III. LES RÉPONSES AU RISQUE DE BANALISATION DE LA PROSTITUTION EXISTENT : OFFRIR UNE NOUVELLE VIE AUX VICTIMES, RESPONSABILISER LES ACHETEURS ET ÉDUQUER DANS UN ESPRIT DE PRÉVENTION

A. PROPOSER UNE NOUVELLE VIE AUX VICTIMES DE LA PROSTITUTION

1. Encourager la sortie de la prostitution

La proposition de loi organise un « parcours de sortie de la prostitution » auquel la délégation apporte son soutien total.

La délégation s'en remet à la commission spéciale, saisie au fond, pour, le cas échéant, améliorer ce dispositif qui s'appuie sur :

- les conseils départementaux de prévention de la délinquance, d'aide aux victimes et de lutte contre la drogue, les dérives sectaires et les violences faites aux femmes (article 3 de la proposition de loi modifiant l'article L. 121-9 du code de l'action sociale et des familles) ;

- la création, à l'article 4, d'un fonds pour la prévention de la prostitution et l'accompagnement social et professionnel des personnes prostituées (article 4 de la proposition de loi), alimenté notamment par le produit des confiscations des biens des personnes reconnues coupables de proxénétisme) et des amendes acquittées par les acheteurs. Ce fonds devrait permettre le financement de l'accompagnement social des personnes engagées dans un parcours de sortie, la prise en charge de leurs besoins sanitaires et l'aide à la recherche d'emploi. 20 millions d'euros pourraient ainsi être pris en charge pendant les trois premières années de mise en oeuvre de ce parcours ;

- des modifications du CESEDA (code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) permettant l'attribution d'une autorisation provisoire de séjour de six mois pour les étrangers engagés dans un parcours de sortie (article 6 de la proposition de loi) ; cette carte temporaire autorise l'exercice d'une activité professionnelle ; elle serait renouvelée de plein droit pendant toute la durée de la procédure pénale ;

- l'attribution de l'allocation de logement temporaire aux associations agréées pour l'accompagnement des personnes engagées dans un parcours de sortie (article 8 de la proposition de loi) : ces personnes pourront par ailleurs, selon l'article premier ter A, se faire domicilier auprès de ces associations : il importe donc que l'agrément dont celles-ci feront l'objet obéisse à des procédures particulièrement rigoureuses ;

- l'extension aux personnes engagées dans un parcours de sortie de l'accueil en centres d'hébergement et de réinsertion sociale dans des conditions sécurisantes, réservés aux personnes en grande difficulté (article 9 de la proposition de loi) ;

- l'extension des circonstances aggravantes prévues par le code pénal aux actes de barbarie, aux violences et aux mutilations exercées contre une personne se livrant à la prostitution, même de manière occasionnelle (article 9 bis de la proposition de loi) ;

- le droit à la réparation intégrale des dommages subis par les victimes du proxénétisme (article 10 de la proposition de loi) ;

- la possibilité, pour les associations dont l'objet est la lutte contre le proxénétisme et la traite, de se porter partie civile (article 11 de la proposition de loi) ;

- l'extension aux victimes de la traite et du proxénétisme du droit de bénéficier du huis clos de droit (article 12 de la proposition de loi).

Mentionnons également que l'article 14 ter de la proposition de loi complète le code de la santé publique pour poser le principe de la responsabilité de l'État en matière de réduction des risques (prévention des dommages sanitaires, sociaux et psychologiques et des IST) en direction des personnes prostituées.

La délégation demande :

- que des moyens suffisants et pérennes soient consacrés au financement du parcours de sortie de prostitution, et que ce parcours soit organisé de manière à couvrir l'ensemble des besoins des personnes concernées ;

- que les associations qui participeront à la mise en oeuvre du parcours de sortie de prostitution fassent l'objet d'une attention particulière et soient accompagnés et formés.

2. Abroger le délit de racolage

L'article 13 de la proposition de loi abroge le délit de racolage défini par l'article 225-10-1 du code pénal résultant de la loi du 18 mars 2003 : « Le fait, par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au racolage d'autrui en vue de l'inciter à des relations sexuelles en échange d'une rémunération ou d'une promesse de rémunération est puni de deux mois d'emprisonnement et de 3 750 Euros d'amende. »

Cette abrogation découle du constat que les personnes en situation de prostitution sont avant tout les victimes d'un système extrêmement violent, et que les délinquants à punir sont les proxénètes et les responsables de la traite, non les personnes prostituées.

L'abrogation du délit de racolage semble par ailleurs un prérequis indispensable pour convaincre les victimes de la traite de sortir de la prostitution, ce qui suppose qu'elles ne considèrent pas la police comme une menace, voire qu'elles instaurent avec la police des relations de confiance.

Le délit de racolage est certes jugé utile par les services enquêteurs car il contribuerait à compliquer le travail des réseaux et permettrait à ces services de collecter des renseignements indispensables à la connaissance de l'univers prostitutionnel. Selon les spécialistes auditionnés par la délégation et par la commission spéciale de l'Assemblée nationale, le délit de racolage ne servirait pas, en réalité, à sanctionner les personnes prostituées 103 ( * ). . Le responsable de l'OCRTEH entendu par la délégation a d'ailleurs suggéré d'étendre la définition du racolage aux annonces diffusées sur Internet et sur le mobilier urbain 104 ( * ) .

Le ministre de l'Intérieur, lors de son audition par la commission spéciale de l'Assemblée nationale, a toutefois rappelé, pour mémoire, la nécessité de « répondre à la demande des riverains excédés tant par le racolage lui-même que par les nuisances qui l'accompagnent : ballet de véhicules et défilés de passants, bagarres avec les clients ou entre prostituées ».

Se référant au rapport de la commission des lois du Sénat sur la proposition de loi portant abrogation du délit de racolage public, adoptée par le Sénat le 28 mars 2013, le ministre de l'Intérieur a néanmoins constaté la diminution du nombre de peines prononcées à ce titre (1 028 en 2005, 194 en 2011) 105 ( * ) , « quand il ne s'agit pas de simples rappels à la loi » 106 ( * ) . Cette évolution tient notamment, pour les juges, à la difficulté d'établir la matérialité des faits, plus particulièrement dans le contexte de racolage passif.

Les nécessités liées à la recherche de renseignements sur les réseaux à l'origine de la traite prostitutionnelle ne sauraient néanmoins à elles seules justifier le maintien du délit de racolage, dont l'abrogation résulte de la logique de la directive 2011/36/UE du 5 avril 2011 relative à la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes. L'article 8 de cette directive prévoit en effet que les États membre prennent « les mesures nécessaires pour veiller à ce que les autorités nationales compétentes aient le pouvoir de ne pas poursuivre les victimes de la traite des êtres humains » .

La délégation juge nécessaire l'abrogation du délit de racolage, indispensable à l'instauration de relations confiantes entre les personnes prostituées et la police, dans la logique de l'encouragement des personnes prostituées à s'engager dans un parcours de sortie.


* 103 Compte rendu des auditions de la commission spéciale de l'Assemblée nationale, 30 octobre 2013, p. 199.

* 104 Yves Charpenel, magistrat et président d la Fondation Scelles, a estimé lors de son audition par la commission spéciale le 30 avril 2014 que les articles 78-2 et 78-2-1 du code pénal auxquels il est fréquemment recouru dans le cadre de la cadre de la lutte contre la toxicomanie, permettaient des contrôles d'identité sur instruction écrite du procureur de la République, et que ces contrôles pouvaient avoir lieu y compris dans des établissements comme des hôtels ou des salons de massage.

* 105 Le nombre de faits de racolage constaté est passé de 5 152 en 2004 à 2 679 en 2012 ; le nombre de gardes à vues pour racolage est passé de 4 712 en 2004 à 1 668 en 2012.

* 106 Compte rendu des auditions de la commission spéciale de l'Assemblée nationale, 14 novembre 2013, p. 314 et rapport n° 439 (2012-2013) de Virginie Klès, au nom de la commission des lois du Sénat, sur la proposition de loi visant à l'abrogation du délit de racolage.

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