CHAPITRE III : METTRE PLEINEMENT LA RECHERCHE PARTENARIALE AU SERVICE DU DÉVELOPPEMENT

Éclairée par les auditions qu'elle a menées à Paris ainsi que par les rencontres de chercheurs nationaux dans les pays qu'elle a visités, votre mission estime nécessaire de proposer des voies d'amélioration pour que la recherche que mène la France en partenariat avec les pays du Sud contribue de manière plus effective à leur développement.

Ces propositions s'inscrivent dans la réflexion en cours, à l'échelle nationale et mondiale. Au niveau mondial, une large concertation est engagée en vue de l'élaboration des nouveaux Objectifs de développement durable qui sont prévus pour succéder après 2015 aux Objectifs du millénaire pour le développement. En France, le Premier ministre a réuni, le 31 juillet 2013, le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID), en présence de 15 ministres concourant à la politique française de développement. Cette réunion du CICID, qui n'avait pas eu lieu depuis quatre ans, témoigne de la volonté du Gouvernement de donner de nouvelles orientations à la politique de développement de notre pays. Les décisions prises visent à rénover cette politique autour de quatre axes : d'une part, nos priorités géographiques et sectorielles ont été redéfinies et l'attribution des aides se fondera dorénavant sur des partenariats différenciés ; d'autre part, le Gouvernement entend renforcer la cohérence de la politique de développement avec les autres politiques publiques - notamment en ce qui concerne la promotion de l'égalité entre les hommes et les femmes et la responsabilité sociale et environnementale -, assurer une plus grande coordination de l'ensemble des acteurs du développement et améliorer l'efficacité, la redevabilité et la transparence de notre politique de développement.

Le relevé de décisions publié à la suite du CICID 116 ( * ) affirme la contribution éminente que la recherche apporte à notre dispositif d'aide au développement. Il appelle toutefois à améliorer la cohérence, la visibilité et l'accessibilité du dispositif français de recherche pour le développement.

C'est dans la même perspective que s'inscrivent les propositions de votre rapporteure destinées à faire de la recherche en partenariat un véritable levier de développement. A ses yeux, le premier impératif lui semble être d'ordre interne : l'action publique de la France doit gagner en cohérence dans l'optique de favoriser le développement du Sud par la recherche. Il convient ensuite de trouver les moyens d'améliorer nos partenariats de recherche avec le Sud, pour les rendre plus équilibrés et plus efficaces. Enfin, sur cette base renouvelée, la France pourrait mieux faire connaître son offre de recherche partenariale, à l'égard du Sud et auprès de ses partenaires bailleurs.

I. AMELIORER LA COHÉRENCE DE L'ACTION PUBLIQUE FRANÇAISE AU SERVICE DU DÉVELOPPEMENT PAR LA RECHERCHE

La première urgence consiste à revoir la place que la France veut donner, en interne, à sa recherche pour le développement. De ce point de vue, votre mission préconise de conforter la mission des opérateurs de recherche pour le développement et, dès lors, de rendre plus cohérentes nos politiques publiques.

A. CONFORTER LA MISSION DES OPÉRATEURS DE RECHERCHE POUR LE DÉVELOPPEMENT

Convaincue de la nécessité pour le Sud de se forger des capacités de recherche autonome pour assurer durablement son développement, votre mission estime que doit être reconnu le rôle que jouent nos opérateurs de recherche dédiés à cet égard.

1. Clarifier leur stratégie scientifique grâce à un comité de pilotage interministériel en liaison avec l'AFD

L'existence des institutions françaises dédiées à la recherche pour le développement, l'IRD et le Cirad, ne se justifie qu'à partir du moment où la spécificité de cette recherche est reconnue. Si elle ne l'était pas, pourquoi ne pas fusionner le Cirad et l'INRA ou l'IRD et le CNRS ?

La mission d'inspection concernant l'IRD a rendu son rapport en juin 2013 à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, au ministre des affaires étrangères et au ministre délégué chargé du développement. En prenant connaissance de ce rapport, votre rapporteure a pu constater le bilan globalement positif que l'ensemble des postes diplomatiques français dressaient des activités de l'IRD hors de France . Dans l'ensemble des pays concernés, l'IRD est reconnu, à la fois pour sa qualité scientifique pluridisciplinaire et pour sa présence sur le terrain dans la durée. Cette présence au Sud permet à l'IRD d'honorer sa mission, dont les principes fondateurs sont repris dans le contrat d'objectifs 2011-2015 : « promotion de la recherche au Sud, avec le Sud, pour le Sud » et assurent l'articulation entre les trois piliers de la connaissance - formation, recherche et innovation - au service du partenaire.

Même si cette appréciation globale, exprimée via notre réseau diplomatique, ne permet pas de mesurer la qualité de la relation partenariale nouée avec chaque pays du Sud, elle confirme que l'appareil français de coopération scientifique constitue un atout pour la France et répond à une attente des pays du Sud.

Votre mission souhaite faire mieux reconnaître à Paris cette appréciation positive, et, plus globalement, l'importance de la mission des opérateurs français de recherche pour le développement. Ceci implique de consolider l'identité de ces opérateurs et, dans ce but, de clarifier leur stratégie d'établissement respective.

Placés sous la tutelle conjointe des ministères de la recherche et des affaires étrangères, le Cirad, et plus encore l'IRD, sont partagés entre leur politique de site et leurs priorités scientifiques : comment éviter que la stratégie scientifique de l'établissement ne soit que l'agrégation des stratégies de chaque unité ? Comment raccorder les initiatives individuelles des chercheurs à des lignes communes à l'établissement entier ?

La confirmation du rôle des opérateurs de recherche dédiés passe donc par l'élaboration d'un schéma stratégique scientifique. Dans son rapport d'évaluation sur l'IRD en 2010, l'AERES pointait déjà « une insuffisance en matière de pilotage de la politique scientifique » : en réponse, l'IRD a adapté sa gouvernance, créé une direction générale à la science, déployé des programmes pilotes régionaux (PPR) pour mieux connecter ses domaines de recherche aux intérêts de développement des pays d'une région du Sud. Néanmoins, comme le souligne la mission d'inspection de l'IRD, les outils de pilotage global restent insuffisants : la politique « d'UMRisation » a accru la crédibilité scientifique de l'IRD et l'a rapproché des autres intituts de recherche mais elle fait courir le risque d'une dilution des moyens dédiés à la recherche partenariale avec le Sud dans des ensembles plus vastes ; en outre, au sein de l'IRD, l'approche par thématiques scientifiques est portée par la direction générale à la science, qui regroupe trois départements scientifiques de taille hétérogène 117 ( * ) , tandis que l'approche géographique est placée sous la responsabilité d'une mission générale pour la stratégie et le partenariat (MG2P), créée en 2010 et directement raccordée au président qui se trouve ainsi seul responsable de la cohérence d'ensemble.

Il convient en effet d'articuler la vision géographique et la vision scientifique/thématique de l'action des opérateurs de recherche partenariale : si la stratégie scientifique incline naturellement à renforcer les domaines d'excellence de l'IRD, la démarche partenariale appelle à explorer des thématiques co-construites avec les pays du Sud et pouvant être nouvelles. Notre politique étrangère a, en outre, ses impératifs en termes de zones d'action prioritaire ; elle a également intérêt à arrimer les thématiques de recherche de nos instituts de recherche pour le développement à l'agenda international pour étayer les positions françaises, par exemple au G20. Comment répartir l'effort au mieux, notamment au sein de l'IRD et du Cirad, pour faire concorder partenariat, géostratégie et excellence scientifique ? Comment maintenir dans la durée (par l'expatriation ou les missions de longue durée) la présence de chercheurs français dans les pays du Sud, tout en assurant une forme de réactivité aux besoins du Sud ?

C'est l'objet de la double tutelle des opérateurs que de résoudre ces dilemmes et d'assurer la cohérence globale.

Les deux ministères doivent pour cela trouver les moyens de mieux se coordonner. Le CICID, qui se réunit de manière irrégulière 118 ( * ) , ne paraît pas l'enceinte adaptée pour un dialogue soutenu et spécifique sur les opérateurs dédiés à la recherche pour le développement : c'est pourquoi votre mission propose de créer un comité de coordination ad hoc , réunissant de manière régulière 119 ( * ) le ministère des affaires étrangères et celui de l'enseignement supérieur et de la recherche pour un pilotage plus serré des opérateurs .

Votre mission propose d'adjoindre à ce comité de coordination, à titre d'observateur, l'Agence française de développement qui est aux avant-postes de notre politique de coopération et dont les opérationnels sont bien placés pour faire remonter les questions de recherche les plus adaptées aux pays où se déploie l'action de l'AFD. Comme le disait à votre mission M. Alain Henry, directeur de son département recherche : « l'AFD a un rôle stratégique vis-à-vis de la recherche : notre rôle, c'est de poser aux chercheurs les bonnes questions - et il n'y a pas de bonnes recherches sans bonnes questions . »

Il n'est pas sûr que le rapprochement physique de l'IRD et de l'AFD au sein d'une cité de la coopération internationale et du développement, projetée à Marseille, suffise à faciliter le dialogue entre l'AFD et la recherche pour le développement.

L'AFD, en la personne de son directeur de la stratégie, est présente au sein du conseil d'administration de l'IRD ; de même, son contrat d'objectifs et de moyens lui recommande de se rapprocher des établissements dédiés à la recherche pour le développement : « L'activité de production intellectuelle de l'AFD se fera en synergie la plus forte possible avec les autres acteurs français de la recherche sur le développement (IRD, Cirad) dans le but de mutualiser et de maîtriser les moyens consacrés à ces activités, conformément aux conclusions du comité de suivi de la RGPP. » Le contrat prévoit même à cette fin qu'un comité de coordination se réunisse au moins une fois par an en présence des membres du co-secrétariat du CICID pour débattre des grandes orientations du plan de recherche de l'Agence, et d'une programmation pluriannuelle indicative, incluant d'éventuels programmes conjoints d'études.

En parallèle de ses activités opérationnelles, l'AFD développe effectivement une activité de production de connaissances et de conseil ; son département recherche a un rôle d'animation et de production de recherches qu'il soumet à divers centres de recherche : lors de son audition par votre mission, M. Alain Henry, qui dirige ce département recherche de l'AFD, a indiqué que l'AFD sollicitait pour des travaux d'études et de recherches l'IRD, le Cirad mais aussi le Centre d'études et de recherches sur le développement international (CERDI), l'Institut français des relations internationales (IFRI), des universités internationales (britanniques, hollandaises, américaines et égyptienne), des centres de recherches du Sud, comme le Forum euro-méditerranéen des instituts en sciences économiques (FEMISE) ou, au Niger, le Laboratoire d'études et de recherches sur les dynamiques sociales et le développement local (LASDEL), l'Académie des sciences sociales au Vietnam...

De l'avis général des personnes que votre mission a entendues, la collaboration entre les instituts français de recherche pour le développement et l'AFD est insuffisante ; et votre mission n'a entendu parler d'aucune réunion du comité de coordination prévu par le contrat d'objectifs et de moyens, et encore moins de programmation conjointe de recherche entre l'AFD, l'IRD et le Cirad.

Dans les pays du Sud qui ne font pas partie des 17 pays pauvres prioritaires et qui, comme le Cameroun, ont atteint le point d'achèvement de l'initiative Pays pauvres très endettés (PPTE) 120 ( * ) , ce sont les contrats de désendettement et de développement (C2D) , permettant au pays bénéficiaire d'utiliser les sommes libérées suite à l'annulation de la dette pour financer des projets de développement, qui constituent, de facto , la stratégie française de coopération au développement de ces pays : il est regrettable que ces documents négociés par l'AFD coexistent avec d'autres documents stratégiques émanant des autres institutions du dispositif français, et notamment des instituts français de recherche, sans qu'aucun lien ne soit établi entre eux.

De même , votre mission déplore que, lors de l'élaboration du document cadre de partenariat (DCP) , qui fixe les priorités de l'action française de coopération mais n'est plus obligatoire 121 ( * ) que dans chacun des 17 pays pauvres prioritaires, le MAEE n'implique pas suffisamment les institutions de recherche pour le développement. C'est d'autant plus regrettable que l'élaboration de ce DCP obéit à un processus partenarial pour prendre en compte les réalités du pays partenaire et aligner le DCP sur la stratégie nationale de ce pays, processus susceptible de mieux ajuster l'offre française de partenariats de recherche aux besoins du pays considéré.

Il convient donc d'organiser le dialogue entre l'AFD et les opérateurs dédiés à la recherche en partenariat pour envisager une programmation commune en amont avec les pays du Sud, améliorer ainsi l'efficacité des stratégies de développement et faciliter l'élaboration d'une réponse française commune aux appels d'offres internationaux. Comment comprendre que le projet de la Banque Mondiale de créer des centres d'excellence en Afrique ne trouve pas de réponse française ? Mme Marion Guillou, présidente d'Agreenium, a effectivement indiqué à votre mission que l'AFD, vers laquelle s'est tournée la Banque Mondiale, a décliné cette offre qui dépassait sa fonction de bailleur de fonds. Votre mission ne peut que regretter que, du fait d'un défaut de dialogue entre acteurs français du développement, ces nouveaux centres d'excellence en Afrique partent vers d'autres universités africaines que nos partenaires alors que, comme le faisait observer Mme Guillou, « 85 % des francophones du monde seront africains en 2050 et tout le système d'enseignement-recherche africain est à rétablir ».

Pour intégrer effectivement la dimension recherche dans notre politique de coopération, votre mission propose donc d'inviter l'AFD comme observateur au comité de pilotage ministériel de la recherche pour le développement. Symétriquement, elle préconise de prévoir une présence de l'IRD au conseil d'administration de l'AFD . Ce conseil comprend 17 membres : outre les 12 membres représentants l'État, le Parlement et le personnel de l'agence, siègent à ce conseil cinq personnalités qualifiées : quatre en raison de leur connaissance des problèmes économiques et financiers, et une en raison de sa connaissance de l'écologie et du développement durable. Y adjoindre une sixième personnalité susceptible d'apporter sa connaissance de la recherche pour le développement pourrait être fructueux pour amener l'AFD à mieux tenir compte de cette dimension dans les contrats partenariaux qu'elle négocie au nom de la France avec les pays du Sud.

Il est temps de sortir du « Yalta » opéré entre le MAE et l'AFD, confiant les actions de recherche au MAEE et les tenant de ce fait trop souvent à l'écart de la politique de coopération bilatérale que mène la France au Sud . L'OCDE en suggère d'ailleurs la nécessité : dans son examen consacré à la France en 2013, le Comité d'aide au développement (CAD) de l'OCDE pointe l'absence de stratégie de la France en matière de renforcement des capacités, alors que notre pays finance de nombreux acteurs et actions en ce domaine. Évoquant le projet cadre d'intervention transversale de l'AFD en matière de renforcement des capacités qui sera présenté prochainement au conseil d'administration de l'agence , le CAD de l'OCDE propose d'élargir cette initiative aux autres acteurs de la coopération française : les opérateurs de la recherche pour le développement doivent y tenir leur juste place.

Votre rapporteure soutient donc la nécessité de clarifier la stratégie scientifique des opérateurs de recherche pour le développement et d'organiser leur connexion à l'AFD, acteur-pivot de la politique française de développement.

2. Confier à l'ANR la programmation et le financement direct de la recherche avec le Sud

Le rapprochement entre les opérateurs de recherche pour le développement et la convergence de leur programmation n'ont pu être réalisés par l'agence inter-établissements, pour les raisons déjà exposées plus haut. Puisqu'il est établi que la situation actuelle de l'AIRD n'est pas tenable, il convient d'en tirer les conclusions.

Votre mission estime en effet que le projet de transformer l'IRD en agence de financement dédiée à la recherche pour le développement a fait long feu. Elle plaide au contraire pour une reconnaissance de l'IRD comme opérateur de recherche efficace et utile. Elle juge en outre que, du fait du contexte budgétaire français mais aussi de l'éclaircissement en cours du paysage national de la recherche, le moment n'est pas propice pour créer une nouvelle entité qui serait dédiée au financement de la recherche pour le développement. Elle observe aussi que, de toute façon, une telle entité n'aurait pas le monopole du financement de la recherche avec le Sud, puisqu'en 2012, l'ANRS, agence autonome au sein de l'INSERM, a consacré 13,5 millions d'euros, soit le tiers de son budget à la recherche au Sud, essentiellement sur le sida et les hépatites virales.

Considérant la montée en puissance de l'ANR et la crédibilité qu'elle a acquise dans sa fonction de financement de la recherche, votre mission propose de lui confier la fonction de programmation et de financement de la recherche au Sud . La recherche pour le développement se trouverait ainsi raccordée à la stratégie nationale de la recherche.

L'AGENCE NATIONALE DE LA RECHERCHE

Créée en 2005, sous la forme d'un groupement d'intérêt public (GIP), l'Agence nationale de la recherche (ANR) est devenue un établissement public administratif au 1er janvier 2007, selon les dispositions de la loi de programme pour la recherche.

Elle a pour principales missions de financer et de promouvoir le développement des recherches fondamentales, appliquées et finalisées, l'innovation et le transfert technologique, ainsi que le partenariat entre le secteur public et le secteur privé. Son principal mode d'action est le lancement d'appels à projets auprès des équipes de recherche et la sélection des lauréats sur la base de critères d'excellence scientifique.

Source : Le financement public de la recherche, un enjeu national , rapport de la Cour des comptes, juin 2013 .

L'ANR n'est aujourd'hui pas étrangère à cette activité : Mme Pascale Briand, directrice générale, a indiqué à votre mission que l'agence avait soutenu financièrement, sur la période 2005-2011, 70 projets associant des équipes des pays du Sud, ce qui représente environ 5 % des projets internationaux de l'ANR pour un montant de 28 millions d'euros 122 ( * ) .

Pour ces interventions en matière de collaborations internationales, l'ANR travaille à la construction des appels à projets avec ses homologues étrangères, chacune de ces agences finançant les équipes de recherche de son pays. L'AIRD procède différemment : elle délègue la gestion d'une partie de ses programmes à des équipes à l'étranger. Les deux agences ont déjà été amenées à travailler ensemble, notamment lorsqu'il n'existe pas d'agence de financement à l'étranger. L'ANR finance les équipes françaises et l'AIRD celles du Sud (grâce à son réseau de régies locales) pour les projets partenariaux sélectionnés. Mme Briand indique que ce sont plus de 110 équipes africaines qui ont été ainsi partenaires de projets soutenus par l'ANR, sur la période 2005-2011.

L'ANR, déjà familière du financement de la recherche partenariale avec les Sud, présente aussi l'avantage de travailler avec des institutions du Sud (les agences de recherche, quand elles existent) qui sont à même d'engager leur pays : dans ces conditions, la programmation de la recherche avec le Sud par l'ANR serait plus efficace que celle menée par l'AIRD, où le Sud est aussi représenté (au Conseil d'orientation) mais par des personnalités qui ne sont pas habilitées à engager leur pays.

Pour que l'ANR puisse assumer cette fonction, le cadre juridique de son activité devra être adapté pour l'autoriser à financer directement les équipes de recherche des pays du Sud collaborant avec des équipes Nord sur les projets de recherche sélectionnés. Il conviendra aussi d'organiser la participation des institutions de recherche pour le développement et de l'AFD à la mission de programmation de la recherche en partenariat avec le Sud pour assurer une cohérence d'ensemble. À cet effet, une formation « Sud » du conseil d'administration de l'ANR incluant des représentants de l'AFD et des établissements de recherche pour le développement pourrait s'envisager.

Outre cet aménagement des règles applicables à l'ANR, la solution préconisée implique de dédier une ligne de crédits de l'ANR adaptée au financement de ces projets avec le Sud (qui se déploient sur une durée longue pouvant atteindre dix ans 123 ( * ) et se caractérisent par leur caractère interdisciplinaire) et d'y consacrer une dotation assez conséquente pour faire effet de levier et attirer des financements extérieurs : sans une telle sanctuarisation, les moyens qui manquaient à l'AIRD manqueront aussi à l'ANR, qui s'évertue déjà à préserver sa dotation budgétaire. Selon le rapport d'inspection sur l'IRD, une dotation de 10 millions d'euros suffirait à donner un élan aux projets de recherche partenariale avec le Sud; ce montant, supérieur aux engagements actuels de l'AIRD, reste très modeste par rapport aux montants de l'APD, et notamment quand on le compare par exemple à la seule contribution française au fonds mondial de lutte contre le sida (360 millions d'euros en 2013). Une ponction de 10 millions sur cette contribution française ne représenterait qu'une diminution de 2,77 % de cette contribution, alors même que la France demeure le premier donateur européen du Fonds mondial et le deuxième sur le plan international : le cumul des sommes versées par la France à ce fonds depuis sa création en 2002 atteint ainsi 2,6 milliards d'euros.

On peut aussi observer que l'AFD dispose d'un budget de 5 millions d'euros pour commander des travaux de recherche : lors de son audition par votre mission, M. Alain Henry, directeur du département recherche de l'AFD, a jugé maigre cette enveloppe. Elle représenterait pourtant la moitié du montant susceptible de donner un nouvel élan à la recherche en partenariat avec le Sud.

Parallèlement à cette réforme de l'ANR pour permettre le financement direct des centres de recherche du Sud partenaires des équipes françaises, votre mission insiste sur la nécessité de réintégrer dans l'IRD les personnels transférés à l'AIRD ainsi que la dotation initiale qu'il avait consentie à l'agence par ponction sur son propre budget, afin de lui rendre les moyens d'action dont il disposait avant la création de l'AIRD .

3. Adapter les critères d'évaluation scientifique de la recherche partenariale avec le Sud pour valoriser sa contribution au développement

La recherche pour le développement est reconnue comme une recherche de qualité à l'aune des standards internationaux. Mais cela dit-il quelque chose de son impact sur le développement du Sud ? L'évaluation scientifique des organismes de recherche valorise-t-elle leur contribution effective au développement ?

Outre les évaluations internes qu'ils organisent, les établissements dédiés à cette recherche sont fréquemment évalués par de multiples institutions. Leurs dispositifs et projets font l'objet d'évaluations croisées de la part des bailleurs de fonds ou des pays partenaires.

Surtout, comme tout organisme de recherche, les deux opérateurs dédiés à la recherche pour le développement, le Cirad et l'IRD, ainsi que leurs unités de recherche font en France l'objet d'une évaluation par l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES) 124 ( * ) , autorité administrative indépendante créée en 2007. De ce point de vue, la recherche de l'IRD est très bien évaluée : plus de 85 % de ses unités de recherche ont reçu une note A ou A+ de l'AERES.

Comme l'a expliqué à votre mission M. Didier Houssin, président de l'AERES, l'Agence tient compte autant que possible des spécificités engendrées par le mandat des instituts dédiés à la recherche pour le développement, mais il lui est difficile d'évaluer l'impact de la recherche sur le développement du Sud. Le nouveau référentiel d'évaluation qu'utilise l'AERES depuis mai 2012 comprend six critères dont deux peuvent concerner plus spécifiquement le groupe des organismes de recherche finalisée (EREFIN) 125 ( * ) : le critère 3, qui porte sur la qualité des interactions avec l'environnement social, économique et culturel, et tente de mesurer en quoi la recherche contribue au processus d'innovation; et le critère 5 qui analyse l'implication de l'entité évaluée dans la formation par la recherche en master et doctorat. Les autres critères d'évaluation sur lesquels s'appuie le travail d'expertise de l'AERES sont la production et la qualité scientifiques, le rayonnement et l'attractivité académiques, l'organisation et la vie de l'entité, la stratégie et le projet à cinq ans.

Néanmoins, les critères internationaux de la bonne recherche (tels le nombre de publications dans des revues scientifiques à comité de lecture) restent prégnants et incitent les chercheurs à privilégier la recherche fondamentale plutôt que la recherche finalisée . Le président de l'AERES a cité l'exemple d'une recherche confiée à l'INRA pour déterminer quelle culture pourrait être retenue aux Antilles pour limiter l'impact sanitaire du chlordécone : il a observé qu'il s'agissait d'une question très importante pour le lieu considéré, mais que la recherche destinée à y répondre n'était pas de celles que mettent en avant les meilleures revues scientifiques.

L'IRD dispose déjà de ses propres indicateurs relatifs au développement autonome de la recherche au Sud : nombre de copublications, de docteurs formés... Le Document de politique transversale 2013 retient lui aussi l'indicateur de la part des copublications pour mesurer les résultats de la recherche pour le développement. Mais le Comité d'aide au développement (CAD) de l'OCDE souligne, dans son récent examen de la politique française de coopération au développement 126 ( * ) , que cet indicateur ne permet pas de rendre pleinement compte de l'impact des programmes sur la capacité scientifique et le développement des pays du Sud. L'IRD reconnaît lui-même que la mesure précise de l'impact de la recherche pour le développement reste difficile à terme puisque de multiples influences, dont l'instabilité économique ou politique, affectent le monde de la recherche dans les pays du Sud.

Votre mission estime donc nécessaire de reconsidérer les critères d'évaluation de la recherche pour le développement pour mieux prendre compte ses spécificités et son impact réel sur le développement, qui constitue sa finalité ultime . Si l'on s'accorde à reconnaître que l'objectif de la recherche pour le développement est de valoriser le renforcement des capacités au Sud, il importerait de mesurer ce « capacity building » par des indicateurs plus adaptés : l'insertion des docteurs originaires des pays du Sud dans les réseaux internationaux de recherche, la qualité des relations entre les organismes de recherche présents au Sud et les milieux socio-économiques, les activités de formation mais plus encore de renforcement institutionnel du partenaire par structuration de son appareil d'enseignement supérieur et de recherche, la valorisation de la recherche grâce à son appropriation par les décideurs publics ou par les acteurs économiques ou sociaux, la part de brevets déposés en copropriété avec le partenaire...

Si l'observation de tels indicateurs permettrait de progresser dans la mesure de l'impact de la recherche pour le développement, votre mission est bien consciente du fait qu'il restera toujours difficile de quantifier les résultats de recherche qui ont eu un impact direct sur les politiques publiques d'un pays ou sur des procédés technologiques utiles au Sud, tant le processus de décision ou d'innovation dans tout pays est complexe et rarement linéaire.

Surtout, elle juge que cette évaluation scientifique au Nord doit se doubler d'une évaluation des projets de recherche menés au Sud par les populations qui en sont les destinataires. Ce point, qui participe de l'amélioration de la mise en oeuvre effective de nos partenariats de recherche avec les pays du Sud, sera développé plus loin.

4. Engager une concertation entre partenaires sociaux afin de favoriser la mobilité des chercheurs français vers le Sud

Dès lors que l'on reconnaît la présence durable au Sud des opérateurs de recherche pour le développement comme essentielle à leur mission, il convient de trouver les moyens de favoriser la mobilité des chercheurs français vers le Sud.

Aujourd'hui, les agents de l'IRD ou du Cirad qui sont dans les pays du Sud relèvent soit du régime de l'expatriation, défini par un décret de 1967 127 ( * ) , soit de celui des missions de longue durée (limitées à quelques mois). Dans le contexte budgétaire actuel, de nombreuses voix s'élèvent pour dénoncer le coût de l'expatriation pour les finances publiques 128 ( * ) , mais aussi son manque de flexibilité, ce qui peut entraîner un décalage avec les besoins effectifs du pays hôte. Les missions de longue durée, plus courtes que les expatriations et inadaptées pour des projets de recherche nécessitant plusieurs années, ne peuvent s'y substituer, d'autant qu'elles soulèvent des difficultés pour la vie privée des agents, lesquels ne peuvent installer leur famille avec eux pour quelques mois dans le pays partenaire.

Le rapport des inspecteurs sur l'IRD indique que, sur les 2 176 agents que compte l'IRD, près de 40 % d'entre eux sont expatriés « pour des durées de deux à quatre ans afin de mener leurs travaux de recherche et contribuer au renforcement des compétences des pays d'accueil ». Le même rapport précise plus loin que « les durées d'expatriation varient en moyenne entre quatre et cinq ans, mais peuvent aller jusqu'à neuf ans. »

Les antennes de l'IRD hors de France reposent donc sur un nombre important de chercheurs expatriés, souvent pour une durée assez longue. Votre mission ne méconnaît pas l'atout que représente la présence sur le terrain dans la durée, spécialement dans le domaine de la recherche où les projets nécessitent du temps ; c'est précisément pour cela qu'elle se soucie de la faciliter et d'en assurer la soutenabilité financière.

Les inspecteurs de l'IRD suggèrent de limiter effectivement la durée des expatriations à quatre ans, de réduire le nombre d'expatriés, ou de faire évoluer leurs modalités de rémunération.

Votre mission suggère d'aller au-delà de ce raisonnement strictement quantitatif et d'élargir le débat : elle propose d'engager une concertation entre les partenaires sociaux autour de la création d'un nouveau statut de chercheur au Sud, entre les missions de longue durée et l'expatriation classique . Ce statut pourrait être proposé aux chercheurs, en fonction des besoins et des projets de partenariat. Il faciliterait les allers-retours de chercheurs entre la France et le Sud et leur donnerait l'occasion de se confronter régulièrement avec la communauté scientifique ; il contribuerait aussi, en favorisant la mobilité, à une plus grande diversité des chercheurs français au Sud, et notamment à une présence accrue au Sud de jeunes chercheurs et de chercheuses.

Si les organismes de recherche pour le développement peuvent s'appuyer sur une stratégie clarifiée, développer leurs synergies avec l'AFD, trouver un financement auprès de l'ANR et pérenniser leur présence au Sud, leur mission sera confortée.

Il convient, en conséquence, d'assurer la cohérence des politiques publiques, celles menées par les acteurs du développement comme celles qui interfèrent à la marge avec la recherche pour le développement.


* 116 Cf. décision n° 7.

* 117 Le département « Environnement et ressources » abrite 61 % du nombre d'unités de recherche, le restant se partageant entre les départements « Sociétés » et « Santé », de taille beaucoup plus réduite.

* 118 Sa dernière réunion, le 31 juillet 2013, est intervenue 4 ans après la précédente (en 2009).

* 119 Sur un rythme annuel ou biannuel.

* 120 Fondée à la fin des années 1990 sur une action coordonnée de la communauté internationale pour réduire le poids de la dette extérieure à un niveau soutenable.

* 121 Depuis 2011.

* 122 30 % d'entre eux concernent le domaine de l'environnement, autant celui des sciences sociales, 4 % la santé et 1% la physique.

* 123 Alors que le financement sur projet intervient généralement sur trois ou quatre ans seulement.

* 124 La loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche substitue le Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES) à l'AERES, à compter de la date de publication du décret en Conseil d'État prévu à l'article L. 114-3-6 du code de la recherche.

* 125 Qui inclut notamment l'IRD... mais aussi le CEA.

* 126 Examen par les pairs de l'OCDE sur la coopération au développement, France 2013 , publié en juin 2013 par le Comité d'aide au développement de l'OCDE.

* 127 Décret n° 67-290 du 28 mars 1967 fixant les modalités de calcul des émoluments des personnels de l'Etat et des établissements publics de l'Etat à caractère administratif en service à l'étranger, modifié plusieurs fois depuis.

* 128 Selon le rapport d'inspection, l'indemnité d'expatriation représente 26,6 millions d'euros en 2012 pour l'IRD.

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