N° 729

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2013-2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 16 juillet 2014

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1), sur le contrôle de la politique d' aide publique au développement de la France au Vietnam ,

Par M. Yvon COLLIN,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Marini , président ; M. François Marc , rapporteur général ; Mme Michèle André , première vice-présidente ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Jean-Pierre Caffet, Yvon Collin, Jean-Claude Frécon, Mmes Fabienne Keller, Frédérique Espagnac, MM. Albéric de Montgolfier, Aymeri de Montesquiou, Roland du Luart , vice-présidents ; MM. Philippe Dallier, Jean Germain, Claude Haut, François Trucy , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, Claude Belot, Michel Berson, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Joël Bourdin, Christian Bourquin, Mme Nicole Bricq, MM. Jacques Chiron, Serge Dassault, Vincent Delahaye, Francis Delattre, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. Éric Doligé, Philippe Dominati, Jean-Paul Emorine, André Ferrand, François Fortassin, Thierry Foucaud, Yann Gaillard, Charles Guené, Edmond Hervé, Pierre Jarlier, Roger Karoutchi, Yves Krattinger, Dominique de Legge, Gérard Miquel, Georges Patient, François Patriat, Jean-Vincent Placé, Jean-Marc Todeschini, Richard Yung .

LES PRINCIPALES CONCLUSIONS DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. - Le maintien d'une aide française au Vietnam est nécessaire , au vu des défis qui attendent encore ce pays. La présence de l'Agence française de développement (AFD) est d'autant plus justifiée que ses coûts sont « amortis » par les intérêts des prêts qu'elle accorde. Il souligne que son rôle ne peut être réduit à des données bancaires, dans la mesure où elle participe à notre diplomatie - notamment climatique - et joue un rôle d'influence en matière économique.

2. - Les partenariats publics-privés présentent des avantages, tant pour les autorités vietnamiennes que pour les cocontractants, en termes de financement, d'endettement de l'État et de gestion des infrastructures, comme le montre notamment le succès de la centrale de Phu My 2.2.

Il est souhaitable que les autorités vietnamiennes mettent en place un cadre juridique propice au développement de ce type de financement et que ce travail fasse l'objet d'un soutien français , sous forme d'assistance technique par exemple, étant donné le savoir-faire de l'administration française sur ce sujet.

3. - Les autorités vietnamiennes se sont engagées à renforcer leur capacité d'absorption de l'aide, mais certains projets accusent d'importants retards et l'on constate un faible taux de décaissement global de l'APD au Vietnam.

Il propose donc également que les autorités françaises étudient des concours spécifiques, visant à accroître les capacités d'absorption de l'aide , que ce soit par exemple sous forme d'aides budgétaires au profit des ministères et des administrations concernées ou d'assistance technique.

4. - Le taux de retour pour les entreprises françaises des prêts consentis par l'AFD est particulièrement bas , du fait d'une offre qui ne correspond pas forcément aux besoins du pays. Les autorités diplomatiques et l'AFD font des efforts pour améliorer ce résultat.

Le projet de contrat d'objectifs et de moyens entre l'AFD et l'État pour la période 2014-2016 définit des critères précis pour suivre cette question.

Les principales critiques formulées par les entrepreneurs français rencontrés sur place ont plutôt porté sur les différents systèmes d'aide à l'exportation et de financement des PME.

5. - L'agence de Hanoi encourage la conclusion de prêts non souverains , avec la signature d'un protocole avec le ministère du plan et de l'investissement, encadrant le déploiement de ses financements non souverains au Vietnam

Le développement de ces financements permettra de surmonter les limites posées par le respect du « ratio grand risque » auquel est soumise l'AFD et donc de ne pas entraver son action au Vietnam.

Cet outil novateur au sein de l'APD au Vietnam suscite l'enthousiasme des interlocuteurs vietnamiens.

Mesdames, Messieurs,

Le Vietnam est l'un des principaux bénéficiaires de l'aide publique au développement (APD) française. Notre pays est le deuxième donateur bilatéral du Vietnam après le Japon, avec 18,4 milliards de dollars d'engagements cumulés depuis 1993, et le Vietnam est le troisième récipiendaire de nos financements.

Par ailleurs, ce pays a connu un développement fulgurant au cours des années 1990 et 2000, qui l'a profondément transformé. Il a permis à ses 90 millions d'habitants d'augmenter sensiblement leur niveau de vie - avec une multiplication par neuf de son PIB par habitant en vingt-cinq ans - au point d'accéder en 2010 à la catégorie des « pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure ».

Ce changement de catégorie emporte plusieurs conséquences en termes d'aide publique au développement : un risque de désengagement de certains bailleurs, une baisse de la concessionnalité des financements et d'une réduction du montant global de l'aide, mais aussi une nécessité de réorienter l'aide vers le secteur privé et de modifier les outils mobilisés.

C'est pourquoi, en application des dispositions de l'article 57 de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), votre rapporteur spécial Yvon Collin a choisi de mener une mission de contrôle sur la politique d'aide publique au développement de la France en faveur du Vietnam.

En effet, dans le prolongement de la décision de certains bailleurs de cesser leur intervention au Vietnam et au vu des résultats économiques atteints par ce pays, la question du maintien d'une aide française a pu être soulevée.

À l'issue de son travail, votre rapporteur spécial considère que le maintien d'une aide française au Vietnam est nécessaire et justifiée , au vu des défis qui l'attendent encore : continuer à réduire la pauvreté, faire face à une demande énergétique exponentielle et au développement urbain, des deux grandes agglomérations que sont Hanoi au Nord (6,8 millions d'habitants) et Hô Chi Minh Ville au Sud (7,7 millions d'habitants), etc.

Il n'en demeure pas moins que certaines faiblesses nécessitent des évolutions, tant du côté vietnamien que du côté français . Votre rapporteur spécial s'est en particulier intéressé à la nécessité de promouvoir les partenariats public-privé, de renforcer la capacité d'absorption de l'aide, d'améliorer la participation des intérêts économiques français et de poursuivre le développement d'une offre de prêts non souverains, afin de surmonter les limites du « ratio grand risque ».

Dans le cadre de ce travail de contrôle, votre rapporteur spécial Yvon Collin s'est rendu sur place , à Hô Chi Minh-Ville et à Hanoi, du 19 au 23 mai dernier, afin de rencontrer les acteurs de la politique française et internationale d'APD au Vietnam, les autorités vietnamiennes et de visiter les projets les plus significatifs.

I. LE VIETNAM : UNE ÉCONOMIE EN PLEIN ESSOR QUI BÉNÉFICIE D'UN FORT SOUTIEN DE LA FRANCE

A. UNE CROISSANCE ÉCONOMIQUE IMPRESSIONANTE QUI DEVRAIT SE POURSUIVRE SOUS RÉSERVE DE SURMONTER CERTAINES FAIBLESSES

1. Un rattrapage impressionnant au cours des vingt-cinq dernières années

Au sortir de trente ans de guerre, le Vietnam a lancé en 1986 sa politique du « doi moi » ou « renouveau ». Mise en oeuvre à partir des années 1990, cette politique d'ouverture économique a permis l'essor du pays et son intégration internationale, concrétisée par son adhésion à l'Association des nations de l'Asie du Sud-est (ASEAN) en 1995 et à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2007.

Durant les vingt-cinq dernières années, le pays a connu un taux de croissance moyen d'environ 7 % par an permettant au produit intérieur brut (PIB) d'être multiplié par quatre. Cette croissance s'est accompagnée d'une industrialisation massive, la part du secteur industriel dans la production passant de 25,2 % en 1990 à 41,6 % en 2010.

Taux de croissance annuel du PIB vietnamien entre 1990 et 2013

Source : Commission des finances du Sénat à partir de données OCDE

S'agissant des relations économiques entre la France et le Vietnam, celles-ci apparaissent déséquilibrées, avec un déficit commercial français qui atteignait 2,1 milliards d'euros en 2012. Les exportations françaises représentaient 615 millions d'euros (en recul de 19 %) tandis que les importations de produits vietnamiens s'élevaient à 2,69 milliards d'euros (en hausse de 38 %). La place de la France dans le commerce extérieur vietnamien demeure relativement modeste, puisque notre pays n'en est que le dix-neuvième client et le vingtième fournisseur.

Désormais considéré comme l'un des « dragons d'Asie du Sud-est », ce pays de 90 millions d'habitants a vu les conditions de vie de sa population considérablement s'améliorer : sur la même période, le PIB par habitant a été multiplié par neuf pour atteindre 1 596 dollars en 2012, contre 189 dollars en 1993, tandis que le taux de pauvreté est passé de 37,4 % de la population en 1998 à 7,8 % en 2013.

Ce développement fulgurant n'empêche pas le Vietnam d'être toujours confronté à des défis importants. Il est nécessaire de continuer à réduire la pauvreté, y compris dans les zones rurales reculées, alors que par exemple l'accès à l'eau potable n'est pas encore garanti sur l'ensemble de son territoire.

Le pays doit également faire face à une demande énergétique exponentielle et au développement urbain, particulièrement dans ces deux grandes agglomérations que sont Hanoi au Nord (6,8 millions d'habitants) et Hô Chi Minh-Ville au Sud (7,7 millions d'habitants). Enfin, se pose le problème de l'absorption par le marché du travail du million de jeunes qui s'y présentent chaque année (56 % de la population a moins de trente ans).

2. Des faiblesses qui menacent la croissance du pays

Depuis 2008, le pays est confronté à un ralentissement de sa croissance. Des politiques budgétaires et monétaires trop souples ont conduit à une surchauffe : les crédits représentaient 135 % du PIB en 2010, tandis que l'inflation atteignait 23 % en août 2011. Le « coup de frein » décidé par les autorités vietnamiennes a porté ses fruits, avec une inflation réduite à 6,6 % en 2013, mais au prix d'un net ralentissement de la croissance, passée à 5 % en 2012 et qui devrait se situer entre 5,5 % et 6 % au cours des prochaines années.

De façon structurelle, l'économie vietnamienne souffre de la faible efficacité de ses sociétés d'État , qui représentent 37 % du PIB. Elles ont pu réaliser des investissements hasardeux à la fin des années 2000 - parfois en dehors de leur secteur d'activité traditionnel - et pèsent sur les bilans bancaires. Un plan d'ensemble de réforme des sociétés d'État a été adopté en juillet 2012.

Du fait, entre autre, de ses liens très étroits avec les sociétés d'État et de l'emballement du crédit de ces dernières années, le secteur bancaire vietnamien est confronté à un important problème de prêts non performants . Ils représenteraient entre 4,5 % de l'encours total - selon les déclarations des banques - et 15 % - selon des analystes privés - voire 20 % pour certains établissements.

Différents interlocuteurs rencontrés par votre rapporteur spécial lui ont fait part de leur inquiétude quant à un possible effondrement du système bancaire.

Ce risque ne semble pas devoir se concrétiser , au moins à court terme. D'une part, la banque centrale vietnamienne ( State Bank of Vietnam ) a mis en place une structure de défaisance temporaire (la Vietnam Asset Management Corporation ), afin de laisser le temps aux banques de reconstituer leurs fonds propres. D'autre part, la restructuration du secteur est en cours à travers un mouvement de concentrations, « encouragées » par l'État.

Cette mauvaise santé du secteur bancaire et les réponses qui y ont été apportées ne sont pas anodines s'agissant de l'aide publique au développement, car elles impliquent un rationnement de l'offre de crédit, qui rend d'autant plus importants les concours internationaux.

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