B. QUELLE ORGANISATION POUR LES ACTIONS SPÉCIALES ?

1. Les questions récurrentes

43. L'histoire de l'action spéciale pendant le XX ème siècle est faite de balbutiements, d'expérimentations avortées, de retours en arrière et de réponses différentes apportées à la question de savoir qui fait quoi, comment, avec qui, dans quel but ? De fait, il n'y a pas de rupture franche entre les différents types d'actions mais bien un continuum dont les frontières sont floues et tracées par convention. Il n'y a donc pas une, mais des réponses, chacune avec ses avantages et ses inconvénients. La valeur de chaque modèle doit être appréciée à l'aune de son efficacité, au fait qu'il évite les doublons sans laisser de lacunes.

44. La première question est de savoir s'il convient d'affecter des forces dédiées aux opérations spéciales. Aujourd'hui, tous les Etats qui en ont les moyens ont apporté une réponse positive à cette question et il n'est pas d'armée digne de ce nom qui ne revendique des « forces spéciales » en son sein. Mais souvenons-nous combien cela est récent dans l'histoire militaire. Le 25 octobre 1804, sur ordre de Bonaparte, une centaine de soldats français débarquèrent sur la côte prussienne, enlevèrent l'ambassadeur britannique à Hambourg, Sir Rumbold, responsable de nombreuses opérations de subversions et d'espionnage. Ces soldats étaient tous issus des forces régulières. Plus près de nous dans le temps, toutes les opérations françaises en Afrique et en Indochine, de la fin de la seconde guerre mondiale jusqu'à la création du COS en 1992, ont été menées par des forces qui n'étaient pas organiquement dédiées.

45. La deuxième question est de savoir quelle proportion on accorde aux forces spéciales par rapport aux forces conventionnelles ? En particulier, est-ce que le fait d'avoir beaucoup de « forces spéciales » permet d'avoir moins de forces régulières ?

46. Enfin, la troisième question est celle de savoir s'il convient d'affecter des forces dédiées pour les opérations clandestines, et si oui en quelle proportion ? A ces questions, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France ont apporté des réponses différentes.

2. Les réponses américaines et britanniques

47. Le modèle américain se caractérise par l'importance numérique des forces spéciales. Ces forces compteraient environ 60 000 hommes et femmes dans leur rang, soit un peu plus de 3% des effectifs militaires américains 7 ( * ) . La Quadrennial defense review 2014 , l'équivalent de notre Livre blanc, fixe comme objectif quantitatif pour les forces spéciales 69 700 hommes 8 ( * ) . Entre dans ce décompte l'ensemble des personnels qui participent de près ou de loin à l'action des forces spéciales et notamment le soutien. De l'USSOCOM dépendent cinq grands commandements : un pour chaque armée ( Army , Navy , Air Force et Marines ) et un interarmées ( Joint ). La compacité de l'outil fait qu'on se réfère fréquemment au modèle américain comme étant le modèle dit de la « cinquième armée » fréquemment utilisé en France en guise de repoussoir. En réalité, l'état-major de l'USSOCOM n'a pas de pouvoir organique sur les forces, même s'il dispose d'un budget autonome pour les équipements et les différences - en termes de concept - sont minimes. La vraie différence tient essentiellement à la taille et aux moyens dédiés, ainsi qu'au fait qu'entrent dans le giron des forces spéciales des unités d'élite qui en France demeurent comptablement en dehors de ce cercle.

48. Il est à noter que la CIA possède également ses propres « forces spéciales » dédiées aux activités clandestines. C'est la Special Activities Division qui comprend le Special Operations Group . Le fonctionnement et l'organisation de cette SAD est très secret, mais il semblerait que l'ordre de grandeur des opérateurs en volume soit de l'ordre du millier de personnels sur un effectif total d'environ 50 000 personnes. La CIA est donc principalement, sinon exclusivement, tournée vers l'acquisition du renseignement et non pas vers l'action clandestine.

49. Le modèle britannique a pour principale caractéristique d'avoir un réservoir unique de forces susceptibles d'être utilisées indifféremment pour l'action spéciale ou pour l'action clandestine. Les forces spéciales britanniques sont ainsi réunies au sein de l' United Kingdom Special Forces UKSF qui est un Directorat du ministère de la Défense (DSF). Elles comprennent le 22 ème Special Air Service Regiment , ainsi que les unités SAS de réserve (21 Regiment, 23 Regiment ) soit au total un millier d'hommes ; le Special Boat Service, des Royal Marines qui sont des commandos-marine et des nageurs de combat ; le Special Reconnaissance Regiment, qui est une unité spécialisée dans le renseignement ; le Special Forces Support Group, une unité comparable aux Rangers américains, le 18 th Signal Regiment qui fournit des compagnies de transmission aux différents régiments et enfin, le Joint Special Forces Aviation Wing, unité aérienne interarmées qui met en oeuvre des hélicoptères lourds et des avions de transport tactique. Les forces spéciales britanniques ont fait l'objet en 2013 d'une importante réforme et devraient voir leur format diminuer de moitié, pour passer de 3 500 à 1 750 opérateurs.

50. Dans le modèle britannique, les moyens de renseignement militaire sont centralisés au sein d'un même organisme : Le Secret Intelligence Service (SIS) qui comprend deux branches :

- le MI5 ( Military Intelligence 5 - Renseignement militaire) qui a pour mission de protéger le Royaume-Uni de toute attaque à l'intérieur des frontières ;

- le MI6 ( Military Intelligence 6 - Renseignement militaire) qui a pour but de protéger le pays de toute attaque terroriste extérieure et de conduire des activités d'espionnage à l'extérieur du Royaume-Uni.

3. La réponse française

51. Le modèle d'organisation des forces spéciales françaises présente deux particularités majeures.

D'une part, il est resté fortement marqué par l'importance des forces clandestines et le souvenir du BCRA , ce qui explique que soient confiés dans les mains de la DGSE le renseignement et l'action, et constitue de ce point de vue un modèle unique en Occident.

D'autre part il s'est fortement inspiré du modèle américain , sans aller néanmoins jusqu'au terme de sa logique en confiant à l'état-major des forces spéciales des pouvoirs budgétaires en matière d'acquisition des équipements.


* 7 Jean-Dominique Merchet « une histoire des forces spéciales » 2010 - p. 253 et suivantes.

* 8 Quadrennial Defense Review 2014 p. 37

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