D. UNE ZONE DE RESSOURCES NATURELLES CONVOITÉES

L'Asie du Sud-Est est une région riche en ressources naturelles . Ainsi la Thaïlande, premier pays producteur de riz, produit le tiers du caoutchouc mondial ; l'Indonésie est leader mondial de la production d'huile de palme et de charbon. Brunei produit 160 000 barils de pétrole par jour.

DES RESSOURCES NATURELLES ABONDANTES

Pétrole et gaz : Brunei (160 000 barils/jour), Birmanie, Indonésie, Malaisie

Hydro-électricité : Laos, Vietnam

Charbon : Indonésie (leader mondial), Birmanie, Laos, Vietnam

Pierres semi-précieuses : Birmanie (jade)

Bois : Indonésie, Birmanie, Malaisie

Caoutchouc : Thaïlande (1/3 de la production mondiale), Indonésie

Huile de palme : Indonésie (leader mondial), Malaisie

Riz : Thaïlande (leader mondial), Vietnam

1. Des ressources halieutiques menacées dans une zone sous pression alimentaire

La mer de Chine méridionale représente 3,5 millions de km 2 . Ses richesses halieutiques nourrissent les trois quarts des populations riveraines de la Chine du sud, de Taiwan, du Vietnam, des Philippines, de Brunei et de la Malaisie, notamment.

La dégradation de la ressource en poisson y constitue une menace, à terme, pour la sécurité alimentaire.

En Asie, en effet, plus d'un milliard de personnes dépendent des produits de la mer comme principale source en protéines animales. Dans les 30 années à venir, on estime globalement à plus de 6,3 milliards le nombre de personnes susceptibles de venir s'installer dans les zones côtières déjà très densément peuplées, dont une bonne part en Asie. Les conséquences sur la ressource en poisson, (« protéine du pauvre » ), de cette augmentation de la demande et de la surpêche qui en découle sont dramatiques. Déjà en 2004, la FAO 24 ( * ) estimait qu'en Asie Pacifique, sur les 25 dernières années, la quantité de poissons disponible a diminué de 6 à 33 pour cent.

Outre la surpêche, liée à la densification du peuplement, l'Asie du Sud-Est figure parmi les régions menacées par les techniques « destructrices » telles la pêche au cyanure ou à la dynamite.

LA « PÊCHE DESTRUCTRICE » EN ASIE DU SUD-EST 25 ( * )

La pêche au cyanure est une technique populaire pour capturer les poissons de récif vivants pour le marché des aquariums et des restaurants.

Elle est très répandue en Asie du Sud-Est. Le cyanure est injecté dans les trous des coraux et dans les crevasses où les animaux se réfugient. Le produit les paralysant, ils deviennent des proies faciles pour les pêcheurs. Cependant, le cyanure empoisonne les récifs et est extrêmement nocif pour les polypes de coraux et les autres organismes de ce fragile écosystème. De plus, moins de la moitié des poissons ainsi capturés survivent assez longtemps pour être vendus sur le marché. La pêche au cyanure s'étend des récifs décimés et dévastés des Philippines - où on estime que 65 tonnes de cyanure sont déversées chaque année - à des récifs isolés à l'Est de l'Indonésie et d'autres pays de l'ouest du Pacifique.

La pêche à l'explosif existe probablement depuis des siècles et est aujourd'hui en expansion. Les explosions peuvent produire de grands cratères, dévastant 10 à 20 m 2 de fond marin. Elles tuent non seulement les poissons visés, mais aussi toute la faune et la flore environnantes, l'explosion ne discriminant ni la taille ni l'espèce. Les explosifs et matériaux de bases comme les pesticides et le sucre sont bon marché et sont facilement disponibles. Les explosifs commerciaux sont souvent obtenus à partir de l'industrie minière ou de construction. Dans de nombreuses régions, il suffit aux pêcheurs d'extraire les explosifs d'anciennes munitions provenant de conflits passés ou présents. Ailleurs, les pêcheurs se les procurent par le biais du trafic d'arme illégal.

Les « accrochages » fréquents de navires de pêche dans les zones de pêche en mer de Chine du Sud montrent d'ailleurs la vivacité de la problématique de l'accès aux ressources halieutiques et de leur préservation.

2. Des richesses géologiques et minières dans un contexte d'accroissement des besoins énergétiques
a) Une région d'exploitation pétrolière et minière de longue date

D'après une étude économique récente 26 ( * ) , l'ASEAN représente désormais plus de 10% des échanges de minerais dans le monde , avec des échanges multipliés par 10 entre 2000 et 2010 , passant de 4,1 à 43,1 milliards de dollars. La région est désormais le troisième fournisseur de la Chine, laquelle consomme 40% de la production mondiale de minerais. Cette réussite spectaculaire repose en majeure partie sur l'Indonésie, qui concentre désormais 9% des ventes de minerais dans le monde.

Après la croissance déjà exceptionnelle de ces dernières années, les experts attendent dans les années à venir des taux de croissance record dans le secteur minier, en particulier en Indonésie et aux Philippines. La région dispose en effet d'un potentiel considérable grâce à des réserves abondantes encore inexploitées d'or, de charbon et de nickel, situées en Indonésie, aux Philippines, mais aussi au Vietnam et dans les pays moins développés, comme le Cambodge, le Laos et la Birmanie, laquelle est parfois qualifiée de « mine d'or » par la Banque asiatique de Développement. On ne compte pas moins de 117 projets miniers aujourd'hui au sein de l'ASEAN.

LE SECTEUR MINIER DANS L'ASEAN, UN GISEMENT DE CROISSANCE 27 ( * )

Le dynamisme de la croissance dans les pays de l'ASEAN va tirer le secteur minier dans l'ASEAN dans les années à venir, notamment sous l'effet de la demande chinoise, qui consomme 40% des minerais industriels dans le monde. Courant 2012, la région comptait 117 projets miniers 28 ( * ) , tous minerais confondus : 40 projets miniers d'extraction d'or et d'argent, de cuivre et d'or (20 projets), de charbon et de nickel (17 projets respectivement). La croissance la plus forte concerne l'extraction de minerai industriel (cuivre, nickel, étain...).

La région dispose encore de nombreuses réserves inexploitées, notamment en Indonésie et aux Philippines .

L'Indonésie disposerait ainsi de réserves d'or équivalentes à celles des États-Unis, mais qui sont deux fois moins exploitées. Le chiffre d'affaires global de l'industrie minière va tripler entre 2009 et 2016, pour passer de 57 à 143 milliards de dollars. La production de charbon « dope » l'activité, ainsi que celle du nickel, avec des prévisions de croissance annuelle de 10% pour ces deux secteurs.

Les Philippines sont considérées comme le 5 ème pays le plus riche en minerais au monde ; le 3 ème pour les ressources en or, riche en nickel et en cuivre. Le chiffre d'affaires global du secteur minier devrait quadrupler, passant de 2 à 8 milliards de dollars entre 2009 et 2016.

b) Les possibles ressources en hydrocarbures en Mer de Chine méridionale, facteur de mise sous tension

Même si les études divergent en la matière, certains voient dans la mer de Chine du Sud un véritable petit « Koweit » sous-marin, qui pourrait receler jusqu'à 213 milliards de barils de pétrole , soit 80% des réserves en or noir de l'Arabie Saoudite 29 ( * ) , et 25 000 milliards de mètres cubes de réserves de gaz. Une étude chinoise, d'où proviendraient ces chiffres 30 ( * ) , souligne que ces réserves seraient à même de couvrir les besoins énergétiques chinois pendant 50 ans....

D'autres estimations font état de « seulement » 11 milliards de barils de pétrole et 190 milliards de mètres cubes de gaz...

Il est d'ailleurs frappant que les récents incidents entre le Vietnam et la Chine en mer de Chine du Sud aient été déclenchés par des mouvements d'une plate-forme chinoise d'exploration pétrolière (la plate-forme HD 981), installée au large de Danang, non loin des côtes vietnamiennes 31 ( * ) .

Ces tensions s'inscrivent dans le cadre d'une course effrénée à l'appropriation des ressources naturelles pour sécuriser l'apport en énergie nécessaire au maintien de la croissance.

3. Des ressources agricoles et sylvicoles sous pression
a) L'exemple de la forêt indonésienne

D'une superficie de 240 millions d'hectares, soit 17% du couvert forestier mondial, la forêt tropicale humide indonésienne est le troisième bassin forestier au monde. « Poumon vert » de la planète, elle représente une des grandes richesses de l'archipel indonésien, à la fois pour sa diversité biologique, sa contribution à l'équilibre éco-systémique planétaire et les activités économiques qui en dépendent.

Même si elle reste l'une des plus étendues du monde, la forêt indonésienne a beaucoup reculé au cours des cinq dernières décennies , notamment pour répondre aux besoins de l'industrie papetière, puis sous l'effet de l'expansion de la culture du palmier à huile . Cette situation est préoccupante sur le plan environnemental .

Entre 1990 et 2000, l'Indonésie aurait perdu approximativement 1,3 million d'hectares de forêts par an (FAO, 2001), soit 20% de ses forêts en vingt ans, ce qui place désormais le pays en position de 8 ème émetteur mondial de gaz à effet de serre.

Pour schématiser, on peut considérer que la forêt indonésienne recule de l'équivalent d'un terrain de tennis chaque minute, et de la surface de Manhattan chaque mois 32 ( * ) .

La prise de conscience de ce problème est désormais bien réelle, comme le souligne d'ailleurs un récent rapport du Sénat 33 ( * ) : « La politique du gouvernement indonésien concernant les forêts a évolué au cours des dernières décennies. Pendant longtemps, les autorités se sont surtout préoccupées de valoriser la ressource forestière, qui paraissait inépuisable. Peu à peu, la prise de conscience des enjeux écologiques a fini par s'imposer grâce au rôle des différentes ONG qui ont attiré l'attention sur les dégâts causés à la forêt indonésienne. »

Le Gouvernement indonésien, qui a d'ambitieux objectifs de réduction des gaz à effet de serre, a décrété un moratoire , en 2011, sur l'attribution de concessions dans les forêts primaires, qui a été reconduit en 2013. Selon la FAO, l'exploitation des forêts serait ainsi passée de 1 914 000 hectares par an entre 1990 et 2000 à 498 000 hectares par an de 2000 à 2010.

Le rapport précité du Sénat concluait ainsi : « La forêt indonésienne a connu un fort recul, lié d'abord à la production de pâte à papier puis aux plantations de palmiers à huile. Mais il faut savoir reconnaître le ralentissement de la déforestation, la forte volonté de l'Indonésie et de son ministère des forêts, dont témoignent le moratoire, et la prise de conscience par les industriels de la nécessité d'un développement vraiment durable et de la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre. Le développement durable passe par l'utilisation de bois de plantations, qu'il faut donc, par cohérence, pouvoir certifier, et par la protection des forêts naturelles qui doivent être préservées dans leur biodiversité. ».

En Indonésie, les feux de forêts sont récurrents en saison sèche sur les îles de Sumatra et de Bornéo. En 1997, les incendies, aggravés par le phénomène du Nino, particulièrement marqué cette année-là, avaient détruit près de 100 000 km² de forêt et, pendant des mois, envoyé leurs fumées ( haze ) à Singapour et en Malaisie. En juin 2013, les incendies de forêts dans la province de Riau, sur l'île de Sumatra, ont pris des proportions telles que les conséquences sur la qualité de l'air dans la province elle-même, mais aussi à Singapour et en Malaisie péninsulaire, ont entraîné des réactions de la part des voisins de l'Indonésie.

Certains ont à cette occasion pointé du doigt à la fois les pratiques traditionnelles de nettoyage des terrains pour la mise en culture (écobuage) mais aussi les agissements de certaines entreprises de production d'huile de palme, pour lesquelles il est plus économique de brûler des plantations qui ne produisent plus ou des forêts secondaires dont les bois ne sont guère exploitables commercialement, plutôt que de les défricher par des moyens mécaniques.

b) L'huile de palme

L'Indonésie et la Malaisie figurent notamment au rang des principaux pays producteurs et exportateurs d'huile de palme.

La croissance de ce marché est continue : en Indonésie par exemple, la production totale s'établit à 27 millions de tonnes, pour une surface totale de 10 millions d'hectares de palmiers à huile (dont 8 millions d'hectares sont effectivement en production). Près de 20 millions de tonnes sont destinées à l'exportation, le marché domestique ne représentant que 7 millions de tonnes. Les principaux marchés d'exportation de l'Indonésie sont l'Inde (6,1 millions de tonnes), l'Union européenne (4 millions de tonnes) et la Chine (2,7 millions de tonnes).

Avec ces chiffres, l'Indonésie ravit désormais la place de premier exportateur mondial d'huile de palme à la Malaisie (18,1 millions de tonnes en 2013).

L'Indonésie s'oriente de manière croissante vers son marché domestique, à travers la production de biocarburant à partir de l'huile de palme (incitations financières accrues, augmentation du taux d'incorporation obligatoire de 7,5% à 10% dans le bio-diesel), ce qui lui permet à la fois de limiter ses importations de carburants fossiles et de soutenir le cours de l'huile de palme.

Cette tendance, conjuguée à la hausse des exportations, explique que, malgré les contraintes règlementaires croissantes (moratoire sur la déforestation, limitation de la taille des plantations,...), les surfaces cultivées et le niveau de production devraient continuer à croître dans les années à venir. L'objectif officiel est de parvenir à un niveau de 40 millions de tonnes en 2020.

Parallèlement, la production intègre de plus en plus le respect de critères de qualité pour arriver à une production durable d'huile de palme . L'Indonésie se positionne, au sein des différents pays importateurs, sur ce segment, particulièrement important pour des marchés tels que celui de l'Union européenne, là où la Chine et l'Inde demeurent, à ce stade, relativement indifférentes au caractère durable ou pas de l'huile de palme qu'elles importent.

LE PROCESSUS DE CERTIFICATION DE L'HUILE DE PALME EN INDONÉSIE

L'Indonésie a lancé en 2011 un système national de certification durable de la production d'huile de palme (Indonesian Sustainable Palm Oil - ISPO). Cette initiative fait suite au désengagement de l'Indonésie du système de certification international Roundtable on Sustainable Palm Oil (RSPO). Le système de certification ISPO est obligatoire, avec un objectif officiel (ambitieux) de 100% d'entreprises certifiées ISPO d'ici le 31 décembre 2014.

Parallèlement, les grandes entreprises productrices ou utilisatrices d'huile de palme (telles que Wilmar ou Unilever par exemple), déjà certifiées, ont accompli d'énormes progrès au cours des dernières années, et d'ores et déjà au-delà des exigences de la certification. En effet, elles ont pris, de manière indépendante, des engagements complémentaires en matière de production durable, nécessaires pour offrir des garanties fortes sur les questions de déforestation et de biodiversité.


* 24 http://www.fao.org/NEWSROOM/fr/news/2004/49367/index.html

* 25 Source : Programme des Nations unies pour l'environnement, PNUE, « La surpêche, principale menace pesant sur l'écologie maritime mondiale »,

http://www.grid.unep.ch/products/3_Reports/ew_overfishing.fr.pdf

* 26 Source : note « Horizon ASEAN », 2013, Service économique régional de Singapour, direction du Trésor

* 27 Source : note de la direction générale du Trésor, service économique régional de Singapour

* 28 Source : Ibid.

* 29 Cette estimation est souvent citée dans la presse, cf. par exemple le journal Le Monde le 20 janvier 2013 « Pékin Manille, un face à face tendu »

* 30 « Great game in the South China Sea », the Hanoist, Asia Times online, 17 avril 2012, cité par François Raillon

* 31 Plus précisément, dans la zone économique exclusive du Vietnam, même si cette localisation dans la ZEE vietnamienne est contestée par certains experts, comme le souligne un article récent de Mme Sophie Boisseau du Rocher, « Chine /ASEAN : Les consultations sur la Mer de Chine sont elles menacées ? »

* 32 Source : entretiens à Jakarta

* 33 Rapport d'information de Mme Catherine Procaccia, http://www.senat.fr/ga/ga108/ga108.pdf

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page