III. L'ABSENCE DE CONSENSUS POLITIQUE NE PERMET PAS AU PRÉSIDENT DE METTRE EN OEUVRE UNE POLITIQUE ÉTRANGÈRE ET DE DÉFENSE AMBITIEUSE

A. LE POIDS DU CONGRÈS

Si, dans un régime parlementaire, l'exécutif issu de la majorité parlementaire et disposant de sa confiance est puissant, dans un système présidentiel, le Président est réduit à la fonction exécutive et ne peut agir sans l'accord du Congrès.

1. Un système d'équilibre entre le Président, la Chambre des Représentants et le Sénat

Privés du droit de dissolution, le Président n'a d'autre pouvoir que de « persuader » les Représentants et les Sénateurs ou de mettre un veto à leurs initiatives. Les rythmes électoraux de l'exécutif (élection tous les 4 ans) et des chambres (élections tous les 2 ans des chambres des Représentants, renouvellement du Sénat par tiers tous les 2 ans) sont différents et les partis politiques, d'abord conçus comme des « machines électorales », ont un pouvoir insuffisant pour faire régner une discipline collective au Congrès. En outre, le système de plus en plus répandu des « primaires ouvertes » leur donne peu de poids dans la désignation des candidats.

Les tensions entre la Maison Blanche et Capitole Hill sont une conséquence naturelle et assumée de la Constitution de 1787, fondée sur la séparation stricte et l'équilibre des pouvoirs ( checks and balances , freins et contrepoids), dès lors que des blocages institutionnels (« gridlocks ») ne s'installent pas dans la durée et que l'esprit de compromis prévaut.

Ce faisant, depuis la fin des années 1960, les situations de blocage ont tendance à se multiplier et à s'ancrer dans la durée, au point de rendre plus visqueux ce système de gouvernance et parfois de le paralyser . Maya Kandel relève que les situations de cohabitation deviennent fréquentes : 33 années et demi de 1950 à 2002 (64 %) ou encre 23 années et demi de 1980 à 2012 (75 % de la période) 18 ( * ) . Comme le note François Vergniolle de Chantal 19 ( * ) « les Pères Fondateurs n'avaient pas anticipé les développements qui ont grippé leur mécanique institutionnelle. Les oppositions partisanes en cas de cohabitation (« divided government ») ont accentué les clivages au point de paralyser le système. ».

2. Un système qui se paralyse

Cette situation résulte d'une polarisation partisane qui s'est accentuée. Les deux partis, Républicains et Démocrates, sont devenus plus homogènes que jamais, rassemblant pour le premier tous les conservateurs, pour le second, tous les progressistes, alors qu'ils étaient, depuis le milieu du XIX e siècle, traversés par de profondes divisions : Démocrates du sud, très conservateurs, traditionnellement opposés aux Républicains depuis la guerre de Sécession, Républicains progressistes dans la tradition émancipatrice des Fondateurs et d'Abraham Lincoln.

Cette évolution est le produit des changements qui se font jour au sein du parti républicain (GOP, « Great Old Party » ) de plus en plus irrémédiablement divisé entre son élite traditionnelle et une mouvance « Tea party » minoritaire (entre un quart et un tiers) mais de plus en plus active, radicale et contestataire. Ce clivage se renforce à l'approche des élections de mi-mandat (novembre 2014) avec le déroulement des élections primaires pour désigner, dans chaque État, les candidats. Il conduit aussi à un durcissement des élus sortants qui sont contestés par les candidats « Tea Party » et qui essaient d'élargir leur base électorale en reprenant les thèmes de cette tendance. En effet, ceux-ci se sentent vulnérables. Alors que le taux de réélections des parlementaires était traditionnellement très élevé (supérieur à 90 % pour les représentants et supérieur à 80 % pour les sénateurs), il n'est pas rare de voir des sortants battus lors des primaires comme le leader des Républicains à la Chambre, Éric Cantor, en Virginie en juin dernier.

En conséquence, le Président Obama, depuis 2010, doit faire face à une majorité républicaine à la Chambre des Représentants qui se durcit et qui pratique la surenchère idéologique, notamment sous l'influence du Tea Party . Sans doute, la majorité démocrate au Sénat qui enterre systématiquement les initiatives législatives des Républicains à la chambre basse lui évite-t-elle d'avoir recours au veto, mais, en sens inverse, les compromis nécessaires, pour faire aboutir les initiatives du Président et voter le budget annuel sont difficiles à élaborer comme l'a montré l'épisode du « shutdown » au cours de l'hiver 2013-2014 avec pour résultat immédiat la suspension du traitement des fonctionnaires et le licenciement de certains personnels des administrations et agences fédérales. Le Congrès actuel est, du reste, le moins productif depuis la présidence de Truman : faute d'accord, seulement 5 % de propositions de loi aboutissent.


* 18 Maya Kandel « Le Congrès, acteur essential de la politique étrangère et de défense des États-Unis » - Cahiers de IRSEM 2012 n° 15

* 19 François Vergniolle de Chantal, professeur à l'Université Paris-Diderot et codirecteur de la Revue Politique américaine - « États-Unis, un Président pas si puissant » Alternatives internationales Hors série n° 14 janvier 2014. À noter également dans les Études du CERI n° 200 décembre 2013 « Le Congrès des États-Unis : une Assemblée incontrôlable ».

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