IV. LES RISQUES DE SOCIÉTÉS EN ÉVOLUTION

À regarder de près leur fonctionnement, les sociétés maghrébines partagent des traits culturels communs. Ce sont des sociétés musulmanes dans lesquelles la religion a pris du poids comme valeur identitaire, à côté d'un nationalisme fort mais peut-être plus artificiellement entretenu, qui sont de plus en plus ouvertes aux influences extérieures de la mondialisation et donc soumises à des tensions fortes.

A. DES FRUSTRATIONS ÉCONOMIQUES ET SOCIALES

Le chômage et les emplois précaires, notamment ceux des jeunes , et plus encore lorsque ceux-ci ont suivi des études, s'ils sont un élément de la désespérance et de la marginalisation de la jeunesse, viennent se greffer sur d'autres éléments. Au-delà de revendications purement sociales, les revendications multiformes, qui touchent aussi à l'accaparement des richesses et du pouvoir, révèlent un besoin de reconnaissance et de dignité (et s'apparentent à maints égards au mouvement des « indignés » en Occident ou à celui que viennent de connaître la Turquie et le Brésil dont les économies ne sont pas en crise).

À ces revendications, l'offre politique au sein du monde arabe apporte une réponse souvent insuffisante , en raison de modèles à parti unique (modèle unitaire issu de la décolonisation) ou à parti dominant, les autres formations n'étant admises au gouvernement que comme forces d'appoint, mais sans pouvoir agir réellement sur les décisions, jamais comme une capacité d'alternance.

L'absence de clivage politique fort dans l'offre de représentation ne structure pas le débat politique. Elle a longtemps rejeté l'opposition hors du champ politique, dans l'action associative, religieuse ou caritative comme seul moyen d'expression acceptable ou dans l'exil ou dans les geôles. Il y a donc une véritable crise de la représentation politique et même une absence de culture de la démocratie représentative qui explique les difficultés de ces sociétés à en utiliser raisonnablement les mécanismes : les derniers développements de la situation politique en Égypte en témoignent avec un rejet du gouvernement des Frères musulmans issu des urnes en raison de son incapacité à dialoguer avec les différentes composantes du peuple et en même temps une véritable difficulté à proposer une alternative démocratique et à sortir de la culture protestataire pour entrer dans l'action politique, autrement qu'en s'appuyant sur l'Armée ou en lui délégant largement le pouvoir.

Il faut observer que ces sociétés connaissent des profonds bouleversements qui ébranlent leurs fondements traditionnels du renouvellement de générations à leur inclusion dans une mondialisation traversée d'influences diverses et contradictoires. Comme dans toutes les périodes tumultueuses, l'instabilité est importante et va s'inscrire dans la durée.

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