EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées examine, lors de sa séance du 24 juin 2014, sous la présidence de M. Jean-Louis Carrère, président, l'avis de MM. Jean-Claude Peyronnet et Christian Cambon, rapporteurs, sur la proposition de contrat d'objectifs et de moyens entre l'Etat et l'Agence Française de Développement (AFD) pour la période 2014-2016.

M. Jean-Claude Peyronnet, rapporteur . - A l'initiative de notre commission, l'article 1 er de la loi de 2010 relative à l'action extérieure de l'Etat prévoit que celui-ci - l'Etat - conclut une convention pluriannuelle avec les établissements publics contribuant à l'action extérieure de la France ; cette convention « définit, au regard des stratégies fixées, les objectifs et les moyens nécessaires à la mise en oeuvre de [leurs] missions ».

Conformément à ce même article, le projet de convention nous a été transmis pour que nous puissions, dans un délai de six semaines, émettre un avis. C'est pourquoi nous avons auditionné la semaine dernière la directrice générale de l'AFD. Il aurait été utile d'entendre également, au nom de l'Etat, la secrétaire d'Etat chargée du développement, mais les contraintes de calendrier n'ont pas permis d'envisager cette possibilité.

Nous voudrions tout d'abord faire un point rapide sur la situation de l'AFD qui a connu d'importantes évolutions ces dernières années.

Créée pendant la Seconde guerre mondiale, l'AFD est un EPIC dont les missions sont définies dans la partie réglementaire du code monétaire et financier : elle contribue, d'une part, à la mise en oeuvre de la politique d'aide au développement de l'Etat à l'étranger, d'autre part, au développement des départements et collectivités d'outre-mer.

L'agence a ainsi une double mission (à l'étranger et outre-mer) mais elle relève en même temps d'une double logique, celle d'une agence de coopération et celle d'un établissement bancaire. Opérateur pivot de la coopération française, bras séculier de notre diplomatie dans les pays du Sud ou « principal canal par lequel transite l'aide programmable bilatérale », pour reprendre la formulation - technocratique... - du projet de loi de programmation que nous venons d'adopter, l'AFD est un acteur singulier et essentiel. Ces différentes facettes expliquent d'ailleurs peut-être la relative incompréhension qui a toujours existé parmi les parlementaires sur son fonctionnement.

L'AFD finance des actions dans plus de 90 pays ou territoires, dispose d'un réseau de 70 agences (outre-mer et dans le monde) et emploie environ 1 740 personnes dont environ 700 sont basées à l'étranger.

Sur le plan financier, les engagements de l'AFD ont progressé de manière spectaculaire ces dernières années : ils s'élevaient à 1,8 milliard d'euros en 2004 et 7,5 milliards en 2013, soit un quadruplement en dix ans. En 2013, l'agence a consacré 80 % de ses engagements à l'étranger et 20 % aux outre-mer.

Cette progression considérable ne provient en fait que du développement de l'octroi de prêts par l'AFD, et singulièrement de prêts non bonifiés. Les subventions et dons sont restés globalement stables autour de 1 milliard d'euros entre 2007 et 2013, ils ont précisément progressé de 7 % en six ans. Tandis que les prêts bonifiés sont passés de 1,4 milliard à 1,9 milliard, soit un accroissement de 35 %, et les prêts non bonifiés sont passés de 0,5 à 3 milliards, soit une hausse de 577 %... Les prêts non bonifiés représentaient ainsi 15 % des engagements de l'AFD en 2007, mais un peu plus de la moitié en 2013 !

Or les prêts, qui plus est quand ils ne sont pas bonifiés, ne peuvent pas bénéficier aux pays pauvres, mais plutôt aux pays émergents. D'ailleurs, on peut noter que, alors que les activités de l'agence à l'étranger faisaient plus que doubler entre 2007 et 2013, l'aide publique au développement française, telle que calculée par l'OCDE, ne passait que de 0,38 % du RNB à 0,41 %.

Finalement, le groupe AFD a atteint une taille financière très significative, puisque le total consolidé de son bilan s'élève à 25,7 milliards d'euros à la fin de 2013, en progression de 10 % par rapport à 2012, cette variation provenant principalement de l'augmentation de l'encours brut de prêts.

En ce qui concerne la répartition géographique de l'activité de l'AFD, l'Afrique subsaharienne en représente 37 %, l'outre-mer 20 % et la Méditerranée 11 %.

Mais si l'on va un peu plus loin dans l'analyse, l'ensemble des seize pays pauvres prioritaires définis par la France ne représentaient que 11 % des autorisations d'engagement de l'AFD à l'étranger en 2013.

La liste des premiers pays d'intervention rassemble surtout des « grands émergents » : ce sont dans l'ordre la Colombie, le Brésil, l'Inde, la Turquie, le Maroc, l'Indonésie, le Sénégal, le Cameroun, le Kenya, le Nigeria et le Gabon. Un seul - le Sénégal - appartient à la liste des PPP. Les dix premiers pays d'intervention, hors Sénégal, représentent 55 % de l'activité de l'agence, sans pour autant appartenir au le champ des pays dits prioritaires.... Comme on le voit sur le graphique suivant, le constat est le même en analysant les statistiques sur deux années (2012 et 2013) : dans ce cas, l'AFD a consacré 12 % de ses financements aux PPP.

Dernier aspect : la répartition sectorielle des activités de l'agence. On peut relever que les secteurs dits traditionnels représentent assez peu en définitive : 4,5 % pour l'agriculture, 6,5 % pour l'environnement et les ressources naturelles, 10 % pour l'eau et l'assainissement ou encore 10 % pour l'éducation et la santé. Dans le même temps, l'agence consacre 44 % de son activité aux infrastructures et au développement urbain et 21 % au secteur productif (soutien aux entreprises).

Une fois ce tableau général dressé, venons-en maintenant au projet de COM qui nous est soumis par le Gouvernement et l'AFD. Il nous a été amplement présenté la semaine dernière, nous ne reviendrons que sur les points saillants.

Tout d'abord, la question générale du calendrier. Ce projet a été négocié à la fin de l'année dernière et au début de cette année ; il fait en conséquence référence au « projet » de loi d'orientation et de programmation tel que déposé par le Gouvernement sur le bureau des assemblées, non à la loi que nous avons adoptée hier.

Il nous semble indispensable de poser comme principe que le COM doit intégrer l'ensemble des modifications apportées par le Parlement - singulièrement par le Sénat... - au texte initialement proposé. Comment envisager que la loi ne s'impose pas à un contrat passé entre l'Etat et son opérateur ?

Cela concerne en premier lieu l'évolution du dispositif français d'évaluation : le COM doit pleinement intégrer la volonté du législateur de regrouper les services de l'AFD, du ministère de l'économie et du ministère des affaires étrangères dans un observatoire indépendant présidé alternativement par un député et un sénateur.

M. Christian Cambon, rapporteur . - Deuxième point essentiel de nos remarques : le projet ne contient que très peu d'éléments sur les « moyens ».

Le projet de COM fixe d'abord un objectif de « croissance maîtrisée » du volume d'activité qui ne devra augmenter que de 9 % entre 2013 et 2016 pour atteindre 8,5 milliards d'euros, dont 1,6 milliard pour les outre-mer (1,5 en 2013 et 2014). Il faut remettre cet objectif en perspective des années passées où l'activité de l'agence augmentait plutôt de 10 % par an...

Cette cible sera atteinte, selon le projet de COM, grâce à trois vecteurs :

- l'amélioration du résultat qui, après 92 millions d'euros en 2013, devra atteindre 120 millions cette année et 135 millions en 2016 ;

- cette progression devra résulter d'une maîtrise des charges et d'une poursuite de l'amélioration du coefficient d'exploitation. Les charges ne pourront pas progresser au total de plus de 4,6 % entre 2013 et 2016 ;

- enfin, troisième aspect, le renforcement des fonds propres.

Historiquement, le résultat annuel était mis en réserve pour consolider les fonds propres, particulièrement nécessaires à l'agence en tant qu'établissement bancaire. Le modèle économique est en effet basé sur des engagements de prêts à long terme assis sur le résultat pour couvrir les risques. Or depuis 2004, l'Etat a prélevé tout ou partie du résultat de l'AFD : 100 % en 2006-2008 puis une moyenne de 76 % entre 2009 et 2012.

Cette pratique n'était pas durable pour l'agence, au moins pour deux raisons. D'une part, le renforcement des contraintes prudentielles internationales, notamment du fait des nouvelles règles dites de « Bâle III », nécessite une progression des fonds propres. D'autre part, ces mêmes règles interdisent à tout établissement de dépasser une exposition égale à 25 % des fonds propres sur une seule contrepartie, c'est-à-dire en pratique pour l'agence, sur un Etat. De ce fait, l'agence est déjà obligée de limiter ses interventions dans plusieurs pays historiques et importants pour la France, comme le Maroc, la Tunisie ou le Viêt-Nam.

Dans ces circonstances, un arbitrage interministériel a eu lieu le 8 novembre dernier ; il porte sur quatre points :

- une opération d'ordre comptable, pour un montant total de 840 millions d'euros, permettant de transformer en fonds propres une dette longue existante de l'agence envers l'Etat constituée d'emprunts sur trente ans. Le 28 mars dernier, une lettre du ministre de l'économie et des finances à l'AFD a précisé que cette évolution serait réalisée entre 2015 et 2017 mais sans indication des volumes annuels ;

- l'abaissement du dividende versé par l'Etat qui sera limité à 20 %. La lettre du ministre de l'économie précise que le prélèvement de l'Etat s'élèvera encore à 40 % pour le résultat des comptes 2013 et à 20 % pour 2014-2016 ; il serait ensuite réévalué ;

- la maîtrise des charges et l'augmentation du résultat ;

- enfin, « en tant que de besoin », l'annulation de dettes longues de l'agence envers l'Etat pour un montant maximal de 200 millions. Ce quatrième outil n'est pas même mentionné dans la lettre du ministre de mars dernier.

Pour protéger l'agence, qui a besoin de stabilité et de prévisibilité, le COM devrait intégrer précisément les conditions de l'arbitrage interministériel de novembre, à la fois pour l'opération de reclassement comptable, le plafonnement du reversement du dividende à l'Etat et l'éventuelle annulation de dette. Dans la rédaction qui nous est soumise pour avis, il est simplement fait référence à cet arbitrage interministériel, sans autre précision et alors même qu'il n'a pas été rendu public jusque-là... C'est pourtant bien l'objet du contrat d'objectifs et de moyens de fixer précisément les engagements réciproques de ce type.

Troisième point de nos remarques, la répartition géographique des activités de l'AFD.

Nous avons déjà évoqué à l'instant les évolutions très importantes dans l'utilisation des différents outils de l'aide au développement ; or ces évolutions ont un impact sur la répartition géographique des activités de l'AFD puisque les prêts ne peuvent pas être mobilisés, ou très peu, vers les pays pauvres.

Pour autant, nous devons aussi être conscients du fait que ces prêts sont un outil très utile pour la France, notamment en termes d'influence et de diplomatie économique dans les pays émergents, et ont un coût budgétaire relativement faible. Faciliter par un prêt le financement d'un grand projet d'infrastructure en Chine, en Indonésie ou au Brésil doit permettre d'entraîner de l'expertise française et, le cas échéant, des contrats pour des entreprises françaises. De ce point de vue, si l'AFD n'est pas une banque du commerce extérieur, elle est tout de même amenée aujourd'hui à jouer un rôle plus large que celui d'acteur de la politique de développement.

Si le COM reprend les objectifs de la loi d'orientation sur la répartition géographique (85 % de l'effort financier global pour l'Afrique et la Méditerranée ; les deux tiers des subventions pour les pays pauvres prioritaires), il ne s'agit pas d'une évolution puisque les résultats de l'agence pour la période précédente sont en ligne avec ces objectifs.

Surtout, ces objectifs risquent de masquer un engagement limité envers les PPP, comme nous l'avons vu tout à l'heure.

Or il ne nous semble pas que ces différents éléments soient antinomiques : la France peut continuer de s'appuyer sur les prêts dans les pays émergents, mais doit parallèlement « réinvestir » sur les PPP pour éviter l'impression de décalage entre les ambitions et les moyens. Le COM devrait donc inclure un objectif d'effort financier global sur les PPP, ainsi que sur le Sahel qui constitue une zone particulière et qui faisait l'objet d'un indicateur dans le COM précédent. Ces objectifs exprimés par rapport à l'effort financier, et non par rapport aux seules subventions, permettraient d'avoir une meilleure vision des réalités de notre politique.

Conséquence de cette ligne de conduite : si nous voulons afficher un objectif ambitieux vis-à-vis des PPP dans le contexte contraint des finances publiques, il nous semble nécessaire de réévaluer le niveau des contributions françaises aux organismes et fonds multilatéraux. Ceux-ci mènent des actions importantes et ont souvent mis en oeuvre des programmes réussis mais, par exemple dans le domaine de la santé, la France contribue parmi les premiers à un ensemble de fonds dits verticaux relativement dispersés. Ceci relève d'abord du Gouvernement et d'une décision stratégique, non de l'AFD dont la mission est de gérer pour l'Etat une grande part de l'aide bilatérale.

Cela nous amène cependant à notre quatrième point.

Le projet de COM reste très en retrait en ce qui concerne la coordination des bailleurs de fonds. Or elle est essentielle au regard du paysage actuel des acteurs de l'aide, notamment caractérisée par la montée en puissance des organismes multilatéraux, des fonds privés et de certains pays qui étaient auparavant - et parfois, encore - considérés comme des pays en développement (Chine, pays du Golfe...).

Le COM doit donc intégrer des objectifs plus ambitieux de coordination des bailleurs de fonds.

Dernier point de notre avis sur ce COM : les secteurs d'intervention.

Contrairement au COM précédent, ce projet ne contient pas d'objectifs en termes de secteurs d'intervention de l'agence, même si les grands enjeux de la politique de développement et de solidarité internationale sont fixés en introduction.

On peut tout d'abord regretter sur le plan symbolique que, pages 13 et 14 du projet de COM, la lutte contre la pauvreté soit mentionnée en deuxième position après le développement économique, même s'il est évident que le développement économique est primordial pour lutter contre la pauvreté.

Il nous semble en tout cas que le Gouvernement et l'AFD ne doivent pas délaisser les secteurs traditionnels d'intervention, comme l'agriculture ou l'eau, qui continuent de constituer des besoins et des demandes fortes de la part des populations locales. En outre, les modalités de déploiement de nos actions de coopération doivent être attentives à l'exercice des fonctions régaliennes dans les pays partenaires : les efforts de développement sont inefficaces voire inutiles si l'Etat de droit est inexistant ou si l'Etat s'effondre...

En conclusion, le projet de COM qui nous est soumis contient de nombreux objectifs, qui sont d'importance inégale. Il s'appuie sur quatre éléments généraux positifs :

- une croissance maîtrisée du volume d'activité de l'AFD, après une phase de progression très forte ;

- l'amplification de la prise en compte de partenariats différenciés qui soient adaptés aux niveaux de développement des pays partenaires ;

- une priorité marquée et transversale pour le développement durable ;

- l'idée de partenariats, notamment avec les collectivités locales, la société civile ou les entreprises.

Ce projet ne pose donc pas de problèmes particuliers et va plutôt dans le bon sens. Nous vous proposons d'émettre un avis favorable à son adoption, sous réserve des différents éléments que nous venons de vous présenter et qui sont précisément mentionnés dans la note que nous vous avons distribuée.

M. Robert Hue . - Je partage les remarques qui viennent d'être formulées par les rapporteurs. Elles sont dans la continuité de ce que nous disons depuis plusieurs années mais qui a parfois du mal à être entendu... Certes, la situation s'est améliorée mais nous avons encore senti la semaine dernière, lors de l'audition de la directrice générale de l'AFD, les grandes réticences sur certains sujets, par l'exemple l'évaluation. L'AFD a une conception très « économiste » de son rôle : la part importante prise par certains secteurs d'intervention comme les infrastructures ou le soutien aux entreprises le montre clairement, alors que ces secteurs sont parfois bien éloignés de ce que souhaitent les populations. Enfin, nous avons aussi dénoncé la volonté de l'Etat de récupérer une part importante de dividende alors que cette vision est évidemment de courte vue.

M. Jean-Louis Carrère, président . - Les rapporteurs ont diffusé le projet d'avis qui est favorable sous réserve des modifications qu'ils ont indiquées sur cinq points : les conséquences à tirer de l'adoption de la loi ; les moyens ; la répartition géographique ; la coordination avec les autres bailleurs de fonds ; les secteurs d'intervention.

M. Christian Cambon, rapporteur . - Nous sommes dans la continuité des travaux de la commission depuis des années et dans celle de nos positions durant l'examen du projet de loi d'orientation. A force de taper sur le clou, on finit par l'enfoncer...

La commission adopte à l'unanimité l'avis tel que présenté par les rapporteurs et autorise sa publication sous forme de rapport d'information.

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