C. LES TECHNIQUES ALTERNATIVES À LA FRACTURATION HYDRAULIQUE : DES PISTES DE RÉFLEXION EN POLOGNE

Vos rapporteurs se sont rendus en Pologne, pays le plus avancé de l'Union européenne dans le domaine de l'exploration, afin de profiter de l'expérience que ce pays a commencé à acquérir depuis quelques mois. Bien que la fracturation hydraulique y soit privilégiée, les techniques alternatives y font l'objet d'un intérêt particulier, comme piste de réponse aux difficultés rencontrées lors des premiers travaux d'exploration menés .

1. La Pologne, pays le plus avancé de l'Union européenne dans le domaine de l'exploration

Pour des raisons économiques et géopolitiques, le gouvernement polonais a démarré un ambitieux programme d'exploration, dans le contexte d'estimations initiales de ressources très importantes.

a) Une volonté d'indépendance et de diversification des approvisionnements

D'après les données fournies en juin 2013 par l'Agence américaine d'information sur l'énergie (EIA), la Pologne est le pays de l'Union européenne le plus riche en gaz de roche-mère, avec des réserves techniquement récupérables estimées à 4 200 milliards de m 3 . Les premières prévisions de l'EIA, publiées en avril 2011, étaient plus élevées, puisqu'elles faisaient état de réserves de l'ordre de 5 300 milliards de m 3 .

Ces prévisions avaient été revues à la baisse par l'Institut National de Géologie polonais (PIG) en mars 2012 dans un rapport 30 ( * ) dans lequel cet Institut évaluait les gisements de gaz de roche-mère exploitables à 1 920 milliards de m 3 au maximum, soit un peu plus du tiers des estimations initiales américaines. En s'appuyant sur les technologies connues à ce jour, le PIG évaluait les réserves exploitables dans un premier temps entre 346 et 768 milliards de m 3 , ce qui a conduit à dire que les estimations de réserves avaient été divisées par 10 par rapport aux prévisions américaines. Ce niveau de réserves est néanmoins susceptible de contribuer à assurer l'indépendance gazière de la Pologne pendant 35 à 65 ans au rythme de consommation actuel. Les régions les plus riches en gaz de roche-mère seraient celle de Lublin, la Mazovie et la Poméranie.

Dans les zones au nord et à l'est de la Pologne, les gisements de gaz de schiste sont probablement accompagnés de gisements de pétrole . Ces ressources en pétrole de roche-mère sont estimées entre 215 et 268 millions de tonnes soit 10 à 12 ans de consommation polonaise. Les gisements les plus prometteurs se situent près de Varsovie, Radom et Elblag. La Pologne pourrait donc, à l'avenir, réduire aussi ses importations de pétrole notamment en provenance de Russie.

Les estimations réalisées par l'Institut géologique polonais sont fondées sur des données issues de forages réalisés entre 1950 et 1990. Une actualisation des prévisions est prévue pour 2014, prenant en compte les résultats de tous les forages réalisés dans ce pays après 1990.

CARTE DES CONCESSIONS POUR L'EXPLORATION DE GISEMENTS NON CONVENTIONNELS EN POLOGNE

Source : Ministère de l'environnement (Pologne)

Lecture de la légende : Shale gas = gaz de roche-mère

Bien que révisées à la baisse, les estimations des réserves polonaises en hydrocarbures non conventionnels demeurent encourageantes. Pour ce pays, c'est l'opportunité, d'une part, de réduire la part du charbon dans son bouquet énergétique et donc de diminuer ses émissions de CO 2 - aujourd'hui, 90 % de l'électricité polonaise est produite à partir de charbon - et, d'autre part, de diminuer sa dépendance à l'égard de la Russie pour ses approvisionnements en gaz et en pétrole.

LE BOUQUET ÉNERGÉTIQUE POLONAIS (EN %)

Source : ministère de l'environnement (Pologne), 2013

La Pologne importe en effet 75 % du gaz qu'elle consomme . Son principal fournisseur est la Russie (qui fournit 81 % du gaz importé), devant l'Allemagne et la République tchèque. La Russie fournit donc un peu moins des deux tiers du gaz consommé par la Pologne. Or depuis 1990, les approvisionnements en provenance de Russie ont été interrompus à huit reprises, pour des durées variant entre trois et dix-neuf jours, toujours au coeur de l'hiver. Cette situation de dépendance crée une forte motivation pour évaluer puis, le cas échéant, exploiter les ressources du sous-sol national. Avant même de parvenir à une indépendance énergétique accrue, la Pologne pourrait être en mesure, assez rapidement, de négocier plus avantageusement avec son principal fournisseur (Gazprom) le prix de son approvisionnement en gaz.

C'est probablement l'une des raisons pour lesquelles la perspective d'un développement des hydrocarbures non conventionnels suscite une large adhésion de la population : 78 % des Polonais sont, en effet, favorables à l'exploration de ces hydrocarbures, ce taux étant de 72 % dans les régions concernées au premier chef (nord, région de Lublin). On remarquera que le taux d'acceptation des travaux d'exploration est supérieur à la moyenne nationale dans des communes proches de Lublin, où des forages ont déjà été réalisés.

En conséquence, la Pologne a lancé un vaste programme d'exploration de ses ressources. D'après les données fournies par le ministère de l'environnement :

- 105 concessions d'exploration du gaz de roche-mère ont été accordées ;

- 19 demandes de concession sont en cours d'examen ;

- 48 puits d'exploration ont été creusés ;

- 20 d'entre eux ont fait l'objet d'opérations de fracturation hydraulique, dont 14 puits verticaux et 6 puits latéraux.

Il est prévu de réaliser, d'ici à 2015, 100 à 150 puits supplémentaires.

Visite du site de Kock (forage de PGNiG), dans la région de Lublin,
en présence de M. Piotr Wozniak, Secrétaire d'État, Géologue en chef
(septembre 2013).

b) Un cadre juridique à élaborer

Les premiers travaux d'exploration s'accompagnent d'une réflexion sur le cadre juridique et fiscal à mettre en place pour l'exploitation des ressources non conventionnelles. Ce cadre devrait être finalisé d'ici à 2015, année au cours de laquelle la production pourrait démarrer.

La législation environnementale existante, applicable à tous types de forages, est pour le moment jugée par le ministère de l'environnement suffisamment contraignante.

Une étude d'impact environnemental , réalisée en novembre 2011 par l'Institut géologique polonais sur le forage de Lebien, dans la région de Poméranie, n'a pas mis en évidence de dommage en dehors de nuisances sonores temporaires . D'après cette étude :

- La fracturation hydraulique n'a pas provoqué de pollution de l'air ;

- Les opérations ont entraîné une élévation temporaire du niveau de bruit, qui est toutefois resté dans les limites admissibles ;

- Aucun effet sur la qualité de l'eau de surface ou souterraine n'a été enregistré ;

- La consommation d'eau associée aux opérations de fracturation n'a pas réduit notablement les ressources locales ;

- Aucun phénomène de pollution des sols n'a été observé.

La Pologne a lancé un programme de surveillance des impacts environnementaux sur deux ans, financé par son Agence de protection de l'environnement.

La législation environnementale polonaise pourrait devoir s'adapter , en tout état de cause, à la législation européenne actuellement en cours d'élaboration par la Commission européenne.

Par ailleurs, la nouvelle législation envisagée par le gouvernement polonais vise à créer un opérateur national qui détiendra une part - qui pourrait être de 5 % - de chaque concession. Cette société, dite opérateur national de combustibles fossiles, jouera aussi un rôle de supervision. 40 % de ses bénéfices serviront à alimenter un « fonds de réserve démographique », le reste étant affecté à l'investissement.

Des taxes seront, par ailleurs, créées et leurs produits attribués à diverses autorités locales.

Lors de leur déplacement en Pologne, en septembre 2013 , vos rapporteurs ont souhaité rencontrer des représentants des Territoires , afin de connaître leur point de vue sur l'extraction des hydrocarbures non conventionnels. Ils ont rencontré M. Mieczyslaw Struk, Maréchal 31 ( * ) de la voïvodie de Poméranie. Celui-ci leur a indiqué que sa région souhaitait que l'État soit plus présent pour réguler l'exploration et l'exploitation des hydrocarbures non conventionnels , à différents égards :

- S'agissant de la législation environnementale , une réglementation technique spécifique doit être édictée , pour parvenir à une extraction sécurisée du gaz et du pétrole non conventionnels ;

- Sur le plan de la fiscalité, un régime fiscal permettant de redistribuer localement une part des bénéfices de l'exploitation doit être établi ;

- Enfin, un cadre pérenne de dialogue avec les populations doit être mis en place.

La région de Poméranie s'est employée à atteindre ce dernier objectif, en élaborant, à l'initiative de son Maréchal, un processus de concertation, dit projet « Ensemble à propos des hydrocarbures de schiste » 32 ( * ) , fondé sur des comités locaux de dialogue qui mènent leurs travaux de façon autonome, à partir d'échanges d'expériences et avec accès à une expertise indépendante. Ce processus s'apparente à celui mis en place en France autour des installations nucléaires, avec les Commissions locales d'information, dont le statut est, toutefois, législatif, contrairement au cadre mis en place dans le nord de la Pologne. En Poméranie et dans les deux autres voïvodies 33 ( * ) qui ont repris ce programme, il permet d'aboutir, au cas par cas, à un véritable contrat social contribuant à l'acceptation par la population des développements en cours .

2. Les techniques alternatives : des pistes pour améliorer la productivité des puits tout en préservant l'environnement ?

Les difficultés rencontrées lors de la première phase du programme d'exploration ont renforcé, aux yeux des chercheurs polonais, la nécessité de poursuivre des travaux de recherche sur des méthodes différentes de la fracturation hydraulique.

a) Les difficultés rencontrées lors des premiers travaux d'exploration

Les premiers travaux d'exploration menés en Pologne ont révélé certaines difficultés liées à la géologie de ce pays.

Lors de leur entretien à l'Institut géologique national de Pologne (PIG), il a été expliqué à vos rapporteurs que les roches-mères polonaises présentaient la caractéristique d'être très profondes (3 à 4 km) et très denses. Il en résulte de faibles taux de récupération du gaz, parfois seulement 1 % à 2 %, alors que, dans le domaine non conventionnel, des taux de récupération compris entre 5 % et 30 % de la ressource en place peuvent être atteints. Ce taux dépend notamment de la taille des pores de la roche : plus elles sont petites, moins la ressource est facilement récupérable.

Dans le cas polonais, ce n'est donc pas la ressource qui manque, mais la capacité, avec les technologies existantes, à en récupérer une part importante .

La production de condensats , c'est-à-dire d'hydrocarbures liquides légers présents dans le sous-sol conjointement avec le gaz, pourrait permettre de rentabiliser la production, mais elle soulève également des difficultés spécifiques sur le plan technologique.

Les représentants de la société ENI Polska 34 ( * ) ont indiqué à vos rapporteurs qu'ils cherchaient à modifier la technologie employée lors des premiers forages, afin de s'adapter aux conditions rencontrées.

Quant aux représentants de la société nationale polonaise pour le pétrole et le gaz, PGNiG, ils ont également souligné la nécessité d'étudier les propriétés des roches-mères polonaises, qui sont différentes des roches-mères américaines. Il n'est pas certain que les technologies mises en oeuvre aux États-Unis puissent être employées de la même façon, avec les mêmes résultats, en Pologne. Le processus d'exploration sera donc un processus long, ce qui est habituel dans le secteur pétrolier et gazier. On estime que le « délai d'apprentissage » pour l'exploration d'un nouveau bassin est d'environ six ans.

PGNiG a néanmoins obtenu des résultats encourageants sur plusieurs forages, un seul ayant donné des résultats négatifs.

Ainsi, les ressources non conventionnelles demeurent une opportunité à saisir pour la Pologne . Après de premières estimations trop optimistes, les résultats ne sont pas univoques, sans que cela ne doive conduire à un excès de pessimisme. Des entreprises étrangères ont abandonné leur activité en Pologne, mais, contrairement à ce qui a pu être dit, on est loin d'observer une désertion. Les concessions de la société américaine Exxon Mobil et de l'entreprise canadienne Talisman ont été reprises. Quant à Marathon Oil, son retrait, annoncé par les médias, n'est, pour le moment, pas officiel. Des entreprises américaines poursuivent leur activité sur le sol polonais (Conoco Phillips).

Il est possible que certaines entreprises préfèrent arbitrer, à l'échelle mondiale, en faveur d'investissements plus rentables, sur des gisements plus gros ou présentant moins de risques. Il n'en reste pas moins que les ressources polonaises demeurent attractives. Seule la poursuite des travaux d'exploration en cours permettra de déterminer dans quelle mesure.

b) Une réflexion sur les techniques alternatives

Les premiers travaux d'exploration menés en Pologne incitent donc les opérateurs à réfléchir à des améliorations dans les techniques de fracturation hydraulique mises en oeuvre, afin de s'adapter au contexte géologique.

Dans le même esprit, des laboratoires de recherche polonais ont entrepris des travaux sur des techniques alternatives à la fracturation hydraulique , susceptibles d'accroître la productivité des puits et de réduire l'empreinte environnementale de l'exploitation.

Des études sont, par exemple, menées à l'Université technologique de Gdansk sur la fracturation pneumatique (par usage d'air comprimé).

Vos rapporteurs se sont rendus à l'Université militaire technologique (WAT) de Varsovie où ils ont rencontré des chercheurs du Laboratoire de mécanique et informatique appliquée, travaillant sur une nouvelle méthode de séquestration souterraine du CO 2 associée à la récupération de gaz de roche-mère 35 ( * ) , qui a fait l'objet d'un dépôt de brevet.

Cette méthode se fonde sur la capacité du CO 2 supercritique à être adsorbé par la roche, tout en délogeant le méthane en place, le faisant passer du système de porosité primaire au système de porosité secondaire de la roche (voir les développements précédents à ce sujet : I. A. 3). Le CO 2 permet donc d'aller chercher le méthane adsorbé et celui présent dans les pores les plus petites de la roche, ce que ne permet pas la fracturation hydraulique.

Cette méthode utilise des puits horizontaux de faible diamètre, forés à partir d'un puits vertical. Le CO 2 liquide est d'abord injecté dans le puits horizontal le plus profond, sous contrôle constant de la température et de la pression. Le puits est ensuite fermé, grâce à des valves contrôlées depuis la surface. Le processus thermodynamique de chauffage du CO 2 démarre alors. Lorsque le CO 2 atteint l'état supercritique, ce processus se traduit par l'adsorption du CO 2 sur la roche et par la désorption du méthane (CH 4 ) auparavant en place. Ce processus dure environ deux semaines. Puis le méthane est récupéré. Un autre puits horizontal peut ensuite être traité de la même façon.

Les étapes successives de ce processus sont décrites dans le schéma ci-après.

ÉTAPES SUCCESSIVES POUR LA MISE EN oeUVRE DE LA FRACTURATION AU CO 2
ASSOCIÉE À LA SÉQUESTRATION DE CE GAZ

Source : T. Niezgoda et. al. (2013)

Cette méthode n'utilise pas d'additifs chimiques mais seulement du sable pour maintenir les fissures ouvertes. Elle aboutit à la séquestration du CO 2 injecté. Le procédé n'est pas explosif car la montée en pression du CO 2 injecté est lente. Les fissures créées sont plus courtes, plus denses et plus contrôlables que celles créées par fracturation hydraulique. Elles présentent la caractéristique de s'étendre dans toutes les directions à partir du puits horizontal, et pas seulement perpendiculairement au forage.

Cette technologie n'a, pour le moment, été expérimentée qu'en laboratoire. Pour en confirmer la faisabilité, plusieurs aspects devront être étudiés de façon plus approfondie :

- Une analyse de rentabilité économique doit être effectuée ;

- Les modalités d'obtention, de préparation et de transport du CO 2 doivent être déterminées ;

- La réalité du phénomène d'adsorption / désorption dans les roches-mères polonaises doit être étudiée.

Visite des laboratoires de l'Université technologique militaire (WAT), en présence du Professeur Tadeusz Niezgoda, directeur du Centre de technologies avancées pour l'énergie (septembre 2013)

Ainsi, la recherche sur les technologies d'extraction des hydrocarbures de roche-mère progresse dans plusieurs pays, dont ceux visités par vos rapporteurs. Cette recherche est susceptible d'aboutir à des méthodes d'extraction plus efficaces et plus écologiques que la fracturation hydraulique . Cette recherche peut aussi servir d'autres fins : la méthode brevetée par l'Université militaire technologique de Varsovie aboutit ainsi au stockage souterrain du CO 2 , utile dans la lutte contre les changements climatiques.

C'est pourquoi vos rapporteurs estiment que la France ne devrait pas se tenir complètement à l'écart de ce type de recherches. Il est nécessaire de préserver et de développer les compétences existant dans notre pays , afin de ne pas obérer l'avenir.

Les chercheurs polonais rencontrés ont exprimé leur souhait de pouvoir travailler et partager leurs résultats avec les scientifiques français , grâce à des collaborations et des échanges universitaires. Il est indispensable de ne pas laisser passer ce type d'opportunité.


* 30 Assessment of shale gas and shale oil resources of the lower Paleozoic Baltic-Podlasie-Lublin basin in Poland, PIG (mars 2012).

* 31 Le titre de Maréchal est celui des présidents élus des Régions polonaises (Voïvodies).

* 32 Razem o upkach (Together about shales).

* 33 Il s'agit des voïvodies de Cujavie-Poméranie et de Varmie-Mazurie, qui se sont associées à l'initiative prise par la Poméranie.

* 34 Filiale de la société italienne ENI en Pologne.

* 35 Study on carbon dioxide thermodynamic behavior for the purpose of shale rock fracturing, T. Niezgoda et al., Bulletin of the Polish Academy of Sciences (2013).

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page