Rapport d'information n° 90 (2013-2014) de Mme Laurence ROSSIGNOL , fait au nom de la délégation aux droits des femmes, déposé le 22 octobre 2013

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N° 90

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 22 octobre 2013

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (1) sur les dispositions du projet de loi
n° 71 (2013-2014)
garantissant l' avenir et la justice du système de retraite , dont la délégation a été saisie par la commission des affaires sociales,

Par Mme Laurence ROSSIGNOL,

Sénatrice.

(1) Cette délégation est composée de : Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente , M. Roland Courteau, Mmes Christiane Demontès, Joëlle Garriaud-Maylam, M. Alain Gournac, Mmes Sylvie Goy-Chavent, Chantal Jouanno, Françoise Laborde, Gisèle Printz, vice-présidents ; Mmes Caroline Cayeux, Danielle Michel, secrétaires ; Mmes Maryvonne Blondin, Nicole Bonnefoy, Corinne Bouchoux, M. Christian Bourquin, Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Bruguière, Françoise Cartron, Laurence Cohen, MM. Gérard Cornu, Daniel Dubois, Mmes Marie-Annick Duchêne Jacqueline Farreyrol, M. Alain Fouché, Mmes Catherine Genisson, Colette Giudicelli, MM. Jean-Pierre Godefroy, Jean-François Husson, Mmes Christiane Kammermann, Claudine Lepage, Valérie Létard, Michelle Meunier, Sophie Primas, Laurence Rossignol, Esther Sittler et Catherine Troendle.

INTRODUCTION

Le projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraite affiche explicitement la volonté de renforcer les droits à la retraite des femmes et de limiter les inégalités entre hommes et femmes dans ce domaine. Cette dimension justifiait donc que la délégation aux droits des femmes soit saisie de ce texte par la commission des Affaires sociales.

Par-delà l'objectif de « consolidation » et de « pérennité financière dans la durée », le projet de loi vise à « rendre le système plus juste » : les mesures concernant les femmes s'inscrivent donc dans un ensemble plus large qui concerne aussi, par exemple, les jeunes.

L' intégration de la problématique spécifique des femmes dans le pilotage des retraites, que votre rapporteure tient à saluer, résulte d'une prise de conscience récente . Cette dimension n'avait en effet pas été systématiquement prise en compte lors des précédentes réformes des retraites en France.

On ne saurait toutefois attendre du texte en discussion qu'il résorbe à lui seul tous les facteurs d'inégalité entre les hommes et les femmes en matière de retraite . Ces inégalités sont en effet, comme le souligne Christiane Marty, chercheure à la Fondation Copernic, le « miroir grossissant des inégalités professionnelles » : salaires inférieurs, temps de travail affecté par les maternités et l'éducation des enfants, inhibition des femmes face à la prise de responsabilité en raison du poids de leur « double journée » et autres manifestations du fameux « plafond de verre », qui résulte à bien des égards d'un « plafond de mère »...

Lors de son audition par la commission des Affaires sociales le 16 octobre 2013, à laquelle avait été associée votre rapporteure, Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, a ainsi relevé que le projet de loi avait pour objectif, vis-à-vis de la retraite des femmes, sinon de corriger toutes les inégalités accumulées au cours de leur carrière, du moins de ne pas les amplifier.

On mesure la difficulté de l'exercice : chacun sait que les freins à la vie professionnelle des femmes, qui se traduisent pour elles par des pensions inférieures à celles des hommes, se rattachent à des problématiques très vastes et, plus particulièrement, à la politique d'accueil de la petite enfance - le manque de place de crèches est présent à tous les esprits -, à l'organisation du travail et à la difficile conciliation entre travail et la vie de famille - question qui devrait d'ailleurs concerner tout autant les pères que les mères...

Or, encourager le travail des femmes ne relève pas que d'une préoccupation égalitaire. Les progrès de l'égalité entre hommes et femmes au travail ont aussi une incidence en termes de développement économique : selon une étude de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la France gagnerait 0,5 point de croissance à l'échéance de 2030 si le taux d'activité des femmes y rejoignait celui des hommes.

Un autre point central de la problématique des retraites des femmes est l'importance des correctifs que constituent les droits familiaux et la réversion .

Le paradoxe de ces dispositifs pose problème : bien qu'ils aient pour effet d'atténuer le « manque-à-gagner » résultant pour les femmes de leurs responsabilités familiales et de limiter l'écart entre les pensions des femmes et celles des hommes , ces « droits dérivés » ont aussi pour conséquence d'encourager un partage des tâches traditionnel au sein de la famille et à cantonner les femmes dans un rôle d'un autre âge .

Dans le même esprit, il faut essayer de parvenir à un équilibre entre la compensation des conséquences inévitables de la maternité , qui suppose le maintien des droits familiaux et conjugaux à un niveau convenable, et la nécessité pour les femmes de s'assumer comme des « acteurs économiques à part entière » , ainsi que le rappelait Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation, lors de la réunion du 10 octobre 2013, ce qui exige un effort particulier en matière de droits propres .

Le projet de loi renvoie la réforme des droits familiaux et conjugaux à un texte ultérieur, mais il prévoit néanmoins la conduite prochaine d'une réflexion sur ce sujet.

La délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes suivra avec intérêt et attention ces travaux, de même que l'application de lois visant à assurer l'égalité professionnelle entre hommes et femmes, seule à même de permettre aux femmes la constitution de droits propres en vue de la retraite. S'agissant du présent projet de loi, elle formule onze recommandations relatives à la pénibilité des emplois féminins, au temps partiel, à une meilleure prise en compte de la spécificité des carrières féminines dans le calcul des droits et à la réflexion à venir sur l'évolution des droits familiaux et conjugaux.

I. LES INÉGALITÉS ENTRE HOMMES ET FEMMES EN MATIÈRE DE RETRAITE

Le diagnostic est clair : les inégalités entre hommes et femmes au regard des retraites sont liées principalement à la combinaison des facteurs suivants :

- les femmes valident des durées d'assurance plus courtes. Ces écarts de durée tiennent aux interruptions de carrière et au temps partiel, qui caractérisent les parcours professionnels féminins ; ils seraient plus accusés encore sans l'apport des droits familiaux et conjugaux ;

- le montant des rémunérations féminines est généralement inférieur à celui des hommes, certes en raison d'une durée de travail inférieure mais aussi du fait du poids d'inégalités évidentes entre hommes et femmes dans la vie professionnelle, qui s'accumulent tout au long de la carrière.

A. LE CONSTAT BIEN CONNU D'INÉGALITÉS ENTRE HOMMES ET FEMMES QUI SE MAINTIENDRONT À L'AVENIR

1. Les retraites des femmes en 2013 : état des lieux statistique

Les chiffres actuels accusent un net déséquilibre entre hommes et femmes, que les réformes récentes semblent avoir creusé, sans que les anticipations permettent d'envisager que ces écarts soient complètement comblés à l'avenir.

Ces inégalités sont connues. Elles concernent le montant des pensions, sensiblement inférieur pour les femmes (ce n'est qu'avec l'apport des droits familiaux et conjugaux que l'écart entre hommes et femmes se réduit) et l'âge du départ à la retraite ; l'une des manifestations les plus concrètes de ces inégalités est la surreprésentation des femmes parmi les bénéficiaires des dispositifs de compensation.

a) Des inégalités de pension sensibles

Comme l'ont rappelé les représentants du Conseil d'orientation des retraites(COR) lors de leur audition par la délégation, le 3 octobre 2013, les pensions des femmes ne représentaient en 2008, pour l'ensemble des retraités, que 53 % de celles des hommes, soit 879 € par mois pour les femmes, contre 1 657 € pour les hommes. En 2011, le rapport était de 58 % (932 € contre 1 603 €). La légère progression constatée au fil du temps ne permet cependant pas de conclure à une évolution favorable. Les pensions des femmes ne représentent donc, en droits propres, qu'à peine plus de la moitié de celles des hommes. Selon Les retraités et les retraites 1 ( * ) [Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES)], la pension des hommes de droit direct reste en moyenne 1,7 fois plus élevée que celle des femmes.

Ces inégalités ne sont pas propres à la France. Selon une étude 2 ( * ) de l'OCDE, la France se situe au 19 ème rang de l'OCDE pour l'importance de l'écart entre hommes et femmes au regard du montant des pensions de retraite. Cet écart est moins important dans les pays suivants : Estonie, Hongrie, République tchèque, République slovaque, Irlande, Pologne, Islande, Finlande, Danemark, Espagne, Italie, Norvège, Suède, Belgique, Autriche, Slovénie, Luxembourg, Portugal. Les seuls pays où il est plus élevé sont les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Grèce et l'Allemagne.

Pour la France, cette différence entre hommes et femmes tient au fait que les femmes valident des durées d'assurance plus courtes . Pour les générations qui ont liquidé leur retraite en 2004 au régime général, la durée validée par les femmes est de 137 trimestres contre 157 trimestres pour les hommes ; les femmes totalisaient alors en moyenne 20 trimestres de moins que les hommes, soit un écart de 5 annuités. La différence semble se réduire progressivement (11 trimestres de moins en 2008), mais les durées de cotisation restent inférieures pour les femmes 3 ( * ) .

Ces écarts s'expliquent, au moins pour partie, par le temps de travail : interruptions d'activité liées à l'éducation des enfants et travail à temps partiel entraînent des carrières plus courtes et des rémunérations plus faibles. Votre rapporteure reviendra ultérieurement sur cette question.

b) Un écart réduit par les droits familiaux et conjugaux

Ce n'est qu'en prenant en compte les droits familiaux et conjugaux que l'écart entre les pensions des hommes et des femmes se réduit.

En intégrant droits familiaux et conjugaux, les pensions des femmes représentaient en 2008 72 % de celles des hommes (ce qui signifie que les écarts de pension demeurent de 28 % avec cet apport, ce qui est loin d'être satisfaisant).

Les droits familiaux représentent plus de 25 % de la pension des femmes nées entre 1934 et 1938 (la proportion est de 18 % pour les mères de deux enfants et de 34 % avec trois enfants). Leur apport est d'autant plus substantiel en proportion que les pensions sont de faible montant.

Avec les pensions de réversion (ou droits conjugaux), les pensions des femmes représentent 67 % de celles des hommes (le montant moyen est de 1 749 € par mois pour les hommes, de 1 165 € pour les femmes)

À la fin de 2010, 91 % des bénéficiaires de pensions de réversion étaient des femmes ; plus d'un million d'entre elles étaient dépourvues de droits propres , selon l'état des lieux établi par le COR en janvier 2013.

Les droits familiaux sont donc encore le « socle de la redistribution en faveur des femmes » 4 ( * ) .

c) Un âge moyen des femmes plus élevé que celui des hommes au moment du départ à la retraite

Les femmes se caractérisent, au moment du départ à la retraite, par un âge moyen plus élevé (60,7 ans) que celui des hommes (59,4 ans), soit une différence de 1,3 an.

Les femmes sont donc contraintes - pour compenser les années d'interruption d'activité souvent liées à l'éducation des enfants - de liquider leurs droits à un âge plus avancé que les hommes : selon l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), pour la génération née en 1943, 38 % des femmes et 15 % seulement des hommes n'ont pu liquider leurs droits qu'à 65 ans, pour des raisons liées à la durée requise pour bénéficier du taux plein.

d) Des femmes plus nombreuses parmi les bénéficiaires du minimum contributif ou garanti

Autre manifestation de ces inégalités : le minimum contributif (au régime général) ou garanti (dans la fonction publique) concerne une majorité de femmes.

En 2008, la proportion de femmes parmi les bénéficiaires de ce système était de 52,3 % (32,6 % d'hommes) ; à la fin de 2011, les 4,9 millions de retraités du régime général qui percevaient le minimum contributif sont à 70 % des femmes. En d'autres termes, 45 % des femmes voient leur pension portée au minimum contributif ou garanti, contre 15 % des hommes.

On remarque que les régimes complémentaires ne contribuent pas à réduire ces inégalités : la pension moyenne des femmes représente 40 % de celle des hommes pour l'Association générale des institutions de retraite des cadres (Agirc), 57 % pour l'Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (Arrco). Ce déséquilibre s'explique en partie par l'absence de système comparable au minimum contributif et par la faiblesse relative des dispositifs de droits familiaux.

2. Un système qui désavantage structurellement les femmes
a) Des règles de calcul fondées sur le temps de travail et le niveau des salaires

Christiane Marty 5 ( * ) , chercheure à la Fondation Copernic, fait observer que « le système de retraite a été conçu il y a 70 ans sur le modèle de l'homme soutien de famille, travaillant à temps plein, sans interruption de carrière » . Cette norme de carrière complète ne serait donc adaptée ni à la carrière des femmes, « ni plus généralement à l'évolution actuelle qui voit se multiplier les périodes d'interruption du fait du chômage et de la précarité croissante de l'emploi » .

Le fait que les femmes totalisent des périodes de cotisations inférieures à celles des hommes et que leur retraite reflète des salaires moins élevés a justifié l'introduction, au fil du temps, des droits familiaux et conjugaux destinés à atténuer les écarts de pension entre hommes et femmes : droits familiaux, pension de réversion...

b) Un écart hommes-femmes creusé par les réformes récentes

CHRONOLOGIE DES RÉFORMES DES RETRAITES EN FRANCE

Ordonnance du 26 mars 1982 : fixation de l'âge de la retraite à taux plein à 60 ans pour les assurés ayant cotisé 150 trimestres.

Introduction, pendant les années 1980 , de dispositifs de départ anticipé destinés notamment à répondre à la montée du chômage : le nombre de préretraités est ainsi passé de 159 000 en 1979 à 705 000 en 1983.

Loi du 22 juillet 1993 (dite « loi Balladur »)

- Champ d'application : le régime général (salariés) et les trois régimes alignés (salariés agricoles, artisans, industriels et commerçants).

- Principales mesures :

. passage progressif de la durée de cotisation nécessaire à l'obtention d'une retraite à taux plein de 37,5 années à 40 années : pour toucher une retraite complète, il faut donc avoir cotisé 160 trimestres au lieu de 150 ;

. passage à un salaire moyen de référence servant de base pour le calcul de la pension calculé progressivement sur les 25 meilleures années et non plus les 10 meilleures ;

. revalorisation annuelle des pensions sur la base de l'indice des prix à la consommation et non plus selon l'évolution générale des salaires ;

. introduction d'une décote (baisse de la pension lorsque l'assuré prend sa retraite avant d'avoir la durée de cotisation requise) par année de cotisation manquante : la réduction de pension opérée est de 2,5 % par trimestre manquant (10 % par annuité) ;

. création d'un Fonds de solidarité vieillesse (FSV) devant financer les prestations non contributives destinées aux retraités qui n'auraient pas assez cotisé pendant leur carrière. Le FSV compense ainsi les contributions non payées par les personnes au chômage.

Loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 : création du Fonds de réserve pour les retraites afin de constituer une réserve financière de 150 milliards d'euros à l'horizon 2020, de manière à anticiper le départ à la retraite de l'ensemble des générations du baby-boom. L'objectif était d'amortir les conséquences de ces nombreux départs et de lisser sur une longue période l'évolution des taux de cotisation du régime général et des régimes alignés.

Mise en place en avril 2000 du Conseil d'orientation des retraites (COR), constitué d'experts, de partenaires sociaux et de parlementaires pour élaborer chaque année un rapport officiel mettant en perspective l'évolution des retraites.

Loi du 21 août 2003 (dite « loi Fillon »)

- Champ d'application : l'ensemble des régimes de retraite, à l'exception des régimes spéciaux.

- Principales mesures :

. entre 2004 et 2008, alignement progressif de la durée de cotisation des fonctionnaires sur celle des salariés du privé (de 37,5 ans à 40 ans) ;

. à partir de 2009, allongement progressif de la durée de cotisation pour tous afin d'atteindre 41 ans en 2012 ;

. aménagement de la décote (qui passe à 5 % au lieu de 10 % pour les années manquantes) et qui est plafonnée à 25 %. La décote permet par ailleurs d'obtenir une pension plus élevée en cas de départ retardé ;

. création d'un dispositif de départ anticipé pour les carrières longues : ce système permet à ceux qui ont commencé à travailler entre 14 et 16 ans et qui ont cotisé la durée requise pour leur génération de prendre leur retraite avant 60 ans ;

. création de deux nouveaux dispositifs d'épargne retraite : un produit d'épargne individuel, le Plan d'épargne retraite populaire (PERP), et un dispositif collectif, le Plan d'épargne pour la retraite collectif (PERCO) ;

. limitation du recours aux pré-retraites ;

. indexation des pensions des fonctionnaires sur les prix et non plus sur le point de la fonction publique.

R éforme des régimes spéciaux de 2007 (entrée en vigueur en 2008)

- Champ d'application :

. régimes des établissements publics à caractère industriel et commercial gérant un service public (EDF, GDF, SNCF, RATP, Banque de France, Opéra national de Paris, Comédie française) ;

. les professions à statut (clercs et employés de notaires).

Cette réforme prévoit un alignement progressif de la durée de cotisation, qui doit passer de 37,5 ans à 40 ans à l'échéance de 2012, l'instauration d'un mécanisme de décote et de surcote ainsi que l'indexation des pensions sur l'évolution des prix (et non plus sur celle des traitements des agents en activité).

Les bilans des réformes de 1993 et 2003 effectués par la Caisse nationale d'assurance vieillesse ne sont pas très positifs.

La réforme de 1993 s'est traduite par le versement de pensions moins élevées pour l'ensemble des retraités présents entre 1994 et 2003. Sa principale conséquence pour les salariés a été de faire baisser le taux de remplacement (ratio entre le total des pensions versées la première année de retraite et le dernier salaire annuel perçu).

La réforme de 2003 n'est pas parvenue à retarder l'âge du départ à la retraite : les mesures destinées à anticiper la liquidation des droits ont rencontré beaucoup de succès (plus de 500 000 personnes en ont bénéficié entre 2004 et 2008). Le taux d'emploi des seniors (55-64 ans) est donc resté faible et l'âge de liquidation des pensions pour les hommes est passé de 61,4 ans en 2003 à 60,7 ans en 2007.

Loi du 9 novembre 2010 prévoit :

- le relèvement progressif de l'âge légal de départ à la retraite, de manière à atteindre 62 ans en 2018 (cette évolution concerne tous les salariés, du public comme du privé ainsi que les régimes spéciaux, mais avec des calendriers de mise en oeuvre différents) ;

- le relèvement progressif, de 65 à 67 ans, de l'âge à partir duquel un assuré n'ayant pas la durée de cotisation requise est en droit de bénéficier d'une retraite à taux plein ;

- la modification du dispositif des « carrières longues » : les salariés ayant commencé à travailler avant 18 ans peuvent partir à la retraite au plus tôt, sous réserve de totaliser la durée de cotisation requise pour leur génération, plus 2 ans ;

- maintien de l'âge légal de départ à 60 ans, sans décote, pour les salariés qui, du fait d'une situation d'usure professionnelle, ont une incapacité physique supérieure ou égale à 20 % ;

- possibilité pour les jeunes en chômage non indemnisé de valider jusqu'à 6 trimestres (au lieu de 4) ;

- prise en compte de l'indemnité journalière perçue pendant le congé maternité dans le calcul du salaire de référence sur lequel sera calculée la pension de retraite ;

- instauration de nouvelles recettes financières, comme la hausse de la tranche la plus élevée de l'impôt sur le revenu (41 % au lieu de 40 %), l'augmentation des taxes sur les stock-options et les retraites-chapeaux, le relèvement des prélèvements forfaitaires sur les revenus du capital et des taxes sur les dividendes perçus par les actionnaires ;

- ponction annuelle des réserves du Fonds de réserve des retraites (2,1 milliards) au profit de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades).

La loi du 21 décembre 2011 de financement de la sécurité sociale pour 2012 (article 88) prévoit l'accélération de la réforme des retraites de 2010 : passage de 62 à 67 ans de l'âge légal de départ à la retraite et de l'âge d'obtention automatique de la retraite à taux plein dès 2017, au lieu de 2018.

Le décret du 2 juillet 2012 assouplit le dispositif « des carrières longues » organisé par la réforme de 2010 et renforce les mesures en faveur des assurés ayant connu des accidents de carrière :

- possibilité de liquider leurs droits plus tôt pour les personnes qui ont commencé à travailler avant 20 ans (18 ans auparavant) et qui totalisent la durée de cotisation requise pour leur génération (suppression de la condition de 2 années de cotisation supplémentaires) ;

- aux quatre trimestres de périodes assimilées liées au service national, à la maternité ou à la maladie déjà pris en compte s'ajoutent deux trimestres de périodes de chômage indemnisé et deux trimestres supplémentaires liés à la maternité.

En dépit des mesures destinées à accroître la durée de cotisation nécessaire pour obtenir une pension de retraite à taux plein, la question du financement des régimes de retraite demeure au coeur de la problématique des réformes dans ce domaine.

« Les femmes ont en moyenne des carrières plus courtes que les hommes, et les deux réformes [de 1993 et de 2003] pénalisent davantage ce type de profil, par le biais de la hausse de la durée de proratisation et du passage des 10 au 25 meilleures années prises en compte pour le calcul du salaire de référence. Il s'agit là d'un décrochement des droits subi et non choisi. » 6 ( * )

En 1993 , l'instauration d'une décote pour le régime général (système étendu au secteur public en 2003), qui entre en compte quand la durée de carrière validée est inférieure à la durée exigée pour la retraite, a davantage pénalisé les femmes que les hommes. Rappelons que la décote représente un abattement de 5 % par année de cotisation manquante. Une personne ayant travaillé 38 ans alors que la durée exigée est de 41 ans subit, dans la logique de la décote, un abattement de 15 % qui s'ajoute au montant calculé au prorata de la durée validée.

Or, la décote est plus importante pour les femmes (12 trimestres, correspondant à trois ans en moyenne) que pour les hommes (9 trimestres, correspondant à 2,25 ans). Ce point est souligné dans Les retraités et leur retraite 7 ( * ) , qui montre que 9 % des femmes (6 % des hommes) parmi les personnes parties à la retraite en 2008 subissent une décote liée à l'insuffisance des trimestres validés : « Les femmes liquident aussi plus souvent que les hommes une pension avec le maximum de décote » .

Comme le fait observer Christiane Marty 8 ( * ) , « toute augmentation de la durée de cotisation signifie donc que beaucoup plus de femmes que d'hommes devront, soit prendre leur retraite à un âge plus tardif (avec les difficultés notoires d'emploi des seniors), soit subir une décote plus forte, puisqu'elles seront en moyenne plus loin que les hommes de la durée exigées » .

L'allongement de la durée de cotisation , entré en vigueur depuis 2003 , pénalise évidemment les femmes qui ont eu une carrière plus courte que les hommes. Christiane Marty relève ainsi que les femmes qui sont parties à la retraite en 2008 ont validé une carrière plus courte de 2,75 ans que celle des hommes ; elles n'étaient que 60 % à valider une carrière complète (la proportion pour les hommes était alors de 77 %). Les femmes qui n'ont pas validé suffisamment d'années peuvent partir à la retraite avant l'âge légal, mais en subissant une décote qui réduit le montant de leur pension.

Dans la même logique, le recul en 2010 du taux plein de 65 à 67 ans a davantage affecté les femmes que les hommes.

Le système de la surcote , qui permet d'augmenter le niveau de la pension quand la durée de cotisation dépasse celle qui est requise pour le taux plein, profite à 58 % aux hommes alors qu'ils représentent la moitié des départs en retraite.

En 1993 , le passage des 10 aux 25 meilleures années de carrière dans le secteur privé pour déterminer le salaire de référence pris en compte dans le calcul de la pension a pénalisé les carrières courtes , majoritairement féminines. Cette formule oblige à se référer plus systématiquement aux années de début de carrière, assorties d'un plus faible salaire, ou aux années à temps partiel : « Le passage aux 25 meilleures années a pour conséquence une baisse immédiate de la pension au moment du départ à la retraite, baisse d'autant plus importante que la retraite est courte » 9 ( * ) .

Ce point est souligné par les associations qui défendent les droits des femmes : ainsi Femmes-Égalité considère-t-elle l'allongement de la durée de cotisation comme une « double peine » qui s'ajoute aux difficultés de la vie des 60-65 ans.

Le Défenseur des droits préconise ainsi, comme l'ont rappelé lors de leur entretien avec votre rapporteure M. Jamel Oubéchou, directeur du département de la promotion des droits et de l'égalité et Mme Sarah Bénichou, chargée de mission égalité femmes-hommes auprès du Défenseur des droits, de s'appuyer non pas sur les 25 meilleures années , pour le calcul des droits à la retraite, mais sur les 100 meilleurs trimestres : cette durée équivalente présenterait l'avantage d'assurer l'équité entre les personnes qui ont connu des interruptions de leur parcours professionnel. Une telle disposition paraîtrait adaptée au cas des interruptions pour des raisons liées à l'accueil d'un enfant.

L'indexation des salaires pris en compte pour le calcul de la pension sur les prix et non plus sur les salaires a également eu pour conséquence de faire baisser le montant des pensions, puisque les salaires, sur la longue période, augmentent plus vite que l'inflation. En conséquence, le taux de remplacement (montant de la première pension rapporté au dernier salaire) baisse substantiellement. L'évolution des pensions ne suit donc plus celle des salaires et l'écart de niveau de vie entre actifs et retraités se creuse.

Enfin, les dispositifs pour carrières longues bénéficient surtout aux hommes et accroissent les écarts entre hommes et femmes. Sur les 625 000 personnes qui en ont bénéficié entre 2004 et 2010, 79 % étaient des hommes.

c) Un paradoxe : les droits familiaux et conjugaux bénéficient aux hommes

L'extension aux hommes de certains droits familiaux, au gré des jurisprudences européennes inspirées par le souci de l'égalité entre les sexes, a contribué à accuser le différentiel des retraites entre hommes et femmes.

En 2003, la majoration de durée d'assurance (MDA) attribuée dans la fonction publique a été divisée par deux pour les enfants nés après 2004 : la MDA d'un an a été remplacée par une validation de 6 mois par enfant. Pour les enfants nés avant 2004, le maintien du bénéfice de la MDA a été subordonné au fait que la naissance ait eu lieu alors que la mère était déjà fonctionnaire. Ainsi que le relève Christiane Marty, « avec cette règle, de nombreuses femmes ont perdu beaucoup de droits. [...] Dans les trois ans qui ont suivi, le nombre moyen de trimestres validés au titre de la MDA avait déjà baissé de 8,7 à 7,9 trimestres » .

Quant au partage d'une part de la MDA entre les deux parents, si elle répond à des exigences jurisprudentielles et à un souci de prendre en compte le cas de pères très impliqués dans l'éducation de leurs enfants, n'en a pas moins eu pour effet de priver les mères de famille d'un an de durée d'assurance dans l'hypothèse d'un partage égal des huit trimestres entre les deux parents.

Le cas de la bonification de 10 % pour trois enfants et plus est particulièrement éclairant. Calculée au prorata de la pension, elle bénéficie davantage aux pères, souvent titulaires de pensions plus élevées, alors que les carrières des pères sont moins pénalisées que celles des mères.

De même, les statistiques montrent que le niveau de vie des veufs est, du fait de la réversion cumulée à leur retraite propre, plus élevé que celui des veuves. Alors que les pensions de réversion assurent en moyenne aux veuves « quasiment le maintien du niveau de vie du couple antérieur » , pour les veufs elles permettent d'atteindre un niveau de vie supérieur 10 ( * ) . Le niveau de vie moyen des veufs de 65 ans et plus s'élèverait ainsi à 2 084 € par mois (chiffres 2009), celui des veuves à 1 597 € (le montant moyen mensuel des retraites des veufs est de 1 749 € par mois, de 1 165 € pour les veuves).

Le constat est donc paradoxal : les droits familiaux et conjugaux, mis en place pour rééquilibrer les pensions des femmes ont eu pour effet, une fois étendus aux hommes pour des raisons d'égalité, de creuser encore les inégalités entre hommes et femmes en France en matière de retraite.

LES DROITS FAMILIAUX ET CONJUGAUX

Pour de nombreuses femmes retraitées, les droits à retraite acquis en tant que mères de famille ou d'épouse constituent un complément indispensable aux droits acquis à titre individuel (ou droits propres), dont le montant est très souvent insuffisant.

A. Quatre types de droits familiaux

1. La majoration de durée d'assurance (MDA)

La majoration de durée d'assurance est prévue par les principaux régimes de base pour chaque enfant élevé. Les régimes complémentaires n'en prévoient pas.

La MDA permet de valider jusqu'à deux années (huit trimestres) par enfant élevé.

Dans la fonction publique, la MDA, longtemps réservée aux mères, a été réformée en 2003 pour respecter l'égalité entre hommes et femmes : une majoration de quatre trimestres sur les huit que prévoit la MDA peut être attribuée au parent qui justifie d'une interruption d'activité de deux mois au moins (cette condition a été étendue à quatre mois en 2011).

Pour les départs en retraite survenant depuis le 1 er avril 2010, la MDA est divisée entre une majoration « maternité », réservée à la mère, et une majoration « d'éducation » répartie entre les parents au choix du couple (faute de décision prise dans les quatre années suivant la naissance ou l'adoption, cette majoration est attribuée à la mère).

Cette modification a été introduite par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 qui a modifié l'article L. 351-4 du code de la sécurité sociale pour tirer les conséquences d'évolutions jurisprudentielles favorables aux droits des pères. Pour les enfants nés ou adoptés avant le 1 er janvier 2010, le père ne peut bénéficier de cette extension de la MDA que s'il justifie avoir élevé seul l'enfant pendant une période d'une ou plusieurs années jusqu'aux quatre ans de celui-ci. Cette MDA ne peut par ailleurs se cumuler avec la MDA du congé parental qui peut donner lieu à la prise en compte de trois années d'assurance.

2. L'assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF)

Ce dispositif, créé en 1972, permet à des personnes qui interrompent ou réduisent leur activité pour s'occuper de leurs enfants de se constituer des droits à retraite au régime général. Il a été étendu à des situations autres que celles strictement liées à l'accueil de jeunes enfants, notamment aux aidants familiaux. Cette prestation est ouverte sous conditions de ressources ; elle permet de valider des trimestres au SMIC.

L'AVPF est depuis 1979 ouverte aux pères, dont les conditions d'affiliation sont devenues identiques à celles des mères en 1985.

3. La majoration de pension pour trois enfants et plus

Prévue par la quasi-totalité des principaux régimes de base et des régimes complémentaires, cette majoration, désormais ouverte aux pères, s'applique aux pensions de droits propres et aux pensions de réversion. Elle représente 10 % de la pension dans les régimes du secteur privé pour trois enfants ou plus. Dans les régimes spéciaux (y compris la fonction publique) et à l'IRCANTEC, la majoration est de 10 % pour le troisième enfant ; s'y ajoutent 5 % par enfant supplémentaire. Elle est donc de 15 % pour les parents de quatre enfants.

La fiscalisation de la majoration est prévue dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014.

4. Le départ anticipé pour raison familiale

En voie d'extinction depuis 2011, ce système permet aux agents ayant eu au moins trois enfants de liquider leurs droits après 15 années de service. Ce système est prévu par les régimes spéciaux, dont ceux des fonctionnaires, à l'exception de celui des mineurs et des marins.

Ce dispositif est désormais réservé aux agents ayant réuni les conditions d'attribution avant 2012 dans la fonction publique. Il a toutefois été étendu aux parents réduisant leur activité dans certaines conditions.

B. La réversion

Tous les régimes de retraite français prévoient un dispositif de réversion pour le conjoint survivant, même si les règles d'attribution (âge minimum, ancienneté du mariage, non-remariage...) et de calcul (taux de réversion, proratisation en cas de divorce) varient substantiellement en fonction des régimes.

Dans la fonction publique et la plupart des régimes spéciaux, la réversion correspond à 50 % de la retraite de la personne décédée, sans condition d'âge ni de ressource, à condition que le conjoint survivant ne vive pas en couple. Dans le secteur privé, le taux est, pour les régimes de base, de 54 % sous conditions de ressources et d'âge (le minimum est de 55 ans). Dans les régimes complémentaires, le taux est de 60 % sans conditions de ressources, et le versement est soumis au non-remariage du conjoint survivant.

Depuis le 1 er janvier 2010, la réversion est majorée (son taux passe de 54 % à 60 %) dans les régimes de base de salariés et de non-salariés pour les conjoints survivants dont le total des pensions (droits propres et réversion) n'excède pas un montant fixé à 840 € par mois en 2012. Cette majoration concernait, à la fin de 2011, 228 500 personnes, ce qui représente environ 10 % des bénéficiaires.

3. Des inégalités qui persisteront à l'avenir

Comme l'a souligné le COR lors de son audition par la délégation, le 3 octobre 2013, on ne peut attendre de résorption spontanée du différentiel entre hommes et femmes au regard des retraites à l'échéance des trente à quarante prochaines années , malgré la progression régulière de l'activité féminine. Cette évolution s'explique par le maintien de différences sensibles en matière de temps de travail, qui demeure encore affecté pour les jeunes femmes par l'incidence de la maternité.

Les droits familiaux et conjugaux, qui sont censés compenser les particularités des carrières féminines liées aux contraintes familiales, ne jouent plus pleinement ce rôle de correctif entre hommes et femmes en raison des mutations de la famille.

Ce constat impose une réflexion sur l'avenir des droits familiaux et un effort systématique en faveur des droits propre des femmes.

a) Vers un rapprochement des durées d'assurance des hommes et des femmes

Si l'âge moyen de liquidation des femmes est actuellement supérieur à celui des hommes, car elles doivent attendre l'âge du taux plein pour liquider leur pension, « cet écart s'est réduit au cours des dernières années compte tenu de la progression de l'activité féminine. L'écart au régime général était ainsi de 1 an en 2003 (62,4 ans pour les femmes et 61,4 pour les hommes) et il n'est plus que de 0,4 an en 2009 (61,8 ans pour les femmes contre 61,4 ans pour les hommes) » 11 ( * ) .

b) La persistance des interruptions et réductions d'activité liées aux naissances

On observe néanmoins, depuis le milieu des années 1990, une tendance au tassement de l'accroissement régulier du taux d'activité des femmes jusqu'alors observé.

Ceci s'explique par le fait que, si le maintien des femmes « au foyer » est devenu plus rare qu'il ne l'était pour les générations aujourd'hui à la retraite, les interruptions d'activité demeurent fréquentes aujourd'hui pour les jeunes femmes. Ainsi que l'a relevé le COR lors de son audition par la délégation, le 3 octobre 2013, 38 % des femmes ne travaillent pas après un premier enfant, 50 % après une deuxième naissance et 69 % après un troisième enfant ; ces interruptions, qui restent dans de nombreux cas temporaires, se caractérisent aujourd'hui par une durée plus courte qu'elle ne l'était par le passé (les jeunes femmes interrompent leur activité pendant environ trois ans).

Cette moindre participation des femmes au marché du travail au moment des naissances semble d'ailleurs commune à la plupart des pays européens.

Selon les dernières projections de population active de l'INSEE, les taux d'activité de femmes de plus de 45 ans devraient progressivement rejoindre ceux des hommes. En revanche ceux des femmes de moins de 45 ans devraient se stabiliser à un niveau inférieur de 10 à 15 points en-deçà de ceux des hommes 12 ( * ) . En 2060, le taux d'activité de femmes de moins de 49 ans restera inférieur à celui des hommes.

Carole Bonnet, économiste à l'INED, a confirmé lors de son entretien avec votre rapporteure, le 9 octobre 2013, que les projections dans ce domaine semblent attester le maintien d'un écart de 20 % environ entre les retraites de femmes et des hommes devrait perdurer en projection, en raison principalement du maintien de disparités entre hommes et femmes sur le marché du travail.

c) Les droits familiaux et conjugaux à l'épreuve des mutations de la famille

Ainsi que l'ont souligné les représentants du COR lors de leur audition par la délégation, le 3 octobre 2013, la situation des femmes retraitées ne peut s'appréhender sans intégrer les droits familiaux et conjugaux. La réversion notamment contribue à assurer aux femmes retraitées un niveau de vie comparable à leur situation antérieure à la liquidation de leurs droits.

Pourtant, les évolutions démographiques et sociologiques de la population retraitée conduisent à s'interroger sur la pertinence d'un modèle qui peut sembler désormais dépassé.

En effet, la prédominance du couple marié et stable, sur lequel avait à l'origine été fondé le système des retraites - et notamment la réversion - est désormais en déclin.

Ainsi le nombre des divorcées, qui augmente actuellement, sera-t-il plus important encore pour les générations qui arriveront à l'âge de la retraite au cours des prochaines décennies. Le montant de la pension de réversion dépendra, pour ces femmes, de la durée de leur mariage et de l'éventuel remariage de leur ex-conjoint. Par ailleurs, en cas de divorce, de nombreuses années peuvent s'écouler entre la séparation et le décès de l'ex-conjoint.

Dans la même logique, une proportion croissante de femmes qui n'ont jamais été mariées arrivera à l'âge de la retraite. L'incidence correctrice de la réversion pour elles sera par définition nulle.

L'accroissement du nombre de familles monoparentales, qui concerne essentiellement les femmes, remet par ailleurs en cause une organisation familiale traditionnelle centrée autour de l'homme, principal apporteur des ressources du ménage.

Compte tenu de ces évolutions prévisibles de la population retraitée, il importe de repenser la place des droits familiaux et conjugaux dans le système de retraites.

Cette question pose aussi celle des droits propres, indissociable de toute réflexion sur l'avenir des femmes seules (divorcées, séparées ou célibataires).

Les voix ne manquent pas pour préconiser un renforcement des droits propres des femmes de préférence à l'aménagement des droits dérivés que sont la réversion et les droits familiaux. C'est en particulier le cas du Laboratoire de l'Égalité, auditionné par votre délégation le 10 octobre 2013. Les représentants de cette association ont fait observer, à titre d'exemple, qu'en bénéficiant davantage aux hommes, la majoration de 10 % pour trois enfants et plus pouvait entretenir la dépendance des femmes, la revalorisation des droits propres étant selon eux indispensable pour assurer aux futures retraitées un niveau de vie convenable. On ne peut que souscrire à cette analyse.

Les représentantes de la Fédération des associations de conjoints survivants et parents d'orphelins (FAVEC), auditionnées le même jour, ont pour leur part souligné la faiblesse du montant de la pension de réversion et relevé l'incidence défavorable de la suppression de la demi-part fiscale sur les revenus des conjoints survivants.

Ainsi que l'ont noté les représentants de l'Union nationale des associations familiales (UNAF) lors de leur audition par la délégation le 3 octobre 2013, les droits familiaux ont vieilli et ne sont plus tout-à-fait adaptés aux objectifs pour lesquels ils avaient été instaurés, même si ces objectifs restent sur le fond valables.

Parmi les hypothèses envisagées par les spécialistes pour l'évolution des droits familiaux et conjugaux, on peut citer :

- à propos des pensions de réversion : le financement obligatoire, au niveau du couple, d'un « risque veuvage » avec sur-cotisation des deux assurés 13 ( * ) ;

- concernant la compensation des aléas de carrière liés à la maternité : la transformation de l'actuelle majoration pour trois enfants et plus 14 ( * ) en une prestation forfaitaire (sa fiscalisation est par ailleurs prévue par le projet de loi de finances pour 2014) ;

- l' extension de cette prestation dès le premier enfant : Cette formule a pourtant été jugée contestable par l'UNAF qui estime nécessaire une compensation au moment de la retraite, du décalage du niveau de vie entre les familles nombreuses et les autres ;

- le partage des droits entre les deux parents en cas de divorce , afin de neutraliser la répartition dissymétrique des choix d'activité pendant la vie de couple 15 ( * ) : « le financement du risque divorce serait surtout assuré au sein du couple par le conjoint ayant le revenu le plus élevé (en général l'homme) » . Les représentants du COR ont néanmoins estimé cette formule difficile à mettre en place en France compte tenu, notamment de la diversité des régimes ;

- la proratisation de la pension de réversion en fonction de la durée du mariage 16 ( * ) ;

- la transformation de la MDA en revalorisation du montant de la pension : cette suggestion du COR part du principe que les femmes nées après 1960 devraient avoir une durée de cotisation quasiment équivalente à celle des hommes. L'idée serait donc de compenser par le niveau de pensions et non par la durée de cotisation les écarts de revenus imputables à la maternité. Or il apparaît à votre rapporteure que pour de nombreuses femmes, la priorité en fin de carrière soit de pouvoir liquider leurs droits plus tôt : le temps importe au moins autant que les revenus. Il semble donc nécessaire de maintenir un équilibre prestations/allocations et dispositions permettant de partir à la retraite plus tôt.

Par ailleurs, la réforme des droits conjugaux et familiaux doit être abordée de manière à ne pas renforcer un partage traditionnel des tâches au sein de la famille qui confine les femmes dans leur rôle de mère et d'épouse, les cantonne dans la sphère domestique et ne semble pas de nature à favoriser l'émancipation féminine . Dans cette logique, soutenue par exemple par M. Nicolas Castel, sociologue, maître de conférences à l'Université de Lorraine, c'est évidemment par le biais de la revalorisation des droits propres qu'il convient d'agir, par exemple en assurant une meilleure continuité entre le dernier salaire et le montant de la pension, et en mettant fin à l'indexation des retraites sur les salaires pour revenir à leur indexation sur les prix.

De telles propositions semblent toutefois, selon votre rapporteure, se heurter aux réalités financières dans lesquelles s'inscrit le présent projet de loi.

B. LES INÉGALITÉS EN MATIÈRE DE RETRAITES, REFLET DES INÉGALITÉS AU TRAVAIL

1. L'activité professionnelle des femmes fortement contrainte par une organisation sociale fondée sur une répartition traditionnelle des tâches au sein de la famille

Comme le remarque Thierry Pech 17 ( * ) , les femmes « restent de très loin les premières contributrices aux exigences de la vie familiale. Du berceau au tombeau, ce sont elles qui veillent le plus à la marche du foyer et au bien-être de ceux qui les entourent [...].

Faire la lessive, repasser le linge, mettre le couvert, préparer les repas, s'occuper des devoirs des enfants, organiser les activités du mercredi, penser à prendre rendez-vous chez le dentiste, à faire les courses..., voilà à quoi ressemble le quotidien de nombreuses familles. Et, dans beaucoup d'entre elles, ce fardeau repose d'abord sur le dos des femmes ».

Cette contribution décisive des femmes à la vie familiale se manifeste par le temps consacré aux enfants, aux personnes âgées de la famille et aux tâches ménagères. Elle pose le problème de l'évaluation de ce temps de travail invisible et gratuit qui affecte parfois leur disponibilité professionnelle et, en conséquence, leur niveau de revenu tout au long de la vie.

a) Éducation des enfants : temps partiel et interruption d'activité

25 % des mères interrompent aujourd'hui leur activité professionnelle après le congé-maternité.

Le taux d'activité des femmes est fonction de l'âge des enfants (il est plus faible quand les enfants sont jeunes). Il dépend aussi de leur nombre (comme l'a rappelé le COR, le taux d'interruption de l'activité professionnelle est de 38 % avec un enfant, de 50 % avec deux et de 69 % avec trois).

Selon la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF), cette situation est liée à la situation socio-économique des ménages : dans les 20 % des foyers aux revenus les plus modestes, 91 % des enfants sont gardés par la famille. La proportion est à l'inverse de 31 % dans les 20 % des foyers disposant des revenus les plus élevés. Par ailleurs, en 2011, 96,5 % des enfants gardés par leur famille sont gardés par leur mère, ce qui est cohérent avec les statistiques de congés parentaux qui sont pris principalement par les mères.

Ainsi que l'observe l'Union nationale des associations familiales (UNAF), « ceux qui gardent principalement leurs enfants sont les moins diplômés, ont plus d'enfants [...] et ont des niveaux de vie moins élevés que ceux qui recourent principalement à d'autres modes de garde » .

Ce retrait du marché du travail ne résulte pas nécessairement d'un choix, mais du coût des modes de garde .

Le coût des modes de garde contribue également à expliquer les décisions d'interruption professionnelle des femmes : selon Thierry Pech, « pour un couple qui gagne deux SMIC, le reste à charge pour l'emploi d'un assistant maternel coûte 252 €, contre 96 € en crèche » . Le reste à charge pour le même niveau de revenu est de 320 € environ pour une garde partagée à domicile. Par ailleurs, il faut compter environ 1 100 € pour une garde à domicile par une employée.

Une autre explication réside évidemment dans l'insuffisance des modes de garde collectifs .

En 2011, la CNAF ne comptait que 50 places de crèche pour 100 enfants 18 ( * ) . Or, les besoins en places de crèches sont estimés à 400 000 - 500 000 places , à rapporter à la création de 275 000 solutions d'accueil pour les enfants en bas âge annoncés par le gouvernement en juin 2013 à l'échéance de 2017 (100 000 places de crèche, 100 000 places chez les assistants maternels et 75 000 places en écoles maternelles).

Actuellement, un enfant de moins de trois ans sur deux ne dispose pas de place d'accueil en dehors de sa famille. Les régions les moins bien équipées seraient l'Ile-de-France, le Languedoc-Roussillon et la région PACA, où le ratio est de 29 à 59 places d'accueil pour 100 enfants de moins de trois ans (76 pour 100 en Bretagne et en Pays-de-Loire).

Si l'on considère, comme le relève l'étude précitée, Femmes-hommes, l'égalité en action , qu'une place de crèche coûte 15 000 € pour les municipalités en investissement puis 6 000 € par an en fonctionnement, le complément de libre choix d'activité constitue une alternative moins coûteuse puisque, même dans l'hypothèse de son versement pendant trois ans (ce qui n'est pas le cas pour toutes les naissances), il représente, pour les parents qui le perçoivent, entre 13 809 € et 20 376 €, soit moins que ce que représentent la création et l'entretien de places de crèches.

Cette prestation contribue à soustraire du marché du travail des mères qui auront du mal à retrouver un emploi par la suite et à conforter les écarts de pension entre hommes et femmes.

Il est donc très opportun que les contours de cette prestation soient actuellement redéfinis dans le cadre de la discussion de la loi pour l'égalité des chances entre les hommes et les femmes dans le sens d'un partage entre les parents.

Cette évolution ne fait que rendre plus urgente encore la mise en place de solutions d'accueil annoncée par le gouvernement. Le recours au travail domestique ne saurait être considéré comme une solution durable par rapport au service public d'accueil de la petite enfance.

b) Soins aux proches âgés dépendants

« Comme partout en Europe, les femmes en France sont plus souvent en position d'aidantes que les hommes » : tel est le constat d'une étude mettant en évidence que la dépendance reste « aujourd'hui l'affaire des femmes » 19 ( * ) . Cette étude souligne que pour 80 % des personnes âgées vivant à domicile, l'aide provient de l'entourage ; en 2000, il s'agissait d'une fille pour 75 % des cas d'aide à un parent, d'une femme pour 70 % des cas d'aide à un conjoint.

De fait, les aidants familiaux, qui sont actuellement plus de 3 millions en France, sont à 60 % des femmes ; leur âge moyen est de 52 ans.

Les statistiques font ressortir une moindre implication des hommes dans l'aide aux personnes dépendantes de leur entourage . Face à la dépendance, mieux vaut être un homme qu'une femme car, comme le relève l'étude précitée, « à niveau de dépendance équivalent, les hommes ont plus souvent leur épouse placée en établissement que l'inverse » .

Par ailleurs, les femmes consacrent plus de temps aux soins des personnes dépendantes de leur entourage (2 heure de plus par jour en moyenne) :

- quand elles interviennent auprès de leur conjoint, cette activité est exercée à plein temps et elles y passent 9 heures 45 par jour (7 heures 20 pour les époux s'occupant de leur conjointe dépendante) ;

- les filles sont plus impliquées que les fils : 4 heures 30 par jour en moyenne contre 2 heures 40.

Actuellement, le nombre de personnes dépendantes âgées de 60 ans et plus est estimé à un million (une personne sur quatre a plus de 85 ans). 719 000 personnes vivent à domicile et ont donc besoin d'une aide. Or, le nombre de personnes dépendantes étant appelé à croître de 50 % à l'échéance de 2040, le service ainsi rendu à la collectivité par les aidants familiaux doit être reconnu car leur rôle va devenir de plus en plus crucial.

Cette reconnaissance est d'autant plus importante que l'aide rendue n'est pas sans effets sur l'activité professionnelle : 11 % des aidants familiaux déclarent avoir aménagé leur vie professionnelle, et plus d'un tiers réduit le nombre d'heures travaillées .

Ces aménagements ne peuvent être sans conséquences sur le niveau de retraite des aidants, qui sont des femmes en majorité , et qui peuvent avoir déjà subi des interruptions d'activité professionnelle du fait des maternités.

c) Tâches ménagères : à quand un partage des tâches plus équitable ?

80 % des tâches domestiques sont assurés par les femmes ; la proportion reste importante (2/3 des tâches) dans les familles où les femmes travaillent. Les tâches relatives aux courses, au ménage, à l'entretien du linge et à la cuisine (hors soins aux enfants et aux adultes) représentent un temps de travail de 2 heures environ par jour, selon l'étude précité de Thierry Pech.

Les femmes consacrent aux tâches domestiques 1 heure 30 par jour de plus que leur conjoint. Si le temps consacré à ces tâches a baissé depuis 10 ans, cette diminution n'est pas liée à une meilleure participation des hommes, mais au progrès technique et aux nouvelles technologies (courses en ligne et livraisons à domicile, plats cuisinés...) ainsi qu'au recours aux services à la personne 20 ( * ) . À volume de tâches domestiques égal et au rythme actuel d'évolution du partage des tâches, « il faudrait 900 ans pour arriver à la parité parfaite à la maison ».

d) Le travail gratuit des femmes : quelle comptabilisation, quelle valorisation, quelle compensation ? La question de la double journée

L'INSEE a classifié le travail domestique en trois catégories 21 ( * ) :

- le périmètre restreint concerne « le coeur des tâches domestiques » : cuisine, entretien du linge, gestion du ménage, soins matériels aux enfants et accompagnements de ceux-ci ;

- le périmètre intermédiaire ajoute les activités à la frontière des loisirs (courses, jardinage, bricolage, jeux avec les enfants) ;

- le périmètre le plus large est étendu aux activités telles que promener un animal ou effectuer pour soi-même des trajets en voiture.

Votre rapporteure exclura, dans le raisonnement ci-après, le périmètre le plus large.

Selon l'INSEE, ces données sont variables en fonction de l'âge et du sexe. L'étude de l'INSSE a établi qu' une femme vivant en couple et mère d'un ou plusieurs enfants de moins de 25 ans réalise en moyenne 28 heures par semaine de travail dans le périmètre restreint, 34 heures dans le périmètre intermédiaire.

Le travail ainsi produit par les femmes dans la sphère domestique représente donc quasiment l'équivalent du temps de travail effectué dans un cadre professionnel par un salarié aux 35 heures. Or, ce temps de travail domestique ne connaît ni week-ends, ni réduction du temps de travail (RTT), ni vacances. On peut donc bien parler de la double journée des femmes ...

L'INSEE a évalué le temps de travail domestique à 42 milliards d'heures pour le périmètre restreint en 2010, à rapprocher des 38 milliards d'heures rémunérées effectuées pendant cette période.

Une évaluation de la valeur de ce travail domestique est nécessairement imparfaite, car il est difficile d'attribuer un prix à ces heures de travail, lequel ne peut être que fictif puisque celui-ci ne fait pas l'objet d'une transaction.

Si l'on retient, comme le suggère dans un premier temps l'INSEE, le salaire minimum interprofessionnel de croissance ( SMIC) net de 2010 (6,95 € de l'heure), la valeur du travail domestique restreint atteint 292 milliards d'euros en 2010, soit 15 % du produit intérieur brut (PIB) .

Si les femmes pouvaient exercer leur activité professionnelle pendant les 28 heures par semaine qu'elles consacrent aux tâches ménagères (selon l'estimation basse de l'INSEE), elles pourraient gagner environ 784 € de plus par mois sur la base du SMIC net.

Encore cette évaluation, basée sur le SMIC, est-elle très inférieure à ce que gagneraient réellement certaines femmes si elles pouvaient travailler pendant le temps qu'elles consacrent à l'organisation de la vie familiale. On mesure ainsi le manque à gagner que peut représenter un partage des tâches inégal au sein du foyer.

2. La question des inégalités salariales et la faible valorisation des métiers dits féminins
a) La précarité au féminin

Selon une analyse de l'INSEE 22 ( * ) , le taux de chômage des jeunes femmes ayant terminé leurs études depuis moins de six ans est de 14 % ; le taux de chômage de leurs homologues masculins est plus élevé : 16 %.

Toutefois, en dépit de ce progrès, lié à l'élévation régulière du niveau de formation des jeunes filles, les conditions d'emploi des jeunes femmes ne s'améliorent pas : « cinq ans après leur sortie du système scolaire, elles connaissent plus souvent la précarité que les hommes : davantage en CDD ou en emplois aidés si elles sont peu ou pas diplômées, et surtout beaucoup plus à temps partiel » 23 ( * ) . Ainsi, le taux d'activité des jeunes femmes (86 %) reste, selon l'étude précitée de l'INSEE, inférieur de six points à celui des jeunes hommes.

Près de 25 % des jeunes salariées peu diplômées sont concernées par un temps partiel imposé, qui ne s'explique pas par les contraintes familiales. Cette proportion est de 10 % pour les jeunes hommes peu diplômés : il s'agit donc d'une forme de sous-emploi. Selon l'étude de l'INSEE précitée 24 ( * ) , la proportion de jeunes femmes à temps partiel involontaire en début de carrière était en 2009 de 12 %, toutes catégories confondues (contre seulement 3 % pour les jeunes hommes).

Or, le temps partiel est assorti de rémunérations peu élevées, dont les conséquences se font sentir au moment de la liquidation des droits. L'écart entre hommes et femmes commence donc à se manifester en début de carrière.

Par ailleurs, les bas salaires sont à majorité féminins : ils concernent 24 % des femmes (8 % des hommes) : 75 % des salariés à bas salaire sont des femmes. Cette proportion serait de 10 points supérieure à ce qu'elle était au début des années 1990 25 ( * ) .

b) Le maintien de fortes inégalités salariales

Un constat statistique : un écart de 18 à 28 %

L'écart entre les salaires des femmes et ceux des hommes, qui se resserrait depuis les années 1970, ne bouge plus depuis le début des années 1990. En 1995, le salaire des femmes en équivalent temps complet représentait 79 % de celui des hommes. En 2010, ce chiffre était de 81 % : « À ce rythme, la parité sera atteinte en 2105 ! » , observent les économistes Sophie Ponthieux et Dominique Meurs 26 ( * ) .

Selon l'INSEE, l'écart des rémunérations entre hommes et femmes a était de 28 % en 2010 dans le privé 27 ( * ) . Il s'explique par un niveau de salaire horaire moyen inférieur de 18 % à celui des hommes.

La différence de salaire est aggravée par un nombre d'heures de travail moyen inférieur de 13 % dans l'année pour les femmes. Ce chiffre prend en compte l'inactivité et le chômage. Mais l'écart de temps de travail entre hommes et femmes demeure pour les salariés à temps complet car les femmes effectuent en général moins d'heures supplémentaires.

Les chiffres publiés par l'INSEE en février 2012 montrent que cet écart de salaires a cessé de se réduire depuis le début des années 1990.

Une étude de l'Observatoire des inégalités met en évidence les variations de l'écart de salaire entre hommes et femmes selon les données prises en compte :

- tous temps de travail confondus, il est environ de 27 % (cette moyenne recouvre les différences liées à la qualification et au temps de travail ;

- si l'on neutralise les différences causées par le temps de travail , la différence est de 24 % ;

- abstraction faite des écarts dus à la rémunération des heures supplémentaires et aux primes , l'écart est de 14 % ;

- il reste un écart inexpliqué de 9 % une fois neutralisé l'effet des différences de diplôme et de qualification.

Une étude 28 ( * ) de l'INSEE relève que, dans les activités financières et d'assurance, si la part des femmes cadres a augmenté (passant de 30 à 42 %), cette évolution ne s'est pas traduite par une réduction des écarts de salaire :

- d'une part, en raison de l'âge de ces femmes, qui ont moins d'ancienneté que leurs homologues masculins : leur salaire horaire est inférieur de 31 % à celui des hommes ;

- d'autre part, du fait de l'importance des primes dans la rémunération : la part subjective de la rémunération serait plus élevée pour les hommes, ce qui contribue à expliquer des écarts de salaires croissants entre femmes et hommes cadres (de 27 % en 1995 à 34 % en 2010).

Dans la fonction publique , où les femmes occupent près de 65 % des postes , la même étude de l'INSEE montre qu'en dépit de l'application de grilles statutaires qui garantissent de moindres écarts de rémunération, on observe néanmoins, en 2010, une différence aux dépens des femmes :

- de 18 % pour la fonction publique de l'État ;

- de 17 % dans la fonction publique territoriale ;

- de 21 % dans la fonction publique hospitalière.

Ces écarts s'expliquent, là encore, par le temps de travail et par l'incidence des heures supplémentaires et des primes. Ils ont aussi pour origine la surreprésentation des femmes dans les catégories où les niveaux de rémunération sont moins élevés (infirmières, aides-soignantes, enseignantes...). Votre rapporteure reviendra sur ce point.

L'incidence des heures supplémentaires et des primes expliquerait un différentiel de salaire de 23 % dans la catégorie A .

Le « soupçon de maternité » ou le « plafond de mère » , transposition de l'expression « plafond de verre », vient spontanément à l'esprit quand on cherche à expliquer les inégalités de salaire entre hommes et femmes.

L'incidence réelle ou supposée des maternités sur la vie professionnelle des femmes est évidente : les femmes seraient considérées, à cause de leurs charges familiales, comme des collaborateurs moins disponibles , ce qui justifierait - dans cette logique - l'attribution de salaires moins élevés que ceux des hommes.

De fait, en 2010, une femme sur deux réduit son activité après une naissance (un homme sur dix) et « 55 % des femmes ont interrompu ou ralenti leur carrière, le plus souvent en prenant un congé parental à temps plein ou à temps partiel » 29 ( * ) . La formule du congé parental semble l'emporter chez les femmes peu diplômées, probablement parce que la perte de salaire anticipée sera moins importante compte tenu du montant du complément de libre choix d'activité. En revanche, le temps partiel semble privilégié par les femmes plus qualifiées.

La maternité ne suffit toutefois pas à expliquer les différentiels de salaire entre hommes et femmes. Une comparaison entre les salaires des femmes et des hommes de la tranche d'âge 39-49 ans, pour laquelle l'hypothèse d'une maternité est moins évidente, établit un écart :

- de 23 % entre les femmes qui ont interrompu leur activité professionnelle et celles qui ont travaillé en continu ;

- de 17 % entre les femmes et les hommes qui ne se sont jamais arrêtés de travailler 30 ( * ) .

Cet écart de 17 % ne se justifie pas par des raisons objectives liées à la maternité. Il ne s'explique pas non plus par des différences de qualification car « ces femmes sont en moyenne un peu plus diplômées que les hommes » 31 ( * ) .

Une des causes de ce différentiel non justifié est donc à chercher dans les préjugés qui pèsent sur l'emploi des femmes à cause du « soupçon de maternité » : « Au fond, maternité ou pas, l'ombre des enfants pèse sur toutes les femmes. L'anticipation que fera l'entreprise est toujours négative : sans s'appuyer sur des critères objectifs, on suppose que la priorité ne sera pas donnée à l'entreprise, alors même que certaines femmes adoptent un comportement conforme aux attentes managériales (moins d'enfants, plus de diplômes, pas d'interruption de carrière) » 32 ( * ) .

Une autre explication est à rechercher dans les activités professionnelles exercées par les femmes.

Les femmes sont concentrées dans un nombre limité de métiers (12 familles professionnelles sur 87) 33 ( * ) .

Or, les familles professionnelles où les femmes sont majoritaires correspondent le plus souvent à des fonctions moins bien rémunérées que les métiers à dominante masculine : secrétaires (98 % de femmes), caissières, aides-soignantes (90 % de femmes), vendeuses, aides à domicile ou aides ménagères (97 % de femmes), enseignantes, sages-femmes et infirmières (88 % de femmes)...

Tout se passe comme si les femmes avaient investi des secteurs d'activité qui « prolongent le rôle qu'elles assuraient autrefois au sein des familles » 34 ( * ) .

De ce fait la technicité des emplois à dominante féminine tarde à être reconnue , ce qui n'est pas le cas des domaines où les hommes sont majoritaires, par exemple dans le bâtiment ou l'industrie.

Le constat de faibles rémunérations relatives pour les femmes s'applique même dans les professions qui étaient encore jusqu'à une période récente considérés comme des métiers d'hommes . La profession d'avocat constitue une illustration éclairante de ce qui précède. Selon le ministère de la justice, le revenu annuel moyen des avocates (52 650 €) représenterait à peine la moitié de celui des avocats (106 817 €). Cette différence sensible s'explique essentiellement par un accès encore limité des avocates aux responsabilités. Si la profession d'avocat est très largement féminisée (53 % de femmes en 2013, 45 % en 2000), en revanche les avocates sont sous-représentées parmi les associés (16,6 %) : 83,4 % des avocates en France sont collaborateurs de cabinet (60 % à Paris).

En ce qui concerne l'accès aux postes de décision, les effets des obstacles informels à la progression de carrière des femmes (le « plafond de verre ») aboutissent à ce que, par exemple, l'on compte seulement 10 % de femmes à la tête d'entreprises.

c) À travail égal, salaire égal : l'indispensable revalorisation des professions féminines

Des études sociologiques ont mis en évidence les présupposés qui affectent le travail féminin, auquel sont traditionnellement associées des caractéristiques proches des tâches ménagères : « Aux femmes la minutie, l'habilité et la dextérité, tandis que l'on reconnaîtra aux hommes la force physique la vraie possession du métier » 35 ( * ) .

L'article premier de l'accord national interprofessionnel du 1 er mars 2004 déplore que le travail féminin soit traditionnellement associé à de faibles qualifications, censées être transposées de la sphère domestique et qu'il paraisse davantage lié à des aptitudes innées (méticulosité, douceur, capacité d'écoute...) qu'à un « véritable métier ».

Toute autre est, en revanche, l'approche des activités masculines, associées le plus souvent à la force physique et à la compétence. Ce point de vue explique, comme le rappelle le Guide pour une évaluation non discriminante des emplois à prédominance féminine précité, que ces emplois aient été « moins bien considérés dans les conventions collectives, moins bien évalués dans les classifications et donc moins bien rémunérés » .

Ce guide interroge donc, en vue de futures négociations collectives, les méthodes de classification professionnelles et relève qu'elles ne sont pas « neutres du point de vue du genre » .

La revalorisation des emplois à prédominance féminine est en effet un enjeu d'actualité pour « aller plus loin dans l'analyse des inégalités de salaire » et la mise en oeuvre de correctifs . L'ouvrage du Défenseur des droits propose donc une démarche pour parvenir à une évaluation non discriminante des emplois et à une réévaluation des emplois à prédominance féminine.

En effet, les grilles de classification des branches sont élaborées à partir de critères ignorant les exigences qui caractérisent les emplois fréquemment confiés à des femmes . À titre d'exemple, le guide précité cite la surévaluation de critères tels que « l'autonomie » ou « l'initiative créatrice » qui caractériseraient des emplois essentiellement masculins, associés à une « culture métier » valorisée.

Dans cet esprit, on relève que « certaines grilles de classification ne portent que sur les tâches dominantes d'un emploi, considérant qu'il serait trop compliqué d'évaluer la totalité des tâches. Cela induit une sous-évaluation automatique des emplois à prédominance féminine dont la caractéristique est d'être, justement, multidimensionnel » 36 ( * ) . Un exemple typique serait celui des emplois d'assistante « qui cumulent des tâches relationnelles, organisationnelles, administratives et bureautiques qu'il faut mobiliser successivement » 37 ( * ) .

L'omission des exigences liées à la polyvalence et à la poly-activité, qui caractérisent souvent les emplois féminins, est fréquente. Or, les qualités qu'elles supposent sont associées à des emplois « fourre-tout » négativement connotés et faisant appel à des « compétences invisibles ».

En résumé, bien qu'apparemment neutres, ces critères d'évaluation, « quand on les applique, vont systématiquement sous-valoriser les emplois à prédominance féminine » 38 ( * ) . Ainsi voit-on un BTS (brevet de technicien supérieur) technique ou industriel surévalué par rapport au même diplôme à vocation administrative et tertiaire.

Par ailleurs, le guide relève que les grilles de classification des emplois ne s'appuient pas sur les conditions de travail, qui pourtant peuvent considérablement affecter l'évaluation des emplois.

En dépit de cette valorisation insuffisante des emplois féminins, la jurisprudence française a donné gain de cause à des femmes qui s'estimaient victimes de discrimination salariale en raison de leur sexe en comparant les valeurs respectives d'emplois différents, appréciée en fonction de la nature du travail effectivement accompli.

La Cour de cassation a ainsi considéré, en dépassant les grilles de classification professionnelle existantes, que la charge nerveuse subie par des ouvrières équivalait aux contraintes physiques imposées aux ouvriers d'une même entreprise exerçant un métier différent 39 ( * ) . Dans le même esprit, elle a jugé que trier des champignons était aussi pénible que de les charger dans un camion 40 ( * ) . Plus récemment, elle a considéré qu'une cadre responsable des ressources humaines ne pouvait être payée moins que ses collègues masculins directeurs financier et commercial, membres comme elle du comité de direction, ayant le même niveau hiérarchique : le juge a considéré que cette cadre RH avait une importance comparable à ses collègues masculins 41 ( * ) .

Mais ces jurisprudences n'ont qu'un impact individuel et ne peuvent se substituer à l'indispensable prise de conscience collective de ces insuffisantes classifications professionnelles dont pâtit l'emploi féminin.

À cet égard, le projet de loi pour l'égalité entre les femmes et les hommes, en cours de discussion, a précisé fort opportunément les conséquences des mises à jour des classifications d'emplois au sein d'une branche prévus tous les cinq ans par l'article L. 2241-7 du code du travail. Dans sa rédaction en vigueur avant l'adoption du projet de loi pour l'égalité entre les femmes et les hommes, cet article se bornait à prévoir que « ces négociations prendront en compte l'objectif d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes » .

Le Sénat a souhaité préciser :

- que la réduction des écarts de salaires entre femmes et hommes doit être une priorité et des « actions de rattrapage engagées à cet effet » , « si un écart moyen de rémunération est constaté » ;

- et que les critères d'évaluation des différents postes de travail doivent être analysés à des fins de correction de ceux qui sont susceptibles d'induire des discriminations entre femmes et hommes. Dans le même esprit, l'article L. 2241-1 du code du travail relatif aux négociations annuelles sur les salaires dans les organisations liées par un accord de branche a été complété pour que ces négociations portent non seulement sur l'objectif d'égalité entre hommes et femmes, mais aussi sur « les mesures permettant de l'atteindre » .

De même, le Sénat a complété l'article L. 2323-57 du code du travail pour que l'avis soumis par l'employeur au comité d'entreprise, dans les entreprises d'au moins 300 salariés, analyse « dans quelle mesure les niveaux de rémunération des deux sexes s'expliquent par leur niveau de qualification et par leur ancienneté » .

Ces diverses précisions apportées lors de la discussion au Sénat du projet de loi pour l'égalité entre les femmes et les hommes ont pour objet de permettre aux négociations collectives de mettre à plat les écarts de rémunération entre salariés et salariées pour encourager l'adoption de mesures susceptibles de corriger d'éventuelles discriminations.

3. La question de la sous-évaluation de la pénibilité au féminin

La question de la sous-évaluation de la pénibilité des emplois féminins et des risques auxquels les femmes sont exposées au travail a été développée dans un précédent rapport d'information de la délégation 42 ( * ) .

Les critères de pénibilité résultent d'une liste figurant à l'article D. 4121-5 du code du travail, établie en concertation avec les partenaires sociaux.

Ils se répartissent entre trois catégories d'exposition :

- au titre des contraintes physiques marquées : les manutentions manuelles de charges, les postures pénibles définies comme positions forcées des articulations et les vibrations mécaniques ;

- au titre de l'environnement physique agressif : les agents chimiques dangereux, y compris les poussières et les fumées, les activités exercées en milieu hyperbare, les températures extrêmes et le bruit ;

- au titre de certains rythmes de travail : le travail de nuit, le travail en équipes successives alternantes et le travail répétitif.

Ces critères correspondent à la pénibilité à laquelle sont exposées les personnes, par exemple dans l'industrie, où l'emploi masculin est prédominant. Ils semblent moins adaptés aux caractéristiques des emplois féminins, qui s'exercent essentiellement dans le secteur tertiaire .

Ainsi ces facteurs ne prennent-ils pas systématiquement en compte certains aspects des métiers exercés par exemple au contact du public (métiers de l'accueil, du social et de l'enseignement). On le sait pourtant, ces emplois sont, comme le soulignait le rapport d'information de la délégation précité, « émotionnellement exigeants ». Or ces métiers concernent surtout des femmes

Le rapport de la délégation souligne la permanence d'une « vision restée très masculine de l'organisation du travail, les emplois occupés par les femmes sont considérés, a priori , comme moins lourds, moins astreignants, moins pénibles et moins dangereux que ceux occupés par des hommes » .

Il montre aussi que, de ce fait, « la dureté des emplois féminins reste systématiquement sous-évaluée » . À titre d'exemple, il cite une remarque très éclairante des responsables de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (ANACT) auditionnés alors par la délégation. Une enquête réalisée par la DARES (Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social) montre ainsi que, à la question « Portez-vous des charges ? » , un homme qui soulève des colis de 20 kg répondra positivement. Mais une femme travaillant dans le secteur des soins à la personne et qui est amenée à soulever des patients beaucoup plus pesants, aura tendance à répondre négativement.

De ce fait et en raison de cette attitude peut-être trop discrète des femmes, le rapport souligne que « la construction de l'appareil statistique concourt à l'invisibilité des pénibilités et des risques des emplois à prédominance féminine » .

Lors de son audition par la délégation, les représentants du Laboratoire de l'Égalité ont fait état d'une prise en compte insuffisante des facteurs de pénibilité liées à la prise en charge d'un parent handicapé ou âgé par les aidants familiaux (qui sont en majorité des femmes) et à l'exercice des métiers de la petite enfance, qui conduisent les personnes qui les exercent à porter tout au long de la journée de travail des poids importants.

Votre rapporteure propose donc que, comme la délégation l'a déjà suggéré en conclusion du rapport précité, que des statistiques de pénibilité soient systématiquement effectuées sur la base d'une différenciation par genre.

Il conviendrait également d'attirer l'attention des organisations syndicales sur la nécessité d'assurer une représentation équilibrée des hommes et des femmes lors des renégociations des conventions collectives de branches, afin d'assurer la prise en compte de la pénibilité spécifique de certains emplois féminins.

Par ailleurs, votre rapporteure estime que la définition de la pénibilité qui résulte de la rédaction actuellement en vigueur du code du travail laisse de côté cette pénibilité particulière qui résulte de certains modes d'organisation du travail qui se traduisent pour les salariés par des horaires fractionnés et des amplitudes horaires disproportionnées au regard du temps effectivement travaillé .

Or les conséquences d'une telle organisation pour celles qui la subissent sont une désorganisation complète de la vie personnelle, des temps de transport très élevés, des trajets multipliés dans la journée (avec une forte augmentation des accidents de trajet mise en évidence par le rapport précité de la délégation : Femmes au travail : agir pour un nouvel âge de l'émancipation ) et une rémunération généralement faible au regard de toute ces contraintes .

Votre rapporteure propose donc que soit assimilée à un facteur de pénibilité l'organisation du travail qui se traduit par un écart important entre l'amplitude horaire qu'il exige des salariés et le temps effectivement travaillé.

II. LES RÉPONSES APPORTÉES PAR LE PROJET DE LOI ET LES RECOMMANDATIONS DE LA DÉLÉGATION

A. LES DISPOSITIONS DU PROJET DE LOI SUSCEPTIBLES D'AVOIR UNE INCIDENCE SPECIFIQUE SUR LES RETRAITES DES FEMMES

1. L'objectif de réduction des écarts de pension entre hommes et femmes inscrit dans les principes d'organisation de la sécurité sociale

L'article premier du projet de loi procède à une nouvelle rédaction de l'article L. 111-2-1 du code de la sécurité sociale qui définit les grands principes d'organisation du système des retraites . Il prend en compte la nécessité de garantir aux assurés un « traitement équitable au regard de la retraite, quels que soient leur sexe , leurs activités professionnelles passées et le ou les régimes dont ils relèvent » . Dans cet esprit, la « réduction des écarts de pension entre les hommes et les femmes » est l'un des objectifs assignés d'emblée au système des retraites.

Cet objectif figure actuellement, dans une rédaction comparable, à l'article L. 161-17 A, que le projet de loi abroge afin que la priorité attachée à la réduction des écarts de pension entre hommes et femmes soit inscrite, non plus dans les objectifs de l'assurance vieillesse, mais dans les principes d'organisation de la sécurité sociale.

2. Le pilotage des retraites et la création du comité de surveillance des retraites

L'article 3 du projet de loi instaure un comité de surveillance des retraites qui, à partir des données du COR, assurerait une surveillance financière et jouerait un rôle d'observatoire des inégalités.

Ce comité serait composé de deux femmes et deux hommes, nommés pour cinq ans par décret et choisis pour leurs compétences en matière de retraite, auxquels s'ajoute un président nommé en conseil des ministres.

Le comité a pour mission de publier chaque année un avis dont le contenu intéresse directement la situation des femmes au regard de la retraite :

D'une part, cet avis annuel et public indique notamment si le comité considère que le système de retraite s'éloigne d'un certain nombre d'objectifs, parmi lesquels ceux qui figurent à l'article L. 111-2-1 du code de la sécurité sociale :

- « les assurés doivent pouvoir bénéficier d'un traitement équitable au regard de la retraite, quels que soient leur sexe , leurs activités professionnelles passées et le (ou les) régime(s) dont ils relèvent » ;

- « la Nation assigne au système de retraite par répartition les objectifs d'équité et de solidarité entre les générations et au sein des générations, de réduction des écarts de pension entre les hommes et les femmes , de maintien d'un niveau de vie satisfaisant des retraités, de pérennité financière et d'un niveau élevé d'emploi des salariés âgés » .

S'il considère que le système s'éloigne de ces objectifs, le comité adresse au Parlement, au gouvernement et aux caisses de retraite des recommandations rendues publiques, destinées à garantir le respect de ces objectifs. En outre, le comité rend un avis public sur la façon dont ces recommandations ont été suivies.

Le dispositif prévu par le projet de loi comporte donc trois étapes : le rapport préalable du COR, l'avis du comité de surveillance éventuellement assorti de recommandations, puis la formulation d'un avis sur le suivi de ces recommandations.

D'autre part, l'avis annuel du comité doit fournir une analyse de la « situation comparée des hommes et des femmes au regard de l'assurance vieillesse » .

Cet aspect de l'avis annuel du comité tient compte des « différences de montant des pensions, de la durée d'assurance respective et de l'impact des avantages familiaux sur les écarts de pensions » .

3. Dispositions relatives à la pénibilité

Les facteurs de pénibilité sont définis à l'article D. 4121-5 du code du travail en vertu de trois critères : « contraintes physiques marquées » , « environnement physique agressif » et « certains rythmes de travail » . On rappellera qu'un facteur d'exposition est reconnu au titre de la pénibilité s'il cause des « traces durables et irréversibles » sur la santé des intéressés (article L. 4121-3-1 du code du travail).

Ces dix facteurs établis par l'article D. 4121-5 du code du travail, déjà évoqués plus haut, sont : les manutentions manuelles de charges, les postures pénibles, les vibrations mécaniques, les agents chimiques dangereux, les activités en milieu hyperbare, les températures extrêmes, le bruit, le travail de nuit, le travail en équipes successives alternantes et le travail répétitif. Le projet de loi ne remet pas en cause cette définition.

L'article 5 prévoit la définition par décret de seuils d'exposition (durée, fréquence et intensité de l'exposition) aux facteurs de risques (afin de faciliter l'établissement des fiches d'exposition) et rend obligatoire l'information des entreprises de travail temporaire sur les facteurs de risque auxquels sont exposés les salariés dans le cadre des intérims.

L'article 6 crée un compte personnel de prévention de la pénibilité destiné à lier prévention et réparation. Ce compte ne concerne que les salariés de droit privé. Il permet notamment aux salariés titulaires d'un compte de bénéficier d'une réduction de durée de travail.

Tout salarié exposé à l'un de ces facteurs dispose d'un point crédité sur son compte par trimestre d'exposition (deux points en cas d'exposition à deux facteurs cumulés). Ce compte peut être utilisé soit pour accéder à une formation à un emploi moins pénible, soit pour travailler à temps partiel à la fin de sa carrière en conservant sa rémunération, soit pour partir à la retraite deux ans plus tôt ( l'article 9 précise les conditions d'utilisation des points inscrits sur le compte pénibilité pour augmenter la durée d'assurance, afin de déterminer le taux de pension, et pour l'avancement de l'âge de la retraite).

Le financement de ce compte serait assuré par l'ensemble des entreprises pour le premier socle et, pour le second socle, par une cotisation additionnelle appliquée à la rémunération de salariés exposés.

Selon l'étude d'impact du projet de loi, le dispositif prévu par le projet de loi pourrait, selon les projections effectuées, et 20 ans après son entrée en vigueur, bénéficier à 300 000 personnes ; aux hommes à raison de 55 % et aux femmes pour 45 %.

L'article 7 prévoit l'alimentation du compte personnel de formation par les points inscrits sur le compte personnel de prévention de la pénibilité.

Ces dispositions ne concernent donc pas la pénibilité spécifique à laquelle les femmes sont exposées au travail.

4. L'aménagement du dispositif de retraites progressive

L'article 11 , qui fait partie du chapitre intitulé « favoriser l'emploi de seniors » , ne vise pas spécifiquement les femmes.

L'objectif est de permettre, selon l'exposé des motifs, une « transition douce entre l'emploi et la retraite » et d'encourager la prolongation d'activité rémunérée.

L'article 11 concerne le régime général, la MSA, le régime des indépendants, le régime des non-salariés agricoles et celui des professions libérales. Les fonctionnaires n'y ont donc pas accès.

Le projet de loi prévoit d'adapter le dispositif de retraite progressive, qui selon l'exposé de motifs concernait 2 409 personnes en 2012, de manière à abaisser l'âge à partir duquel les salariés peuvent en bénéficier : deux ans avant l'âge légal de départ à la retraite (soit un départ à 60 ans pour les personnes dont l'âge de départ à la retraite est de 62 ans).

5. La réflexion sur l'évolution des droits familiaux

L'article 13 du projet de loi prévoit que dans les six mois suivant l'entrée en vigueur de la loi, le gouvernement remettra au Parlement un rapport sur l'évolution des droits familiaux « afin de mieux compenser les effets sur la carrière et les pensions des femmes de l'arrivée d'enfants au foyer » .

La réflexion devrait porter sur l'ensemble des droits familiaux : majorations de durée d'assurance par enfant, AVPF pour les interruptions de carrière liées aux enfants, et majoration de 10 % de la pension pour les parents de trois enfants.

L'ouverture récente de certains droits familiaux aux pères pourrait avoir eu pour conséquence de creuser les écarts de pension entre hommes et femmes.

Cette remarque s'applique tout particulièrement à la majoration de pension des parents de trois enfants et plus, dont l'exposé des motifs du projet de loi rappelle qu'elle bénéficie aux hommes pour 70 % et que, étant proportionnelle à la retraite, elle bénéficie prioritairement aux pensions les plus élevées.

Il faut donc saluer le fait que la réflexion à venir sur les droits familiaux soit centrée sur les compensations destinées aux mères.

6. La prise en compte du temps partiel et des très bas salaires : le passage de « 200 heures SMIC » à « 150 heures SMIC »

L'article 14 du projet de loi modifie les modalités de validation d'un trimestre pour prendre en compte le temps très partiel, assorti de faibles revenus, qui concerne essentiellement les femmes . L'objectif est de faciliter l'acquisition de trimestres pour les assurés à faible rémunération et dont l'activité s'exerce à temps partiel.

A l'heure actuelle, les cotisations qui ne permettent pas de valider un trimestre dans l'année sont perdues quand les assurés n'atteignent pas les 200 heures nécessaires pour valider un trimestre.

Le projet de loi permet d'acquérir un trimestre avec 150 heures rémunérées au SMIC au lieu de 200. En conséquence, un mois de travail rémunéré au SMIC permettra de valider un trimestre, quatre mois permettront de valider une année et surtout, une activité rémunérée au SMIC durant toute l'année permettra de valider quatre trimestres dès lors que le temps de travail dépasse 11,5 heures par semaine.

Selon l'étude d'impact, un assuré « à temps très partiel (1/3 temps) » ne peut en effet valider que trois trimestres actuellement : il pourra, du fait de la réforme, en valider quatre .

De plus, lorsqu'une année compte moins de quatre trimestres validés, les cotisations non utilisées pour la validation d'un trimestre pourront être transférées sur l'année suivante ou sur la précédente si ces années comptent également moins de quatre trimestres validés.

Selon les informations transmises à votre rapporteure par la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole, la mesure prévue par l'article 14 pourrait concerner plus de 220 000 salariés agricoles (dont 90 000 femmes).

D'après l'étude d'impact annexée au projet de loi, ces deux mesures concerneraient 15 % des salariés, dont 60 à 70 % de femmes .

L'article 14 prévoit un plafond destiné à éviter les effets d'aubaine. Ce plafond sera déterminé par décret. Selon l'exposé des motifs, ces mesures devraient être réservées aux cotisations portant sur un revenu mensuel inférieur à 1,5 SMIC.

7. La prise en compte des trimestres de maternité dans le cadre du dispositif carrières longues

L'article 15 prévoit d'élargir aux périodes de maternité les trimestres pris en compte pour le bénéfice d'un départ anticipé au titre des carrières longues en élargissant la prise en compte de trimestres non cotisés.

Le départ anticipé pour carrières longues prévoit un départ en retraite à un âge inférieur à l'âge légal.

Le décret du 2 juillet 2012 avait déjà rendu possible le départ à l'âge de 60 ans des assurés ayant cotisé la durée requise et commencé à travailler avant 20 ans (avant 16 ou 17 ans pour un départ avant 60 ans). Les périodes prises en compte dans la durée avaient aussi été élargies pour inclure une partie des trimestres validés (mais non cotisés) au titre de la maternité 43 ( * ) à raison de deux trimestres dans chaque cas. Ce décret a également supprimé la différence entre trimestres validés et trimestres cotisés en réputant cotisés les trimestres financés par la solidarité nationale (deux trimestres de maternité et de chômage).

Pour aller plus loin, le gouvernement a annoncé que, pour le bénéfice de la retraite anticipée « carrières longues », deux trimestres de chômage supplémentaires, deux trimestres de perception d'une pension d'invalidité et l'ensemble des trimestres de maternité seraient pris en compte et donc considérés comme cotisés . L'article 15 permettra d'opérer cette extension par décret ; elle sera effective à compter du 1 er janvier 2014.

Cette mesure mettra en particulier fin à une inégalité entre les femmes et les hommes dans la mesure où ceux-ci bénéficiaient de quatre trimestres réputés cotisés au titre du service national et les femmes de deux trimestres seulement au titre la maternité.

Selon l'étude d'impact jointe au projet de loi, cette mesure « corrige une inégalité entre hommes et femmes » en permettant la prise en compte de tous les trimestres acquis au titre de l'accouchement (au lieu de deux).

8. Les mesures favorables aux conjoints collaborateurs

La qualité de conjoint collaborateur a été étendue aux conjoints de chefs d'entreprise commerciale, artisanale ou libérale qui n'exercent pas d'activité professionnelle régulière et rémunérée dans l'entreprise, qui ne sont pas associés au chef d'entreprise et dont l'activité professionnelle à l'extérieur de l'entreprise se limite à un emploi pour une durée inférieure à un mi-temps.

Depuis 2007, les conjoints collaborateurs des indépendants 44 ( * ) (à plus de 80 % des femmes) sont affiliés à l'assurance-vieillesse du chef d'entreprise. Leur affiliation est donc subordonnée à celle du conjoint chef d'entreprise. L'Union nationale des conjoints de professionnels libéraux (UNACOPL), consultée par votre rapporteure, regrette que la réforme de 2007 n'ait pas permis de prendre en compte toutes les années de travail antérieures à la reconnaissance de ce statut. Ils pourraient, de ce fait, se voir privés de couverture en cas de divorce, de décès ou de départ à la retraite du chef d'entreprise ou du professionnel libéral.

L'article 19 du projet de loi leur permet de s'affilier à l'assurance volontaire vieillesse dans ces situations, afin qu'ils ne perdent pas la possibilité d'acquérir des droits à retraite. Il s'agit là, selon la Fédération nationale des associations de conjoints de travailleurs indépendants de France (ACTIF), consultée par votre rapporteure, d'un point positif. L'ACTIF regrette toutefois que le projet de loi ne permette pas un assouplissement des conditions du rachat de cotisations pour le conjoint collaborateur. Ce rachat demeure en effet limité au rachat des années pendant lesquelles ces personnes n'ont pu valider quatre trimestres et au rachat des périodes antérieures à la déclaration de statut de conjoint collaborateur (dans la limite de 24 trimestres, jusqu'au 31 décembre 2020).

L'étude d'impact jointe au projet de loi rappelle par exemple que l'on compte environ 100 000 conjoints collaborateurs, conjoints d'un chef d'exploitation agricole à raison de plus de 50 %.

Selon les informations transmises à votre rapporteure par la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole, on comptait, à la fin de 2012, 178 078 pensionnés en qualité d'anciens collaborateurs. A la même période, la pension moyenne annualisée des retraités anciens collaborateurs avec une retraite complète était de 6 733 € en droits personnels, soit 561 € par mois.

9. Des dispositions spécifiques au régime agricole

Outre les dispositions de l'article 19, le texte prévoit des mesures spécifiques au régime des non-salariés agricoles (NSA).

L'étude d'impact du projet de loi rappelle que la pension moyenne de droit direct servie par le régime des non-salariés agricoles est de 377 €, toutes durées d'assurance confondues. Ce chiffre comprend les avantages complémentaires et le minimum vieillesse. Ces retraites sont inférieures de 40 % à celle des retraités du régime général : soit 625 € dans le régime pour une carrière complète, contre 1 015 € dans le régime général.

Or, la faiblesse des pensions agricoles est plus évidente encore pour les femmes, ce qui justifie les correctifs prévus aux articles 20 et 21.

La « pension majorée de référence » mise en place en 2009 permet de verser une retraite de 681,20 € par mois aux chefs d'exploitation et de 541,30 € par mois pour les conjoints et anciens conjoints collaborateurs et les aides familiaux. Or ce dispositif est subordonné à une durée de service minimale de 17,5 ans.

L'article 20 du projet de loi prévoit la suppression de cette condition de durée minimale d'assuranc e pour les pensions des non-salariées agricoles (chefs d'exploitation, veuves, collaborateurs d'exploitation ou d'entreprise agricole, anciens conjoints participant aux travaux et aides familiaux postérieures) liquidées après le 1er janvier 2014.

L'article 21 du projet de loi permet d'attribuer aux conjoints collaborateurs et aides familiaux - et non plus seulement aux chefs d'exploitation - des points gratuits au titre des années antérieures à leur affiliation au régime complémentaire obligatoire (RCO) . D'après l'étude d'impact, 72 % des bénéficiaires de la mesure seront des femmes.

Cet article étend également la pension de réversion du RCO aux conjoints d'assurés décédés en activité, c'est-à-dire avant d'avoir pu liquider leur pension.

En outre, le même article étend au régime complémentaire obligatoire - et non plus seulement à la retraite de base - le dispositif dit des « droits combinés ». Ce dernier permet au conjoint survivant d'un chef d'exploitation décédé avant d'avoir demandé la liquidation de sa pension, de cumuler les droits du défunt et ses droits propres.

Cette mesure permettra par exemple d'améliorer les pensions servies aux veuves d'agriculteurs décédés en activité lorsqu'elles reprennent l'exploitation.

Par ailleurs, l'article 22 porte la retraite des chefs d'exploitation ayant eu une carrière complète à 75 % du SMIC, quelle que soit la date de liquidation de la pension.

10. Mesures concernant les aidants familiaux

L'article 25 du projet de loi supprime la condition de ressources à laquelle sont aujourd'hui soumis les aidants familiaux (une écrasante majorité de femmes) pour bénéficier de l'affiliation gratuite à l'allocation vieillesse des parents au foyer (AVPF) et élargit le dispositif de l'AVPF sans condition de ressource aux aidants familiaux d'adultes lourdement handicapés ou de personnes âgées dépendantes.

La suppression de la condition de ressources a été jugée très positive par les représentants du Laboratoire de l'Égalité lors de leur audition par la délégation, le 10 octobre 2013.

Il institue aussi une majoration de durée d'assurance pour les aidants familiaux en charge d'un adulte lourdement handicapé ou de personnes âgées dépendantes, à l'instar de ce qui existe pour les enfants handicapés 45 ( * ) . Les représentants du Laboratoire de l'Égalité ont toutefois relativisé la portée de cette mesure en faisant observer que 20 ans de travail ne permettaient d'obtenir que deux ans de reconnaissance en vue de la retraite.

B. LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

1. L'objectif de la réforme : de la réduction des écarts de pension entre hommes et femmes à l'égalité des pensions

À l'article premier , la commission des affaires sociales a souhaité insérer dans la nouvelle rédaction de l'article L. 111-2-1 du code de la sécurité sociale une formulation différente de l'objectif de « réduction des écarts de pension entre les hommes et les femmes » , remplacé par la mention de l'objectif « d'égalité des pensions entre les hommes et les femmes » , dont la formulation a été inspirée par la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale.

En séance publique, la rédaction est devenue un « objectif de solidarité entre les générations et au sein des générations, notamment par l'égalité entre les femmes et les hommes » .

2. Le pilotage des retraites : réaffirmation de l'égalité des pensions en cas d'amélioration de la situation démographique ou économique

À l'article 3 , la commission des affaires sociales a renommé le comité de « surveillance » des retraites en comité de « suivi » de retraites. Elle a également inversé les termes femmes et hommes dans l'avis annuel du comité destiné à analyser, dans la nouvelle rédaction, la « situation comparée des femmes et des hommes au regard de l'assurance vieillesse » .

Elle a étendu les recommandations du comité aux hypothèses d'amélioration de la situation démographique ou économique, de manière à réaffirmer trois priorités : l'égalité de pensions des femmes et des hommes, le pouvoir d'achat des retraités les plus modestes et la prise en compte de la pénibilité et des accidents de la vie professionnelle. Ce sont donc ces axes de réformes qui devraient être privilégiés si les ressources venaient à augmenter.

Une disposition permet d'approcher de la parité au sein du COR, conformément à la recommandation n°6 de la délégation de l'Assemblée nationale, à travers l'obligation, lors des nominations effectuées par les assemblées parlementaires ou les autres organismes, de s'assurer que l'écart entre les hommes désignés et les femmes désignés ne soit pas supérieur à un.

Conformément à la recommandation n° 10 de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale, un nouvel article 2 bis a été inséré dans le projet de loi en séance publique pour prévoir une étude de la faisabilité de la suppression de la décote et du retour à l'âge de 65 ans pour bénéficier du taux plein . Ce rapport devra être présenté au Parlement avant le 1 er mars 2015 et examiner en particulier les conséquences pour les femmes de la mise en place du taux minoré et du déplacement à 67 ans de la borne d'âge.

3. La pénibilité

Les modifications concernant la pénibilité ne concernent pas spécifiquement les femmes :

- l'article 5 a été modifié pour prévoir la transmission au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) d'un bilan des mesures prises en matière de prévention et de compensation de la pénibilité ;

- un nouvel article 5 bis prévoit le dépôt d'un rapport au Parlement sur l'évolution des conditions de pénibilité auxquelles sont exposés les salariés, et pose le principe d'une concertation avec les organisations syndicales avant toute modification de l'article D. 4161-1 du code du travail,

- un nouvel article 5 ter concerne le dépôt d'un rapport présentant des propositions en matière de reconversion des travailleurs déclarés inaptes, notamment les seniors.

Concernant le compte de prévention de la pénibilité, la commission des affaires sociales :

- a souhaité préciser que seul le régime général pouvait attribuer des trimestres au titre de la pénibilité, et limiter à deux années la période pendant laquelle un employeur peut s'opposer à une demande de temps partiel au titre de la pénibilité ;

- a prévu que les points inscrits au compte de pénibilité pourraient être affectés non seulement au financement d'une majoration de durée d'assurance (texte du projet de loi), mais aussi à un « départ en retraite avant l'âge légal » ;

- a permis aux salariés exposés à la pénibilité quel que soit leur âge, de profiter d'une réduction du temps de travail à toutes les étapes de la vie active, sans que l'utilisation des points soit donc nécessairement affectée à un départ anticipé en retraite ;

- a abaissé à 52 ans l'âge auquel un salarié est dispensé d'affecter ses points de pénibilité à de la formation ;

- a précisé la compétence du tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) pour le contentieux lié au dispositif de prise en compte de la pénibilité.

4. L'évolution des droits familiaux et de la réversion

L'Assemblée nationale a clarifié la date du dépôt du rapport prévu par l'article 13 , en se référant aux six mois suivant la promulgation de la loi en discussion (et non plus aux six mois suivant son entrée en vigueur).

Selon le rapport de la commission, l'entrée en vigueur de la réforme est souhaitée en 2016.

Par ailleurs, l'Assemblée nationale a introduit dans le projet de loi un nouvel article 13 bis concernant le dépôt d'un rapport sur les pensions de réversion « dans le sens d'une meilleure prise en compte du niveau de vie des conjoints survivants et d'une harmonisation entre les régimes » .

C. LES RECOMMANDATIONS DE LA DÉLÉGATION

1. Sur la priorité qui doit s'attacher à l'égalité professionnelle entre hommes et femmes pour assurer la constitution de droits propres par les femmes

Les inégalités entre hommes et femmes en matière de retraite résultent des inégalités entre hommes et femmes au travail. Celles-ci s'accumulent au cours de la carrière et ne sont pas favorables à la constitution de droits propres.

Or l'objectif doit être, en matière de retraite, d'encourager la constitution de droits propres par les femmes.

Les lois concernant l'égalité professionnelle entre hommes et femmes jouent à cet égard un rôle important, de même que la revalorisation des emplois féminins. À cet égard, il est nécessaire, comme l'a précédemment fait valoir la délégation dans le cadre de son rapport d'information précité Femmes et travail : agir pour un nouvel âge de l'émancipation (2012-2013, n° 279), que de nouvelles grilles de classification professionnelle interviennent pour que soit établie une nouvelle hiérarchie des emplois qui ne soit pas discriminante pour les femmes.

La délégation réaffirme la priorité qui doit s'attacher aux droits propres des femmes. Dans cette perspective, elle sera vigilante à l'application des lois concernant l'égalité professionnelle entre hommes et femmes et appelle les partenaires sociaux à engager une refonte des grilles de classification professionnelle dans la perspective d'une nouvelle hiérarchisation des emplois non discriminante au regard de l'égalité salariale entre les femmes et les hommes.

2. Sur la pénibilité

Le projet de loi ne prévoit aucune mesure qui prenne en compte la spécificité des professions féminines en matière de pénibilité.

L'article 5 bis , qui prévoit le dépôt d'un rapport, à l'échéance de 2020, sur « l'évolution des conditions de pénibilité auxquelles les salariés sont exposés » , réaffirme le principe d'une « concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d'employeurs représentatives au niveau syndical et interprofessionnel » aux fins d'une « éventuelle négociation » sur tout projet d'actualisation du décret définissant les critères de pénibilité. Il serait souhaitable que le rapport prévu à cet article intègre systématiquement la dimension de la pénibilité au féminin.

Or, il semble que cette concertation avec les partenaires sociaux n'ait pas, à ce jour, conduit à une véritable prise en compte de la pénibilité que subissent les femmes au travail. On ne dispose d'ailleurs pas sur ce plan de statistiques précises concernant la pénibilité subie par les femmes. Une étude établissant un bilan des facteurs de pénibilité auxquels sont exposées les femmes devrait également être établie.

Par ailleurs, les dispositions du projet de loi relatives à la pénibilité ne prennent pas en compte cette pénibilité particulière qui résulte d'une organisation du travail fondée sur des horaires fractionnés et sur une amplitude horaire quotidienne disproportionnée par rapport au temps effectivement travaillé.

La délégation propose donc :

1.- que soit assimilées à un facteur de pénibilité, au regard du code du travail, les conditions de travail impliquant pour les salarié-e-s des horaires fractionnés avec des amplitudes horaires quotidiennes disproportionnées par rapport à leur temps de travail effectif.

Les personnes subissant ce type d'organisation du travail auraient ainsi vocation à bénéficier des nouvelles mesures prévues par le projet de loi pour les travailleurs exposés à la pénibilité : accumulation de points permettant au choix de liquider leurs droits plus tôt ou de se former à des professions non exposées.

À partir de quelle amplitude horaire quotidienne ces personnes seraient-elles réputées exposées à un facteur de pénibilité ? On peut envisager un rapport du simple au double entre l'amplitude horaire quotidienne et le temps effectivement rémunéré. Ainsi une personne qui travaillerait 5 heures par jour, par exemple de 7 h 30 à 10 h 30 puis de 16 h 30 à 18 h 30, et qui connaîtrait une amplitude horaire de 11 heures, soit plus du double du temps de travail effectué, devrait être réputée exposée à un facteur de pénibilité ;

2.- que soit élaboré, en lien avec les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), de statistiques précises de pénibilité sur la base d'une différenciation par sexe et que soit établi un bilan de l'évolution des facteurs de pénibilité auxquels sont exposées les femmes ;

3.- que, en cas de négociation sur une actualisation des facteurs de pénibilité définis par l'article D. 4121-5 du code du travail, les organisations syndicales assurent une représentation équilibrée des hommes et des femmes.

3. Sur le temps partiel

Les femmes représentent 80 % des actifs à temps partiel. Cette formule est parfois privilégiée pour concilier vie familiale et vie professionnelle ; ce choix peut aussi d'ailleurs être contraint par des raisons liées à l'insuffisance ou au coût des solutions d'accueil de la petite enfance.

Or les jeunes femmes qui demandent à bénéficier d'un temps partiel ne semblent pas toujours prendre pleinement en considération le fait que cette organisation, qui leur permettra certes de davantage prendre en charge leurs enfants, aura pour effet un salaire partiel et, partant, une retraite partielle ...

Certes, il est naturel que l'échéance de la retraite leur semble trop éloignée pour qu'elles en fassent un sujet de préoccupation.

Il est toutefois indispensable que les personnes qui demandent à bénéficier d'un temps partiel soient systématiquement informées des conséquences de ce choix sur leur future retraite.

Cette information n'aurait pas à évaluer très précisément le manque à gagner attendu sur leur pension future, mais à sensibiliser les intéressés au fait que leur choix pourra avoir sur leur retraite des conséquences dont ils méconnaissent la portée. Cette information doit passer par les responsables des ressources humaines ; le relevé de situation individuelle pourrait aussi en être le support. Dans ce cas, l'âge au premier relevé (35 ans) devrait probablement être avancé.

La délégation souhaite donc que les salarié-e-s demandant à travailler à temps partiel soient informé-e-s des conséquences de leur choix sur leur future retraite. Elle demande que cette information devienne obligatoire pour les responsables des ressources humaines, tant dans les fonctions publiques que dans le secteur privé. Elle appelle à une information systématique sur les conséquences du temps partiel en matière de retraite dans les relevés de situation individuelle et à l'aménagement de l'âge de l'envoi du premier relevé, si nécessaire, pour intégrer cette information.

Le temps partiel peut aussi être subi et assorti d'horaires atypiques et fractionnés.

Cette organisation du travail a des conséquences très négatives sur la vie quotidienne des travailleurs concernés, qui sont pour une grande part des femmes. Cette formule concerne notamment le secteur de la grande distribution et les prestations de nettoyage .

Dans ce dernier cas, dans de nombreuses d'entreprises et d'administrations, les personnels d'entretien sont contraints de travailler à des horaires atypiques (très tôt dans la matinée ou très tard le soir), quand les bureaux sont vides. Pourtant, dans bien des situations, le nettoyage pourrait probablement se faire à des heures de travail normales, sans conséquences excessives pour l'organisation du service. Certaines entreprises du secteur privé et certaines administrations et collectivité territoriales ont d'ailleurs déjà intégré cette dimension.

Il est important que sur ce point, l'administration soit exemplaire et que les marchés publics prennent en compte cette dimension dans leurs cahiers des charges.

La délégation souhaite que les donneurs d'ordre publics soient incités, dans leur cahier des charges lors de la passation de marchés publics, à inclure des critères sociaux permettant d'éviter les horaires atypiques ou fractionnés et les temps partiels à amplitude horaire quotidienne excessive.

Par ailleurs, il importe, comme la délégation l'a souligné dans un précédent rapport d'information 46 ( * ) , de « décourager les employeurs qui souhaitent recourir de façon trop systématique » aux contrats de travail à temps partiel.

La délégation réaffirme donc la nécessité de décourager le recours excessif au temps partiel en prévoyant une majoration des cotisations sociales patronales dans les entreprises de plus de vingt salarié-e-s dont le nombre de salarié-e-s à temps partiel est au moins égal à 20 % du nombre total de salarié-e-s dans l'entreprise.

4. Sur la prise en compte, dans le calcul des droits, des carrières courtes

Comme votre rapporteure l'a rappelé plus haut, le passage aux 25 meilleures années - dans le secteur privé - pour déterminer le salaire de référence pris en compte dans le calcul de la pension a pénalisé les carrières courtes , majoritairement féminines.

La délégation aux droits des femmes de l'Assemble nationale préconise de fixer le nombre d'années prises en compte dans ce calcul « en fonction du nombre d'années de carrières concrètement réalisées en pratiquant une proratisation » par rapport à une carrière complète.

Par exemple, si pour une durée de cotisation de 40 ans sont retenues les 25 meilleures années, on pourrait appliquer la même proportion à une carrière de 20 ans, cas auquel il conviendrait de se référer aux 13 meilleures années.

Une autre formule est proposée par le Défenseur des droits. Elle consisterait à se référer non pas aux 25 meilleures années , pour le calcul des droits à la retraite, mais aux 100 meilleurs trimestres , soit une durée équivalente.

Il serait intéressant de faire établir une étude des conséquences de ces deux modes de calcul.

La délégation rappelle la nécessité de mettre en oeuvre un système qui ne pénalise plus les carrières courtes dans le calcul du salaire moyen servant de référence pour la détermination du montant des retraites.

À cet effet, elle demande qu'il soit procédé à une étude permettant d'évaluer les conséquences, sur la détermination du salaire de référence, pour les salarié-e-s ayant connu des périodes d'interruption de carrière :

- du passage aux 100 meilleurs trimestres au lieu des 25 meilleures années ;

- de la proratisation de la période de travail prise en compte par rapport à la durée totale d'activité professionnelle.

5. Sur l'évolution des droits conjugaux et familiaux

Interrogée par votre rapporteure sur la date d'entrée en vigueur de la réforme qui résultera des travaux de réflexion prévus par les articles 13 et 13 bis , Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, a estimé, lors de son audition du 16 octobre 2013 par la commission des affaires sociales, que cette date devait assurer une certaine prévisibilité à ceux qui doivent prochainement partir en retraite, ce qui excluait une entrée en vigueur trop rapide.

Les réformes auxquelles conduiront les rapports prévus aux articles 13 et 13 bis du projet de loi, relatifs aux droits familiaux et conjugaux, ne devraient donc pas être destinées à une entrée en vigueur immédiate.

Différentes orientations peuvent être suggérées d'ores et déjà par la délégation au sujet de l'avenir des droits familiaux et conjugaux, qui permettent de corriger l'insuffisance des droits propres des femmes, droits propres dont l'augmentation doit demeurer l'objectif prioritaire.

Selon les scénarios envisagés, ces orientations ne sont pas nécessairement toutes compatibles entre elles ; il s'agit à ce stade de pistes de réflexion.

1.- La délégation souhaite que les réflexions prévues par le projet de loi sur l'évolution des droits familiaux et conjugaux prennent en considération la nécessité d'éviter absolument d'encourager l'interruption ou le ralentissement d'activité professionnelle des femmes et proscrivent tout ce qui pourrait évoquer une forme de salaire maternel, fût-il différé. Si les droits familiaux et conjugaux contribuent à atténuer et à compenser les écarts de pension entre les hommes et les femmes, la délégation estime en revanche que la priorité doit être donnée aux droits propres.

La délégation estime que la transformation de l'actuelle majoration pour troisième enfant en une allocation forfaitaire versée dès le premier enfant est une piste à envisager.

2.- La délégation est favorable au fait que les droits familiaux soient centrés sur la maternité afin d'éviter qu'en bénéficiant aux pères, ils s'éloignent de l'objectif consistant à compenser l'incidence de la maternité sur la vie professionnelle et la retraite des femmes.

Dans cette logique, elle estime que l'économie qui pourrait être réalisée du fait de la suppression de la majoration de 10 % attribuée aux pères devrait être consacrée à l'amélioration des compensations versées aux femmes, voire au financement de solutions d'accueil pour les jeunes enfants.

Si en revanche la majoration de 10 % était maintenue, y compris au bénéfice des pères, elle souhaite que son effet inégalitaire soit neutralisé par l'attribution de la totalité de cette prestation au parent qui n'atteindrait pas le taux plein en raison d'une carrière courte.

L'objectif est de mutualiser au niveau du couple les conséquences, en matière de retraite, des interruptions de travail subies par l'un des parents, en partant du principe que, dans un couple, celui qui atteint le taux plein est redevable à celui qui a interrompu son activité professionnelle pour consacrer du temps à l'organisation familiale.

3.- Dans la redéfinition des droits familiaux, la délégation juge souhaitable de trouver un équilibre entre le versement de prestations et l'attribution de trimestres validés permettant de partir à la retraite plus tôt.

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES PAR LA DÉLÉGATION

Recommandation n° 1. - La délégation réaffirme la priorité qui doit s'attacher aux droits propres des femmes. Dans cette perspective, elle sera vigilante à l'application des lois concernant l'égalité professionnelle entre hommes et femmes et appelle les partenaires sociaux à engager une refonte des grilles de classification professionnelle dans la perspective d'une nouvelle hiérarchisation des emplois non discriminante au regard de l'égalité salariale entre les femmes et les hommes.

Recommandation n° 2. - La délégation souhaite que soit assimilées à un facteur de pénibilité, au regard du code du travail, les conditions de travail impliquant pour les salarié-e-s des horaires fractionnés avec des amplitudes horaires quotidiennes disproportionnées par rapport à leur temps de travail effectif.

Recommandation n° 3. - La délégation appelle à l'élaboration, en lien avec les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), de statistiques précises de pénibilité sur la base d'une différenciation par sexe et à l'établissement d'un bilan de l'évolution des facteurs de pénibilité auxquels sont exposées les femmes.

Recommandation n° 4. - La délégation demande que, en cas de négociation sur une actualisation des facteurs de pénibilité définis par l'article D. 4121-5 du code du travail, les organisations syndicales assurent une représentation équilibrée des hommes et des femmes.

Recommandation n° 5. - La délégation souhaite que les salarié-e-s demandant à travailler à temps partiel soient informé-e-s des conséquences de leur choix sur leur future retraite. Elle demande que cette information devienne obligatoire pour les responsables des ressources humaines, tant dans les fonctions publiques que dans le secteur privé. Elle appelle à une information systématique sur les conséquences du temps partiel en matière de retraite dans les relevés de situation individuelle et à l'aménagement de l'âge de l'envoi du premier relevé, si nécessaire, pour intégrer cette information.

Recommandation n° 6. - La délégation souhaite que les donneurs d'ordre publics soient incités, dans leur cahier des charges lors de la passation de marchés publics, à inclure des critères sociaux permettant d'éviter les horaires atypiques ou fractionnés et les temps partiels à amplitude horaire quotidienne excessive.

Recommandation n° 7. - La délégation estime nécessaire de décourager le recours excessif au temps partiel en prévoyant une majoration des cotisations sociales patronales dans les entreprises de plus de vingt salarié-e-s dont le nombre de salarié-e-s à temps partiel est au moins égal à 20 % du nombre total de salarié-e-s dans l'entreprise.

Recommandation n° 8. - La délégation rappelle la nécessité de mettre en oeuvre un système qui ne pénalise plus les carrières courtes dans le calcul du salaire moyen servant de référence pour la détermination du montant des retraites.

À cet effet, elle demande qu'il soit procédé à une étude permettant d'évaluer les conséquences, sur la détermination du salaire de référence, pour les salarié-e-s ayant connu des périodes d'interruption de carrière :

- du passage aux 100 meilleurs trimestres au lieu des 25 meilleures années ;

- de la proratisation de la période de travail prise en compte par rapport à la durée totale d'activité professionnelle.

Recommandation n° 9. - La délégation souhaite que les réflexions prévues par le projet de loi sur l'évolution des droits familiaux et conjugaux prennent en considération la nécessité d'éviter absolument d'encourager l'interruption ou le ralentissement d'activité professionnelle des femmes et proscrivent tout ce qui pourrait évoquer une forme de salaire maternel, fût-il différé. Si les droits familiaux et conjugaux contribuent à atténuer et à compenser les écarts de pension entre les hommes et les femmes, la délégation estime en revanche que la priorité doit être donnée aux droits propres.

La délégation estime que la transformation de l'actuelle majoration pour troisième enfant en une allocation forfaitaire versée dès le premier enfant est une piste à envisager.

Recommandation n° 10. - La délégation est favorable au fait que les droits familiaux soient centrés sur la maternité afin d'éviter qu'en bénéficiant aux pères, ils s'éloignent de l'objectif consistant à compenser l'incidence de la maternité sur la vie professionnelle et la retraite des femmes.

Dans cette logique, elle estime que l'économie qui pourrait être réalisée du fait de la suppression de la majoration de 10 % attribuée aux pères devrait être consacrée à l'amélioration des compensations versées aux femmes, voire au financement de solutions d'accueil pour les jeunes enfants.

Si en revanche la majoration de 10 % était maintenue, y compris au bénéfice des pères, elle souhaite que son effet inégalitaire soit neutralisé par l'attribution de la totalité de cette prestation au parent qui n'atteindrait pas le taux plein en raison d'une carrière courte.

L'objectif est de mutualiser au niveau du couple les conséquences, en matière de retraite, des interruptions de travail subies par l'un des parents, en partant du principe que, dans un couple, celui qui atteint le taux plein est redevable à celui qui a interrompu son activité professionnelle pour consacrer du temps à l'organisation familiale.

Recommandation n° 11. - Dans la redéfinition des droits familiaux, la délégation juge souhaitable de trouver un équilibre entre le versement de prestations et l'attribution de trimestres validés permettant de partir à la retraite plus tôt.

EXAMEN EN DÉLÉGATION

Sous la présidence de Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente, la délégation a examiné, le mardi 22 octobre 2013, le rapport d'information de Mme Laurence Rossignol sur les dispositions du projet de loi n° 71 (2013-2014) garantissant l'avenir et la justice du système de retraite, dont la délégation a été saisie par la commission des Affaires sociales.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - L'ordre du jour de notre réunion appelle l'examen du rapport de Mme Laurence Rossignol sur le projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraite.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - L'heure est donc venue de vous présenter le rapport sur le projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraite.

Notre délégation a été saisie de ce texte par la commission des affaires sociales dans la mesure où il affiche un objectif de limitation des inégalités entre hommes et femmes en matière de retraite, ce dont on ne peut que se féliciter.

Pour élaborer mes conclusions et mes propositions de recommandations, j'ai bien entendu participé aux auditions de la délégation, les 3 et 10 octobre 2013 et organisé des réunions plus techniques avec Mme Carole Bonnet, chercheure de l'Institut national d'études démographiques (INED), spécialiste des retraites des femmes et auteure de nombreuses publications sur le sujet, et avec des membres de l'équipe du Défenseur des droits.

J'ai également demandé des contributions écrites à un sociologue, M. Nicolas Castel, maître de conférences à l'Université de Lorraine, ainsi qu'à la Mutualité sociale agricole, à l'Union nationale des conjoints de professionnels libéraux et à la Fédération nationale des associations de conjoints de travailleurs indépendants de France. Par ailleurs, je me suis beaucoup appuyée sur les écrits de Mme Christiane Marty, chercheure à la Fondation Copernic. Enfin, participant à l'audition de Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, par la commission des Affaires sociales, le 16 octobre 2013, j'ai pu évoquer avec elle les évolutions envisageables en matière de droits familiaux, les conséquences du récent partage de la majoration de durée d'assurance (MDA) entre les deux parents et la nécessaire prise en compte de la pénibilité au féminin.

Je commencerai par le diagnostic bien connu des inégalités entre hommes et femmes au moment de la retraite. Les montants des pensions des femmes étaient en moyenne de 932 € par mois en 2011 contre 1 603 € pour les hommes. Même après prise en compte des droits familiaux, les retraites des femmes représentent toujours 72 % seulement de celles des hommes, ce qui montre bien l'insuffisance des droits propres. De plus, les femmes liquident leur pension 1,3 an plus tard que les hommes et sont plus nombreuses parmi les titulaires du minimum contributif.

Ces inégalités résident dans le fait que le montant des pensions dépend à la fois de la durée de cotisation et du montant des salaires. Or les carrières des femmes se caractérisent encore par des salaires inférieurs et des durées de travail plus courtes.

Les désavantages subis par les femmes en matière de retraite ont été amplifiés par les réformes des retraites depuis 20 ans, qui ont consisté à allonger la durée de cotisation, plus particulièrement par le passage aux 25 meilleures années.

En outre, sous couvert d'égalité, l'extension aux hommes des droits familiaux a creusé encore les inégalités en matière de retraite, en particulier s'agissant de la bonification de 10 % pour troisième enfant.

Même la réversion accroît la supériorité des retraites masculines puisque la pension moyenne des veufs est de 1 749 euros contre 1 165 euros pour celle des femmes.

Selon le Conseil d'orientation des retraites (COR), il ne faut pas attendre de résorption spontanée des inégalités car on observe, chez les jeunes femmes, une tendance au maintien d'interruptions de carrière, généralement liées à la maternité. En conséquence, un écart de 20 % devrait persister entre les retraites des femmes et celles des hommes, malgré la progression du taux d'activité féminine.

J'en viens maintenant aux inégalités au travail, qui sont la cause profonde des inégalités en matière de retraite. En effet, « tout se joue avant 60 ans », comme l'indique le titre que je vous propose de donner à ce rapport d'information.

Nous les connaissons bien : les salaires des femmes sont inférieurs à ceux des hommes du fait d'une durée de travail inférieure - conséquence de l'organisation familiale -, elles effectuent en général moins d'heures supplémentaires que les hommes, et de surcroît, elles bénéficient de moins de primes, en particulier chez les cadres.

Mais la durée du travail n'explique pas tout, car si l'on neutralise tout ce qui concerne le temps de travail, demeure tout de même un écart de 9 % que les spécialistes qualifient d'« inexpliqué ».

Une autre cause de cette infériorité des rémunérations des femmes réside dans le fait que les professions à dominante féminine sont généralement moins reconnues et moins valorisées. De plus, les salaires féminins sont évidemment victimes d'un véritable « soupçon de maternité ».

Je reviens sur l'importance de l'implication des femmes dans l'organisation familiale. Ce sont les femmes qui s'arrêtent de travailler ou qui réduisent leur temps de travail quand les enfants arrivent. De même qu'il existe le « plafond de verre », il existe un « plafond de mère » qui a d'énormes conséquences sur leur vie professionnelle.

La contribution des femmes à la vie de la famille ne s'arrête pas là. Ce sont bien elles qui, statistiques à l'appui, prennent en charge les personnes âgées dépendantes. Or les « aidants familiaux », à raison de plus d'un tiers, réduisent leur activité pour s'occuper d'un parent dépendant.

Et je vous fais grâce des statistiques sur le temps consacré chaque semaine par les hommes et les femmes aux tâches ménagères. La « double journée » est une réalité quotidienne.

Autre aspect fondamental des inégalités entre hommes et femmes au travail : la pénibilité spécifique des emplois féminins, systématiquement sous-évaluée.

Dans ce domaine, il importe tout d'abord de faire établir, comme le concluait le rapport « Femmes et travail » de notre présidente, des statistiques de pénibilité dans une logique de genre. Il faut aussi assurer une représentation équilibrée des femmes et des hommes lors des négociations collectives de branches pour que la pénibilité au féminin soit véritablement prise en compte.

Notons en outre que la législation laisse de côté cette pénibilité particulière qui résulte d'emplois relevant du « temps partiel subi », qui impliquent pour les salariés un temps de travail assorti d'horaires souvent fractionnés, avec des amplitudes horaires quotidiennes disproportionnées par rapport au temps travaillé. Je proposerai à la délégation une recommandation sur ce point.

Quant au projet de loi lui-même, mon rapport récapitule l'ensemble de ses dispositions ayant une incidence sur les retraites des femmes telles que :

- le suivi spécifique, prévu par l'article 3, de la situation comparée des femmes et des hommes, confirmant ainsi l'importance attachée par le gouvernement à la résorption de ces inégalités ;

- le renforcement, grâce à l'Assemblée nationale, des garanties d'une représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein du COR ;

- autre disposition introduite par l'Assemblée nationale, la demande d'un rapport étudiant la faisabilité de la suppression de la décote et du retour à l'âge de 65 ans pour bénéficier du taux plein, et établissant un bilan, sur la situation des femmes, de l'instauration de la décote et du passage de la borne d'âge à 67 ans pour bénéficier du taux plein ;

- l'article 13 prévoyant un rapport sur l'évolution des droits familiaux « pour mieux compenser les effets sur la carrière et les pensions des femmes et de l'arrivée d'enfants au foyer » ;

- un article 13 bis , ajouté par l'Assemblée nationale, concernant le dépôt d'une étude sur la réversion, dans le sens d'une harmonisation entre les régimes et l'on ne peut que s'en féliciter.

En revanche, rien dans le projet de loi ne s'attache spécifiquement à la question de la pénibilité au féminin.

Le projet de loi contient aussi des dispositions plus techniques telles que :

- le passage des « 200 heures SMIC » aux « 150 heures SMIC », qui s'adresse aux temps très partiels, et notamment aux travailleurs saisonniers du secteur agricole ;

- la prise en compte de la totalité des trimestres de congé maternité pour bénéficier du dispositif de carrière longue qui permettra à des femmes de partir plus tôt à la retraite ;

- la possibilité pour les conjoints collaborateurs de s'affilier directement à l'assurance vieillesse du conjoint chef d'entreprise en cas de cessation d'activité due au décès ou à la retraite de celui-ci, ou en cas de divorce ;

- la majoration de durée d'assurance pour les aidants familiaux, dont le Laboratoire de l'égalité a toutefois souligné l'insuffisance au regard des années parfois passées par certaines personnes auprès d'un proche handicapé ou dépendant.

J'en arrive aux recommandations que la délégation pourrait formuler à propos du projet de loi qui nous est soumis. Elles concernent la pénibilité, le temps partiel, la prise en compte des carrières courtes et l'avenir des droits familiaux et conjugaux. Sur ce dernier point, je précise toutefois que si les droits familiaux et conjugaux peuvent être des correctifs pour compenser certaines inégalités liées au rôle des femmes dans la famille, l'idéal est de favoriser leurs droits propres.

En ce qui concerne tout d'abord la pénibilité, il s'agit de faire en sorte que le code du travail assimile à un facteur de pénibilité les emplois qui imposent aux salariés une amplitude horaire disproportionnée par rapport à leur temps de travail effectif. Tel est l'objet d'une des recommandations que je vous propose d'adopter.

L'article 5 bis prévoit le dépôt d'un rapport, à l'échéance de 2020, sur « l'évolution des conditions de pénibilité auxquelles les salariés sont exposés », et réaffirme le principe d'une « concertation préalable avec les organisations syndicales » aux fins d'une « éventuelle négociation » sur tout projet d'actualisation du décret définissant les critères de pénibilité. Il faudrait que ce rapport étende son objet aux facteurs de pénibilité auxquels sont exposées les femmes ; un amendement pourrait être déposé en ce sens en fonction des travaux de la commission des Affaires sociales.

Une proposition de recommandation consisterait à faire établir des statistiques de pénibilité sur la base d'une différenciation par genre, comme le proposait d'ailleurs notre présidente dans son rapport « Femmes et travail » .

Il faudrait, en outre - et c'est l'objet d'une autre proposition de recommandation - que l'actualisation des critères de pénibilité - si elle était entreprise - se fasse sur la base d'une représentation équilibrée des hommes et des femmes dans les équipes de négociation.

Or, il semble que la concertation avec les partenaires sociaux n'ait pas, à ce jour, conduit à une véritable prise en compte de la pénibilité que subissent les femmes au travail. C'est un domaine dans lequel la marge de manoeuvre du législateur est étroite car les critères de pénibilité sont définis par un règlement, se contentant lui-même de transcrire le résultat de la négociation entre des partenaires sociaux pas toujours très paritaires en termes de sexes...

S'agissant ensuite du temps partiel, il semble que les jeunes femmes qui demandent à en bénéficier n'ont pas toujours conscience des conséquences que cela pourra avoir sur le niveau de leur retraite ; or à salaire partiel, retraite partielle...

Je propose donc qu'une recommandation - c'est l'objet de ma quatrième proposition - prévoie l'information systématique des salariés qui demandent à bénéficier d'un temps partiel sur les conséquences de cette option sur leur future retraite. Cette information n'aurait pas à évaluer très précisément le manque à gagner attendu sur leur pension, mais à sensibiliser les intéressés au fait que leur choix pourra avoir sur leur retraite des conséquences réelles, un peu à l'instar des fumeurs prévenus des risques qu'ils encourent sur les paquets de cigarettes... Le relevé de situation individuelle pourrait être le support de cette information.

Une autre proposition de recommandation concerne également le temps partiel et, plus précisément, les horaires atypiques et fractionnés qui sont imposés dans certains secteurs, comme par exemple celui du nettoyage.

Dans de nombreuses entreprises et administrations, les personnels d'entretien sont contraints de travailler très tôt dans la matinée ou très tard le soir, quand les bureaux sont vides. Pourtant, dans bien des situations, le nettoyage pourrait probablement se faire à des heures de travail normales, sans conséquences excessives pour l'organisation du service. Certaines entreprises du secteur privé et certaines administrations et collectivité territoriales ont d'ailleurs déjà intégré cette dimension. Je pense que sur ce point, l'administration se doit d'être exemplaire.

Je ne suggère pas de modifier le code des marchés publics, mais que les diverses administrations qui ne l'auraient pas déjà fait sensibilisent systématiquement les donneurs d'ordre, dans le cadre des marchés publics, pour que les prestations - par exemple de nettoyage - ne contraignent les personnels des prestataires à des horaires atypiques que si c'est absolument indispensable. Tel est l'objet de ma cinquième proposition de recommandation.

Ma proposition de recommandation suivante concerne la prise en compte, dans le calcul des droits à pension, des carrières courtes.

La délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale préconise de fixer le nombre d'années prises en compte dans ce calcul non pas sur les 25 meilleures années, système qui désavantage les carrières courtes, mais « en fonction du nombre d'années de carrière concrètement réalisées en pratiquant une proratisation » par rapport à une carrière complète. Si pour une durée de cotisation de 40 ans sont retenues les 25 meilleures années, il conviendrait peut-être alors d'appliquer la même proportion par exemple à une carrière de 20 ans, et l'on se réfèrerait pour cette dernière aux 13 meilleures années.

Une autre formule est proposée par le Défenseur des droits pour les personnes ayant eu des carrières courtes : il s'agirait de se référer non plus aux 25 meilleures années pour le calcul des droits à la retraite, mais aux 100 meilleurs trimestres, soit une durée équivalente. Mais avec à un résultat différent sur les retraites.

Je vous propose donc de demander au gouvernement une étude permettant d'évaluer, pour les salariés ayant connu des interruptions de carrière, les conséquences d'un éventuel passage des 25 meilleures années soit aux 100 meilleurs trimestres, soit à un système fondé sur la proratisation de la période de travail.

J'en viens aux propositions de recommandation en matière de droits familiaux et conjugaux.

Je pense qu'il faut trouver un juste milieu entre, d'une part, la revalorisation indispensable des droits propres des femmes et, d'autre part, les compensation des contraintes familiales qui empêchent les femmes d'avoir des carrières complètes, à partir de droits familiaux et conjugaux remis à plat et réformés.

Ma septième proposition de recommandation recherche ainsi une juste compensation des contraintes familiales qui freinent la carrière des femmes, tout en rappelant qu'il faut absolument éviter d'encourager l'interruption ou le ralentissement de l'activité professionnelle des femmes.

Ma huitième proposition de recommandation serait de centrer les droits familiaux sur la maternité pour éviter qu'en bénéficiant aux pères, ils s'éloignent de l'objectif consistant à compenser les freins à la vie professionnelle des femmes liés à la maternité.

Dans cette logique, l'économie qui pourrait résulter de la suppression de la majoration de 10 % attribuée aux pères de trois enfants et plus pourrait permettre de revaloriser les droits versés aux femmes, voire de contribuer au financement de solutions d'accueil pour les jeunes enfants.

Si toutefois - autre option - cette majoration était maintenue, la piste de sa mutualisation pourrait être envisagée ; c'est-à-dire qu'elle serait en totalité versée au parent qui a interrompu sa carrière. Ayant évoqué cette proposition devant la ministre, je n'ai pas été convaincue par l'argument tiré de la discrimination ou de la menace européenne car, en théorie, le parent bénéficiaire pourrait être aussi bien un homme qu'une femme.

Mme Christiane Demontès . - Cela ne fonctionnerait qu'au sein du couple.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Oui, il est bien ici question des droits familiaux et conjugaux.

Enfin, ma dernière proposition de recommandation concerne la prise en compte, dans la redéfinition des droits familiaux, d'un équilibre nécessaire entre le versement de prestations et l'attribution de trimestres validés, permettant aux femmes de liquider leurs droits plus tôt. En effet, à l'approche de la retraite, nombre de femmes souhaitent partir plus tôt. C'est un des effets de la « double journée »... Il faut leur en donner la possibilité en lieu et place de l'octroi de la majoration. L'option doit leur être offerte de choisir du temps plutôt que de l'argent.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Il y a d'un côté le projet de loi et de l'autre, l'examen de ce rapport d'information. Nous n'avons pas abordé aujourd'hui l'article 2 qui définit par classe d'âge la durée de cotisation, et qui sera préjudiciable aux femmes. Mais bien entendu, nous ne voterons pas tous de la même façon sur ce texte.

La délégation de l'Assemblée nationale a permis d'introduire un article 2 bis proposant de mesurer l'impact pour les femmes d'un retour de 67 à 65 ans de l'âge pour bénéficier d'une retraite à taux plein. Peut-être pourrions-nous soutenir le maintien de cette disposition en séance...

Il faudrait aussi que l'une de nos propositions de recommandation mette bien en exergue la priorité donnée aux droits propres des femmes.

Mme Christiane Demontès . - En tant que rapporteure au fond sur ce projet de loi, j'ai été très intéressée par tout ce que je viens d'entendre. Madame la Présidente, un projet de loi sur les retraites n'est évidemment pas suffisant pour compenser les inégalités subies par les femmes en la matière. Cette situation découle des inégalités rencontrées tout au long de la vie professionnelles et appelle donc un renforcement des droits propres. C'est un point sur lequel le rapport - et nos propositions de recommandation - pourraient insister davantage.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Le titre de mon rapport le dit bien : « Retraite des femmes : tout se joue avant 60 ans ». Il montre clairement que les inégalités en matière de retraite reflètent les inégalités au travail.

Mme Christiane Demontès . - Il faudrait aussi faire référence aux lois concernant l'égalité professionnelle et affirmer notre souci de vigilance quant à leur application.

Mme Françoise Laborde . - Tout ce qui se joue autour des droits familiaux concerne le couple et l'on ne met pas assez en évidence les inégalités subies par les femmes en tant qu'individus. Comme le faisait remarquer notre collègue Corinne Bouchoux lors de l'audition de l'Union nationale des associations familiales, il y a aujourd'hui d'autres types de familles : recomposées, homoparentales, monoparentales... Ce rapport doit traiter en priorité de la situation des femmes en tant que femmes.

Mme Danielle Michel . - La dernière recommandation me choque. La référence à la double journée des femmes les stigmatise en tant que toutes désignées pour s'occuper des enfants puis des ascendants.

Mme Laurence Cohen . - Merci pour ce travail. A l'occasion de plusieurs textes, nous avons pu constater une certaine réceptivité à nos propositions et il faut espérer que, là encore, elles pourront déboucher sur des amendements. Il faut centrer notre rapport sur les droits propres, ce qui n'est peut-être pas suffisamment le cas. Nos recommandations dans le cadre du projet de loi sur égalité femmes-hommes étaient allées assez loin ; il ne faudrait pas que cette fois-ci, nous soyons en retrait.

Mme Michelle Meunier . - Nous sommes tous d'accord sur le constat. Nous verrons ensuite comment renforcer la place des droits spécifiques dans les recommandations.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - J'entends bien les remarques de nos collègues dans le sens d'une place plus importante faite aux droits propres. Mais quel est le problème ? Nous cherchons à corriger au moment de la retraite une inégalité qui s'est construite tout au long de la carrière. Quant au système de retraite, il n'est pas inégalitaire ; il est même cruellement égalitaire puisqu'un homme qui aurait une carrière hachée, avec interruptions et temps partiel, se trouverait lui aussi avec une retraite... de femme.

Il se trouve que le correctif actuel réside dans les droits familiaux. Le rapport ne s'interroge sur le rôle de ces correctifs qu'après avoir bien mis en exergue les inégalités à la fois au travail et dans la famille.

L'une des choses les plus déprimantes que nous ayant entendu du COR et de l'INED c'est que, d'après les études, les jeunes femmes aspirent toujours une interruption de carrière autour de la maternité.

Mme Christiane Demontès . - Ce n'est pas une aspiration ; c'est une nécessité.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - En tous cas, elles l'anticipent, non seulement pour des raisons financières mais aussi du fait de leur environnement culturel et psychologique. Les considérations financières jouent bien sûr pour les bas salaires mais l'aspiration à « faire une pause » existe aussi chez les femmes diplômées. Notre rapport dit bien que l'on ne peut encourager cela.

Agir sur les droits propres, cela reviendrait aussi à reconsidérer les pensions de réversion. Mais sur ce point je serai très prudente en attendant le rapport prévu par l'article 13 bis .

Je rappelle en outre que ce texte ne s'applique qu'au régime général des salariés du secteur privé.

Quant à la question des aidants familiaux, je ne fais que décrire une réalité : les aidants se trouvent être des femmes.

Mme Danielle Michel . - C'est la réalité ; mais doit-on l'accepter ?

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Afin de rappeler toute l'importance des droits propres, la délégation pourrait dire qu'elle sera attentive à l'application de toutes les lois qui favorisent l'égalité professionnelle entre hommes et femmes.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Entendu, nous ajouterons au tout début une recommandation sur l'importance des droits propres et les lois concernant l'égalité professionnelle.

Mme Michelle Meunier . - Dans la recommandation 1 - qui devient désormais la recommandation 2 - comme dans les suivantes, il faudrait remplacer le mot « salariés » par le mot « salarié-e-s ».

Mme Laurence Cohen . - La définition donnée ici du temps partiel est un peu réductrice. Le problème du fractionnement est plus large.

Mme Christiane Demontès . - Ce qui importe, ce sont les conditions d'emploi impliquant les amplitudes horaires disproportionnées. Le fractionnement peut aussi affecter des travailleurs à temps plein.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - L'objectif est de prendre en compte les contraintes spécifiques pesant sur la carrière des femmes, parmi lesquelles figure le temps partiel. Ce sont surtout les personnels à temps partiel qui subissent les amplitudes horaires les plus importantes.

Mme Christiane Demontès . - Dans la grande distribution, cela concerne aussi des personnels à temps plein.

La délégation adopte la recommandation 2 (ancienne recommandation 1) ainsi modifiée :

« La délégation souhaite que soit assimilées à un facteur de pénibilité, au regard du code du travail, les conditions de travail impliquant pour les salarié-e-s des horaires fractionnés avec des amplitudes horaires quotidiennes disproportionnées par rapport à leur temps de travail effectif. »

Mme Laurence Cohen . - A propos de la recommandation 3, ancienne recommandation 2, il faudrait préciser qui établira les statistiques sur la pénibilité.

Mme Christiane Demontès . - Sur la base des DADS (déclaration automatisée des données sociale) remplies par les entreprises, c'est aux directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) qu'il reviendra d'établir ces statistiques.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Dans la recommandation 16 de notre rapport « Femmes et travail » , nous incitions les partenaires sociaux à retravailler les grilles de classification. N'a-t-elle pas place ici ?

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Elle se rattache plutôt à notre nouvelle recommandation 1 qui pourrait être ainsi rédigée :

« La délégation réaffirme la priorité qui doit s'attacher aux droits propres des femmes. Dans cette perspective, elle sera vigilante à l'application des lois concernant l'égalité professionnelle entre hommes et femmes et appelle les partenaires sociaux à engager une refonte des grilles de classification professionnelle dans la perspective d'une nouvelle hiérarchisation des emplois non discriminante au regard de l'égalité salariale entre les femmes et les hommes. »

La délégation adopte ensuite la recommandation 3 (ancienne recommandation 2) ainsi modifiée :

« La délégation appelle à l'élaboration, en lien avec les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), de statistiques précises de pénibilité sur la base d'une différenciation par sexe et à l'établissement d'un bilan de l'évolution des facteurs de pénibilité auxquels sont exposées les femmes. »

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - A propos de la recommandation suivante, je pense qu'un jour nous voterons que toute décision prise par une instance qui ne comporte pas 35 % de femmes est nulle et non advenue...

La délégation adopte la recommandation 4 (ancienne recommandation 3) ainsi rédigée :

« La délégation demande que, en cas de négociation sur une actualisation des facteurs de pénibilité définis par l'article D. 4121-5 du code du travail, les organisations syndicales assurent une représentation équilibrée des hommes et des femmes. »

Puis elle adopte sans modification la recommandation 5 (reprenant le texte de l'ancienne recommandation 4) ainsi rédigée :

« La délégation souhaite que les salarié-e-s demandant à travailler à temps partiel soient informé-e-s des conséquences de leur choix sur leur future retraite. Elle demande que cette information devienne obligatoire pour les responsables des ressources humaines, tant dans les fonctions publiques que dans le secteur privé. Elle appelle à une information systématique sur les conséquences du temps partiel en matière de retraite dans les relevés de situation individuelle et à l'aménagement de l'âge de l'envoi du premier relevé, si nécessaire, pour intégrer cette information. »

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - A propos de la recommandation sur les marchés publics, il me semble qu'il serait préférable d'inciter les donneurs d'ordre et non pas seulement de les sensibiliser.

Mme Laurence Cohen . - Je suis d'accord.

La délégation adopte la recommandation 6 (ancienne recommandation 5) ainsi modifiée à la demande de Mme Brigitte Gonthier-Maurin :

« La délégation souhaite que les donneurs d'ordre publics soient incités, dans leur cahier des charges lors de la passation de marchés publics, à inclure des critères sociaux permettant d'éviter les horaires atypiques ou fractionnés et les temps partiels à amplitude horaire quotidienne excessive. »

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Lors de la discussion de l'ANI (accord national interprofessionnel), notre collègue Catherine Génisson avait fait des propositions visant à dissuader le recours excessif au temps partiel en majorant les cotisations sociales des entreprises employant plus de 20 % de salariés à temps partiel. C'était la recommandation 10. Je propose de la reprendre.

Mme Françoise Laborde . - Pourtant certains employés, par exemple dans le commerce, peuvent préférer un travail à temps partiel pour éviter trop de fractionnement.

La délégation adopte la recommandation 7 nouvelle ainsi rédigée :

« La délégation estime nécessaire de décourager le recours excessif au temps partiel en prévoyant une majoration des cotisations sociales patronales dans les entreprises de plus de vingt salarié-e-s dont le nombre de salarié-e-s à temps partiel est au moins égal à 20 % du nombre total de salarié-e-s dans l'entreprise. »

La délégation adopte la recommandation 8 (ancienne recommandation 6) ainsi rédigée :

« La délégation rappelle la nécessité de mettre en oeuvre un système qui ne pénalise plus les carrières courtes dans le calcul du salaire moyen servant de référence pour la détermination du montant des retraites.

À cet effet, elle demande qu'il soit procédé à une étude permettant d'évaluer les conséquences, sur la détermination du salaire de référence, pour les salarié-e-s ayant connu des périodes d'interruption de carrière :

- du passage aux 100 meilleurs trimestres au lieu des 25 meilleures années ;

- de la proratisation de la période de travail prise en compte par rapport à la durée totale d'activité professionnelle. »

Mme Christiane Demontès . - Je m'interroge sur l'intérêt du premier paragraphe de la première des recommandations concernant les droits familiaux et conjugaux.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Qu'il n'y ait pas d'ambiguïté : nous commençons par rappeler la priorité donnée aux droits propres. Force est ensuite de constater que les inégalités ne viennent pas du système de retraites mais du déroulement de la vie professionnelle des femmes et que l'un des moyens d'augmenter leurs pension est aujourd'hui l'existence des droits familiaux et conjugaux. Mais bien entendu, plus nous reconnaissons ces droits, plus nous contribuons au maintien du partage traditionnel des tâches. Nous ne le faisons donc que jusqu'à un certain point tout en refusant que leur institutionnalisation n'aboutisse d'une façon ou d'une autre à un substitut de salaire maternel.

Mme Michelle Meunier . - C'est ce que l'on appelle les rapports sociaux de sexes.

Mme Laurence Cohen . - J'entends ce que vous dites mais je trouve le texte de la recommandation un peu défensif. Le premier paragraphe est-il indispensable ?

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Je vous propose de supprimer le premier paragraphe et de bien rappeler dans le deuxième paragraphe la priorité qui doit être donnée aux droits propres.

Mme Christiane Demontès . - La rédaction du troisième paragraphe relative à l'actuelle majoration pour troisième enfant pourrait aussi être modifiée pour préciser que la majoration pourrait devenir une allocation forfaitaire versée dès le premier enfant.

La délégation adopte la recommandation 9 (ancienne recommandation 7) ainsi modifiée :

« La délégation souhaite que les réflexions prévues par le projet de loi sur l'évolution des droits familiaux et conjugaux prennent en considération la nécessité d'éviter absolument d'encourager l'interruption ou le ralentissement d'activité professionnelle des femmes et proscrivent tout ce qui pourrait évoquer une forme de salaire maternel, fût-il différé. Si les droits familiaux et conjugaux contribuent à atténuer et à compenser les écarts de pension entre les hommes et les femmes, la délégation estime en revanche que la priorité doit être donnée aux droits propres.

La délégation estime que la transformation de l'actuelle majoration pour troisième enfant en une allocation forfaitaire versée dès le premier enfant est une piste à envisager. »

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Personnellement, je ne voterai pas la recommandation suivante, relative à la mutualisation de la majoration de 10 % au sein du couple.

Mme Laurence Cohen . - Je ne partage pas non plus l'idée de faire porter aux membres du couple les contraintes nées de l'organisation des familles. Cela relève d'une responsabilité de la société toute entière.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Oui, la sécurité sociale instaure une solidarité à une échelle bien plus large que celle du couple.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Je considère pour ma part que c'est de l'enrichissement sans cause. Dans la mesure où il y a eu mutualisation des choix de carrières pour satisfaire aux contraintes familiales, la majoration doit revenir à la mère. Une fois à la retraite, lorsque l'homme perçoit une pension de 1 600 euros, sa majoration est de 160 euros contre seulement 70 euros pour la femme dont la pension n'est que de 700 euros. Et s'ils se séparent, l'homme garde sa majoration. Ce n'est pas acceptable !

Mme Laurence Cohen . - Je peux me révolter comme vous mais...

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - ... la sécurité sociale ne repose pas sur une logique de couple mais sur une logique de répartition.

Mme Christiane Demontès . - Non, elle repose sur le modèle de la famille traditionnelle.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - La question posée est de savoir qui, au sein du couple, doit bénéficier des droits familiaux.

La délégation adopte ensuite, les sénateurs du groupe CRC votant contre, la recommandation 10 (ancienne recommandation 8) ainsi rédigée :

« La délégation est favorable au fait que les droits familiaux soient centrés sur la maternité afin d'éviter qu'en bénéficiant aux pères, ils s'éloignent de l'objectif consistant à compenser l'incidence de la maternité sur la vie professionnelle et la retraite des femmes.

Dans cette logique, elle estime que l'économie qui pourrait être réalisée du fait de la suppression de la majoration de 10 % attribuée aux pères devrait être consacrée à l'amélioration des compensations versées aux femmes, voire au financement de solutions d'accueil pour les jeunes enfants.

Si en revanche la majoration de 10 % était maintenue, y compris au bénéfice des pères, elle souhaite que son effet inégalitaire soit neutralisé par l'attribution de la totalité de cette prestation au parent qui n'atteindrait pas le taux plein en raison d'une carrière courte.

L'objectif est de mutualiser au niveau du couple les conséquences, en matière de retraite, des interruptions de travail subies par l'un des parents, en partant du principe que, dans un couple, celui qui atteint le taux plein est redevable à celui qui a interrompu son activité professionnelle pour consacrer du temps à l'organisation familiale. »

Mme Françoise Laborde . - La dernière proposition de recommandation se réfère à la tradition des femmes en charge des enfants comme des ascendants. Je ne suis pas d'accord avec ce cliché.

Mme Laurence Cohen . - Ne pourrions-nous pas ne conserver que le premier paragraphe ?

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Vous avez raison.

La délégation adopte la recommandation 11 (ancienne recommandation 9) ainsi rédigée :

« Dans la redéfinition des droits familiaux, la délégation juge souhaitable de trouver un équilibre entre le versement de prestations et l'attribution de trimestres validés permettant de partir à la retraite plus tôt. »

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Parmi les recommandations que nous venons d'adopter, certaines peuvent donner lieu à amendements.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Nous les soumettrons aux membres de la délégation pour cosignature.

Au terme de cet échange de vues, la délégation adopte le rapport d'information et les onze recommandations qu'il comporte.

ANNEXES

Annexe 1.- Lettre de saisine de Mme la Présidente de la commission des Affaires sociales

Annexe 2.- Compte-rendu des auditions de la délégation

Annexe 3.- Programme des auditions menées par Mme Laurence Rossignol, rapporteure

Annexe 1 - Lettre de saisine de Mme la Présidente de la commission des Affaires sociales

Annexe 2 - Compte rendu des auditions de la délégation

Audition de l'Union nationale des associations familiales (UNAF)
M. François Fondard, président,
Mme Guillemette Leneveu, directrice générale,
accompagnés de
Mme Claire Ménard, chargée des relations avec le Parlement

(3 octobre 2013)

Présidence de Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Nous débutons nos travaux sur le projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraite par l'audition des représentants de l'Union nationale des associations familiales (UNAF) : M. François Fondard, son président, Mme Guillemette Leneveu, sa directrice générale, accompagnés de Mme Claire Ménard, chargée des relations avec le Parlement.

L'UNAF avait été auditionnée dans le cadre des réflexions préalables au projet de loi menées notamment par la commission présidée par Mme Yannick Moreau qui a rendu son rapport le 12 juin 2013.

Je vous précise que notre collègue Laurence Rossignol sera la rapporteure de la délégation et que nous sommes aujourd'hui particulièrement intéressés de savoir comment l'UNAF évalue les réponses apportées par ce texte à la problématique spécifique de la retraites des femmes.

M. François Fondard, président de l'Union nationale des associations familiales . - La question des droits des femmes revêt une importance particulière au regard du rôle qu'elles jouent dans la famille et qui, de temps partiels en interruptions de carrière, aboutit à d'énormes différences de pensions : elles perçoivent 950 euros de pension en moyenne contre 1 450 pour les hommes. Le temps partiel ne se limite pas à l'âge de la maternité ; la question est plus globale et les dispositifs relatifs à la retraite ne suffiront pas à combler les écarts creusés pendant la vie professionnelle. Il faut agir en amont en faveur d'une meilleure intégration de la vie professionnelle et de la vie familiale ; ce sera d'ailleurs le thème d'un colloque que nous organisons au Conseil économique, social et environnemental (CESE) le 21 novembre 2013 et auquel nous vous convions.

Quelques chiffres relatifs aux mesures actuelles : l'assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) coûte 4,5 milliards d'euros, les majorations de pensions 3,75 milliards et les majorations de durée d'assurance (MDA) s'élèvent à 4 milliards, tandis que les majorations de pensions des régimes Agirc et Arrco représentent 1,5 milliard. Quant aux majorations dans la fonction publique, elles coûtent 610 millions pour les agents territoriaux et 1,2 milliard pour les personnels de l'État. Conformément aux prévisions du Haut conseil de la famille, les deux premières dépenses représentent donc 8 milliards d'euros, à la charge de la branche famille.

La réforme des droits familiaux est légitime car ces droits ont vieilli quand bien même les objectifs qui les fondent demeurent d'actualité.

S'agissant tout d'abord des pensions de réversion, le gouvernement n'a pas souhaité engager de réforme dans ce domaine et nous donnons, pour notre part, la priorité au rapprochement entre les régimes.

Pour ce qui est de l'AVPF et des MDA, force est de constater que si la retraite des mères de famille est aujourd'hui particulièrement faible du fait de cotisations inférieures. Une correction de cette situation est attendue à l'échéance de 2020 : à cette période, elles devraient toutes pouvoir bénéficier d'une retraite à taux plein. Leur période de cotisation validée sera même supérieure à celle des hommes du fait précisément de l'AVPF et de la MDA. L'hypothèse d'une fusion de la MDA et de l'AVPF envisagée par le rapport Moreau mérite examen, même s'il faut être très prudent quant à ses modalités. Il faut regarder les choses au cas par cas car ces deux dispositifs ne se cumulent pas toujours : leur fusion pourrait avoir pour conséquence, lors de la liquidation des droits, des carrières non complètes pour certaines mères de famille.

Je terminerai par les majorations de pensions évoquées par l'article 13 du projet de loi. Conscients de la nécessaire réforme des majorations, nous avions proposé leur fiscalisation dans le cadre du débat sur les économies de la branche famille - ces mesures ont été annoncées par le Premier ministre le 3 juin 2013. La majoration est bien prévue par le projet de loi de finances mais nous regrettons qu'elle ne bénéficie pas précisément à la branche famille.

Dans la mesure où les majorations de pensions profitent davantage aux hommes - aussi bien dans le cadre du régime général que dans celui des régimes complémentaires - nous sommes favorables à sa forfaitisation. Nous sommes toutefois opposés à son extension aux familles d'un ou de deux enfants envisagée par l'article 13 du projet de loi. Il convient en effet de reconnaître l'investissement réalisé par les familles de trois enfants et plus, dont on sait que le niveau de vie moyen est de plus de 25 % inférieur à celui des familles de deux enfants.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Qu'entendez-vous par niveau de vie ? Cette différence se poursuit-elle au moment de la retraite, une fois que les enfants ne sont plus à charge ?

M. François Fondard . - C'est difficile à évaluer.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Le niveau de vie de ces familles reste-t-il inférieur au moment de la retraite ?

M. François Fondard . - Il est certain qu'à niveau de revenu égal, une famille de trois enfants dispose de moins de patrimoine, notamment immobilier, qu'une famille de deux enfants. C'est vrai en particulier depuis la disparition des aides à la pierre, il y a une vingtaine d'années.

Du fait du temps partiel et des différences de salaires, la majoration de pension pour enfant, qui représente 10 % de la pension versée par le régime général, bénéficie davantage aux hommes. Cette inégalité serait corrigée par la forfaitisation, le montant aujourd'hui envisagé pour le forfait étant de 122 euros. Il ne s'agit bien sûr pas de mettre fin, par cette seule mesure, à toutes les différences qui affectent le niveau des pensions car ces différences résultent fondamentalement des écarts de salaires.

En résumé, oui à la forfaitisation, mais non à son élargissement aux familles de moins de trois enfants, qui la dénaturerait.

Le quotient conjugal est aussi remis en cause au motif qu'il serait néfaste à l'activité professionnelle des femmes. Mais nous n'en sommes pas convaincus.

Mme Guillemette Leneveu, directrice générale de l'Union nationale des associations familiales . - La rédaction de l'article 13 du projet de loi pose effectivement problème. Que la loi annonce un rapport, soit. Mais tel qu'il est rédigé, le texte semble retenir d'ores et déjà l'option d'une forfaitisation dès le premier enfant. Si l'article était maintenu, mieux vaudrait une rédaction ouverte à plusieurs scenarios. L'élargissement de cet avantage à un plus grand nombre de familles affecterait son montant ; quid des conséquences sur les familles modestes ?

Mme Françoise Laborde . - Il est vrai que cette affaire de majoration et de forfaitisation n'est pas simple. Il faut l'égalité entre hommes et femmes, mais ce sont, à ma connaissance, ces dernières qui portent les enfants... Il y a quand même une petite différence !

Monsieur le Président, pouvez-vous revenir sur les projections en matière de retraites à taux plein pour les femmes en 2020 ? Quelles femmes ne seraient pas concernées ?

Mme Gisèle Printz . - Comment s'explique la différence dans le montant des pensions ? Selon quelles modalités la majoration pour trois enfants peut-elle bénéficier à l'homme ?

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Si chacun des membres du couple touche une pension de retraite, ils bénéficient tous les deux de la majoration pour trois enfants. Mais si dans un couple l'écart dans le montant des pensions est très marqué, la bonification accroît cet écart. Comment cela impacte-t-il la réversion ? La femme ne percevra qu'une pension de réversion dans laquelle la majoration est plafonnée. N'aurait-elle pu percevoir un montant plus important si elle avait pu bénéficier directement de la totalité de la majoration ?

M. François Fondard . - Sur une pension moyenne de 950 euros, une femme perçoit 600 euros en provenance du régime général, soit une majoration de 60 euros au titre de ce régime, si elle a eu trois enfants et plus. Pour un homme, le régime général versant une pension moyenne de 1 000 euros sur 1 450, la majoration sera alors de 100 euros. Notre proposition serait donc de rendre la majoration forfaitaire, par exemple en l'établissant à 122 euros pour chaque parent comme proposé par le Conseil d'orientation des retraites (COR). La forfaitisation continuerait donc à réduire les inégalités.

Quant à l'idée, que vous évoquez, consistant à porter ce chiffre à 244 euros au seul bénéfice de la femme, je vous rappelle que la Cour de justice de l'Union européenne a rendu un jugement aux termes duquel notre ancien dispositif de MDA était discriminatoire pour les hommes. Ceci a contraint notre pays à instaurer pour les pères la possibilité de demander une année de MDA, qui est, fort heureusement, peu connue par ces derniers. La décision de la Cour nous a semblée scandaleuse mais c'est ainsi : si nous ne réservions les majorations de pensions qu'aux femmes, il y aurait discrimination.

En matière de réversion, les femmes vivant en moyenne six années de plus que les hommes, perçoivent effectivement 54 % de la pension du régime général avec sa majoration, mais plafonnée, et la même part de la pension au titre des régimes complémentaires, elle aussi majorée, mais non soumise à plafond. Ce principe n'est pas remis en cause et nous considérons qu'il n'y a pas lieu de le faire.

La différence de pensions moyennes entre les femmes et les hommes s'explique d'abord par un écart de salaires de 25 % ...

M. Roland Courteau . - ... de 27 % !

M. François Fondard . - Elle tient aussi à une perte de trimestres d'assurance pour les femmes qui n'ont bénéficié ni de l'AVPF - qui génère aujourd'hui des trimestres de cotisations pour celles qui arrêtent de travailler pour se consacrer à l'éducation des enfants -, ni de la valorisation pendant toute la durée du congé parental d'éducation, ni de la majoration de durée d'assurance.

Une part de l'écart résulte aussi du recours au temps partiel.

Toutefois, comme je l'ai dit, en 2020, ce sont bien toutes les femmes qui devraient bénéficier d'une retraite à taux plein, comme l'indiquait un rapport du Sénat publié il y a trois ou quatre ans.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Concernant l'argument de la discrimination en matière de majoration, n'oublions pas que la Cour de justice prend aussi en compte les différences de situation. Or, on pourrait tout à fait plaider que c'est bien la retraite à taux réduit des femmes qui a permis celle à taux plein de leur conjoint. Ne pourrait-on pas dire qu'il s'agit pour ces derniers d'une forme d'enrichissement sans cause ? D'autant qu'il a pu y avoir séparation ; ce n'est pas toujours la vie commune, la caisse commune et le conte de fées.

M. François Fondard . - Vous avez raison, la situation des femmes après une séparation peut être très difficile. On sait que 50 % des couples mariés se séparent. Et il n'est pas rare qu'une mère de trois ou quatre enfants ne perçoive qu'une pension de 800 euros quand celle de son mari dépasse les 3 000. C'est à la pension compensatoire qu'il devrait revenir de compenser ce type d'inégalités au moment de la séparation. Or, il y a souvent un manque d'information sur ces sujets. Soyons-y très attentifs car dans 98 % des cas, ce sont les femmes qui sont pénalisées.

Certes, même en cas de séparation, le conjoint a droit à une pension de réversion mais il est tout de même délicat de considérer que l'on doive attendre le décès de son ex-conjoint pour disposer de ressources convenables.

Mme Corinne Bouchoux . - Comment les familles homoparentales sont-elles prises en compte dans le cadre de votre organisation et de ces travaux ?

M. François Fondard . - Certaines associations de parents de même sexe ont demandé à être agréées par l'UNAF et leurs dossiers sont en cours d'instruction. Dès lors que leurs statuts respectent le code de l'action sociale et des familles et qu'elles se conforment à la pratique de notre organisation, il sera fait droit à leur demande.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Je vous remercie.

Audition du Conseil d'orientation des retraites (COR)
M. Yves Guégano, secrétaire général,
M. Jean-Michel Hourriez, responsable des études

(3 octobre 2013)

Présidence de Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Je remercie MM. Yves Guégano, secrétaire général, et Jean-Michel Hourriez, responsable des études, représentants du Conseil d'orientation des retraites (COR), d'avoir répondu à notre invitation pour nous aider à préparer notre réflexion sur le projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraites.

J'informe MM. Guégano et Hourriez que notre collègue Mme Laurence Rossignol a été désignée pour être la rapporteure de la délégation.

Je rappelle que le COR a pour mission première d'assurer le suivi permanent du système des retraites. Il s'appuie pour cela sur une structure associant parlementaires, experts, partenaires sociaux et représentants de l'État français. Le COR constitue ainsi un lieu permanent d'études et de concertation entre les principaux acteurs des retraites.

Son rapport annuel, dont la publication fait partie de ses missions, a porté en 2013 sur un « état des lieux » du système de retraites français destiné à servir de base, entre autres expertises, à l'élaboration de la réforme dont le projet de loi qui nous est soumis est le préalable législatif.

Je rappelle qu'un précédent rapport du COR avait, en 2008, été consacré aux droits familiaux et conjugaux, sujet qui bien évidemment nous intéresse tout particulièrement.

Messieurs, je vous laisse la parole pour nous présenter vos conclusions sous l'angle des retraites féminines.

M. Yves Guégano, secrétaire général du Conseil d'orientation des retraites . - Je vous remercie de nous avoir conviés à cette audition, l'une des missions dévolues au COR étant une mission d'information sur l'état des travaux concernant la question des retraites.

Je vous prie tout d'abord d'excuser l'absence de M. Hadas-Lebel, président du COR.

Pour dresser un état des lieux de la situation des femmes à l'égard des retraites, nous nous appuierons sur les deux rapports du COR publiés en 2008 et en 2013, que Madame la Présidente vient de mentionner. Je préciserai tout d'abord que le COR n'a pas vocation à se prononcer sur le projet de réforme en cours d'examen.

M. Jean-Michel Hourriez, responsable des études . - Les analyses du COR s'intéressent aux facteurs explicatifs des écarts persistants entre les pensions de retraites des hommes et des femmes et proposent des voies de réflexion sur l'évolution des droits familiaux et conjugaux.

Si l'on considère les dernières statistiques publiées sur les personnes retraitées de plus de 65 ans, on constate des écarts très importants entre la pension moyenne des femmes et celle des hommes, la pension moyenne d'une femme étant de 879 euros par mois alors que celle d'un homme s'élève à 1 657 euros par mois. Ce rapport d'un sur deux vaut pour l'ensemble des générations qui sont actuellement à la retraite. On ne prend en considération que les droits à retraite propres, sans tenir compte des pensions de réversion. Les droits directs issus de l'activité professionnelle sont donc, de manière générale, beaucoup plus faibles pour les femmes que pour les hommes, ces écarts étant encore plus marqués pour les populations les plus âgées alors qu'ils ont déjà diminués pour les générations suivantes. Ainsi, pour les femmes nées après 1945, qui ont pris récemment leur retraite, on constate que ces écarts se sont sensiblement réduits.

Par ailleurs, des projections, réalisées conjointement avec l'INSEE, montrent que ces écarts vont continuer à diminuer. Ainsi, pour les générations nées dans les années 1950, qui prennent leur retraite aujourd'hui, ces écarts ne seront plus que de 30 %. Pour ceux qui ont actuellement 30-40 ans, ils se réduiront à 20 %.

Malgré cette amélioration, les pensions moyennes des femmes demeureront sensiblement inférieures à celles des hommes, même pour les générations actives les plus jeunes. Il n'y aura pas de résorption spontanée de ces écarts, du moins à l'horizon prévisible des trente ou quarante prochaines années. Cette persistance des écarts de pension de droit direct a amené le COR à s'interroger sur la question des droits familiaux, qui permettent de les compenser partiellement.

Pour appréhender complètement la situation des femmes au moment de la retraite, outre l'examen de leurs droits directs, il faut aussi prendre en considération leur situation conjugale et matrimoniale, qui influe fortement sur leur niveau de vie à la retraite. La situation d'une femme au moment de la retraite est très différente selon qu'elle est soit mariée ou veuve, soit célibataire ou divorcée. Les femmes mariées bénéficient en effet de la pension de leur conjoint vivant ; les veuves perçoivent la pension de réversion de leur conjoint décédé ; les femmes célibataires disposent de leurs seuls droits propres.

Les travaux du COR menés en 2008 sur les droits conjugaux et familiaux ont permis de vérifier que le mécanisme français de la pension de réversion permet en moyenne de garantir le maintien du niveau de vie antérieur au décès : le niveau de vie moyen d'une veuve demeure sensiblement identique au niveau de vie du couple antérieur au décès.

En revanche, la situation en termes de niveau de vie des femmes célibataires ou divorcées pourrait être plus préoccupante, surtout si elles vivent seules sans conjoint de fait, car elles ne bénéficieront que de leur retraite propre.

Si l'on s'intéresse au niveau de vie actuel des femmes retraitées, 15 % de celles-ci sont en situation de pauvreté. Ce taux est comparable à celui observé pour l'ensemble de la population française, mais demeure supérieur à celui de l'ensemble des retraités qui n'est que de 10 %. À titre de comparaison, le taux de pauvreté des femmes jeunes qui élèvent seules leurs enfants est de 30 % environ.

Si pour l'instant, la situation des femmes âgées en termes de niveau de vie ne semble pas inquiétante, l'avenir est incertain. Qu'est-ce qui, de l'amélioration des pensions individuelles des femmes relativement aux hommes ou de la détérioration des situations conjugales au fil des générations, va influer de manière prépondérante sur les pensions futures des femmes ?

Au fil des générations, le modèle du couple stable perd de sa prédominance : si les femmes âgées de plus de 65 ans aujourd'hui sont, à plus de 90 %, mariées ou veuves, trois femmes sur dix, dans la génération qui arrive aujourd'hui à la retraite, sont divorcées ; quant aux femmes plus jeunes (moins de 40 ans), elles sont nombreuses à rester célibataires. Selon certains démographes, un tiers de femmes seront encore célibataires au moment de la retraite dans ces générations. Elles ne bénéficieront donc pas de droits à réversion.

Voilà donc pour le constat d'ensemble.

Il faut maintenant que nous nous interrogions sur l'origine de cette persistance prévisible d'un écart de l'ordre de 20 % entre retraites des hommes et retraites des femmes. Une part de l'explication est à rechercher dans le mode de calcul des retraites, le montant de la pension étant fonction, d'une part de la durée d'assurance validée tous régimes, d'autre part du salaire de référence - par exemple, au régime général, le salaire des 25 meilleures années.

Les écarts de pension entre hommes et femmes proviennent des deux éléments combinés. Les femmes qui partent aujourd'hui à la retraite sont désavantagées par rapport aux hommes tant en termes de durée d'assurance que de salaire de référence. Néanmoins, pour les générations futures de retraités, notamment les femmes nés après 1960 qui prendront leur retraite après 2020, on s'attend, sur la base de la législation actuelle en matière de retraite, à une certaine convergence des durées moyennes validées par les hommes et les femmes. La source principale des écarts résultera donc de l'infériorité des salaires féminins.

Mais il faut aussi considérer le taux d'activité des femmes, qui restera inférieur à celui des hommes, même si le différentiel entre taux d'activité masculin et féminin tend à décroître chez les jeunes générations.

Aujourd'hui, si les femmes travaillent pendant presque toute leur vie active, elles persistent toutefois à interrompre leur activité au moment des naissances : après une première naissance, 38 % des femmes ne travaillent pas, chiffre qui passe respectivement à 51 % et à 69 % après une seconde et une troisième naissance. Il y a donc un comportement persistant d'inactivité féminine après les naissances ; ces interruptions demeurent toutefois temporaires et leur durée a tendance à baisser (de l'ordre de trois années, pendant lesquelles les femmes bénéficient du complément de libre choix d'activité).

Si le taux d'activité des femmes demeure inférieur à ceux des hommes entre l'âge de 25 et 45 ans, les taux d'activité féminin et masculin deviennent similaires après 45 ans. Les durées cotisées par les femmes demeureront donc inférieures.

Les droits familiaux permettent de valider des trimestres supplémentaires au titre des enfants : la majoration de durée d'assurance (MDA) de deux ans par enfant bénéficie de fait aux femmes, même si elle a été ouverte récemment en droit aux hommes, et l'allocation vieillesse des parents au foyer (AVFP) permet aux femmes qui ont interrompu leur activité de valider des trimestres à hauteur de la durée d'interruption, sachant que le nombre de trimestres validés est extrêmement variable puisque certaines femmes mère de 3 enfants peuvent valider au titre de l'AVPF jusqu'à 21 ans.

Ces droits familiaux que sont l'AVPF et la MDA permettront, à terme, que les durées validées par les femmes et les hommes soient à peu près identiques ; cela ne vaut cependant pas encore pour les générations qui partent actuellement à la retraite.

L'autre paramètre qui influe sur le calcul de la pension de retraite, le salaire de référence, demeure inférieur pour les femmes. Les salaires horaires des femmes, tant dans le secteur privé que dans la fonction publique, restent inférieurs à ceux des hommes, de 15 à 20 % en équivalent temps complet.

Le travail à temps partiel des femmes (une femme sur trois) qui s'est beaucoup développé depuis les années 1990, contribue aussi à accroître l'écart entre les salaires de référence des femmes et des hommes.

Ces deux effets, écart de salaire horaire et activité à temps partiel, conduisent à des écarts de salaires de référence entre les hommes et les femmes ; heureusement, le système de retraite corrige en partie certains écarts salariaux car un dispositif (minimum contributif dans le régime général ; minimum garanti dans la fonction publique) permet aux femmes à très bas salaires de percevoir une pension portée à hauteur d'un montant minimum. Au régime général, le minimum contributif est de l'ordre de 600 euros par mois, ce qui a permis d'atteindre un objectif fixé par la loi de 2003 sur les retraites consistant à garantir 85 % du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) à toute personne qui a travaillé pendant 40 ans.

Ces correctifs ne concernent toutefois que les salaires de références trop bas.

Dans ses rapports de 2008 et 2013, le COR a avancé plusieurs pistes de réflexion sur les droits familiaux et conjugaux. S'agissant des droits conjugaux, le COR a pris conscience que l'évolution des structures conjugales pourrait conduire à adapter le mécanisme de la réversion, notamment, en cas de divorce, en la proratisant en fonction de la durée du mariage, ou en l'étendant à certains couples non mariés.

Le COR a aussi indiqué des pistes beaucoup plus radicales de réformes de la réversion, parmi lesquelles l'introduction de dispositifs de partage des droits, inspiré de certains exemples étrangers comme celui de l'Allemagne, où est opéré un partage égal et systématique des droits à la retraite propres entre les deux conjoints au moment d'un divorce.

Le COR a néanmoins émis des réserves sur de tels dispositifs de partage des droits, d'autant qu'ils ne sont pas systématiquement favorables aux femmes. Par ailleurs, si la mise en oeuvre d'un tel système est aisée dans des régimes de retraite à points, elle serait complexe en France qui connaît principalement des régimes de retraite à annuités.

La tendance au fil des générations est à des unions de plus en plus fragiles, les unions mariées se raréfiant et s'abrégeant, de même que la cohabitation - sous forme de pacte civil de solidarité (PACS) ou d'union libre - tend à devenir plus brève.

Cette tendance de fond conduit à une perte d'efficacité des droits conjugaux pour compenser les inégalités hommes-femmes.

De ce fait, on a pu observer une tendance, dans les pays étrangers qui ont depuis 20 ou 30 ans développé des droits familiaux liés aux enfants, à majorer directement les droits propres des femmes indépendamment de leur situation conjugale.

Les droits familiaux recouvrent essentiellement trois types de dispositifs : la majoration de durée d'assurance (MDA) de deux ans par enfant, l'allocation vieillesse de parent au foyer (AVPF) qui compense les périodes d'interruption sous certaines conditions, et un troisième dispositif, sous la forme d'une majoration de pension (en général de 10 %), pour les parents d'au moins trois enfants. Ce dispositif concerne à la fois les hommes et les femmes.

L'évolution à moyen ou long terme de la MDA conduit le COR à envisager de privilégier des majorations de montant afin de compenser les écarts de salaire de référence qui persistent entre les hommes et les femmes, en dépit de la convergence progressive des durées d'assurance. Le bénéfice de la MDA peut en effet inciter certaines femmes ayant élevé plusieurs enfants sans interrompre leur activité professionnelle à prendre leur retraite prématurément, ce qui va à l'encontre d'objectifs d'augmentation du taux d'emploi des seniors.

S'agissant de l'AVPF, il faudrait plutôt simplifier ce dispositif dont les conditions d'ouverture de droits sont assez complexes, et privilégier des durées d'interruption plus courtes mais qui seraient davantage compensées. Ainsi l'AVPF accorde-t-elle actuellement des droits sur la base du SMIC : on peut imaginer qu'elle s'oriente sur une base salariale plus favorable. En compensation, la durée de l'AVPF pourrait être limitée à trois ans par enfant.

Quant aux majorations pour les parents d'au moins trois enfants, qui concernent à la fois les hommes et les femmes, elles ne permettent pas de réduire les écarts de pension entre les hommes et les femmes : elles les accroissent même légèrement.

L'idée serait, dans une logique de redistribution entre retraités, de remplacer ces majorations proportionnelles au montant de la pension par des majorations forfaitaires, qui permettraient de mieux réduire les inégalités entre hauts et bas revenus.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - La question des droits familiaux et conjugaux a un grand intérêt pour compenser les inégalités de retraites entre hommes et femmes.

Mais ces compensations ne sont pas une solution pour les femmes qui n'ont pas eu d'enfants et qui sont néanmoins pénalisées parce qu'elles subissent des inégalités au travail.

La délégation aux droits des femmes est particulièrement sensibilisée aux difficultés liées aux temps partiel et au temps de travail que je qualifierais d'« hachuré ».

Je voudrais revenir avec vous sur les projections dont vous avez fait état concernant le taux d'activité des femmes, qui ne progresserait pas à l'avenir : cette stagnation se traduira sur le montant de leurs droits propres, indépendamment des droits familiaux et conjugaux.

La question de la retraite des femmes rejoint celles de la politique familiale et de l'organisation de la garde des enfants : il s'agit d'un problème global.

Le projet de loi prévoit la création d'un « compte personnel pénibilité » : or il faudrait améliorer la reconnaissance de la pénibilité de certaines professions féminisées. Autant la reconnaissance de la pénibilité de certains métiers, essentiellement masculins, va de soi - c'est le cas par exemple des hommes qui travaillent dans les hauts-fourneaux - autant il ne semble pas évident de qualifier de pénibles des situations de travail essentiellement féminines, comme par exemple les institutrices de maternelle en fin de carrière, les caissières, ou les femmes subissant des temps partiels impliquant une forte amplitude horaire. Y a-t-il une réflexion sur le sujet ?

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Sur quelles raisons s'appuie ce postulat de la non-progression, à l'avenir, du taux d'activité des femmes ?

Mme Corinne Bouchoux . - Je voudrais souligner à quel point notre système des retraites a été conçu sur des bases aujourd'hui dépassées : celles de la famille nucléaire stable, du plein emploi et de la prospérité économique. Nous savons désormais que la famille est évolutive et que l'emploi est soumis à de nombreux aléas. Dans mon département, on observe actuellement une hausse significative du nombre de divorces chez les plus de 60 ans. Or, dans de nombreux cas, les intéressés n'ont pas nécessairement mesuré les conséquences de ce choix... Tenez-vous compte, dans vos projections, de ce phénomène, qui concerne des seniors qui sont parfois des retraités aisés ?

Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - Disposez-vous de données comparées s'agissant des droits familiaux, et plus particulièrement des majorations de durée d'assurance ? Par ailleurs, je suis particulièrement sensibilisée à la situation des épouses d'expatriés qui, pour suivre leur mari dans une affectation à l'étranger, interrompent parfois leur carrière : l'amélioration de l'information de ces personnes est un réel progrès et je suis heureuse d'y avoir contribué, par le passé, à travers un amendement.

M. Jean-Michel Hourriez . - Cette projection des taux d'activité est effectuée par l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) tous les cinq ans à partir des tendances observées. Certes, le taux d'activité des femmes progresse, mais on peut anticiper un maintien des comportements concernant les interruptions de carrière à l'occasion des naissances, qui touche les femmes de 30-35 ans. Mais après 45 ans, on observe une hausse de l'activité des femmes qui permet de prévoir à l'avenir des taux d'activité équivalents des hommes et des femmes de cette tranche d'âge. En 1975, le taux d'activité des femmes était de 60 % au moment de la maternité, puis il passait à 50 % vers 50 ans. Les statistiques de 2010 montrent un taux d'activité global de 80 % ; en 2050-2060, on devrait donc atteindre un taux d'activité de 80 % vers 30 ans et de 95 % vers 50 ans.

Ces projections ne sont pas figées : on s'attend à une hausse du taux d'activité, sauf pour les femmes jeunes.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Le taux global d'activité va donc rester inférieur à celui des hommes pour les femmes relevant des tranches d'âge concernées par la maternité. Or, le fait de prendre en compte les conséquences de cette situation sur les retraites, par exemple avec les droits familiaux, revient en quelque sorte à encourager les femmes à interrompre leur activité professionnelle plus fréquemment que les hommes.

J'espère que les congés maternité ne sont pas considérés, dans ces statistiques, comme une interruption d'activité.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Le congé maternité permet de valider des trimestres. On ne peut donc le considérer comme une période d'interruption d'activité professionnelle.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - C'est un sujet complexe : en atténuant les conséquences négatives, sur le niveau des retraites des femmes, des interruptions d'activité, on encourage des choix qui ne sont pas favorables au maintien des femmes dans l'emploi.

M. Yves Guégano . - C'est bien là toute l'ambiguïté de la politique familiale et des choix effectués en matière de retraite. L'idée est à la fois d'encourager les femmes à rester sur le marché du travail et de compenser les inégalités entre hommes et femmes : or, les compensations mises en oeuvre à cet effet en matière de retraite sont de nature à conforter des comportements qui ne semblent pas tournés vers l'avenir.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Peut-être faudrait-il se limiter, en matière de compensation, aux situations pour lesquelles les femmes n'avaient pas le choix...

M. Yves Guégano . - On rejoint là la réflexion sur le temps partiel, subi ou choisi.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Le choix du temps partiel est souvent lié à des soucis concernant la garde des enfants. Est-il alors subi ou contraint ?

M. Jean-Michel Hourriez . - L'accroissement du nombre de divorces chez les retraités n'a à ce jour pas fait l'objet, à ma connaissance, d'une étude au plan national. Les statistiques attestent néanmoins que le comportement matrimonial des générations nées après 1945 est différent de celui des générations précédentes. Il n'est pas étonnant que la banalisation du divorce (qui concerne aujourd'hui trois couples sur dix) se poursuive après la retraite. On constate également une augmentation du nombre de couples de retraités - divorcés ou veufs - en situation de cohabitation.

M. Yves Guégano . - Les critères de pénibilité se réfèrent aux conséquences de l'activité professionnelle sur l'espérance de vie. Ces critères, dont la définition est particulièrement complexe, pourraient-ils prendre en compte des différences entre les hommes et les femmes ? À l'étranger, ce sujet n'est pas traité.

Mme Françoise Laborde . - Ces critères s'appliquent donc indifféremment aux hommes et aux femmes.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . -Je voudrais que l'on réfléchisse à la pénibilité spécifique, et pourtant invisible semble-t-il, de certaines professions féminisées. Si l'on pense assez spontanément aux infirmières, on pense moins spontanément, comme je le disais tout à l'heure, aux caissières ou aux professeures des écoles en fin de carrière. Ces critères me semblent « aveugles » au regard de certaines situations professionnelles.

M. Yves Guégano . - Ces situations doivent trouver une solution dans le cadre des relations de travail ; je pense notamment au temps « haché ».

M. Jean-Michel Hourriez . - Je voudrais revenir sur les comparaisons internationales en matière de droits familiaux. Il y a environ 25 ans, le système français était sur ce point très spécifique. Son originalité tenait pour une grande part à l'intégration d'éléments de politique familiale dans le système des retraites, dont témoigne la majoration de pension pour les parents ayant élevé trois enfants ou plus. On constate cependant, désormais, une tendance d'autres pays à compenser l'incidence des maternités sur les retraites des femmes.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - Je voudrais revenir sur la situation des conjoints d'expatriés : il a des pays où les femmes n'ont pas le droit de travailler. Elles sont donc extrêmement pénalisées quand elles suivent leur conjoint affecté à l'étranger. J'ajoute qu'aujourd'hui cette mobilité internationale est devenue obligatoire pour certains salariés. Quelle compensation peut-on envisager pour leurs conjoints ? La situation de ces personnes est évidemment encore plus difficile quand les conséquences d'un divorce s'ajoutent à ces interruptions de carrière...

M. Yves Guégano . - Ces situations sont en effet très complexes. Je voudrais souligner qu'une retraite peu élevée n'est pas nécessairement synonyme de faible niveau de vie : les difficultés résultent souvent de l'instabilité des couples. Les séparations ont des conséquences importantes en termes de niveau de vie.

Les règles de calcul des retraites (salaire de référence, décote, surcote...) créent des redistributions entre retraités au détriment de ceux qui ont eu des carrières courtes, et donc principalement aux dépens des femmes. Pour réévaluer les droits des femmes en matière de retraite, il faudrait agir sur les méthodes de calcul des droits à pension. Or, le projet de loi apporte peu de précisions sur ce point.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Certes, l'instabilité des couples affecte le train de vie des retraités. Mais idéalement, la femme devrait à l'avenir pouvoir s'assumer comme un acteur économique à part entière : c'est donc à la revalorisation des droits propres des femmes qu'il faut penser.

M. Yves Guégano . - Il faut également tenir compte des différences entre hommes et femmes en matière d'espérance de vie.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Je vous remercie.

Audition de la Fédération des associations de conjoints survivants et parents d'orphelins (FAVEC)
Mme Christiane Poirier, présidente,
Mme Laure Bardinet, secrétaire générale adjointe

(10 octobre 2013)

Présidence de Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Nous poursuivons cette semaine nos auditions sur le projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système des retraites avec celle de la Fédération des conjoints survivants et parents d'orphelins (FAVEC). Je remercie Mme Christiane Poirier, sa présidente, et Mme Laure-Anne Bardinet, secrétaire générale adjointe, d'être venues nous présenter le point de vue de leurs adhérents et adhérentes.

Notre délégation a été saisie par la commission des affaires sociales pour aborder ce projet de loi sous l'angle spécifique des retraites des femmes et nous avons désigné notre collègue Laurence Rossignol pour être rapporteure de la délégation.

La question des pensions des conjoints survivants est un aspect important des retraites des femmes et vous avez des éléments intéressants à nous apporter sur ce sujet, même s'il ne fait pas l'objet de dispositions spécifiques dans le projet de loi.

Mme Christiane Poirier, présidente de la Fédération des associations de conjoints survivants et parents d'orphelins (FAVEC) . - Le projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système des retraites ne comporte pas de dispositions sur les pensions de réversion. Pourtant, en matière de retraite, les femmes sont défavorisées, leur carrière étant souvent incomplète du fait des enfants ou parce qu'elles ont interrompu leur activité professionnelle pour suivre leur mari. De plus, le droit à réversion du régime général est plafonné à 1 634,53 euros - sa revalorisation est fonction du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) - ce qui pénalise les veufs et les veuves qui ne peuvent percevoir la pension de réversion à laquelle ils ou elles ont droit quand leur propre retraite dépasse ce plafond. Bien que leur conjoint ait cotisé, ces veufs et veuves sont condamnés à percevoir des pensions limitées : c'est pourquoi nous en demandons depuis 2004 la suppression.

La situation des conjoints survivants est alarmante du fait de la suppression de la demi-part pour les veuves, des augmentations d'impôt qui font que ceux et celles qui en payaient en payent plus et que celles et ceux qui n'en payaient pas sont désormais imposables. En moyenne, les impôts ont augmenté de 400 euros, ce qui est énorme pour une petite pension, d'autant que la taxe d'habitation a également augmenté, que les veufs et veuves doivent acquitter la redevance télévisuelle, et que des droits accordés par les communes, comme la gratuité des transports, sont remis en question.

Enfin, nous craignons que l'âge de la retraite augmentant, l'âge pour toucher la pension de réversion n'augmente lui-aussi.

Mme Laure-Anne Bardinet, secrétaire générale adjointe . - On ne réalise pas toujours que les veufs ou veuves précoces ayant des enfants à charge ont une vie professionnelle plus pénible que les couples élevant leurs enfants. Pourquoi ne pas reconnaître la pénibilité de leur vie et de leur travail ?

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Ces personnes ne peuvent-elles s'apparenter aux familles monoparentales ?

Mme Laure-Anne Bardinet . - La définition de la famille monoparentale ne nous satisfait pas car sont mis dans cette même catégorie les veufs et veuves, les parents célibataires et les parents séparés. Les mères célibataires vivent les mêmes difficultés pratiques que les veufs et veuves avec enfants, mais la situation est différente lorsque les deux parents sont vivants et titulaires de l'autorité parentale. Il faudrait que la notion de parent isolé ne comprenne que ceux qui le sont réellement. Or, en cas de séparation, chacun des parents peut prétendre être parent isolé. Pourtant, ils sont tous les deux là pour veiller sur leurs enfants... la situation des veufs et des veuves est différente.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Disposez-vous de statistiques précises sur les veufs et veuves précoces (âge, niveau de revenu...) ?

Même lorsque les deux parents sont vivants, il y a beaucoup de cas où l'un des parents est totalement absent et ne verse pas de pension alimentaire. En fait, il est difficile d'identifier les véritables parents isolés. Ce n'est pas parce que les deux parents sont vivants qu'ils participent tous les deux à l'éducation des enfants.

Mme Laure-Anne Bardinet . - Concernant le versement des allocations parents isolés, il y a sans doute quelque chose à faire. Pour les retraites, les parents réellement seuls n'ont pas de droits spécifiques.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Comment identifier les veufs et les veuves précoces ? Quel est le statut des parents non mariés qui se retrouvent seuls du fait du décès de leur compagne ou de leur compagnon ?

Mme Laure-Anne Bardinet . - La définition est simple.

Une mère qui a élevé seule ses enfants est une mère célibataire. Des personnes qui ont vécu en couple et fondé une famille hors mariage et qui se retrouvent seuls ont choisi, dès le départ, d'élever leurs enfants hors du statut du mariage et donc du veuvage. Libre à eux, pendant leur vie commune, de mettre en place les moyens d'éduquer leurs enfants jusqu'au bout. La question se pose au moment où l'on choisit, ou non, d'adopter le statut juridique du mariage, ou alors il faudrait considérer que, mariage ou pas, les droits sont les mêmes, mais si tel était le cas, à quoi bon se marier ?

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Depuis une quarantaine d'années, les choses ont évolué de sorte que la situation matrimoniale des parents aille dans le sens d'une neutralité croissante pour les enfants. On ne peut aller à rebours de cette évolution.

Mme Laure-Anne Bardinet . - Les obligations envers les enfants sont effectivement les mêmes pour les parents naturels ou légitimes. La loi protège tous les enfants, qu'ils soient légitimes ou naturels. Lorsqu'il y a un père et une mère, ces deux personnes sont juridiquement responsables de leurs enfants. Ce n'est pas le cas si un conjoint décède alors que le couple avait adopté un statut juridique censé le protéger. C'est pourquoi nous souhaiterions que ces personnes soient reconnues comme telles, et qu'elles ne soient pas systématiquement assimilées aux familles malheureusement « décomposées ».

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Et qu'en est-il de la notion de parent isolé ? Quid de de la femme seule quand le père a disparu ?

Mme Laure-Anne Bardinet . - Elle est mère célibataire. L'UNAF devrait avoir réfléchi à cette question. Entre les enfants qui ont leurs deux parents vivants, mais séparés, et ceux qui n'ont qu'un parent parce que l'autre est décédé, la situation est très différente.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Vous voudriez donc mettre d'un côté les veufs et veuves et les mères célibataires, qui seraient sous statut identique, et de l'autre les familles séparées dont les deux parents sont vivants ?

Mme Laure-Anne Bardinet . - Tout à fait, car les conséquences sur la vie courante sont fort différentes.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Il ne faut cependant pas oublier le cas des femmes qui ne perçoivent pas la pension alimentaire à laquelle elles ont droit : les pères sont vivants, mais inexistants. Que faire de ces situations très fréquentes ?

Mme Laure-Anne Bardinet . - Les allocations parents isolés offrent peut-être une solution.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Pensez-vous que le montant des pensions doive tenir compte du veuvage précoce ?

Mme Laure-Anne Bardinet . - Ces personnes ont indubitablement des carrières professionnelles perturbées et leur retraite - surtout celle des femmes - est plus faible. Il serait donc logique que leur traitement soit différencié.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Les femmes ont fait le choix de se marier pour « assurer leur sécurité », pour atténuer les conséquences de carrières interrompues et d'un niveau de salaire moindre, la pension de réversion devant intervenir en cas de problème. On est dans l'obligation, en assurant un niveau correct de réversion, de corriger leur situation. Mais n'est-ce pas aussi les conforter dans le fait qu'elles ne sont pas capables de s'assumer en tant qu'acteurs économiques à part entière ?

Mme Laure-Anne Bardinet . - Les gens ne se marient pas pour la pension de réversion...

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - On se marie aussi parce que le mariage va permettre une plus grande sécurité vis-à-vis de la maternité, même si cela est de moins en moins vrai avec le pacte civil de solidarité (PACS).

Mme Laure-Anne Bardinet . - Le PACS n'a pas d'incidence sur la famille.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - C'est aussi une difficulté !

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Quand le titulaire de la pension principale décède avant d'avoir fait valoir ses droits à la retraite, la pension de réversion est-elle versée sous la double condition que le conjoint survivant puisse faire valoir ses droits à la retraite et que le titulaire décédé aurait eu l'âge faire valoir ses droits ?

Mme Christiane Poirier . - Les veuves de moins de 55 ans n'ont pas droit à la pension de réversion, mais à deux ans d'assurance veuvage, assurance qui a failli être supprimée en 2011. En outre, le plafonnement du régime général vient minorer les ressources du conjoint survivant.

M. Roland Courteau . - Du fait de ce plafond, de nombreuses veuves ne perçoivent pas de pension de réversion. Nous avons compris que vous souhaitiez sa suppression, mais si ce plafond venait à être augmenté, quel serait le montant qui aurait votre préférence ?

À quel âge devrait, selon vous, commencer le versement de la pension de réversion ?

Mme Laure-Anne Bardinet . - L'idéal serait de supprimer le plafond de ressources. Le relèvement de son montant est une idée intéressante, mais nous n'avons pas, pour l'heure, de chiffre à vous donner.

Mme Christiane Poirier . - Le seuil de 55 ans pour percevoir la pension de réversion ne doit pas être relevé. C'est vraiment un maximum.

Mme Laure-Anne Bardinet . - Pourquoi ne pas l'abaisser, d'ailleurs ? Quand le veuvage est précoce, après les deux ans d'assurance veuvage, la société ne vient plus en aide à ces personnes avant qu'elles n'aient atteint 55 ans.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - L'article 21 du projet de loi traite des conjoints non-salariés agricoles. Qu'en pensez-vous ?

Mme Christiane Poirier . - Par le passé, nous avons beaucoup travaillé sur la question, mais la Mutualité sociale agricole (MSA) et les syndicats agricoles ont pris le relais depuis quelques années.

Mme Laure-Anne Bardinet . - Pourquoi ne pas prendre en compte la composition de la famille au moment du veuvage pour calculer le montant du plafond applicable à la pension de réversion et l'âge auquel celle-ci commencerait à être versée ?

Autre sujet important : ne serait-il pas temps de prévoir un rééquilibrage entre les régimes ? Aujourd'hui, les inégalités entre eux sont énormes.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Quelle est la différence entre les pensions de réversion des veufs et celles des veuves ?

Mme Christiane Poirier . - Elle s'élève à 32 %.

J'aimerais que vous nous éclairiez sur un point : naguère, huit trimestres étaient accordés à la mère, puis les règles ont changé : qu'en est-il exactement ?

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Quatre trimestres sont accordés à la mère et les quatre autres trimestres sont accordés soit au père, soit à la mère.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Je vous remercie.

Audition du Laboratoire de l'Égalité
Mme Corinne Hirsch et M. François Fatoux,
membres du conseil d'administration

(10 octobre 2013)

Présidence de Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Nous accueillons Mme Corinne Hirsch et M. François Fatoux, membres du conseil d'administration du Laboratoire de l'Égalité, pour nous éclairer sur le projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système des retraites. Notre délégation a été saisie par la commission des Affaires sociales pour aborder ce projet de loi sous l'angle spécifique des retraites des femmes. Mme Laurence Rossignol sera la rapporteure de notre délégation.

Nos auditions ont commencé la semaine dernière avec l'audition des représentants de l'Union nationale des associations familiales (UNAF) et du Conseil d'orientation des retraites (COR). Le Laboratoire de l'Égalité est une association créée en 2010 pour faire avancer l'égalité professionnelle entre hommes et femmes. Son objet est de sensibiliser l'opinion publique et d'interpeller les décideurs publics sur les inégalités de salaires, de conditions de travail, de stéréotypes, de partage des tâches et des responsabilités. Le Laboratoire de l'Égalité comprend des femmes et des hommes également impliqués dans la lutte pour un meilleur partage des responsabilités citoyennes, économiques et familiales entre les hommes et les femmes.

Les inégalités entre hommes et femmes en matière de retraites sont le reflet d'inégalités dont les effets s'accumulent tout au long de la carrière des femmes.

M. François Fatoux, membre du conseil d'administration du laboratoire de l'Égalité . - La question des retraites est compliquée car il existe une grande diversité de régimes de retraite : de base ou complémentaires, régime général, régime de la fonction publique, régime des non-salariés, etc. C'est aussi le cas pour la fonction publique. Tout le monde s'accorde sur le diagnostic : il est nécessaire d'agir en amont en réduisant les écarts de salaires, en revalorisant les métiers occupés majoritairement par des femmes, comme le préconise un rapport récent de Mmes Séverine Lemière et Rachel Silvera pour le Défenseur des droits, ce qui suppose de procéder à des augmentations de salaires des hommes moindres dans d'autres secteurs et en menant une réflexion sur le temps partiel subi, y compris dans la fonction publique, ou sur l'interruption d'activité des femmes pour garder des enfants, mais aussi de plus en plus souvent des ascendants... mais il est difficile d'agir en ce sens dans une période de récession.

Pour parvenir à l'égalité, il faut renforcer les droits propres plutôt que d'améliorer les droits dérivés : à l'image de la pension de réversion, ces mécanismes renforcent souvent la dépendance à l'égard du conjoint. Des femmes restent au foyer faute d'indépendance économique. On rejoint aussi parfois, du fait de cette dépendance, la question des violences conjugales... De même, est-il acceptable que des femmes dépendent de la décision de leur conjoint pour être affiliées et bénéficier du statut de conjoint non-salarié ? C'est le cas pour les artisans ou les professions agricoles, par exemple. L'attribution du statut de conjoint collaborateur dépend de la décision de l'homme. Christine Delphy montre ainsi que certaines politiques publiques maintiennent la dépendance féminine vis-à-vis de leur conjoint. Des avancées ont eu lieu car les aidants pourront être affiliés à l'Assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) sans condition de ressource. La difficulté réside dans la distinction entre périodes cotisées et périodes assimilées et dans le nombre de périodes assimilées à des périodes travaillées.

En outre, les salariés méconnaissent souvent leurs droits, comme les entreprises d'ailleurs. Ainsi, la disposition de la loi du 9 novembre 2010 sur les retraites qui donne la possibilité aux entreprises d'affilier les salariés en congé, avec prise en charge de la part salariale des cotisations par l'employeur, reste méconnue. Il serait souhaitable que les partenaires sociaux fassent oeuvre de pédagogie et soient davantage sensibilisés à la question de l'égalité entre sexes.

Les pouvoirs publics ont engagé une réflexion d'ensemble sur les droits familiaux. Dans le contexte budgétaire actuel, il n'est pas possible d'améliorer la situation des femmes sans réforme de ces droits. En effet, ce sont surtout les hommes qui profitent des dispositifs existant. C'est par exemple le cas pour la majoration de 10 % pour le troisième enfant : les hommes ne s'arrêtent pas de travailler au troisième enfant, alors que le taux d'activité des femmes chute fortement à ce moment. De même, les femmes sont les plus concernées par le temps partiel. Une piste serait de soumettre à l'impôt les majorations de retraites pour familles nombreuses, qui bénéficient davantage aux hommes.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Cette mesure devrait figurer dans le projet de loi de finances.

M. François Fatoux . - L'exonération permet aux cadres supérieurs de bénéficier de fortes majorations de pension car elle est proportionnelle au salaire et un cadre peut cotiser jusqu'à huit fois le plafond de la sécurité sociale. Dans la fonction publique, la majoration est de 10 % pour trois enfants, et 5 % par enfant au-delà du troisième. La fiscalisation de ces majorations rapporterait 2,5 milliards. Sans doute conviendrait-il de plafonner ces avantages et de réaffecter les gains à l'acquisition de droits propres.

Le gouvernement s'est engagé à supprimer la condition de ressources pour l'affiliation au régime vieillesse des parents au foyer. C'est une avancée : les personnes qui interrompent leur activité professionnelle pour s'occuper de personnes handicapées sont très majoritairement des femmes. En outre, la fonction d'aidant est très pénible. Parmi les femmes qui assistent une personne dépendante au quotidien peu bénéficient du statut d'aidant. Celui-ci permet de bénéficier d'une majoration de retraite d'un trimestre tous les 30 mois. Mais, après s'être sacrifiée pendant 20 ans pour prendre soin d'une personne handicapée, le gain de deux ans n'est-il pas dérisoire ?

Mme Corinne Hirsch, membre du conseil d'administration du laboratoire de l'Égalité . - L'information en matière de retraite est un enjeu crucial pour les femmes. Un couple sur deux divorce. Les femmes doivent en avoir conscience, au moment de solliciter un congé parental ou un temps partiel, des conséquences de cette décision sur le niveau de leur retraite à venir. Les entreprises devraient les informer systématiquement des conséquences sur leur retraite.

M. François Fatoux . -Depuis la loi de 2010, l'information est obligatoire après 50 ans. Généralisons-la.

Mme Corinne Hirsch . - De même, il serait souhaitable de respecter la parité au conseil d'administration du Comité d'orientation des retraites (COR).

M. François Fatoux . - Sur trente-cinq membres, dix seulement sont des femmes.

Mme Corinne Hirsch . - Et ce chiffre était moindre il y a quelques années. Notre campagne a porté ses fruits.

Le projet de loi prend en compte la pénibilité dans le calcul des retraites. Il faut mettre l'accent sur la pénibilité des métiers occupés majoritairement par des femmes. Dans les secteurs de l'aide à la personne, les femmes qui soulèvent plusieurs fois par jour des personnes âgées n'exercent-elles pas un métier pénible ?

M. François Fatoux . - Les partenaires sociaux ne sont pas très sensibles au sujet. Les entreprises doivent mettre en place des plans d'action pour l'égalité homme-femme. Mais les inspecteurs du travail constatent que la question des conditions de travail n'est pas souvent traitée, ni celle de la pénibilité spécifique du travail des femmes.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - La pénibilité des métiers féminins constitue un vaste sujet, même si l'exemple que vous évoquez, concernant la manipulation des corps des personnes âgées, relève plutôt de la pénibilité des tâches en milieu hospitalier plus que de l'aide à domicile.

M. François Fatoux . - Il faut aussi prendre en considération les horaires atypiques.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Nous réfléchissons à intégrer dans la prise en compte de la pénibilité le temps partiel subi, dû à l'organisation de l'entreprise, avec des plages de travail morcelées et une amplitude horaire importante par rapport au temps de travail effectif.

M. François Fatoux . - Pourquoi ne pas instaurer une taxe sur ce travail à temps partiel subi lorsqu'il s'exerce hors des horaires de travail habituels, comme par exemple les missions réalisées entre 6 heures et 8 heures du matin dans les entreprises de nettoyage ?

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Le registre de situations comparées définit-il des critères de pénibilité ?

M. François Fatoux . - Des dispositions concernent les conditions de travail. Tout dépend de la volonté des partenaires sociaux d'utiliser les instruments mis à leur disposition et de creuser les sujets. Les accords d'entreprise portent surtout sur les salaires ou la thématique du « plafond de verre », mais peu sur les conditions de travail ou la définition de critères de pénibilité, sujets encore insuffisamment abordés sous l'angle des activités féminines. Il n'y a pas encore, du côté syndical, de véritable intérêt pour ces questions, ce qui peut s'expliquer par une moindre syndicalisation dans les métiers spécifiquement féminins.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Dans un de nos rapports, nous avions étudié l'invisibilité de la pénibilité du travail féminin, les risques psycho-sociaux, les accidents du travail ou de trajet des femmes qui augmentent à cause de la multiplication des plages de travail et des lieux de travail dans une journée.

M. François Fatoux . - Les statistiques de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) sont réalisées par branches et ne font pas de différences en fonction des sexes.

Mme Corinne Hirsch . - Les critères existants sont très flous et ne permettent pas de saisir la pénibilité du travail des femmes.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Comment définir par exemple une « charge lourde » ?

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Les critères sont liés à l'existence de pathologies, comme le mal de dos par exemple.

M. François Fatoux . - Souvent les symptômes se cumulent : troubles musculo-squelettiques (TMS), mal de dos, etc. Mais le nombre de maladies professionnelles déclarées est très inférieur à la réalité, dans notre pays.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Les institutrices en maternelle se plaignent d'être épuisées car elles portent toute la journée des enfants. Qui songerait pourtant à classer ce métier parmi les professions pénibles ? La pénibilité des métiers féminins est invisible, ignorée par la médecine du travail.

M. François Fatoux . - Il en va de même des infirmières confrontées à la tension ou à la souffrance des patients. Ces difficultés des professions du « care » ne sont pas reconnues par la société, comme l'a montré Mme Rachel Silvera.

Mme Corinne Hirsch . - Il faut rendre visible l'invisible : la pénibilité des métiers occupés principalement par des femmes. Si vous y ajoutez le temps partiel, c'est la double peine ! Il faut agir sur les représentations. Si la société est plus sensible à la question des travaux de force, c'est parce que la capacité à manier des charges lourdes - par exemple dans les métiers du bâtiment - est une composante de l'identité masculine.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - La définition des critères de pénibilité relève d'un décret. Des députés souhaitent réintégrer cette définition dans la partie législative du code du travail, par amendement au projet de loi sur les retraites, actuellement en discussion à l'Assemblée nationale. Espérons qu'ils réussiront. Ensuite il faudra examiner la liste des critères sous l'angle du genre.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Nos travaux peuvent influencer le gouvernement et nos collègues députés.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Vous avez raison : il faut rendre visible l'invisible !

M. François Fatoux . - Il faudrait profiter des débats en cours pour poser la question de la pénibilité dans la sphère domestique : liée à la garde d'enfants handicapés ou à l'assistance à des personnes âgées, c'est un sujet tabou qui mérite d'être soulevé. La moyenne d'âge des aidants serait passée de 50 à 40 ans. Les femmes sont prises en tenaille ; à peine leurs enfants sont-ils devenus autonomes qu'elles doivent s'occuper de leurs parents ! Surtout que dans certains cas, aider un parent dépendant va se traduire par une interruption d'activité. Or, une majoration de retraite d'un trimestre pour trente mois est-elle une compensation adaptée ? La prise en charge de la dépendance va contribuer à dégrader encore la retraite des femmes qui assistent un parent handicapé ou âgé. L'AVPF ne résout que partiellement le sujet...

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Le projet de loi supprime la condition de ressource des aidants pour prétendre à l'affiliation à l'AVPF.

M. François Fatoux . - L'AVPF concerne uniquement la retraite de base. Mais on pourrait aussi sensibiliser les entreprises et poser la question des régimes complémentaires. L'article 100 de la loi du 9 novembre 2010 considère que la prise en charge, par une entreprise, de la part salariale de cotisation à un régime de retraite complémentaire d'un salarié en congé n'est pas considérée comme un salaire. Mais cet avantage est limité à une durée de six mois. Abrogeons ce plafond ! Autrement, être aidant devient un sacrifice. En outre, les systèmes collectifs d'accueil des enfants handicapés ou des personnes âgées ne sont pas suffisants.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Quelle est la proportion des femmes qui ont dû cesser leur activité professionnelle pour s'occuper d'une personne dépendante, par exemple entre 45 et 55 ans ? La plupart du temps, elles font plutôt trois journées en une, en conciliant activité professionnelle, tâches domestiques et soin des personnes dépendantes.

M. François Fatoux . - La proportion est difficile à estimer. Les femmes, après avoir élevé leurs enfants, ont très vite à s'occuper de leurs ascendants. Leur retour sur le marché du travail est donc encore plus compliqué.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - En moyenne, l'écart entre l'arrivée à l'âge adulte d'un enfant et la prise en charge des parents dépendants s'élève à dix ans.

M. François Fatoux . - De plus, l'évolution de carrière est ralentie.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Droits propres ou droits familiaux, tel est bien le sujet ! Avez-vous d'autres remarques à formuler sur le sujet qui nous réunit ?

Mme Corinne Hirsch . - Il est nécessaire d'étendre aux couples pacsés le bénéfice du régime de la pension de réversion.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Quel en serait le coût ?

Mme Corinne Hirsch. - Élevé ...

M. François Fatoux . - Avec l'adoption du mariage pour tous, il faudra revoir la réglementation car certains privilégieront le mariage plutôt que le PACS.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Sans doute pas. La majorité des personnes pacsées sont hétérosexuelles.

M. François Fatoux . - Pour trouver des ressources, interrogeons-nous sur certaines politiques publiques qui ont pour effet de maintenir des inégalités. C'est le cas du quotient conjugal qui coûte 5 à 10 milliards et incite les femmes à cesser leur activité, et sur lequel le Laboratoire de l'Égalité souhaite qu'il y ait un questionnement. Un tel gain pourrait être affecté au rééquilibrage des retraites des femmes et des hommes.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Le supprimer faciliterait la mise en place de l'impôt à la source, mais ce n'est pas évident de mettre en oeuvre une réforme aussi vaste !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Il faudrait une réforme fiscale de grande ampleur.

M. François Fatoux . - N'attendons pas le grand soir fiscal qui n'arrivera jamais, et avançons ! Les avantages du quotient conjugal peuvent s'élever à 38 000 euros, quand le conjoint ne travaille pas ! Or, l'avantage du quotient familial est plafonné à 2 000 euros

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Je vous remercie.

Annexe 3 - Programme des auditions menées par Mme Laurence Rossignol, rapporteure

Organisme

Personnes auditionnées

Date

Institut national d'études démographiques (INED)

Mme Carole Bonnet, chercheur

Mercredi 9 octobre 2013

Défenseur des droits

M. Jamel Oubéchou, directeur du département « promotion des droits et de l'égalité »

Mme Sarah Bénichou, chargée de mission égalité femmes-hommes

Jeudi 10 octobre 2013

Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA)

M. Christophe Simon

Contribution écrite

Fédération nationale des Associations de conjoints de travailleurs indépendants (Fédération nationale ACTIF)

Mme Annie Deudé, présidente

Union nationale des conjoints de professionnels libéraux (UNACOPL)

Mme Régine Noulin, présidente

Université de Lorraine

M. Nicolas Castel, sociologue, maître de conférences

Mme Laurence Rossignol a en outre participé, à l'invitation de la commission des affaires sociales, à l'audition de Mme Marisol Touraine , ministre des affaires sociales et de la santé, le mercredi 16 octobre 2013 à 17 heures.


* 1 Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES), Les retraités et les retraites , avril 2013.

* 2 OCDE, Inégalités hommes-femmes : il est temps d'agir , 2012.

* 3 Carole Bonnet et Jean-Michel Hourriez, Les inégalités entre hommes et femmes au moment de la retraite en France, Regards sur la parité, édition 2012.

* 4 Carole Bonnet et Jean-Michel Hourriez, Égalité entre hommes et femmes à la retraite : quels rôles pour les droits familiaux et conjugaux ? , Population-F, 67 (1), 2012, 133-158.

* 5 Christiane Marty, Femmes et retraites : saison 2013 , Fondation Copernic.

* 6 Carole Bonnet, Sophie Buffeteau et Pascal Godefroy « Disparités de retraite entre hommes et femmes : quelles évolutions au fil des générations ? » , Économie et statistique, n° 398-399, 2006.

* 7 Étude DREES précitée.

* 8 Christiane Marty, Allonger la durée de cotisation serait discriminatoire envers les femmes et les jeunes , Le Monde , 12 mai 2010.

* 9 Christiane Marty, Le Monde, op.cit.

* 10 Carole Bonnet, Jean-Michel Hourriez, « Égalité entre hommes et femmes à la retraite : quels rôles pour les droits familiaux et conjugaux ? » , Population-femmes, 67 (1), 2012, op. cit.

* 11 Carole Bonnet, Jean-Michel Hourriez, « Les inégalités entre hommes et femmes au moment de la retraite en France » , Regards sur la parité, édition 2012, op. cit.

* 12 Carole Bonnet, Jean-Michel Hourriez, « Les inégalités entre hommes et femmes au moment de la retraite en France » , Regards sur la parité, édition 2012, op. cit.

* 13 Proposition de Carole Bonnet et Jean-Michel Hourriez dans « Égalité entre hommes et femmes à la retraite : quels rôles pour les droits familiaux et conjugaux » , op cit.

* 14 Cette hypothèse a été défendue par l'UNAF le 3 octobre 2013 sur la base d'un montant de 122 € par parent, soit 244 € pour un couple.

* 15 Formule évoquée par Carole Bonnet et Jean-Michel Hourriez dans « Égalité entre hommes et femmes à la retraite : quels rôles pour les droits familiaux et conjugaux » , op cit.

* 16 Cette formule a été évoquée par le COR lors de son audition par la délégation le 3 octobre 2013.

* 17 Thierry Pech, « Les femmes, chevilles ouvrières de la famille » , Femmes-hommes, l'égalité en action , Alternatives économiques, septembre 2013.

* 18 Thierry Pech, « Les femmes, cheville ouvrière de la famille » , op. cit .

* 19 Carole Bonnet, Emmanuelle Cambois, Chantal Cases, Joëlle Gaymu, Population et société , n° 483, novembre 2011.

* 20 Thierry Pech, « Les femmes, chevilles ouvrières de la famille » , op. cit .

* 21 Delphine Roy, « Le travail domestique : 60 milliards d'heures en 2010 » , INSEE, n° 1423, novembre 2012.

* 22 Alice Mainguené, « Les femmes commencent à tirer profit de leur réussite scolaire », INSEE.

* 23 Rachel Silvera, « La course de sauts d'obstacles des femmes » , Femmes-hommes, l'égalité en action, Alternatives économiques, hors-série.

* 24 Alice Mainguené, « Les femmes commencent à tirer profit de leur réussite scolaire » , op. cit .

* 25 Françoise Milewski, « La précarité au féminin », Femmes-hommes, l'égalité en action, Alternatives économiques, hors-série.

* 26 Sophie Ponthieux et Dominique Meurs, « Les écarts de salaire ne bougent pas », Femmes-hommes, l'égalité en action, Alternatives économiques, hors-série.

* 27 Thomas Morin et Nathan Remila, « Le revenu salarial des femmes reste inférieur à celui des hommes », INSEE.

* 28 Thomas Morin et Nathan Remila, « Le revenu salarial des femmes reste inférieur à celui des hommes » , INSEE.

* 29 Rachel Silvera, « La course de saut d'obstacle des femmes », op. cit .

* 30 Dominique Meurs, Ariane Pailhé et Sophie Ponthieux, « Enfants, interruptions d'activité des femmes et écarts de salaire entre les sexes » , La revue de l'OFCE, n° 114, juillet 2010.

* 31 Rachel Silvera, op. cit.

* 32 Rachel Silvera, op. cit.

* 33 Chiffres issus du Guide pour une évaluation discriminante des emplois à prédominance féminine publié en 2012 par le Défenseur des droits.

* 34 Naïri Nahapétian, « La lente progression de la mixité dans les métiers » , Femmes-hommes, l'égalité en action.

* 35 Séverine Lemière, Rachel Silvera et Marie Becker, Guide pour une évaluation non discriminante des emplois à prédominance féminine, Défenseur des droits, op. cit.

* 36 Séverine Lemière, « Il faut déconstruire la hiérarchie des métiers » , Femmes-hommes, l'égalité en action, Alternatives économiques, septembre 2013.

* 37 Séverine Lemière, « Il faut déconstruire la hiérarchie des métiers » , op. cit.

* 38 Séverine Lemière, « Il faut déconstruire la hiérarchie des métiers » , op. cit.

* 39 Cass. Soc. 6 novembre 1990, n° 89-86-526.

* 40 Cass. Soc. 12 février 1987, n° 95-41-694.

* 41 Cass. Soc. 6 juillet 2010, n° 09-40-021.

* 42 Femmes et travail : agir pour un nouvel âge de l'émancipation , Rapport d'activité 2012 de Brigitte Gonthier-Maurin, sénatrice, fait au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (n° 279, 2012-2013), 23 janvier 2013.

* 43 Ainsi que du chômage.

* 44 Artisans et commerçants, exploitants agricoles, professions libérales.

* 45 Majoration d'un trimestre par période de trente mois de prise en charge à temps complet et dans la limite de huit trimestres.

* 46 « Sécurisation de l'emploi : sécuriser aussi l'emploi des femmes », rapport d'information de Catherine Génisson, sénatrice, fait au nom de la délégation aux droits des femmes, sur les dispositions du projet de loi relatif à la sécurisation de l'emploi (n° 490, 2012-2013), 10 avril 2013.

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