II. AMÉLIORER NOS PARTENARIATS DE RECHERCHE AVEC LES SUDS

La mise en oeuvre des partenariats de recherche entre la France et les pays du Sud est délicate et leur impact est incertain. Pour assainir nos partenariats de recherche, votre mission juge primordial de mieux accompagner les pays du Sud à chaque étape de la recherche ; elle préconise aussi de favoriser l'effet d'entraînement que la recherche partenariale peut avoir sur le développement économique du pays partenaire.

A. AUTONOMISER LES PAYS DU SUD A CHAQUE ETAPE DE LA RECHERCHE

Le partenariat de recherche avec les pays du Sud doit se dérouler dans le respect mutuel, à toutes les phases du processus : depuis la définition des objets de recherche jusqu'à l'évaluation du projet de recherche, en passant par le montage du projet et sa mise en oeuvre.

1. Mieux répondre aux besoins du Sud dans la définition des objets de recherche et les formations proposées

La définition des objets de recherche doit être véritablement partagée entre les deux pays partenaires.

Lors de son audition, le directeur général de l'AIRD a présenté les attentes exprimées par le collège Sud du COrA à l'égard de l'IRD. Parmi celles-ci, on peut noter la demande des pays du Sud de développer en commun avec nos opérateurs des recherches répondant aux besoins de ces pays. Les inspecteurs de l'IRD ont confirmé à votre rapporteure que c'était également ce qui ressortait de la consultation des postes diplomatiques à laquelle ils avaient procédé: les postes de la France au Sud ont exprimé des réserves à l'égard des propositions de recherche partenariale que faisait l'IRD, propositions qui allaient dans le sens de ce que l'IRD sait déjà bien faire (surtout les sciences humaines) au lieu de rencontrer les besoins exprimés par les pays.

De façon plus explicite, M. Philippe Marchesin, maître de conférences à l'Université Paris 1, s'est aussi interrogé, lors de son audition, sur la nature des priorités françaises de recherche : soutien à l'exportation de la marque France ou aide au développement ?

Votre mission estime que toutes les nouvelles thématiques offrent des perspectives de partenariats à armes égales entre chercheurs du Nord et du Sud et sont donc particulièrement prometteuses pour l'équilibre des relations . Elles permettent de résoudre la tension entre excellence et partenariat : les institutions de recherche pour le développement doivent donc être encouragées à explorer de nouveaux champs de recherche.

Au-delà de la question du choix des thématiques de recherche, il convient aussi de prendre en compte deux grands types de besoins qui émergent des pays du Sud: d'une part, la recherche technologique, comme l'a confirmé la directrice générale de l'ANR; d'autre part, la valorisation de la recherche c'est à dire le transfert de ses résultats dans la sphère économique, l'aide à la création d'entreprise...

Il importe donc d'adapter nos opérateurs de recherche pour le développement à ces besoins, auxquels leur organisation actuelle ne leur permet pas de répondre. « L'UMRisation » accélérée de l'IRD ces dernières années, si elle a conforté sa qualité scientifique, a déplacé le centre de gravité de l'institut vers la recherche fondamentale ; or l'IRD ne peut se réduire à être le CNRS du Sud : il est attendu au Sud non pas pour faire de la coopération scientifique comme peut le faire le CNRS mais pour mettre en place des partenariats de recherche dans de nouveaux domaines, spécifiquement orientés vers le développement .

Cette adaptation concerne surtout l'IRD, dont l'objet est beaucoup plus large que le Cirad, qui est intégré dans un continuum, du plus fondamental au plus appliqué, dans un seul domaine, l'agronomie, où les besoins de recherche sont encore prégnants pour longtemps.

Pour s'assurer de l'implication nationale des pays du Sud et donc de la concordance entre leurs besoins et les projets de recherche en partenariat, il peut être utile d'évoquer la méthode retenue par le FFEM pour concevoir ses projets pilotes dans cette optique : comme l'a indiqué le secrétaire général du FFEM, M. Duporge, le cofinancement du FFEM ne peut excéder 30 % de ces projets et leur maîtrise d'ouvrage est confiée au Sud, qui lance les appels d'offres et sélectionne les prestataires.

Plus grande est la place laissée par le partenaire Nord à l'implication du partenaire Sud, plus grande sera l'adaptation à ses besoins.

2. Accompagner le montage des projets en partenariat : vers une ingénierie mutualisée

Après la définition de l'objet du projet de recherche, vient le temps du montage de ce projet pour solliciter des financements : il faut aussi accompagner les partenariats à ce stade.

Dès lors qu'elle serait habilitée à financer directement des équipes du Sud participant aux projets de recherche partenariale qu'elle aura retenus, l 'ANR pourrait offrir un accompagnement au montage de ce type de projets. Les chercheurs français ont déjà signalé la lourde implication que nécessite la préparation de dossiers pour l'octroi de crédits nationaux mais aussi européens. Il va sans dire que cette lourdeur est encore plus difficile à surmonter pour des équipes du Sud, peu familières des arcanes de la bureaucratie française et européenne. Plusieurs recourent déjà aux services de cabinets privés, notamment à Bruxelles, pour des prestations d'ingénierie de projets. Il faut donc, pour reprendre les mots de M. Bernard Cerquiglini, recteur de l'Agence universitaire de la francophonie, « aider les chercheurs à parler l'eurocrate ».

Lors de son audition par votre mission, Mme Pascale Briand a exprimé ses réserves d'ordre général sur une implication de l'ANR dans l'accompagnement au montage de projets : elle a fait valoir qu'accompagner les équipes de recherche dans ce travail d'ingénierie représenterait pour l'agence une charge de travail trop lourde. Elle a aussi souligné le risque d'injustice que la fourniture de ce service à certaines équipes mais non à d'autres pouvait engendrer. Elle est néanmoins convenue qu'un tel accompagnement pourrait faire sens avec les équipes originaires des pays du Sud : « Un accompagnement serait peut-être pertinent dans les collaborations avec les pays du Sud. Nous ne sommes pas calibrés pour ce faire. »

Si, comme le demande votre mission, l'ANR est correctement dotée pour assurer une nouvelle mission de financement des équipes du Sud, il conviendrait aussi d'y inclure les moyens humains et financiers nécessaires à l'ANR pour fournir cet accompagnement qui seul peut rendre le nouveau dispositif de financement opérationnel .

À l'échelon européen, la Commission européenne, en tant que financeur, a développé un service communautaire d'information sur la recherche et le développement : CORDIS . Un site internet dédié diffuse ainsi des informations sur tous les projets de recherche financés par l'UE et leurs résultats. Surtout, on y trouve un guide pratique pour accéder au financement européen 133 ( * ) . Ce guide ne remplace pas une prestation personnalisée d'accompagnement au montage de projets européens. Cet accompagnement personnalisé ressort des Points de contact nationaux, structures nationales destinées à fournir un soutien de terrain et dans la langue du déposant pour solliciter les fonds européens dédiés à la recherche . La France compte plusieurs points de contact nationaux, la plupart étant siutés au sein d'universités ou d'organismes de recherche, dont plusieurs à l'IRD, et le ministère de la recherche en assure la coordination nationale. En outre , la direction générale (DG) chargée du développement de la Commission européenne octroie des fonds destinés au renforcement des capacités scientifiques du Sud qui peuvent notamment contribuer à faciliter le montage de projet , en finançant la formation de personnes du pays bénéficiaire aux subtilités du programme cadre de recherche, de manière à sensibiliser la communauté scientifique du pays ainsi que les étudiants/doctorants aux possibilités qui leur sont offertes par le programme-cadre européen 134 ( * ) . Enfin, selon les informations recueillies par votre rapporteure, la DG Recherche et innovation organise des formations pour les Points de contact nationaux situés dans les pays du Sud 135 ( * ) et finance leur mise en réseau pour faciliter la coopération transnationale en ce domaine 136 ( * ) .

Votre mission estime que cette assistance au montage de projets européens doit être valorisée et encourage une meilleure publicité des points de contact nationaux, notamment par le biais de notre réseau diplomatique ou des agences françaises de développement présentes dans les pays du Sud qui sont dépourvus de tels points de contact et qui auraient besoin de l'accompagnement des points de contact situés en France pour solliciter des crédits européens.

3. Mener la recherche dans une relation d'égal à égal

Dans la mise en oeuvre proprement dite des partenariats de recherche, votre mission défend une véritable parité Nord/Sud pour assurer une relation d'égal à égal .

Le fonctionnement de l'ANRS apparaît exemplaire à cet égard : son directeur, M. Delfraissy, a expliqué que, dans la dizaine de sites où l'ANRS demeure au Sud, un responsable Nord et un responsable Sud étaient toujours associés et placés au même niveau.

De même, votre mission juge très éclairante la manière paritaire dont fonctionne le Centre de Recherches Médicales et Sanitaires (CERMES) du Niger, qui appartient au réseau international des Instituts Pasteur : la directrice générale du CERMES, Mme Odile Ouwe Missi Oukem, a indiqué qu'il y avait désormais un équilibre entre le nombre de chefs d'unité expatriés (chercheurs Nord) et de chefs d'unité nationaux (chercheurs Sud). Elle a estimé fructueux de mettre ainsi les chercheurs Sud en face de leurs responsabilités, ce qui les incitait à montrer qu'on avait eu raison de leur faire confiance. Elle a recommandé de s'inspirer en ce domaine des Anglo-Saxons qui, en fonction de la compétence de chacun, n'hésitent pas à ouvrir aux nationaux les postes d'expatriés vacants et à proposer à des Anglo-Saxons des postes habituellement occupés par les nationaux (avec un contrat local).

L'équilibre de la relation de partenariat tient aux deux parties. Comme Mme Ouwe Missi Oukem l'a fait valoir, le Sud doit aussi progresser dans ce souci et voir, au-delà du financement qu'apporte le Nord, la qualité du partenariat proposé . Elle a évoqué les résistances qu'elle avait pu rencontrer à cet égard lorsqu'elle avait tenu, lors d'une négociation de partenariat avec le Royaume-Uni, à préserver la propriété du laboratoire nigérien sur les échantillons de recherche.

L'équilibre de la relation partenariale est souvent plus aisé dans les projets engagés au titre de la coopération décentralisée : sans biais d'influence, ces projets sont naturellement plus vertueux. Ils offrent des exemples de bonnes pratiques , qui devraient être mieux valorisées. C'est notamment le cas du programme de recherche et de formation que le Conseil régional du Nord-Pas de Calais soutient depuis vingt ans au Sénégal pour lutter contre la bilharziose , maladie apparue après la construction d'un barrage sur le fleuve Sénégal pour l'irrigation des cultures. M. André Syrota, président-directeur général de l'INSERM, a lui-même fait valoir ce projet devant votre mission.

4. Associer les pays du Sud à l'évaluation des projets de recherche menés en partenariat

L'évaluation des projets de recherche doit aussi faire partie de la relation partenariale : elle ne peut ignorer les populations cibles du projet, à qui la recherche est destinée.

Les opérateurs français de recherche pour le développement font l'objet d'une évaluation sous l'angle scientifique depuis Paris : votre mission l'a déjà évoqué pour proposer d'en adapter les critères afin de valoriser leur contribution au développement réciproque.

En revanche, les projets de recherche menés en partenariat ne sont pas évalués au Sud. Les pays du Sud ne sont-ils pas les mieux placés pour juger de l'impact sur leur développement des partenariats de recherche qu'ils mènent avec la France ?

D'une manière générale, la Déclaration de Paris sur l'efficacité de l'aide en 2005 a relancé les politiques d'évaluation et conduit les administrations à définir des programmes encourageant « la culture de l'évaluation et du résultat » dans les politiques publiques d'aide au développement. L'an passé, la Cour des comptes a souligné les difficultés théoriques et pratiques d'évaluer l'aide au développement, mais aussi « la dispersion » de notre dispositif d'évaluation 137 ( * ) et « la modestie » de notre effort, malgré le volontarisme affiché 138 ( * ) .

Au-delà de cet appel bienvenu à évaluer davantage et de façon enfin coordonnée, votre mission tient à souligner un point de méthode essentiel : dès lors qu'on évalue un partenariat de recherche, il est indispensable que les partenaires soient placés en position symétrique dans l'exercice d'évaluation, quelle que soit l'asymétrie de leurs compétences scientifiques. Car la perspective de l'évaluation, ici, est autant politique que scientifique : la référence du jugement de valeur prononcé par l'évaluation est « le développement » visé par la société où l'action se déroule, le « souhaitable », un domaine où les représentations culturelles sont éminentes.

L'évaluation conjointe de l'impact sur le développement d'une recherche partenariale doit se faire en référence aux matrices existantes d'évaluation comme celle déjà utilisée par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD). A ce titre, la question de la place faite aux femmes devrait faire partie du champ de l'évaluation, puisque la promotion de l'égalité et de l'autonomisation des femmes est le troisième des huit Objectifs du millénaire pour le développement. La prise en compte de cet objectif transversal est précisément au coeur de la nouvelle stratégie « Genre et développement » (2013-2017) adoptée par le Gouvernement lors du CICID du 31 juillet 2013 139 ( * ) .

Les opérateurs dédiés - le Cirad et l'IRD - ont très bien intégré l'impératif d'une évaluation conjointe dans leur « doctrine », en soulignant combien l'évaluation de la recherche pour le développement était d'abord celle du partenariat lui-même 140 ( * ) . Ils ont bien identifié des objets et des critères pour cette évaluation, en particulier la réciprocité, qui suppose une définition claire et préalable des objectifs et des responsabilités de chacun, et qui passe par le partage du projet, de sa définition à ses résultats. Or votre mission constate que l'exercice d'évaluation est très loin d'être partagé avec les partenaires du Sud . Une réserve de principe est souvent avancée : les pays du Sud n'auraient pas assez de capacités scientifiques et universitaires pour conduire des évaluations. Cet argument ne tient pas assez compte non seulement des capacités existantes au Sud, mais surtout de la dimension politique de l'évaluation de la recherche pour le développement, qui ouvre un espace de dialogue - et d'apprentissage mutuel - sur la définition de l'action.

Dans cette perspective, l'expérience de l'ANRS est instructive : son directeur a expliqué à votre mission comment, en trente ans, la toute-puissance médicale avait dû céder du terrain face aux milieux associatifs, qui se sont imposés par leur connaissance du sida quand la recherche n'avançait pas. Au Nord comme au Sud, les malades sont ainsi très présents dans la vie de l'ANRS, qu'il s'agisse de son conseil d'administration, de son conseil scientifique, de ses différentes instances de décision... Sans nier le fait que le sujet de recherche soit particulièrement propice à une présence sociétale au sein de l'organisme de recherche, le directeur de l'ANRS a estimé souhaitable d'élargir la place réservée aux points de vue des bénéficiaires de la recherche dans d'autres domaines.

Cette perspective s'entend peut-être plus facilement pour les questions relatives à la santé, mais votre mission considère qu'elle a aussi toute sa pertinence dans les autres champs de recherche pour le développement.

Une évaluation au Sud de l'impact de ces recherches sur les pays en développement reste donc à inventer.

L'AFD a pris des initiatives importantes dans cette direction, en systématisant les retours d'expérience, ou encore en organisant des ateliers « Regards croisés sur l'efficacité de l'aide », confiés à des intervenants extérieurs (du Groupe de recherche et d'échanges technologiques, le GRET). L'Agence a également mis en place un comité des évaluations, ouvert aux deux autres administrations qui évaluent des actions en faveur du développement. Et c'est à ces différents niveaux que votre mission croit nécessaire d'associer des représentants des pays du Sud , afin de connaître le jugement qu'ils portent sur l'impact mais aussi sur le déroulement du projet, depuis le choix du sujet jusqu'à sa valorisation éventuelle.

En complément de l'amélioration du caractère partenarial de la relation de recherche entre la France et les pays du Sud, il convient de favoriser l'impact concret de cette recherche, c'est-à-dire son effet d'entraînement sur le développement économique du Sud.


* 133 http://cordis.europa.eu/eu-funding-guide/home_fr.html

* 134 Selon les informations fournies par la Commission européenne à votre rapporteure, l'Egypte a bénéficié de deux programmes de ce type, le premier de 11 millions d'euros (MEUR) et le deuxième de 20 MEUR, la Tunisie a bénéficié d'un programme de 12 MEUR, la Jordanie de 5 MEUR ...

* 135 La liste des points de contact nationaux est accessible sur la page suivante : http://ec.europa.eu/research/participants/portal/page/nationalcontactpoint

* 136 Cf. le projet INCONTACT : http://ec.europa.eu/research/iscp/index.cfm?lg=en&pg=incontact

* 137 L'évaluation de l'aide est pour l'essentiel sous la responsabilité de trois entités sans lien organique : le pôle de l'évaluation de la direction générale de la mondialisation du ministère chargé des affaires étrangères, l'unité d'évaluation des activités de développement de la direction générale du Trésor et la division de l'évaluation et de la capitalisation de l'Agence française de développement.

* 138 La politique française d'aide au développement , Cour des comptes, juin 2012.

* 139 Cf. décision n° 5 du CICID.

* 140 Voir, en particulier, « Le partenariat au Cirad », Conseil scientifique du Cirad, juin 2011.

Page mise à jour le

Partager cette page