N°1886

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

N° 462

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale

Enregistré à la Présidence du Sénat

le 16 avril 2014

le 16 avril 2014

DÉLÉGATION PARLEMENTAIRE AU RENSEIGNEMENT

RAPPORT


relatif à l' activité de la délégation parlementaire au renseignement pour l'année 2013

Par

M. Jean-Pierre SUEUR,

Sénateur

Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale

par M. Jean-Jacques URVOAS

Premier vice-président de la délégation.

Déposé sur le Bureau du Sénat

par M. Jean-Pierre SUEUR

Président de la délégation .

Mesdames, Messieurs,

Depuis octobre 2012, la délégation au Renseignement est ainsi composée :

- M. Jean-Pierre Sueur, président pour l'année 2013,

- Mme Patricia Adam et MM. Jean-Louis Carrère et Jean-Jacques Urvoas, membres de droit,

- MM. Michel Boutant, Jean-Patrick Courtois, Jacques Myard et Philippe Nauche, membres nommés par les Présidents des deux assemblées.

MM. Jean-Jacques Urvoas et Jean-Patrick Courtois étaient vice-présidents.

Au cours de l'année 2013, la délégation s'est réunie à six reprises :

- le 31 janvier, pour l'audition de M. Erard Corbin de Mangoux, directeur général de la sécurité extérieure,

- le 28 février, pour l'élaboration du rapport,

- le 25 avril, pour l'audition de M. René Bailly, directeur du renseignement de la préfecture de police,

- le 27 juin, pour entendre M. Bernard Bajolet, directeur général de la sécurité extérieure,

- le 18 juillet, pour l'audition conjointe de M. Alain Zabulon, coordonnateur national du renseignement et de M. Bernard Bajolet, directeur général de la sécurité extérieure,

- le 26 septembre, pour l'audition de M. Alain Zabulon, coordonnateur national du renseignement.

La délégation a également échangé avec les élèves de l'académie du renseignement.

La délégation a effectué deux déplacements :

- le 28 mars, au siège de la direction centrale du renseignement intérieur, à Levallois-Perret, pour rencontrer son directeur M. Patrick Calvar ainsi que ses principaux collaborateurs,

- le 28 novembre, au service action de la direction générale de la sécurité extérieure, à Cercottes.

Enfin, la délégation a été reçue par M. le Président de la République le 31 octobre 2013 à l'occasion des révélations sur les pratiques de la National security agency (NSA).

I. L'ÉVALUATION DE LA MENACE CONTRE LES INTÉRÊTS FRANÇAIS

Notre pays est confronté à une pluralité de menaces toujours vives nécessitant une forte mobilisation et une adaptation constante de la communauté nationale du renseignement.

Au premier rang figure la menace terroriste qui émane essentiellement de la mouvance jihadiste ainsi que de certaines mouvances politiques radicales, qui cherchent à exploiter des mouvements sociaux ou environnementaux.

En outre, la menace d'espionnage et d'ingérence perdure à l'encontre de nos intérêts politiques, diplomatiques, militaires et économiques. Les moyens déployés par nos adversaires dans ce domaine se diversifient et s'appuient de plus en plus sur les technologies numériques.

De plus, la prolifération des armes de destruction massive ainsi que la dissémination des armes conventionnelles constituent plus que jamais des enjeux majeurs pour la stabilité du monde et notre sécurité.

Enfin, la criminalité organisée transnationale représente une menace pour les intérêts nationaux, tant au regard de l'instabilité qu'elle suscite ou entretient dans certaines régions du monde que des trafics qu'elle organise et dont le territoire national peut être la destination. Génératrice de revenus considérable, elle présente également un potentiel de déstabilisation financière.

A) LA MENACE TERRORISTE

Le niveau de la menace terroriste est demeuré élevé, tout au long de l'année 2013, sur notre territoire et à l'étranger dans plusieurs régions soumises à une forte instabilité. La menace émane essentiellement de la mouvance islamiste radicale et jihadiste qui développe un discours très agressif à l'encontre de notre pays en raison de ses valeurs et de son engagement dans la lutte contre le terrorisme sur le territoire et sur la scène internationale (en particulier l'opération Serval au Nord-Mali).

Sur le plan intérieur, la menace d'inspiration jihadiste émane :

- d'individus ou de groupes isolés, inspirés par la propagande sur Internet, notamment la revue en ligne Inspire diffusée par al Qaïda dans la Péninsule arabique, qui encourage l'acte terroriste individuel. Cette menace diffuse, émanant d'individus souvent instables, s'avère particulièrement difficile à anticiper ;

- d'acteurs impliqués dans les filières jihadistes de retour en France, qui, spontanément ou sur commandite d'un groupe terroriste, sont susceptibles de passer à l'acte. Actuellement, les filières syriennes sont considérées comme le principal facteur de menaces. La menace qui découle de ces filières est très importante. Les volontaires rejoignent, dans leur quasi-totalité, les groupes jihadistes, dont certains sont proches d'al Qaïda, qui constituent un vivier de recrutement pour des opérations en Europe. Au cours de leur séjour, ils sont formés aux techniques terroristes et leur endoctrinement est renforcé.

À ce jour, plusieurs centaines de Français ou résidents combattent ou ont combattu en Syrie. Certains ont été tués dans les combats. Cette situation est partagée par l'ensemble de nos partenaires européens.

Si la Syrie capte l'essentiel des volontaires, la plus grande vigilance s'impose concernant les autres foyers d'instabilité comme le Sahel, le Yémen et la zone afghano-pakistanaise. L'intervention Serval au nord Mali début 2013 avait mis un terme à une amorce de filière qui avait concerné une dizaine d'individus.

Les recrutements sont facilités par une utilisation massive d'Internet et des réseaux sociaux à travers lesquels les jihadistes déjà présents dans les pays en crise encouragent d'autres volontaires à les rejoindre. Cette forme de recrutement a un impact tout particulier sur des jeunes, voire sur des mineurs.

Ces individus, totalement radicalisés, s'inscrivent dans une rupture assumée avec la société française et les communautés musulmanes. Celles-ci sont les premières victimes de ces agissements par l'amalgame qu'ils sont susceptibles de créer.

- d'organisations extérieures, comme al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) ou al Qaïda dans la Péninsule arabique.

Mouvances extrémistes

Il existe des risques de dérive vers la violence de groupuscules d'ultradroite et d'ultragauche ou de militants isolés, qui cherchent à détourner des mécontentements sociaux, ou des revendications environnementales, pour créer un climat de tensions et de violences. Des mouvements européens engagés ces dernières années dans des actions violentes contre les institutions et le monde économique et financier sont susceptibles d'inspirer certains activistes.

Mouvances séparatistes

En Corse, la situation se caractérise par un net recul de la violence indépendantiste au profit du dialogue institutionnel. Cependant, une vigilance est maintenue, notamment face à certaines dérives délinquantes.

La trêve prononcée par ETA se poursuit. Pour autant, à défaut d'un dépôt effectif de ses armes, tout risque de reprise de la violence ne saurait être écarté.

À l'extérieur du territoire, la menace contre les intérêts français se focalise sur plusieurs régions : le Sahel, l'Afrique du nord, le Proche et Moyen-Orient. Les intérêts français peuvent également être visés en Afrique de l'Est, au Yémen, en Irak ou au Pakistan. Les actions terroristes peuvent prendre la forme d'attentats de masse ou ciblés ou d'enlèvements.

Sahel et Afrique du Nord

Au Nord Mali, AQMI et les groupes affiliés (Ansar Eddine, composante islamiste de la rébellion touareg et le MUJAO) ont subi de lourds revers et sont soumis à la pression de nos forces et de celles de la coalition africaine. Cependant, les groupes jihadistes conservent une dangerosité certaine. Les katibates résistent grâce à leur fluidité, leur capacité de déplacement dans les pays voisins et leurs moyens financiers issus des trafics. Les jihadistes combinent ainsi stratégie d'évitement et actions de harcèlement, tout en cherchant à se reconstituer grâce à des recrutements régionaux et des approvisionnements en armes et équipements, notamment à partir du sud libyen. La menace s'étend ainsi à l'ensemble de la région. La résilience de ces groupes rend nécessaire le maintien des forces militaires françaises dans cette région en partenariat avec les pays concernés.

La secte islamiste Boko Haram continue à rayonner du Nigéria vers les pays riverains.

AQMI profite de la dégradation de la situation sécuritaire en Libye où la mouvance jihadiste s'est solidement implantée. Dans le contexte d'éclatement du pouvoir entre factions et provinces, la menace terroriste pesant sur la Libye et les intérêts occidentaux dans ce pays est particulièrement forte, comme le confirme l'assassinat le 2 mars 2014 d'un Français à Benghazi. En Tunisie, les autorités poursuivent leurs efforts pour endiguer l'activisme des groupes radicaux. AQMI dispose d'un accès dans ce pays grâce à son alliance avec la mouvance jihadiste tunisienne implantée dans le Jebel Châambi à la frontière tuniso-algérienne. Les tentatives d'attentat suicide à Sousse et à Monastir le 30 octobre contre des sites touristiques ont constitué une alerte.

En Egypte, la menace jihadiste, importante dans le Sinaï, s'étend désormais aux grandes villes du pays où les intérêts occidentaux pourraient être visés.

En Afrique de l'Est, la menace émanant des Shebab al Islami dans la Corne de l'Afrique persiste, visant l'Ethiopie, le Kenya et Djibouti.

La menace terroriste au Yémen perdure : AQPA profite de l'instabilité du pays en proie à un conflit interethnique et tribal permanent pour multiplier les attaques. Les terroristes mènent des opérations d'ampleur, notamment à Sanaa. Les intérêts étrangers, dont ceux de la France à travers sa représentation ou les entreprises présentes sur place, sont très exposés aux risques d'enlèvements et d'attentats.

Au Proche et au Moyen-Orient, la crise syrienne crée une menace dans l'ensemble de la région. La dégradation de la situation au Liban, où les groupes salafistes jihadistes et al Qaïda sont de plus en plus actifs, pourrait déborder le cadre confessionnel actuel pour menacer les intérêts occidentaux de manière directe ou collatérale.

La dégradation constante de la situation en Irak, corrélée au contexte syrien, est un sujet de préoccupation majeur avec le renforcement durable des groupes jihadistes sunnites, pour une part liés à al Qaïda.

L'évolution des crises iranienne et syrienne incite enfin à la prudence face au risque d'actions contre nos intérêts.

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