B. UNE PALETTE DE PARTENARIATS DE RECHERCHE FACILITÉS PAR UN ORGANISME FRANCO-INDIEN PARITAIRE

La clef de voûte de la coopération entre la France et l'Inde en matière de recherche est assurément le Centre franco-indien pour la promotion de la recherche avancée (CEFIPRA) . La délégation a observé que cet organisme original et paritaire jouait un rôle décisif de facilitateur pour les partenariats de recherche entre les deux pays.

1. Le rôle catalyseur du CEFIPRA, organisme franco-indien paritaire

Créé en 1987, le CEFIPRA a pour objectif de promouvoir les coopérations franco-indiennes par le financement de projets de recherche, l'organisation de séminaires, l'appui aux instituts, les échanges d'étudiants et de chercheurs, les publications ... Société de droit indien basée à Delhi, le centre bénéficie d'un cofinancement paritaire du ministère français des affaires étrangères et du ministère indien de la science et de la technologie ( Department of Science and Technologies , DST). Ce centre dispose en 2013 d'un budget de 3,1 millions d'euros, soit 1,55 million à la charge de la partie française. Avec un taux de sélection d'environ 25 % et près de 23 projets 81 ( * ) en cours chaque année, le centre a soutenu plus de 450 projets conjoints de recherche depuis 25 ans . D'abord focalisé sur la recherche fondamentale, le centre s'est ouvert depuis une dizaine d'années à la recherche industrielle. Le Dr Debapriya Dutta, directeur du CEFIPRA, que la délégation a rencontré à New Delhi, a présenté notamment trois projets actuellement en développement et financés par le centre : en santé concernant le syndrome de Bloom, maladie auto-immune ; dans le domaine des énergies, pour la mise au point de panneaux solaires plus performants ; et en matière de télécommunications, avec un service de paiement bancaire accessible sur téléphone mobile. Ce sont ainsi 34 % du total des publications conjointes franco-indiennes qui émanent de projets soutenus par le CEFIPRA.

Disposant d'un fort effet de levier, le CEFIPRA s'ouvre désormais à de nouveaux bailleurs extérieurs (autres ministères, agence nationale de la recherche, organismes de recherche, entreprises) qui sont invités à y faire héberger administrativement leurs appels à projets et/ou structures conjointes de recherche franco-indienne, afin de bénéficier de l'abondement à parité du partenaire indien et d'un statut défiscalisé : l'ANR, l'INRA, l'INSERM, l'INRIA, la Fondation EADS et DCNS recherche coopèrent déjà avec le CEFIPRA pour le lancement de leurs nouveaux projets franco-indiens.

Le MAEE français et le DST indien encouragent de plus le CEFIPRA à renforcer son activité dans le domaine de l'innovation, l'Inde ayant dénommé 2010-2020 la « décennie de l'innovation », et à favoriser les rapprochements public-privé.

La délégation a relevé que le CEFIPRA jouait un rôle charnière : son champ d'activités est diversifié et il héberge des projets de recherche franco-indiens portés par des acteurs publics aussi bien que par des industriels. Il permet à la fois de donner une visibilité sous forme de « guichet unique », de coordonner la recherche partenariale franco-indienne et d'assurer le lien public-privé . En outre, le fonctionnement strictement paritaire du CEFIPRA assure une relation d'égal à égal entre les deux partenaires, qui garantit un dialogue respectueux.

Le succès du CEFIPRA est d'ailleurs reconnu par l'Union européenne, qui envisage d'établir en Inde une plateforme INDIA SI-House ( Joint House for science and innovation ) inspirée du CEFIPRA, pour coordonner les partenariats de recherche entre l'UE et l'Inde. Une étude de faisabilité financée par l'UE a été engagée en 2011 ; la France coordonne ce projet, qui lui offre l'opportunité de se positionner en leader de la coopération UE-Inde en ce domaine et d'étendre l'impact du CEFIPRA en élargissant son assise à six autres pays européens.

2. Des partenariats de recherche franco-indiens exemplaires...

Impressionnée par l'efficacité de l'outil précieux que constitue le CEFIPRA, la délégation a également pu appréhender en Inde divers types de partenariats de recherche, dont certains constituent l'archétype d'une relation équilibrée, institutionnalisée, pluridisciplinaire et finalisée.

a) Un partenariat de recherche stabilisé dans les LIA en sciences de l'eau et en neurosciences impliquant l'IRD et l'INSERM

Au titre des partenariats réussis, on peut citer la cellule franco-indienne de recherche en sciences de l'eau (CEFIRSE) qui associe l'IRD et l'IISc à Bangalore . La délégation a rencontré certains des six chercheurs français de l'IRD qui y sont affectés, ainsi que plusieurs de leurs partenaires indiens, dont le Professeur MS. Mohan Kumar, qui est également membre du Karnataka State Council for Science and technology . Mis en place en 2001 et labellisé « laboratoire mixte international (LMI) eau et environnement » par l'IRD 82 ( * ) en 2010, ce laboratoire travaille sur les spécificités de la ressource en eau sur le sous-continent indien : les pluies y sont distribuées de façon hétérogènes dans l'espace et dans le temps (forte mousson) et la capacité de stockage est faible du fait d'un socle fracturé (l'Inde est péninsulaire aux deux tiers). A ces contraintes physiques dues au climat et à la géologie, s'ajoute une pression anthropique en raison de l'urbanisation et de l'agriculture dont l'irrigation s'opère majoritairement par pompage des nappes. Il en résulte une pénurie d'eau sur laquelle travaillent les chercheurs de diverses disciplines : géochimie, agronomie, hydrologie, géophysique, géologie, pédologie, climatologie et télédétection... Le financement de ce LMI provient à 42 % du CEFIPRA ; il est complété côté indien par d'autres organismes (comme l'ISRO), ainsi que côté français (la participation récurrente annuelle de l'IRD ayant été ramenée de 60 à 40 000 euros entre 2011 et 2013).

Depuis dix ans, cette cellule a produit 43 publications , dans les meilleures revues internationales. Le partenariat est visiblement solide , favorisé par la présence sur le terrain des chercheurs de l'IRD, qui profite aussi aux étudiants, français comme indiens : ces chercheurs encadrent conjointement des thèses, enseignent dans de nouvelles filières... Ils contribuent donc à la formation par la recherche, d'autant plus facilement que la CEFIRSE est située sur le campus de l'IISc qui rassemble 3 600 étudiants. Grâce au réseau de l'IRD, ses chercheurs affectés en Inde à la CEFIRSE ont contribué à favoriser la coopération Sud-Sud avec d'autres pays d'Asie (comme la Thaïlande) ou des pays africains, par exemple avec le Bénin, où les modèles développés à la CEFIRSE ont pu être adaptés à la mousson africaine. En effet, la CEFIRSE, notamment son unité consacrée au continuum Continent-Océan-Atmosphère, a pu évaluer qu'une mousson déficitaire pouvait priver l'Inde de 3 % de son PIB : elle a donc mis au point des outils qui sont en cours d'implantation opérationnelle, afin de mieux anticiper la mousson.

Le partenariat sur lequel repose ce LMI devrait à l'avenir être étendu et ouvert à d'autres organismes français : l'INRA de Rennes, le CNRS (Institut national des sciences de l'univers) et l'Université Paul Sabatier de Toulouse.

Il est intéressant de noter aussi que, pour ses travaux en hydrologie spatiale, la CEFIRSE bénéficie de la coopération spatiale franco-indienne : en effet, elle exploite les données recueillies par le premier satellite franco-indien, Megha 83 ( * ) -Tropiques. Comme l'a expliqué à la délégation M. J. Srinivasan, directeur du Divecha Center for Climate Change établi au sein de l'IISc depuis 2009, les mesures effectuées par le satellite - cinq fois par jour, il mesure les radiations du soleil ainsi que l'humidité par carottage atmosphérique - permettent de mieux comprendre le cycle de l'eau et de prévoir les moussons. Ce satellite, dont la délégation a pu suivre le déplacement en direct 84 ( * ) , effectue ces observations aux tropiques. Du fait de l'inter-connectivité des cycles atmosphériques dans le monde entier, ces données satellitaires contribuent aussi aux prévisions météorologiques en Europe et à la compréhension du mécanisme de la mousson, que connaît aussi l'Afrique de l'Ouest.

Le LMI Eau et environnement (CEFIRSE) est par ailleurs impliqué dans un projet lancé en février 2013 avec le soutien du CEFIPRA et financé à parité par l'Inde et la France, aux côtés d'un institut de recherche indien en écologie, biodiversité, et développement durable : l'Ashoka Trust for Research in Ecology and the Environment (ATREE). Sont aussi parties prenantes l'INRA de Rennes et Toulouse et le CNRS. Ce projet d'adaptation de l'agriculture irriguée au changement climatique (AICHA) tire notamment profit de modèles utilisés en France pour des cultures tropicales comme le riz et le curcuma. Présenté à la délégation par l'un des chercheurs indiens du CEFIRSE, M. Sekhar Muddu, ce projet a frappé la délégation par son caractère interdisciplinaire tout à fait exemplaire : les recherches en agro-hydrologie nourries par les données satellitaires sont en effet complétées par un travail auprès des populations impliquant des chercheurs en sciences humaines (économie, politique et agronomie). Il s'agit de comprendre le comportement des agriculteurs qui exploitent pour l'irrigation les eaux souterraines dans le Sud de l'Inde, afin de le changer éventuellement et l'adapter aux évolutions climatiques et économiques. La mise à disposition gratuite de l'électricité au profit des agriculteurs a contribué à la Révolution verte en favorisant le pompage des eaux souterraines. A présent, le rationnement de l'électricité par le Gouvernement et la pénurie d'eau (nécessitant de pomper de plus en plus profondément) appellent à faire évoluer les pratiques agricoles vers une agriculture raisonnée.

L'excellence et la stabilité des collaborations franco-indiennes dans le domaine de l'eau, incluant celles de Bangalore qui ont été présentées à votre délégation mais aussi celles menées à Hyderabad 85 ( * ) , ont conduit à la récente inauguration d'un réseau franco-indien des acteurs de l'eau : lancé officiellement en février 2013, ce réseau a été initié par l'Ambassade de France en Inde et le National Institute of Advanced Studies (NIAS), institut pluridisciplinaire reconnu disposant de contacts dans l'ensemble de l'Inde. La délégation a été aimablement reçue à déjeuner par son directeur, M. Ramamurthy, qui fut par ailleurs directeur général du Department of Science and Technology (ministère indien des sciences et technologies) et qui a présenté plusieurs des chercheurs du NIAS à la délégation. Ce réseau franco-indien des acteurs de l'eau, dont la structure de gouvernance est très légère et flexible, doit permettre d'augmenter la visibilité des actions conjointes dans ce domaine et de catalyser de nouvelles collaborations en impliquant tous les acteurs (recherche, entreprises, collectivités territoriales, gouvernance...). La collaboration avec l'Inde dans le domaine de l'eau est aussi une priorité de l'UE.

Si la collaboration franco-indienne en matière de recherche sur l'eau est particulièrement remarquable, notamment par sa contribution à la résolution des problématiques spécifiques de l'Inde et par sa connexion avec les autorités politiques indiennes, la délégation a également été intéressée par un autre succès de la recherche franco-indienne : le laboratoire international associé (LIA) où collaborent l'Inserm et le centre de neurosciences de l'IISc et dont la délégation a rencontré la coordinatrice indienne. Mme Shyamala Mani a présenté les deux phases du LIA : après avoir mené à bien un premier projet conjoint né de leur intitative personnelle, elle et son alter ego français ont sollicité un financement du CEFIPRA pour lancer un deuxième projet plus institutionnalisé. Mme Mani a expliqué que le point fort de cette collaboration est la complémentarité entre les équipes indiennes et françaises : son équipe est spécialisée dans la recherche fondamentale sur le développement du cerveau de l'enfant in utero , et celle de son interlocuteur en France, le Dr Pierre Gressens, apporte une approche translationnelle et son expertise clinique à l'étude. Mme Mani a aussi ajouté que pour assurer la viabilité et la pérennité d'une collaboration, il était essentiel de faciliter au maximum la mobilité des chercheurs. A ce titre, elle a regretté que l'attribution de visas aux chercheurs ne soit pas automatique dès lors que le programme de recherche est financé par les gouvernements. Elle a enfin souligné l'importance de la recherche publique, qui garantissait aux chercheurs une forme d'indépendance intellectuelle.

Outre les laboratoires internationaux associés déjà présentés, les partenariats de recherche entre le France et l'Inde s'appuient aussi sur les instituts français de recherche en Inde, qui sont au nombre de 2 et appartiennent au réseau des 27 centres de recherche du MAEE dans le monde.

b) Les instituts français de recherche en Inde et leur collaboration avec des chercheurs indiens

Il s'agit du Centre de Sciences Humaines (CSH) à Delhi et de l'Institut Français de Pondichéry. Ces deux unités mixtes de recherche font partie de ce qu'on désigne depuis 2007 comme UMIFRE (unités mixtes- instituts français de recherche à l'étranger), établissements à autonomie financière qui sont sous la double tutelle du Ministère des Affaires étrangères et du CNRS.

L'Institut Français de Pondichéry (IFP) a été créé en 1955 par le traité de cession des territoires français en Inde. Son budget est composé de dotations de base, principalement du MAEE, et de ressources extérieurs (contrats, ANR...) : les programmes scientifiques sont majoritairement autofinancés, la dotation de base ne permettant plus de les soutenir. Le CNRS fournit des ressources immatérielles : bibliothèque électronique, effet de levier dans les appels d'offre... Le directeur de l'IFP, M. Pierre Grard, a accueilli la délégation avec une lettre tout juste reçue de la DG Développement et coopération de la Commission européenne et annonçant que l'Institut avait remporté un récent appel d'offres européen. Malgré ce succès, M. Grard a regretté l'absence d'une compétence mutualisée d'ingénierie de la recherche pour appuyer les UMIFRE dans la rédaction (souvent en anglais) des dossiers de réponse d'appels à projet, à l'heure où la recherche de fonds extérieurs devient de plus en plus compétitive.

L'IFP compte environ 80 personnes dont sept expatriés, six du MAEE et un du CNRS, dix chercheurs sur contrat local et deux post-doctorants affiliés. Son activité se concentre sur l'Asie du Sud et du Sud Est, avec trois axes de recherche : l'indologie, l'écologie et les sciences sociales. Ancré dans le 19 ème siècle par l'architecture de son bâtiment, l'Institut est parvenu à s'insérer aujourd'hui dans les réseaux internationaux de la recherche : sa production scientifique est abondante ; il a passé de nombreux accords de partenariats avec des organismes français (Cirad, IRD, INRA, universités...) et indiens (dont l'ISRO) ; il collabore avec des équipes européennes, mais aussi américaines et asiatiques ; il accueille aussi de nombreux doctorants ou chercheurs, pour des projets de recherche et des séjours d'étude. Grâce à un accord passé avec l'université de Pondichéry, l'IFP soutient des thèses indiennes.

Son département d'indologie étudie les langues indiennes, la littérature sanskrite et l'histoire des religions. La délégation a notamment été très impressionnée par la présentation de la collection de manuscrits sur feuilles de palme qui est conservée à l'IFP et qui concerne majoritairement le culte du dieu Shiva.

Son département d'écologie concentre ses recherches sur la biodiversité, et plus particulièrement sur le fonctionnement des écosystèmes fragiles. Le responsable de ce département, Dr Cédric Gaucherel, ancien chercheur à l'INRA, a ainsi présenté à la délégation ses travaux sur les Western Ghats , chaîne de montagne du Sud-Ouest de l'Inde dont la riche biodiversité est menacée par la déforestation qui a eu lieu entre 1977 et 1997 et par la prolifération des cultures de café. Les travaux de l'IFP , en partie financés par le FFEM, ont contribué à consacrer le rôle des forêts dans la conservation de la biodiversité et à infléchir la politique forestière de l'Inde . Le Dr Cédric Vega, qui dirige le Laboratoire d'Informatique Appliquée, structure transversale d'appui aux trois départements de recherche de l'IFP, a également présenté un projet, financé notamment par le CEFIPRA et portant sur l'évaluation de l'impact du changement climatique sur la biomasse des forêts. La mesure des paramètres forestiers s'appuie sur une nouvelle technique, l'altimétrie laser, qui permet d'accéder à la structure des forêts et des sols 86 ( * ) .

Le troisième département de l'IFP concerne les sciences sociales, et plus particulièrement les relations entre les sociétés humaines et leur environnement. Dr Brigitte Sebastia a ainsi présenté son travail sur le lien entre alimentation et santé. Elle a indiqué que 70 % des Indiens étaient anémiques et préconisé de revaloriser les légumineuses et les céréales les plus riches comme le millet ou le sorgho pour mieux équilibrer la nourriture, notamment celle des femmes enceintes.

Il apparaît ainsi que l'IFP mène non seulement des recherches sur l'histoire de l'Inde mais aussi des recherches ajustées aux enjeux contemporains de l'Inde , qui relèvent de la recherche pour le développement : gestion durable des forêts, alimentation et santé...

À Delhi , la délégation a visité le deuxième UMIFRE en Inde : le Centre de Sciences Humaines (CSH). Dr Basudeb Chaudhuri, directeur du CSH, a tout d'abord présenté le spectre d'activités de ce centre, créé en 1990 à la suite du déplacement de Kaboul à Delhi de la Délégation française archéologique consécutive à l'invasion soviétique de l'Afghanistan. D'abord axé sur l'histoire et sur la culture indo-persane, le centre s'est spécialisé depuis 1995 sur l'Asie du Sud moderne et sur les dynamiques de développement de l'Inde dans son contexte régional et mondial. Il développe quatre axes de recherche : relations internationales, politique et société, réformes économiques et développement durable, dynamiques urbaines... Son financement provient du CNRS, du MAEE et de ses fonds propres. Le CSH tire plus de la moitié de son budget des appels à projet (ANR, Ford Foundation , London School of Economics ...), ce qui présente l'avantage de lui laisser une grande liberté d'action, selon son directeur.

Grâce aux multiples collaborations entre partenaires indiens et français, le CSH contribue au renforcement des liens académiques entre les deux pays . Il participe aussi à la formation par la recherche en fournissant un support logistique et un suivi aux doctorants et étudiants.

Le centre promeut la recherche par ses publications 87 ( * ) mais aussi par son souci d'en diffuser les résultats au-delà du cercle académique : acteurs économiques et décideurs politiques.

Le CSH regroupe six expatriés, trois du MAEE et trois du CNRS, quatre chercheurs indiens et cinq doctorants affiliés, sans compter le personnel administratif et technique. Deux chercheurs du CSH ont présenté plus particulièrement leurs recherches à la délégation.

M. Eric Daudé travaille actuellement sur la modélisation des épidémies de dengue à Delhi . Il a indiqué que la dengue était responsable de 10.000 morts par an dans le monde et que 50 à 80 % des malades sont asymptomatiques et vecteurs de la maladie. Ce projet de recherche a bénéficié d'un financement ANR de 600.000 euros (partagé entre le CSH et l'Institut Pasteur), puis d'un financement européen au titre du 7ème PCRD, à hauteur de 6 millions d'euros, répartis entre 14 équipes de recherche. Il a été conçu dans une perspective interdisciplinaire, couvrant les facteurs biologiques, environnementaux et vectoriels de risques ainsi que leurs interactions. Les données de terrain obtenues avec la collaboration de la municipalité de Delhi sont intégrées dans un Système d'Information Géographique, SIG. Une étude comparative avec le Thaïlande et le Cambodge est également prévue. Les résultats de cette recherche sont destinés à valider théoriquement les modèles de recherche mais aussi à faire l'objet d'une restitution aux acteurs locaux. Il s'agit donc d'une recherche finalisée, qui entre de fait dans le champ large de la recherche pour le développement.

Un second chercheur, M. Roland Lardinois, a évoqué son travail sur les classes moyennes indiennes , appréhendées par le biais des ingénieurs en Inde, groupe social très reconnu mais peu étudié qui compte près de 400 000 membres. Ce chercheur a exposé aux sénatrices les difficultés de financement qu'avait rencontrées ce projet et fait valoir l'énergie que cette quête de financement exigeait de la part des chercheurs, dont ce n'est pas le coeur de métier.

3. De la recherche française fondamentale sur l'Inde classique... à la recherche action dans un village rural de l'Inde

Si la délégation a pu appréhender en Inde des partenariats emblématiques de la « recherche pour le développement », elle a également pu toucher du doigt les deux extrémités de ce segment de la recherche : la recherche fondamentale et la recherche-action.

Il existe en effet en Inde un outil français de recherche fondamentale, reconnu pour son expertise mais situé hors du champ du Ministère des affaires étrangères : l'Ecole Française d'Extrême-Orient. Cette dernière fait partie depuis 2011 du réseau des cinq écoles françaises à l'étranger, avec celles de Rome, d'Athènes, l'Institut français d'archéologie orientale du Caire, et la Casa de Velásquez à Madrid.

L'École française d'Extrême-Orient (EFEO) relève exclusivement du ministère français de l'Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR), dont la mission est l'étude des civilisations classiques de l'Asie, au travers des sciences humaines et sociales. Née à Hanoï en 1862, elle a été déplacée à Paris puis a développé des centres en Asie pour effectuer des recherches sur le terrain. En effet, son champ de recherches s'étend de l'Inde à la Chine et au Japon et comprend la plupart des sociétés qui furent indianisées ou sinisées au cours de l'histoire. Il mobilise plusieurs disciplines : l'archéologie, l'histoire, l'anthropologie, la philologie, et les sciences religieuses.

L'EFEO compte dix-sept centres et antennes, installés dans douze pays ; la délégation a pu visiter son site à Pondichéry, où elle a été chaleureusement accueillie par sa responsable, Mme Valérie Gillet. Certaines antennes de l'EFEO sont implantées au sein d'institutions scientifiques nationales de prestige, comme c'est le cas à Pune, à l'Ouest de l'Inde. A Pondichéry, l'EFEO compte 42 chercheurs permanents, donc quatre indiens. En outre, deux chercheurs indiens retraités contribuent à des projets, sous forme de prestations de service. Mme Gillet a indiqué que le nombre de chercheurs avait diminué de 30 à 40 % sur les dernières années, le budget stable de l'établissement ne permettant pas de suivre la hausse des salaires des chercheurs.

L'EFEO a également parmi ses caractéristiques de pouvoir accueillir, pour une ou plusieurs années, des chercheurs d'autres institutions françaises ou étrangères. Ces collègues peuvent accéder à ses riches ressources documentaires (la bibliothèque indologique de l'EFEO à Pondichéry compte plus de 11 000 titres et un fonds de manuscrits sur ôles 88 ( * ) de textes en sanskrit, en tamoul et en manipravalam 89 ( * ) ) et bénéficier de ses partenariats scientifiques locaux. L'EFEO se trouve ainsi placée au centre d'un important réseau de collaborations internationales entre spécialistes de l'Asie.

L'EFEO n'a donc pas diversifié ses domaines de recherche autant que l'IFP, avec lequel elle partageait originellement ses locaux puisque l'IFP a été créé en 1954 par le directeur de l'EFEO d'alors, M. Jean Filliozat. Sa vocation est moins de nouer des partenariats avec la recherche indienne au service des enjeux contemporains de l'Inde, que d'alimenter la recherche fondamentale sur l'Inde classique . L'EFEO n'échappe pas à la culture de projets qui s'impose dans le monde de la recherche, mais la brièveté des projets, souvent inférieurs à quatre ans, sied mal aux recherches de long terme et de qualité que mène l'école (quatre ans étant souvent le temps nécessaire au seul recueil des données sur le terrain).

Cette école ne relève que marginalement du champ d'investigation du présent rapport: elle n'a pas vocation à contribuer à la politique française d'aide au développement. D'ailleurs, son unique tutelle est le MESR et non le MAEE. Mais sa présentation permet de délimiter le champ d'analyse de votre mission en attestant de l'existence de partenariats également en recherche fondamentale.

A l'autre bout du spectre d'analyse de votre mission, la délégation a pu constater sur le terrain indien la mise en oeuvre très concrète d'une recherche finalisée, que l'on peut qualifier de « recherche - action » . Ce concept de « recherche-action » a notamment été défini en 1986, lors d'un colloque à l'Institut national de recherche pédagogique (INRP) à Paris : il « s'agit de recherches dans lesquelles il y a une action délibérée de transformation de la réalité ; recherches ayant un double objectif : transformer la réalité et produire des connaissances concernant ces transformations ».

La délégation a pu appréhender concrètement comment la recherche peut dynamiser le changement social, lors de son déplacement dans le village de Margankunte, au nord de Bangalore : cette visite sur le terrain lui a permis de voir de près comment était mis en oeuvre le programme TASK ( Territorial Approach and sustainable knowledge ) impliquant l'IRD, le CNRS et le Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE). Cette initiative internationale, lancée lors de Rio+20 au Pavillon France, est appuyée en Inde par une fondation indienne de recherche pour le développement, la BAIF.

Bharatiya Agro Industries Foundation (BAIF) de son nom originel, cette fondation a été renommée BAIF Development Research Foundation pour marquer la nécessité de mêler la recherche aux programmes de développement ; comme l'Inde semble en avoir acquis la conviction, la BAIF considère que « le développement sans recherche devient obsolète et la recherche sans le développement devient académique » 90 ( * ) . Lancée à Pune en 1967, la BAIF est maintenant active dans douze États de l'Inde, auprès de 60.000 villages et elle implique 3,5 millions de fermiers chaque année. Elle est partenaire de la Banque Nationale pour le Développement Rural (NABARD à Mumbai) en charge de la mission « Espaces ruraux et changement climatique » du gouvernement central indien.

Le président de cette fondation, M. Girish Sohani, a présenté à la délégation ce programme pluridisciplinaire et participatif qui mêle investissement et développement des zones rurales avec un fort appui scientifique pour augmenter l'adaptabilité des populations aux changements climatiques. L'expertise proposée dans le programme TASK porte à la fois sur des points techniques et sur des méthodes de consultation des populations concernées. La récupération des eaux de pluie constitue l'une des innovations en cours de diffusion : M. Sohani a fait visiter à la délégation les maisons de villageois qui avaient accepté d'installer une citerne pour recueillir l'eau de pluie, un filtre pour la purifier et une pompe pour la consommation courante. Dans une maison de ce village reculé de l'Inde, la délégation a pu voir une machine à laver le linge fonctionnant grâce à cette récupération des eaux de pluie. La rencontre que M. Sohani avait organisée entre la délégation et les femmes de la communauté villageoise a permis d'échanger sur les améliorations que cette innovation avait permises dans leur vie quotidienne. Le rôle du brahmane, religieux qui occupe une place centrale dans la communauté, a également été souligné dans la diffusion des innovations.

D'autres innovations ont été évoquées : l'amélioration des semences et des techniques d'irrigation, l'insémination artificielle du bétail (une simple moto permettant de transporter les paillettes de semence congelée dans des bonbonnes d'azote liquide)... Il s'agit ici de recherche appliquée directement sur le terrain. La BAIF entretient des coopérations bilatérales avec l'UE et plusieurs de ses États membres, dont la France : elle a signé une convention avec l'INRA en 2012 et collabore avec le Cirad. Elle a fait part de ses attentes de collaboration sur des techniques françaises de pointe afin de les appliquer aux agriculteurs indiens.

Ainsi, le déplacement en Inde de la mission a été des plus fructueux, en ce qu'il a permis de connaître toute la palette des partenariats de recherche auxquels la France peut participer avec un pays du Sud.

Sans occulter les difficultés que peuvent rencontrer ces partenariats franco-indiens, leur fonctionnement est globalement satisfaisant et plusieurs enseignements peuvent en être tirés pour orienter l'action extérieure de la France en matière de recherche pour le développement.


* 81 Montant moyen de 190.000 euros par projet pour 3 ans.

* 82 Qui compte 24 LMI dont 3 en Asie (en Thaïlande et au Vietnam, outre celui en Inde).

* 83 Megha signifie nuage pour les Indiens.

* 84 Sa vitesse proche de 7 km/seconde lui permet de faire le tour du globe en une centaine de minutes !

* 85 A Hyderabad, le centre franco-indien de recherche sur les eaux souterraines est une collaboration entre le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et le National Geophysical Research Institute .

* 86 Ce qui a pu aussi nourrir les recherches en archéologie menées par l'Ecole française d'Extrême-Orient.

* 87 Il a déjà produit 18 ouvrages, 59 contributions à des ouvrages et 37 articles dans des revues à comité de lecture.

* 88 Nom des feuilles du palmier talipât sur lesquelles figurent des écrits indiens.

* 89 Langue médiévale importante du sud de l'Inde, amalgame de sanskrit et de tamoul.

* 90 Cf. plaquette de présentation de la BAIF.

Page mise à jour le

Partager cette page