N° 108

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 30 octobre 2013

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur la rive Sud de la Méditerranée , une zone de prospérité à construire ,

Par Mme Josette DURRIEU et M. Christian CAMBON, Co-présidents ; MM. Bertrand AUBAN, Michel BOUTANT, Mmes Michelle DEMESSINE, Joëlle GARRIAUD-MAYLAM, Nathalie GOULET, MM. Alain NÉRI, Jean-Claude PEYRONNET, ROBERT del PICCHIA, Jean-Claude REQUIER, André TRILLARD,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Louis Carrère , président ; MM. Christian Cambon, Jean-Pierre Chevènement, Robert del Picchia, Mme Josette Durrieu, MM. Jacques Gautier, Robert Hue, Jean-Claude Peyronnet, Xavier Pintat, Yves Pozzo di Borgo, Daniel Reiner , vice-présidents ; Mmes Leila Aïchi, Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Gilbert Roger, André Trillard , secrétaires ; M. Pierre André, Mme Kalliopi Ango Ela, MM. Bertrand Auban, Jean-Michel Baylet, René Beaumont, Pierre Bernard-Reymond, Jacques Berthou, Jean Besson, Michel Billout, Jean-Marie Bockel, Michel Boutant, Jean-Pierre Cantegrit, Luc Carvounas, Pierre Charon, Marcel-Pierre Cléach, Raymond Couderc, Jean-Pierre Demerliat, Mme Michelle Demessine, MM. André Dulait, Hubert Falco, Jean-Paul Fournier, Pierre Frogier, Jacques Gillot, Mme Nathalie Goulet, MM. Alain Gournac, Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Gérard Larcher, Robert Laufoaulu, Jeanny Lorgeoux, Rachel Mazuir, Christian Namy, Alain Néri, Jean-Marc Pastor, Philippe Paul, Bernard Piras, Christian Poncelet, Roland Povinelli, Jean-Pierre Raffarin, Jean-Claude Requier, Richard Tuheiava, André Vallini .

INTRODUCTION

Les pays de la rive sud de la Méditerranée...

Pays arabes et musulmans

« La Méditerranée est au coeur de toutes les grandes problématiques de ce début de siècle. Développement, migrations, paix, dialogue des civilisations, accès à l'eau et à l'énergie, environnement, changement climatique : c'est au sud de l'Europe que notre avenir se joue ».

Bernard Kouchner
Ministre des affaires étrangères - 2008

Et c'est dans un de ces pays arabes et musulmans de la rive sud de la Méditerranée, en Tunisie, que le 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid un jeune marchand ambulant de fruits et légumes, Mohamed Bouazizi, s'immole par le feu. On venait de lui saisir ses outils de travail, une charrette et une balance. Il conteste, est expulsé et giflé en public...

Voilà comment commence en Tunisie une révolution qui provoque la chute du régime du Président Ben Ali... et une vague de protestations sans précédent dans les pays arabes de la rive sud de la Méditerranée.

Face à ces régimes autoritaires qui ne respectaient ni la démocratie ni les Droits de l'Homme, qui accaparaient les richesses du pays et généralisaient la corruption et l'économie de « rente », une population jeune et sans emploi va engager sans peur et avec détermination des mouvements de protestation en réclamant du pain, la liberté et la justice sociale.

Cependant, si les causes sont communes, les suites ont rapidement différencié les situations et les pays.

On peut distinguer les révolutions avec changement de régime : Tunisie, Egypte, Libye ; les pays qui ont fait des réformes politiques sans changement de régime : Maroc, Mauritanie, Jordanie et même Algérie. Quant à la Syrie, elle est toujours engagée dans une guerre dramatique et sans issue pour l'instant.

Plus loin, les pays du Golfe, qui n'ont pas changé de régime et n'ont pas fait de réformes politiques ont au contraire réprimé violemment les manifestations comme au Bahrein...

Trois ans après, ces pays de la rive sud de la Méditerranée sont à la croisée des chemins.

Ils entrent dans la troisième phase de leur révolution...

La première correspondait aux renversements des régimes dictatoriaux. La seconde phase était marquée par le succès des islamistes aux élections, alors qu'ils n'étaient pas les initiateurs de la révolte : les Frères musulmans en Egypte, Ennadha en Tunisie notamment.

Ils ont pris le pouvoir en étant majoritaires en Egypte ou force principale dans une coalition en Tunisie et au Maroc.

Qu'ont-ils fait de leur victoire ?

Ils n'ont pas répondu aux attentes de la population, ni amélioré le sort du peuple. Et le peuple a mesuré l'inexpérience et l'incapacité des islamistes à traiter des questions sociales et économiques.

Derrière la « modération », très vite, le peuple a également perçu le réel projet final de « l'Islam politique » et la volonté qu'était la sienne d'annexer tous les rouages du pouvoir. Mais l'Islam n'est pas un projet de gouvernement ! Les mouvements de protestation qui s'en suivirent, comme en juillet 2013 en Egypte, vont entraîner le renversement par l'armée et avec le soutien populaire du président élu. Une violente répression s'engage et se poursuit. L'expérience des Frères Musulmans en Egypte a donc été un échec. Or ils représentaient le « projet islamiste arabo-musulman » de toute la région... En Tunisie, c'est le blocage institutionnel qui crée une situation chaotique de crise politique sur fond de montée du terrorisme ; l'assassinat de deux opposants politiques laïcs scelle la radicalisation des deux camps.

Nous sommes dans la troisième phase... mais les révolutions arabes ne font que commencer. Les économies se sont effondrées et les défis sont immenses.

« Les printemps arabes, qui avaient suscité de grands espoirs, soulèvent désormais de légitimes inquiétudes »

François Hollande
Présentation du Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale
24 mai 2013

La confusion est grande. Cependant, si le djihadisme a probablement reculé, les islamistes n'ont pas pour autant disparu...

Et face à ces islamistes qui avaient pris le pouvoir par les urnes, comme en Égypte, c'est l'armée qui est intervenue pour rétablir l'ordre par la force, au prix d'un coup d'état qui ne dit pas son nom et de nombreux morts. L'armée aussi vient, peut-être, de perdre une chance. Elle devrait opérer un repli et revenir au dialogue démocratique. La demande est forte.

Le moment viendra de redéfinir l'élaboration de la « transition politique ».

Dans tous ces pays, le peuple courageux y aspire ! Cette expression populaire révèle une force nouvelle...

« L'apprentissage de la démocratie est un long processus ». Mais il semble avéré que les « dirigeants installés », issus des urnes ou de l'armée, seront désormais jugés sur leurs résultats économiques et sociaux.

Mais il est évident qu'un point de non-retour est atteint . Et les conséquences de la situation nouvelle pour ces états, ces régions mais aussi pour les relations avec la France et l'Union Européenne sont grandes. La stabilité et la croissance de ces pays de la rive sud de la Méditerranée, et notamment du Maghreb, constituent des enjeux majeurs.

L'analyse de la situation suppose la compréhension des problèmes.

Écoute et dialogue sont nécessaires avec toutes les composantes de la société afin de mieux percer jusqu'aux courants sous-jacents qui travaillent en profondeur et débouchent sur les « accidents de l'histoire » et ces éruptions soudaines qui bouleversent des État et dont l'onde de choc se poursuit.

Comment anticiper et limiter les effets de surprise ? (« surprises stratégiques », « surprises électorales »). Mais aussi les ruptures dans le processus démocratique de cette phase de transition.

Il faut se garder de conclusions hâtives. Les événements immédiats qui touchent les États arabes de la rive sud de la Méditerranée et notamment du Maghreb s'inscrivent sûrement dans un « temps long ».

Pour mieux les accompagner, il faudra savoir apprécier les situations de chaque État avec attention. Les processus chaotiques sont communs à toutes les révolutions. C'est dans la durée et non dans l'urgence que ces transitions peuvent aboutir. L'objectif souhaité est l'installation de régimes démocratiques et de sociétés plus stables et plus justes.

Ainsi que l'ont montré les situations précédentes, en Espagne, au Portugal et en Grèce dans les années 1980, ainsi qu'en Europe de l'Est, après la chute du mur de Berlin, dans les années 1990.

Des incertitudes fortes demeurent pour ces pays de la rive sud de la Méditerranée et tiennent essentiellement à trois facteurs :

• D'abord la place de l'Islam dans les systèmes sociaux-démocratiques futurs, mais aussi la rivalité entre les modèles qui s'ébauchent.

• L'inspiration réelle du modèle européen et des droits universels qu'il a su transmettre, mais aussi la relative faiblesse politique de l'Europe aujourd'hui.

• Les tensions culturelles, économiques et sociales entre identité et insertion dans la mondialisation.

Avec respect, pour les droits de chacun des États et des peuples, la vigilance s'impose. Il faut suivre les évolutions constitutionnelles et politiques et se préoccuper des questions sécuritaires concernant notamment les organisations islamistes radicales voire terroristes.

Mais dans cette région, maintenant, il est essentiel d'affirmer, parce que c'est un enjeu majeur, la place de la Méditerranée pour chacun des pays des deux rives. Cependant face à la diversité de cet espace, il existe « des Méditerranées », la notion de proximité va s'imposer naturellement.

Ainsi pour la France et pour l'Europe, la partie occidentale de la Méditerranée s'affirme déjà dans l'organisation des « 5+5 » : France, Portugal, Espagne, Italie, Malte pour la rive nord ; Mauritanie, Maroc, Algérie, Tunisie, Lybie pour la rive sud. Ces dix Etats, composantes géographiques de cet ensemble régional, sont immédiatement concernés par la stabilité et le développement de la rive sud de la Méditerranée. Cette intégration doit se construire sur des projets forts et d'avenir. Au demeurant, dans ce même ensemble le « décloisonnement » et « l'intégration Sud-Sud » sont une condition nécessaire pour la réussite de l'intégration régionale . À l'évidence, l'unité du Maghreb est une condition première.

Considérons que l'avenir se joue au Sud ! « L'Europe regarde l'Asie... mais Paris est à 2 heures de l'Afrique » (Philippe Mabile).

L'Afrique sera, dit-on, le grand continent du XXI e siècle . Et à la proue de l'Afrique le Maghreb occupe une position stratégique qui pourrait faire de cet ensemble un « dragon » tant ses atouts sont forts.

Europe et Méditerranée, une grande région d'influence mondiale.

C'est là que se jouera l'ultime phase de la transition de ces révolutions arabes qualifiées prématurément de « printemps ».

Encore faut-il que l'Europe et la France acceptent de revisiter leur politique et qu'ils deviennent les acteurs de ces transformations.

À la suite de dix-huit auditions et de quatre déplacements en Algérie, en Tunisie et au Maroc ainsi qu'à Bruxelles auprès des instances de l'Union européenne, le groupe de travail est en mesure de faire part de ses observations et de présenter quelques pistes de réflexions en ce sens.

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