B. EN AMONT

1. Pour mettre la misère « hors la loi », prévoir la misère « dans la loi »
a) Le bien-fondé de la transversalité

La pauvreté se caractérisant par son caractère multidimensionnel et comme la conséquence d'une accumulation d'inégalités et d'exclusions, cela implique de développer des politiques de lutte contre la pauvreté plus transversales.

Il s'agit, concrètement, de reconnaître le fait que toute politique publique, menée dans tel ou tel secteur, peut avoir un effet positif ou négatif sur la pauvreté.

Comme votre rapporteur le soulignait lors de l'audition d'Étienne Pinte en séance plénière le 26 novembre 2013, « les implications financières de chaque projet de loi examiné font l'objet d'une attention toute particulière. Nous pourrions procéder de la sorte en ce qui concerne la lutte contre la pauvreté et nous demander systématiquement ce qu'une loi peut apporter aux dix millions de Français dans le besoin » .

En effet, si la volonté existe et s'exprime de faire de la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale une priorité sociétale, alors il faut se donner la possibilité d'évaluer systématiquement l'impact de tel projet de loi ou de telle proposition de loi sur ce qui a trait à la pauvreté et les conséquences à en attendre pour les personnes concernées.

Une démarche très similaire est d'ailleurs à l'étude actuellement à Bruxelles, a indiqué Magali Plovie 140 ( * ) , députée au Parlement de la région de Bruxelles-Capitale.

b) Le « test d'impact » sur la pauvreté

En effet, en Belgique, dans le cadre de la note de politique générale relative à la lutte contre la pauvreté 2009-2014, le groupe de travail intercabinet permanent 141 ( * ) s'est engagé à développer un test d'impact sur la pauvreté. Cet engagement est repris dans l'objectif stratégique suivant : « Préalablement à toute décision politique importante, il y a lieu de vérifier quel en serait l'impact sur la pauvreté en contrôlant si elle aura des conséquences similaires ou non pour les différents groupes de la population et provoquera ainsi des inégalités (ou davantage d'inégalités) sur la base de la nationalité ou de l'origine, du sexe, du statut socio-économique. Ce test d'impact sur la pauvreté doit être élaboré conjointement et appliqué respectivement par le Gouvernement bruxellois et les collèges des trois commissions communautaires. »

L'Observatoire de la santé et du social, qui assure le secrétariat du GTI permanent, a été chargé de l'élaboration de l'outil. Comme il le fait remarquer, « Le test d'impact sur la pauvreté est une forme d'évaluation ex ante [...] Le test d'impact sur la pauvreté s'inscrit dans un stade précoce du processus décisionnel. Il permet ainsi d'évaluer l'impact éventuel d'une politique sur la pauvreté au stade de son élaboration. De cette manière, un impact négatif peut être rapidement mis en lumière et des mesures d'atténuation ou des solutions de remplacement peuvent dès lors être envisagées. Un impact positif peut être mis en avant et éventuellement renforcé par la suite. » 142 ( * )

L'Observatoire poursuit en détaillant la méthodologie à retenir : « L'élaboration d'un cadre théorique des déterminants de la pauvreté, qui prend en compte à la fois l'aspect multidimensionnel de la problématique et l'échelle macro, meso et micro, doit permettre d'identifier au travers d'une "grille d'analyse" de quelle manière les politiques publiques peuvent avoir un impact sur la pauvreté. Cette grille d'analyse doit alors permettre de situer et d'analyser les différentes questions qui peuvent être posées pour évaluer l'impact des politiques sur la pauvreté : s'agit-il d'un impact sur le taux de risque de pauvreté ou plutôt sur le nombre de personnes en situation de pauvreté ? S'agit-il d'un impact sur la situation, le "mal-être", les conditions de vie des personnes en situation de pauvreté ? Ou s'agit-il plutôt d'un impact sur le risque d'entrer dans la pauvreté, ou sur les possibilités de sortir des situations de pauvreté ? Etc. »

Il s'agit, à l'évidence, d'une piste de réflexion prospective intéressante pour éviter de rééditer à chaque fois les mêmes erreurs. Il pourrait s'inspirer du test Kafka applicable aux formalités administratives en Belgique.

Le test Kafka

Le test Kafka permet de décrire l'effet des nouvelles réglementations sur les charges administratives pour les citoyens, les entreprises et le secteur non marchand. Le test Kafka vise à évaluer les lois avant leur mise en oeuvre, dans le but de parvenir à une réglementation plus économe en charges administratives. Ce test permet de se faire une idée de l'augmentation ou de la réduction des charges administratives induite par une proposition.

Le test Kafka est entré en application en Belgique le 1 er octobre 2004. Il est désormais obligatoire pour chaque note soumise au Conseil des ministres fédéral.

Les charges administratives sont définies comme toutes les formalités et obligations administratives qui incombent aux citoyens, aux entreprises et au secteur non marchand, directement ou indirectement liées à l'exécution, au respect et/ou au maintien d'un droit, d'une interdiction ou d'une obligation tels que consignés dans une loi, un décret, un règlement, une circulaire ou un traité international.

Afin d'évaluer l'impact d'une nouvelle réglementation sur les charges administratives, il importe de connaître les paramètres influençant ces dernières. Si une proposition influe sur l'un de ces paramètres, les charges administratives en seront donc modifiées. Voici les quatre paramètres qui déterminent le volume des charges administratives :

• le nombre de formalités et obligations administratives auxquelles doit se soumettre le groupe cible ;

• l'importance du(des) groupe(s) cible(s) ;

• le temps que la personne concernée doit consacrer à l'exécution des formalités et obligations administratives ;

• la périodicité selon laquelle le groupe cible doit remplir l'obligation.

Source : Agence belge pour la simplification administrative - Service public fédéral Chancellerie du Premier ministre 143 ( * )

En cas d'impact négatif, deux solutions seraient envisageables : soit décider de ne pas continuer et arrêter le processus ; soit prévoir un dispositif correctif, pour juguler les effets négatifs attendus.

2. Un cas particulier : séparation des parents, conséquences matérielles pour les enfants

L'évolution continue de la société montre que le nombre des divorces est en augmentation en France. Depuis 1972 et ce jusqu'en 2005, celui-ci n'a ainsi cessé de croître, passant de 44 738 divorces en 1972 à 155 523 divorces en 2005, son plus haut niveau jusqu'alors, en raison sans doute de la simplification des procédures par la loi du 26 mai 2004 relative au divorce.

Depuis 2005, ce nombre avoisine les 130 000 divorces par an.

Année

Nombre de divorces

Divorces pour
1 000 couples mariés (1)

1995

121 946

nd

1996

119 699

nd

1997

118 284

nd

1998

118 884

nd

1999

119 549

nd

2000

116 723

nd

2001

115 388

nd

2002

118 686

nd

2003

127 966

nd

2004

134 601

nd

2005

155 253

nd

2006

139 147

11,1

2007

134 477

10,8

2008

132 594

10,7

2009

130 601

10,6

2010

133 909

10,9

2011

132 977

10,9 (p)

2012

128 371

10,6 (p)

Lecture : nd : non disponible ; p : données provisoires arrêtées à la fin de 2013 ; (1) : le nombre de couples mariés correspond au nombre de femmes mariées dans la population moyenne de l'année.

Champ : France hors Mayotte

Sources : Insee, estimations de population et statistiques de l'état civil ; ministère de la justice - SDSE.

Les enfants du divorce sont désormais tellement nombreux que leur situation semble totalement banalisée. Sans qu'il soit question de porter le moindre jugement de valeurs, il convient de reconnaître que le divorce fait maintenant partie de l'horizon du mariage. Est-ce une raison pour ignorer l'impact du divorce chez les enfants ? À l'évidence, non, et il serait indéfendable de sous-estimer l'impact financier de la séparation de leurs parents.

À en croire Christine Kelly, « selon les experts, la séparation d'un couple met un enfant en difficulté pendant deux ans. S'il est bien accompagné, l'enfant a de très bonnes chances de s'en sortir » 144 ( * ) .

Pour Fabienne Quiriau 145 ( * ) , directrice générale de la Cnape, « nous sommes toujours, en France, sous le prisme de la famille, et l'enfant disparaît. Il y a une dégradation rapide de la situation des enfants » .

La société peut-elle se détacher des conséquences matérielles d'une séparation pour des enfants ? Poser la question, c'est y répondre.


* 140 Audition du 8 janvier 2014 lors d'un déplacement à Bruxelles.

* 141 À la suite d'un protocole conclu entre le Gouvernement de la région de Bruxelles-Capitale et les collèges des trois commissions communautaires bruxelloises en matière de lutte contre la pauvreté, une structure de gouvernance intersectorielle - le groupe de travail intercabinet permanent (GTI) -, a été créé.

* 142 Observatoire de la santé et du social de Bruxelles-Capitale (2013). Recherche exploratoire sur l'élaboration d'un test d'impact sur la pauvreté en région bruxelloise. Commission communautaire commune : Bruxelles.

* 143 L'Agence pour la simplification administrative (ASA) a été créée en 1998 en Belgique, au sein du Service public fédéral Chancellerie du Premier ministre, avec comme objectif d'engager un programme de simplification pour les institutions fédérales et de soutenir la politique du gouvernement, plus particulièrement celle du ministre pour l'entreprise et la simplification.

* 144 Extrait de son intervention lors de l'atelier de prospective « Pour donner leur chance aux adolescents des quartiers sensibles », organisé le 30 mai 2013 par la délégation à la prospective.

* 145 Audition du 6 juin 2013.

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