C. L'ORIENT À LA CONQUÊTE DU CONTINENT NOIR

Que les nouvelles puissances économiques mondiales aient des stratégies à l'échelle planétaire n'étonne pas, qu'elles cherchent à s'implanter sur un contient grand pourvoyeur de matières premières et marché de consommation en pleine croissance non plus. Ce qui est plus étonnant, c'est de voir à la périphérie du continent, au Nord avec le Maroc, en Orient avec la Turquie et les pays du Golfe, en Extrême-Orient Orient avec la Corée du Sud et le Japon, des puissances intermédiaires ou très éloignées développer des stratégies volontaristes de pénétration des marchés africains et d'influence culturelle, notamment à travers le facteur religieux.

1. Le Maroc prend le sud.

Il faut avoir participé au 6 e Sommet Africités, qui s'est tenu à Dakar, du 4 au 8 décembre 2012, sur le thème « Construire l'Afrique à partir de ses territoires : quels défis pour les collectivités locales ? », aux côtés de près de 5000 personnes issues d'une cinquantaine de pays, dont la moitié d'élus, pour mesurer l'ambition marocaine en Afrique. Les Marocains, qui ont largement financé l'événement, avaient là le plus grand stand de tous les pays, affirmant ainsi la disponibilité des pouvoirs publics et des collectivités marocaines à mettre sur pied des coopérations dans tous les domaines.

Alors que le Maroc a été l'un des pionniers de l'unité africaine, accueillant dès janvier 1961 la conférence de Casablanca, qui accoucha d'une charte revendiquant l'objectif de « faire triompher la liberté dans toute l'Afrique et de réaliser son unité », il a cessé d'en être membre, le 12 novembre 1984, au 20 e sommet de l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA) pour protester contre la présence du président de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), Mohamed Abdelaziz.

Un demi-siècle après la création de l'OUA et un peu moins de trente ans après s'en être retiré, le Maroc n'a pourtant jamais été aussi présent au sud du Sahara.

Tout en entretenant des relations personnelles excellentes avec nombre de chefs d'État (Félix Houphouët-Boigny, Mobutu, Omar Bongo Ondimba), Hassan II n'avait pas véritablement fait de l'Afrique une priorité diplomatique. Par contraste, son fils et successeur Mohammed VI a, depuis le début de son règne, surtout voyagé au sud du Sahara.

À l'occasion de grandes tournées ou de visites d'État, il s'est rendu dans de nombreux pays d'Afrique centrale et d'Afrique de l'Ouest : Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Congo, Côte d'Ivoire, Gabon, Guinée équatoriale, Niger, République Démocratique du Congo, Sénégal. Avec ces pays, le Maroc partage une proximité liée à l'Histoire et à la langue française et, pour les nombreux musulmans d'Afrique, à la religion, mais aussi des intérêts économiques qu'illustre la vitalité des entreprises marocaines qui s'y implantent.

Plusieurs pays africains bénéficient aussi d'une assistance financière destinée à la réalisation de microprojets à caractère économique et social dans des secteurs vitaux comme l'éducation, la santé et la petite hydraulique rurale (forage de puits et adductions d'eau).

En effet, le Maroc fonde sa politique africaine sur une diplomatie d'influence dont l'un des principaux outils est l'Agence marocaine de Coopération Internationale (AMCI). Son fonctionnement est comparable à celui de l'Agence française de Développement (AFD) mais ses moyens sont beaucoup plus limités. L'AMCI est un projet ambitieux quand on sait que le Maroc est lui-même demandeur d'aides internationales. L'AMCI est chargée de « développer » et de « renforcer » la coopération avec les pays amis du Maroc, les principaux bénéficiaires de ces programmes de coopération étant le Sénégal, la Guinée, le Niger, la République Démocratique du Congo, mais également les Comores.

L'Afrique subsaharienne a toujours été perçue comme un outil de « désenclavement » stratégique pour le Royaume du Maroc, pris en étau entre l'Espagne et l'Algérie, avec lesquelles il entretient des relations diplomatiques complexes.

De fait, le Maroc assouvit son désir de puissance au sud du Sahara grâce à la mise en place d'un soft power qui se base sur des programmes globaux de coopération à long terme et la mise en place de partenariat plus stratégique, à l'instar du Sénégal.

La présence de la religion musulmane en Afrique subsaharienne permet la mise en place d'un « Axe privilégié » entre le Maroc et le Mali, mais surtout entre le Maroc et le Sénégal. La politique marocaine à l'égard du Sénégal est basée sur l'utilisation de symboles culturels et religieux qui connotent la grandeur du Royaume dans l'histoire des deux pays, comme en atteste la ville de Saint-Louis au Sénégal, ancienne limite du « Grand Maroc ».

L'importance de la confrérie Tidjanyia au Sénégal, originaire du Maroc, est ainsi l'un des points d'ancrage de la relation privilégiée entre ces deux Etats et assure la stabilité de ce lien diplomatique. Le Ministre des Affaires islamiques marocain suit d'ailleurs directement le Ministre des Affaires étrangères sur le plan protocolaire : c'est dire l'importance de la religion musulmane dans la diplomatie marocaine, notamment en direction des pays africains.

Au-delà du religieux, Rabat a mis en place une politique de coopération en matière d'éducation afin d'étendre son influence en Afrique. Ainsi, depuis les années 1970, il existe des programmes d'échanges estudiantins permettant à de jeunes Africains de bénéficier de l'enseignement supérieur marocain.

Cette politique a particulièrement été relancée durant la dernière décennie, les étudiants étrangers au Maroc étant cinq fois plus nombreux durant l'année 2007-2008 que ceux recensés durant l'année 1994-1995.

Près de la moitié de ces étudiants sont originaires des huit pays francophones d'Afrique de l'Ouest : on voit donc l'importance du français dans les relations diplomatiques africaines. Ces échanges sont gérés par le Ministère des Affaires étrangères marocain et chaque étudiant sélectionné se voit attribuer une bourse de 750 dirhams afin de poursuivre ses études dans le Royaume. Une fois leurs études achevées, ces étudiants deviennent des employés et partenaires idéals pour les entreprises marocaines investissant sur le continent. Cette politique de coopération universitaire est un moyen de rayonnement économique et culturel en Afrique pour Rabat.

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