B. UNE VIOLENCE INACCEPTABLE

1. Un élément du continuum des violences faite aux femmes

L'une des caractéristiques majeures de la prostitution est que les personnes prostituées sont en grande majorité des femmes : 10 à 15 % seulement des personnes en situation de prostitution sont des hommes ou des personnes transgenre, rappellent nos collègues Chantal Jouanno et Jean-Pierre Godefroy dans leur rapport Situation sanitaire et sociale des personnes prostituées : inverser le regard 45 ( * ) . La prostitution est donc un phénomène sexué : il s'agit le plus souvent de l'achat, par des hommes, de relations sexuelles avec des femmes.

Inversement, 99 % des clients des personnes prostituées sont des hommes , qui considèrent le corps de ces personnes comme une marchandise, même si, il faut le souligner, de nombreux hommes n'auront jamais recours au sexe tarifé et sont prêts à combattre la prostitution.

Comme l'ont fait observer à l'Assemblée nationale les représentantes du Centre national d'information des droits des femmes et de la famille 46 ( * ) , la prostitution porte avec elle toutes les violences faites aux femmes : viol et violences sexuelles, violences physiques avec des actes de barbarie et de torture, relevés par les observateurs des réseaux de traite, sans oublier les violences économiques avec le racket et le vol . Anita Tostivint, du Centre national d'information sur les droits des femmes et des familles, l'a rappelé devant la délégation : la prostitution « s'inscrit dans la continuité du combat des femmes contre le droit de cuissage, le viol, le viol conjugal et le harcèlement sexuel » 47 ( * ) .

La violence est même indissociable de la prostitution : ainsi que l'a relevé Claire Quidet, présidente du Collectif Abolition 2012 lors de son audition par la délégation 48 ( * ) , cette violence consiste à « subir au quotidien des actes sexuels non désirés, de manière répétée, avec des personnes qu'on ne choisit pas, dont on ne sait rien, et cela parce qu'on a besoin de gagner de l'argent ». « Qui a déjà été amoureux au point de faire l'amour quarante fois par jour ? » 49 ( * ) , a-t-elle également rappelé, soulignant que la réalité de la prostitution que permettait d'approcher le travail associatif était bien éloignée de la prétendue liberté à disposer de son corps qui, aux yeux de certains, la justifierait. « La prostitution est une violence destructrice », a-t-elle conclu 50 ( * ) .

Selon le président de la Fondation Scelles, Yves Charpenel, la contrainte exercée contre les personnes prostituées peut prendre des formes très diverses, parmi lesquelles la dépendance à la drogue 51 ( * ) .

Selon plusieurs observateurs, les proxénètes utilisent les violences sexuelles comme « méthode de dressage » 52 ( * ) : des femmes subiraient des viols à répétition supposés les rendre dociles avant d'être livrées à la prostitution.

Ainsi que l'a rappelé Danièle Bousquet, présidente du Haut conseil à l'égalité, lors de son audition par la délégation 53 ( * ) , on ne saurait parler de libre choix quand le seul espoir des personnes prostituées est de souffrir moins que pendant la période de « dressage » (six mois à un an) qui consiste à faire subir aux futures prostituées des « violences indescriptibles » pour les « détruire psychiquement » et les conduire à considérer le trottoir comme « la chance de leur vie ».

Le rapport précité de Chantal Jouanno et Jean-Pierre Godefroy évoque également des témoignages d'IVG pratiquées avec une violence révoltante du fait des réseaux, par exemple à coups de pieds dans le ventre 54 ( * ) ...

Une autre violence, également mise en évidence par ce rapport, tient à l'augmentation des rapports non protégés , demandés par les clients eux-mêmes (la proportion atteindrait un sur cinq selon l'association Grisélidis). Cette attitude se situe dans le cadre d'une prostitution qualifiée de « low cost », à prix « cassés », liée à l'augmentation de l'offre prostitutionnelle dont la conséquence est une concurrence accrue qui contraint les personnes prostituées à accepter les exigences des clients.

Selon un rapport de 2006 de la députée européenne Maria Carshamre, les personnes prostituées auraient 60 à 120 fois plus de risques de mourir que le reste de la population. Une étude canadienne citée par Claire Quidet révèle que les personnes prostituées connaîtraient un taux de mortalité « quarante fois supérieur à la normale » 55 ( * ) .

Les personnes sorties de la prostitution auditionnées par la commission spéciale ont également souligné le lien entre l'entrée dans la prostitution et les violences (abus sexuels pendant l'enfance, violence conjugale, viols) subies par celles qui « tombent dedans » après des « vies difficiles » 56 ( * ) .

Enfin, la violence infligée aux personnes prostituées réside également dans le « regard d'autrui » : comme l'a souligné Claire Quidet devant la délégation 57 ( * ) , « les personnes prostituées ne sont plus vues que comme des prostituées, non pas comme des personnes ».

La prostitution relève donc des violences faites aux femmes. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si des parlementaires se sont saisis de la question de la prostitution après les travaux législatifs qui ont conduit à l'adoption de la loi du 9 juillet 2010 relative à la lutte contre les violences faites aux femmes.

La répression du recours à la prostitution prévue par la proposition de loi adoptée par les députés contribuera donc à compléter l'arsenal législatif de lutte contre les violences faites aux femmes constitué par les lois successivement adoptées contre le viol, le harcèlement moral et sexuel, les violences conjugales et le mariage forcé.

Ce texte permettra d'aller au bout de cette démarche : il s'agit désormais, ainsi que le relevait Claire Quidet, présidente du Collectif Abolition 2012 58 ( * ) , de proscrire les rapports sexuels imposés par la contrainte économique : « les violences légitimées par l'argent ne sont pas plus recevables que les autres » 59 ( * ) .

La délégation recommande donc que tous les professionnels en contact avec des femmes victimes de violences soient sensibilisés et formés au lien entre violences et prostitution, afin de permettre un véritable repérage des victimes de la prostitution et d'améliorer leur prise en charge.

2. Une violence faite aussi aux enfants

Ernestine Ronai, coordinatrice « Violences faites aux femmes » à la MIPROF, a alerté la délégation sur l'existence, au sein des établissements scolaires, de stratégies ciblées sur des jeunes filles fragiles, contre lesquelles sont conduites de véritables « campagnes de déstabilisation » (« cette fille est une pute ») dont la dernière étape est l'agression sexuelle, les agresseurs prétendant qu'« elle aime ça ». C'est généralement à la victime de quitter l'établissement et pas à son agresseur - qui est d'ailleurs lui aussi souvent un élève... Selon Ernestine Ronai, ces scénarios, qui ne constituent pas des évènements isolés, montrent la faiblesse du dispositif de protection de la jeunesse, notamment dans le cadre scolaire.

Ce point a été confirmé par les interlocutrices rencontrées lors d'un déplacement au collège Jean Vilar de Villetaneuse, le 25 mars 2014 60 ( * ) . Quand se produisent de tels drames, c'est à la victime de quitter l'établissement et non aux responsables de son agression. Dans la plupart des cas, longtemps après, chacun reste convaincu qu'elle a bien cherché ce qui lui est arrivé...

Le lien entre prostitution et violences subies pendant l'enfance a aussi été évoqué par plusieurs témoins. Selon une étude du Collectif féministe contre le viol effectuée auprès de 150 femmes ayant pris contact avec la permanence téléphonique de cette association, près de 70 % des femmes qui se sont trouvées en situation de prostitution auraient été violées pendant leur enfance ; 60 % auraient été prostituées par leurs parents ; 30 % auraient été victimes d'inceste 61 ( * ) . Ce point a été confirmé par Ernestine Ronai, 62 ( * ) , qui a rappelé que la lutte contre le phénomène prostitutionnel « commence par la protection de l'enfance ».

Pour les enfants également, la prostitution est donc un élément d'un continuum de violences qui comprend notamment l'inceste et la pédophilie.

La délégation recommande donc que la formation dont devraient bénéficier tous les professionnels en contact avec des femmes victimes de violences soit étendue aux personnes, notamment dans le cadre de l'Aide sociale à l'enfance, qui accueillent des enfants victimes de violences, car ceux-ci peuvent être menacés à terme par le danger de la prostitution.


* 45 Voir le compte rendu de la présentation de leur rapport devant la délégation, le 19 décembre 2013.

* 46 Voir le compte rendu du 5 novembre, pp. 233-235.

* 47 Voir le compte rendu du 27 février 2014.

* 48 Voir le compte rendu du 14 mars 2013.

* 49 Voir le compte rendu du 20 février 2014.

* 50 Voir le compte rendu du 20 février 2014.

* 51 Compte rendu des auditions de la commission spéciale de l'Assemblée nationale, 30 octobre 2013, p. 206.

* 52 Voir l'audition, le 5 novembre 2013 par la commission spéciale de l'Assemblée nationale, d'un médecin légiste, secrétaire général de l'association Mémoire traumatique et victimologie (compte rendu p. 236).

* 53 Voir le compte rendu du 24 janvier 2013.

* 54 Voir le compte rendu de leur audition par la délégation le 19 décembre 2013.

* 55 Voir le compte rendu du 20 février 2014.

* 56 Voir le compte rendu du 9 avril 2014.

* 57 Voir le compte rendu du 20 février 2014.

* 58 Voir le compte rendu du 14 mars 2013.

* 59 Voir le compte rendu du 20 février 2014.

* 60 Voir le compte rendu en annexe.

* 61 Chiffres mentionnés au cours de l'audition du 5 novembre 2013 de la commission spéciale de l'Assemblée nationale : voir le compte rendu pp. 235-236.

* 62 Voir le compte rendu de son audition par la délégation, le 6 février 2014.

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