement des politiques de développement, ils n'empêchent pas une concurrence entre grandes nations pour favoriser leur influence au Sud.

Créée dans ce contexte à la demande du groupe écologiste du Sénat, la Mission commune d'information sur l'action extérieure de la France en matière de recherche pour le développement propose d'appréhender notre politique de coopération par le prisme de la recherche menée en partenariat avec les pays du Sud. C'est une approche originale, loin d'une conception réduisant le Sud à un terrain de recherche. Ce mouvement vers la recherche partenariale pour le développement se nourrit de la globalisation des questions de recherche, qu'il s'agisse de santé, de sécurité alimentaire, d'environnement ou de changement climatique, de sciences et techniques... Il participe aussi de l'exigence croissante de responsabilité sociale et environnementale (RSE) que le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) du 31 juillet dernier commande d'intégrer pleinement dans notre politique de développement.

Grâce à une quarantaine d'auditions et trois déplacements à l'étranger, la mission a voulu savoir dans quelle mesure la recherche pour le développement, enjeu d'influence pour la France, autonomisait réellement les pays du Sud.

I. La recherche pour le développement, un atout mal connu que la France pourrait mieux valoriser

1. L'effort français en matière de recherche pour le développement : un atout pour notre pays, un enjeu d'influence

La France dispose d'une gamme complète d'acteurs et d'outils : notre pays se distingue par ses organismes de recherche dédiés à cette matière - l'Institut de recherche pour le développement (IRD) et le Centre de coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement (Cirad) - qui se caractérisent par leur présence hors de France dans la durée ; mais la contribution d'autres acteurs importants est mise en valeur : d'autres établissements de recherche ou agences de développement se mobilisent aussi pour le Sud (l'Institut Pasteur, l'ANRS, le CNRS...), mais aussi des universités, des collectivités locales, des ONG, des fondations... Les mobilités étudiantes sont aussi présentées comme un outil au service de la recherche pour le développement.

Cela représente pour la France un effort budgétaire non négligeable : 360 millions d'euros, soit un peu moins de 4 % de l'aide au développement française, mais près de 12 % si on y ajoute les frais d'écolage qui correspondent à la prise en charge des étudiants issus des pays en développement. Cet effort budgétaire est donc soutenu, mais la complexité et la dispersion des lignes budgétaires de la coopération ne permettent pas de le mettre en valeur.

Cet effort en matière de recherche pour le développement est une pièce maîtresse de notre diplomatie scientifique, dans un contexte où la France est concurrencée de manière croissante, y compris dans les États ayant des liens historiques avec elle.

L'importance de ces efforts ne signifie pas pour autant qu'ils produisent les résultats escomptés. En fait, la recherche pour le développement est tiraillée entre les exigences de la recherche et la démarche de développement : comment faire de la recherche d'excellence tout en aidant les pays les plus en difficulté à y accéder ?

De plus, la recherche pour le développement souffre d'une mise en oeuvre délicate, qui ne bénéficie pas toujours aux pays du Sud. Les thématiques de recherche ne sont pas systématiquement élaborées conjointement avec le Sud : les chercheurs du Sud ont indiqué que les recherches n'étaient pas toujours articulées aux besoins des pays du Sud. Les partenariats sont trop souvent inégaux et pas assez tournés vers le renforcement des capacités. Enfin, la recherche est trop souvent confondue avec l'expertise, qui n'a pas les mêmes exigences scientifiques et ne renforce pas les capacités du Sud.

2. La recherche pour le développement, une politique publique mal constituée, une action extérieure dispersée

Si la qualité de la relation partenariale qui la fonde n'est pas toujours satisfaisante, la recherche pour le développement souffre aussi d'un défaut de reconnaissance au sein de l'action publique française.

Cela tient à son positionnement hybride au sein de notre action publique : la recherche pour le développement se situe entre la recherche scientifique, qui s'organise autour d'une stratégie nationale et de cinq alliances thématiques, et le développement, qui est surtout opéré par l'Agence française de développement (AFD), peu connectée à nos opérateurs de recherche. Il en est d'ailleurs de même à Bruxelles. Mal reconnue, la recherche pour le développement se trouve aussi freinée par des politiques publiques qui lui sont mal adaptées : la politique des visas qui entrave la mobilité des étudiants et des chercheurs, et celle de la défense qui s'inquiète des menaces contre le patrimoine scientifique et technique de la nation.

En outre, nos opérateurs de recherche se présentent au Sud en ordre dispersé : la création de l'Agence inter-établissements de recherche pour le développement (AIRD) a tenté d'y remédier en 2010. Il faut admettre son échec, dû à un défaut de conception et à un manque de moyens. Mais il est impossible de s'en satisfaire : non seulement l'offre scientifique française au Sud ne sera pas optimale dans ces conditions, mais l'IRD est menacé dans son existence.

Le Gouvernement est donc appelé à mettre, au plus vite, en cohérence les objectifs qu'il souhaite assigner à la recherche pour le développement et les moyens qu'il entend y consacrer.

II. Une exploration concrète des partenariats de recherche avec le sud : la France avec l'Inde, la France avec le Tchad

La mission a choisi de se rendre en Inde et au Tchad : par leurs différences de populations et de superficies (1,3 milliard d'habitants en Inde, 11 millions et demi au Tchad), de géographie, d'histoire et de développement (le PNB de l'Inde équivaut à celui de l'Afrique entière), ces deux pays illustrent bien la diversité des « Suds » et la variété des relations que la France peut entretenir au Sud sur le terrain de la recherche pour le développement.

1. L'Inde, une palette croissante de partenariats de recherche avec la France

La progression indienne en matière de recherche, voire son avance sur notre pays en certains domaines, rend possible l'établissement d'un partenariat respectueux des deux parties, fondé sur la complémentarité entre la France et l'Inde. Même si l'établissement d'un tel partenariat rencontre des difficultés, notamment du fait de la configuration institutionnelle de l'Inde, cette complexité est stimulante pour la France, qui y déploie un dispositif d'importance croissante.

L'accent est notamment mis sur le rôle catalyseur du Centre franco-indien pour la promotion de la recherche avancée, le CEFIPRA : organisme original, financé à parité par la France et l'Inde. Il joue un rôle décisif de promoteur et de facilitateur pour les partenariats de recherche entre les deux pays, qu'ils soient publics ou privés.

Sont aussi présentés plusieurs partenariats de recherche franco-indiens, dont certains constituent l'archétype d'une relation équilibrée, institutionnalisée, pluridisciplinaire et finalisée, comme le laboratoire international associé (LIA) en sciences de l'eau (qui implique l'IRD) et celui en neurosciences (qui implique l'INSERM) à Bangalore. Des collaborations ont aussi été nouées avec les chercheurs indiens par deux Unités Mixtes des Instituts Français de Recherche à l'Etranger (UMIFRE), mixtes car résultant d'une alliance entre le CNRS et le ministère des affaires étrangères : l'Institut français de Pondichéry et le Centre de Sciences humaines à Delhi. Enfin, la mission a pu voir d'autres types de recherche très différents en Inde : la recherche fondamentale sur l'Inde classique à l'Ecole française d'Extrême-Orient de Pondichéry, et, à l'autre bout de la chaîne de la recherche pour le développement, la recherche-action dans un village rural de l'Inde.

Au-delà des difficultés qui compliquent l'établissement de ces partenariats, il en résulte un véritable enrichissement mutuel : c'est essentiellement en matière de valorisation de la recherche que la France a à apprendre de son partenaire indien. Si la France produit d'abondantes innovations, l'Inde se distingue, pour sa part, par sa capacité à traduire rapidement l'innovation en produits de haute qualité et à bas coût, ce que les Indiens appellent « l'innovation frugale ». A ce titre, la mission a rencontré un acteur clé qui illustre cette ambition : Mme Mazumdar-Shaw, présidente et fondatrice de Biocon, cinquième société mondiale de biotechnologie.

2. Le Tchad : un partenariat de recherche en reconstruction avec la France, après un échec instructif

Le cas du Tchad est complètement différent. Les institutions nationales de recherche souffrent de réelles difficultés. Toutefois, les autorités actuelles affirment une démarche volontariste en la matière. L'action de la France pour soutenir la recherche au Tchad a connu un échec édifiant, son projet d'appui à la recherche tchadienne, conçu pour la période 2005-2011, l'ayant été d'une manière très discutable. A la lumière de cet échec, la stratégie française s'est infléchie et se redéploye à présent vers le renforcement effectif des capacités tchadiennes et vers la connaissance du Tchad contemporain : le nouveau projet part de l'existant au lieu d'inventer de nouvelles structures, il mise sur une nouvelle génération de chercheurs plus motivés, il mobilise le Centre national d'appui à la recherche. De nouvelles pistes peuvent renforcer encore le caractère équitable du partenariat franco-tchadien.

III. Mettre pleinement la recherche partenariale au service du développement

1. Améliorer la cohérence de l'action publique française au service du développement par la recherche

La première urgence consiste à revoir la place que la France veut donner, en interne, à sa recherche pour le développement.

De ce point de vue, il faut conforter la mission des opérateurs de recherche pour le développement, c'est-à-dire:

- clarifier la stratégie scientifique de l'IRD et du CIRAD grâce à un comité de pilotage interministériel et une connexion avec l'AFD ;

- confier à l'Agence nationale de la recherche (ANR) la programmation de la recherche avec le Sud et le financement direct de nos partenaires de recherche Sud ; cela implique de supprimer l'agence AIRD et de réintégrer à l'institut IRD les personnels et les moyens qu'il avait mobilisés pour l'AIRD ;

- adapter les critères d'évaluation scientifique de la recherche partenariale avec le Sud pour valoriser réellement la contribution du Nord au développement du Sud, en matière de formation, de valorisation, de structuration de l'appareil de recherche du partenaire...

- engager la concertation entre les partenaires sociaux autour de la création d'un nouveau statut pour faciliter la mobilité des chercheurs français vers le Sud, entre missions de longue durée et expatriation classique, tout en veillant à sa soutenabilité financière.

Dès lors que l'on admet la nécessité de miser sur la recherche pour le développement, il faut ordonner autour de cela nos politiques publiques :

- en renforçant le dialogue entre tous les acteurs du développement : c'est l'objet du futur Conseil national du développement et de la solidarité internationale (CNDSI);

- en adaptant notre politique de mobilité des chercheurs, avec, par exemple, un droit de visite permanent pour les étrangers devenus docteurs en France;

- en sensibilisant encore davantage les chercheurs sur la protection du patrimoine scientifique et technique de la nation, au lieu d'entraver le dynamisme des partenariats de recherche.

2. Améliorer nos partenariats de recherche avec les Suds

Il est impératif est de mieux accompagner les pays du Sud à chaque étape de la recherche, c'est-à-dire :

- mieux répondre à leurs besoins, dans la définition des objets de recherche, mais aussi dans les formations que nous leur proposons ;

- accompagner le montage des projets en partenariat, notamment en mobilisant mieux les fonds européens de développement pour faciliter l'accès des équipes du Sud aux fonds de l'union Européenne destinés à la recherche;

- mener la recherche dans une relation d'égal à égal, y compris en matière de propriété intellectuelle des échantillons ou des résultats ;

- associer le Sud à l'évaluation des projets de recherche menés avec la France : il s'agit de consulter les personnes à qui la recherche est destinée, en s'inspirant des nouvelles méthodes que l'AFD entend suivre pour évaluer ses propres projets. Cette évaluation doit aussi permettre d'aborder les questions de genre et de mesurer la place faite aux femmes dans le développement.

Une deuxième attente forte des pays du Sud, c'est de favoriser l'effet d'entraînement de la recherche partenariale sur le développement économique : cela passe par un vrai renforcement des capacités scientifiques et institutionnelles de ces pays, grâce à la recherche mais aussi à la formation ; cela commande d'encourager la connexion entre nos opérateurs de recherche et les autorités publiques du pays partenaire ; enfin, cela impose de promouvoir la valorisation économique des résultats de la recherche, par le soutien aux incubateurs d'entreprise, la valorisation des brevets...

3. Faire connaître le savoir-faire français en matière de recherche pour le développement

Il faut rendre notre offre partenariale plus lisible pour le Sud. La création d'une sixième alliance de recherche, transversale aux cinq autres et tournée vers le Sud, permettrait de donner un visage uni à notre recherche au Sud mais aussi de rationaliser le réseau au Sud de nos organismes de recherche, par exemple en mutualisant leurs implantations. L'on pourrait aussi encourager la constitution d'organes paritaires comme le CEFIPRA dans les pays partenaires de taille déjà critique. En outre, via le site diplomatie.gouv.fr, les ambassades devraient répertorier les projets de recherche impliquant la France hors de ses frontières. Enfin, la France doit investir le monde des cours en ligne pour proposer une offre française dans ce nouveau champ de formation, aujourd'hui très anglo-saxon.

Il faut aussi diffuser hors de France notre démarche de recherche partenariale. Le préalable est de consacrer cette démarche dans le projet de loi qui s'annonce et de la labelliser par une charte. La France pourra ensuite la porter au niveau européen : inviter les commissaires au développement et à la recherche à développer la synergie entre leurs actions et initier des réunions communes des conseils des ministres européens de la recherche (Conseil « Compétitivité ») et du développement (Conseil « Affaires étrangères»). Enfin, la France devrait capitaliser sur sa compétence partenariale avec le Sud pour la mettre au service de l'amélioration des coopérations Sud-Sud.

La recherche pour le développement doit d'abord être une aide au développement du Sud, mais, par voie de conséquence et à plus long terme, elle installera également notre influence au Sud, comme elle servira en retour l'influence du Sud au Nord. C'est finalement par la qualité de la relation qu'elle tisse dans la durée et sur le terrain avec chaque pays du Sud, que la France peut se démarquer, dans un contexte d'aide au développement très concurrentiel.

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