EXAMEN EN COMMISSION

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Mercredi 19 novembre 2014

M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Comme d'autres sénateurs l'avaient fait avant nous, nous nous sommes rendus en Nouvelle-Calédonie pendant une semaine. Nous y avons été accueillis par de nombreux responsables locaux, notamment notre collègue Pierre Frogier. Nous avons entendu l'ensemble des responsables politiques, les services de l'État, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, le président du Congrès, les présidents des trois provinces, des élus municipaux, les représentants des organisations patronales et syndicales, les chefs de cour et de juridictions locales, les autorités coutumières, les représentants de la sécurité civile, soit une trentaine d'auditions.

Les accords de Matignon en 1988 puis celui de Nouméa en 1998 ont initié un processus institutionnel inédit qui a ramené la paix civile après des troubles graves. Nous nous sommes appuyés sur les rapports de Christian Cointat et Bernard Frimat de 2011 ainsi que sur celui de nos collègues députés Urvoas, Bussereau et Dosière de 2013. Nous avons reçu Alain Christnacht et Jean-François Merle, auxquels le Gouvernement a confié une mission d'écoute et de conseil. Le président de la République vient de se rendre sur l'archipel où il a tenu des propos extrêmement équilibrés.

La transcription de l'Accord de Nouméa par la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998 a doté le territoire d'une autonomie sans équivalent dans notre pays. Depuis 1946, la Nouvelle-Calédonie a connu huit statuts différents. Celui qui est issu de l'Accord de Nouméa conforte les provinces qui apparaissent désormais comme l'instance décisionnaire principale. Malgré des ressources fiscales propres restreintes, les provinces font preuve d'une vitalité incontestable.

S'agissant des élections provinciales, le droit de vote est restreint. Le Conseil constitutionnel a imposé un corps électoral « glissant ». Évoquant avec nous la situation des 23 000 résidents calédoniens sans droit de de vote, qu'il qualifie de « sujets calédoniens », par opposition aux citoyens, M. Gaël Yanno, le président du Congrès, a souligné l'importance de la question de la composition du corps électoral.

Le Congrès, autrefois divisé entre indépendantistes et non-indépendantistes, comprend aujourd'hui cinq groupes différents.

Comme l'a rappelé avec fierté le président Yanno, le Congrès, doté de la faculté de voter des lois du pays soumises au contrôle du Conseil constitutionnel, constitue la troisième assemblée législative française.

Mme Cynthia Ligeard, présidente du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, nous a décrit celui-ci comme une machine lente. Le consensus doit y être assuré à chaque instant afin d'éviter le blocage. Malgré la bonne entente des membres du gouvernement, la coexistence en son sein de deux camps ne favorise pas l'efficacité de l'institution. Nous reviendrons sans doute sur « l'affaire des deux drapeaux ». Selon Mme Ligeard, la réalité du pouvoir se situe dans les provinces. Le décalage entre l'affichage institutionnel et la réalité suscite l'incompréhension de la population.

S'agissant de l'exercice des compétences de l'État, la distance avec Paris est compensée par une entraide des services déconcentrés entre eux, par exemple la police et la gendarmerie. De même, une forte solidarité existant avec les services de l'administration pénitentiaire en raison de ce qu'il appelle l'éloignement du camp de base qui a été soulignée par le directeur de la prison de Nouméa. Le rapport de Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté, n'a pas seulement marqué les esprits. Il a été fort utile et a débouché sur des travaux. Des progrès restent à faire dans les quartiers disciplinaires et d'isolement qui reçoivent les détenus dans des conditions indignes. Par ailleurs, les moyens budgétaires sont alloués en fonction des standards métropolitains sans égard pour le coût plus élevé des achats, ce qui débouche sur des impayés. Comme cela est souvent le cas, l'établissement s'adapte à son budget et non l'inverse. Le projet de déménagement de la prison, fort coûteux, a été heureusement abandonné. Enfin, sujet d'étonnement, 95 % des détenus sont Kanaks, 5 % sont européens.

La répartition des compétences entre l'État et les autorités locales dans les domaines régaliens - justice, formation professionnelle - n'est pas toujours cohérente et appelle des ajustements. Sur de nombreux sujets, tels l'entrée et le séjour des étrangers, la délivrance des visas, le maintien de l'ordre, la communication audiovisuelle, les contrats d'établissement avec les universités, la coopération est prévue. Partisan de l'indépendance, M. Paul Néaoutyine, président de l'assemblée de la province Nord, a regretté que le transfert des compétences régaliennes ne soit pas préparé dans la perspective d'une réponse positive au référendum d'autodétermination. Les autorités de l'État exercent encore un magistère d'influence important. Notre collègue Pierre Frogier souhaite qu'elle demeure et que l'État garde toute sa part dans le processus en cours.

Le transfert des compétences non régaliennes est bien avancé. Il est achevé en ce qui concerne la police, la sécurité de la circulation aérienne, la sécurité maritime interne, la sauvegarde de la vie en mer, l'enseignement primaire et secondaire public, l'enseignement privé, le droit civil et commercial, la sécurité civile. Nous avons d'ailleurs été alertés lors de notre visite du centre de crise de Nouméa sur un certain nombre de difficultés. Les disparités en matière d'équipements sont très importantes entre les communes. L'établissement public d'incendie et de secours dont la création était prévue par l'ordonnance du 15 février 2006 n'a pas vu le jour. Selon le directeur de la sécurité civile et de la gestion des risques, les compétences ont été transférées administrativement sans réflexion sur l'incidence pratique et financière de ces transferts.

En matière d'éducation, le vice-recteur nous a déclaré que le paiement du salaire des enseignants par l'État était un frein à l'indépendance. Cela dit, le transfert de compétences est réalisé avec un accompagnement de l'État pour l'enseignement primaire et secondaire.

MM. Frogier et Yanno s'inquiètent de la soutenabilité de certains transferts ; ils ont évoqué la « vitrification » du droit du travail et des assurances relevant de longue date de la compétence des autorités calédoniennes et les difficultés concernant le droit civil et le droit commercial.

Le transfert a également été réalisé pour les établissements publics de l'État : l'office des postes et télécommunications, l'institut de formation des personnels administratif, celle de développement de la culture kanak, le centre de documentation pédagogique sont déjà sous tutelle calédonienne, mais pas l'agence de développement rural et d'aménagement foncier.

L'article 27 de la loi organique du 19 mars 1999 suscite des débats. Les non-indépendantistes estiment que le transfert prévu par ce texte des dernières compétences en matière de communication audiovisuelle, d'enseignement supérieur, des règles relatives à l'administration des provinces, au contrôle de légalité et au régime comptable et financier des établissements publics, est optionnel. Les indépendantistes jugent au contraire qu'il s'impose.

Mme Sophie Joissains , rapporteur . - La consultation référendaire doit avoir lieu, en tout état de cause, avant 2019 si elle n'est pas demandée avant par la majorité des trois cinquièmes des membres du Congrès, ce qui est hautement improbable au regard des résultats des dernières élections provinciales. A défaut de demande d'ici fin 2018, l'État devra l'organiser.

Les indépendantistes et une partie des non-indépendantistes, comme Calédonie ensemble , sont favorables à l'organisation du référendum. L'autre partie du camp non-indépendantiste, dont notre collègue Pierre Frogier, souhaite un troisième accord négocié de manière consensuelle sur le modèle de ceux de Matignon et de Nouméa pour éviter les risques de tension et de ralentissement des investissements, liés selon eux à l'organisation d'un référendum dont les résultats peuvent au demeurant être anticipés.

En 1998, lors de la signature de l'Accord de Nouméa, l'État s'est engagé à organiser un référendum. En dépit de l'ouverture de M. Jean-Marc Ayrault, il n'y a pas de consensus sur une alternative au référendum. Comme le souhaite la majorité des forces politiques, le référendum aura sûrement lieu. Le président de la République a rappelé ce cadre.

Le rapport établi par MM. Jean Courtial et Ferdinand Mélin-Soucramanien à la suite d'une mission confiée par M. François Fillon puis confirmée par M. Jean-Marc Ayrault, rappelle qu'aucun modèle institutionnel ne peut être plaqué sur la situation calédonienne dont l'évolution institutionnelle sera nécessairement originale et créative. Plusieurs solutions sont possibles dont celle évoquée d'un accès à la pleine souveraineté assorti du maintien d'un lien privilégié entre une Nouvelle-Calédonie souveraine et la France ; un accord de partenariat pourrait être conclu sur un pied d'égalité entre ces deux nouveaux pays, comme pour Monaco, le Liechtenstein ou la Micronésie, et un statut privilégié pourrait être accordé aux ressortissants de l'État partenaire constitue une seconde voie crédible. Un statut d'autonomie étendue, à l'instar de celui des îles Cook par rapport à la Nouvelle-Zélande, avec une révision de la Constitution française pour pérenniser des dispositions particulières à la Nouvelle-Calédonie sur l'exercice des compétences régaliennes, sur la représentation du territoire au niveau national, sur l'équilibre des pouvoirs et le fonctionnement des institutions ou encore les droits attachés à la citoyenneté calédonienne.

Dans la perspective de ce référendum, la question de l'élaboration de la liste électorale des citoyens appelés à y participer - qui est distincte de la liste pour les élections provinciales - soulève plusieurs interrogations.

Les représentants des formations politiques ne remettent pas en cause les critères d'admission à voter fixés par la loi organique du 19 mars 1999 qui a fidèlement traduit l'Accord de Nouméa sur ce point. Il y a localement un consensus sur la nécessité d'élaborer cette liste au plus tôt, préoccupation que nous partageons afin d'éviter des polémiques sur les conditions du vote. Une divergence existe sur le rôle de la commission administrative chargée d'élaborer cette liste au niveau de chaque commune. Certains indépendantistes récusent son intervention. Le Gouvernement envisage le dépôt d'un projet de loi organique début 2015 pour modifier la procédure.

Si la question institutionnelle focalise les débats de la classe politique, les questions d'ordre social et économique méritent une certaine attention. La Nouvelle-Calédonie est en effet engagée dans un processus de rééquilibrage et de décolonisation inédit ; 30 % de la population calédonienne est d'origine européenne, plus de 40 % d'origine mélanésienne ; environ 10 % est originaire des îles Wallis et Futuna - il y a davantage de Wallisiens et Futuniens vivant en Nouvelle-Calédonie que dans ces deux îles.

L'Accord de Nouméa affirme que l'identité kanak doit être préservée. Plusieurs rencontres ont été précédées d'un geste coutumier. La coutume est un aspect essentiel de l'organisation sociale kanak même si les plus jeunes, attirés par la vie en ville plutôt qu'en tribu, lui accordent moins d'intérêt. La coutume évolue et doit prendre compte leurs aspirations, ainsi que celle des femmes.

Longtemps synonyme d'inégalité par rapport aux citoyens français, le statut de droit coutumier a été consacré par l'Accord de Nouméa. Droit commun et droit coutumier sont désormais appliqués par la justice, les assesseurs coutumiers apportant aux magistrats la connaissance de ce droit qui, du fait de son oralité, n'a jamais été codifié. La loi organique du 15 novembre 2013 a instauré une « passerelle procédurale » pour remédier à la situation des victimes relevant du droit coutumier qui devaient, après la condamnation définitive des auteurs de l'infraction, introduire un recours civil pour obtenir réparation. Désormais, la juridiction pénale compétente, dans sa formation de droit commun et en l'absence de demande contraire de l'une des parties, peut statuer sur les intérêts civils. En cas d'opposition de l'une des parties, cette juridiction est complétée par des assesseurs coutumiers. Des solutions équitables sont trouvées pour la prise en compte du statut coutumier.

Le préambule de l'Accord de Nouméa rappelle l'appropriation des terres coutumières au cours de la colonisation. Les accords de Matignon ont créé l'Agence de développement rural et d'aménagement foncier (ADRAF) qui acquiert des terres coutumières pour les restituer aux clans auxquels elles appartenaient. Depuis sa création, l'ADRAF a attribué 97 000 hectares. Ainsi, les terres coutumières occupent désormais 17 % de l'espace de la Grande Terre. L'Accord de Nouméa prévoit le transfert de l'ADRAF, avec son personnel et ses missions, à la Nouvelle-Calédonie sur demande à la majorité simple du Congrès. Malgré la concertation menée pour préparer ce transfert, ni une demande formelle, ni un calendrier précis n'ont à ce jour été transmis à l'État qui exerce encore la tutelle sur l'ADRAF. Cela suscite des interrogations sur les missions de l'ADRAF dans l'avenir et l'achèvement de la réforme foncière. Plusieurs autorités coutumières préfèrent que cette question soit résolue sous la tutelle de l'État jugé plus impartial, un besoin d'État qui nous a surpris.

Les autorités coutumières jouent un rôle éminent dans la régulation de la vie sociale. Le Sénat coutumier, composé de 16 membres désignés selon les usages de la coutume et dépourvu de rôle décisionnel, est toujours en quête de sa légitimité depuis sa création. Son initiative de publier une charte des valeurs kanak est de nature à favoriser une meilleure compréhension de la culture kanak et à conforter l'utilité de l'institution. Les membres du Sénat coutumier ont regretté que l'approche du pluralisme normatif, assurant la coexistence du droit écrit et du droit coutumier, ne soit pas encore aboutie ; la charte pourrait y contribuer. Les autorités coutumières souhaitent participer à la médiation pénale, comme l'évoque explicitement l'Accord de Nouméa.

La construction d'un destin commun est l'objectif partagé par toutes les communautés qui composent la population calédonienne.

Mme Catherine Tasca , rapporteure . - Les accords de Matignon et de Nouméa ont fait du rééquilibrage du territoire un objectif central, compte tenu de l'inégalité de développement des provinces. La réalisation de certains équipements, tels que la route transversale de la province Nord, y contribue.

L'instauration d'une clé de répartition des moyens financiers des provinces établit une solidarité entre elles. Les dotations versées par l'État sont ainsi réparties non en fonction du poids démographique mais de façon à corriger les déséquilibres. Les dotations en fonctionnement profitent pour 50 % à la province Sud, pour 32 % à la province Nord et pour 18 % aux îles ; 40 % des dotations d'équipement sont versées à la province Sud, 40 % à la province Nord et 20 % aux îles Loyauté. Cette clé de répartition est contestée par la province Sud qui connait une importante croissance démographique (les trois quarts de la population calédonienne habitent le grand Nouméa). Toutefois son maintien s'avère nécessaire, d'autant que les dispositifs de défiscalisation bénéficient au Sud et que la province des îles Loyauté demeure pénalisée par la distance, la division en trois îles et le coût des transports. Le maintien de ce correctif apparaît légitime.

Une politique active de formation constitue une seconde voie de rééquilibrage. La nécessité de préparer l'accès des jeunes aux fonctions d'encadrement figure dès les accords de Matignon. Les programmes « 400 cadres » et « cadres avenir », élargis au secteur privé, ont favorisé l'insertion d'une élite locale. Ces efforts doivent être renforcés, notamment dans le domaine des professions juridiques qui restent l'apanage des non calédoniens. La préférence locale étant difficile à mettre en oeuvre dans la fonction publique d'État en raison des règles constitutionnelles, appelle imagination et souplesse, notamment pour les postes d'encadrement.

La Nouvelle-Calédonie réalise 6 % des extractions mondiales de nickel et disposeraient de 17 % des réserves mondiales de ce minerai. L'exploitation de cette richesse, dont l'encadrement relève de la compétence des provinces, doit être organisée de manière équitable afin de contribuer au développement territorial. Le secteur est très concentré au niveau mondial. La consommation de nickel augmente. En Nouvelle-Calédonie, quatre sociétés majeures se partagent le marché, dont la SLN est la plus ancienne. Une stratégie commune de l'ensemble de ces acteurs devrait être mise en oeuvre. En outre, afin d'éviter les dangers d'une mono-industrie, Mme Anne Duthilleul a plaidé pour que les ressources financières du nickel servent aussi à la diversification économique.

La construction de l'usine de Koniambo, portée avec conviction et persévérance par M. Paul Néaoutyine, répond à une attente de tous les Calédoniens. Nous avons constaté l'ampleur impressionnante du projet et la bonne insertion du chantier dans l'environnement. L'emploi local y a été privilégié. L'environnement n'a pas été oublié.

Le rééquilibrage est en marche. Il est loin d'être achevé. Les défis de la « vie chère » restent à l'origine d'inégalités sociales. La Nouvelle-Calédonie pâtit de son insularité, du faible nombre de ses habitants
- 250 000 - de l'habitude prise par ces derniers de consommer des produits métropolitains comme de sa situation à l'écart des grands circuits de distribution. Les prix très élevés qui en résultent ont provoqué des mouvements sociaux durs en 2011 et 2013. Les négociations entamées entre le patronat et les syndicats, sous l'égide de l'État, y ont mis fin. En 2013, un protocole d'accord a prévu le gel immédiat des prix, la baisse de 10 % du prix des produits de première nécessité et des mesures de contrôle des prix. Une autorité locale de la concurrence a été créée. Une loi du pays « anti-trust » a été adoptée. Selon les représentants syndicaux, les progrès sont dus à la forte mobilisation sociale. La question sociale est plus importante pour l'opinion que la question institutionnelle qui mobilise tant la classe politique.

Les fortes inégalités sociales se superposent aussi aux différences ethniques. L'accès au logement est au coeur des difficultés, notamment dans l'agglomération de Nouméa. La conférence économique, sociale et fiscale tenue les 20 et 21 août 2014 à Nouméa a élaboré un agenda des réformes nécessaires. Le chantier, qui concerne la fiscalité, les frais bancaires, la protection de l'emploi local, est immense. Des lois du pays devront être votées. Un travail considérable attend les institutions calédoniennes et l'État qui les épaule.

Ce déplacement a été l'occasion d'évaluer sur place le devenir de la Nouvelle-Calédonie. Des progrès importants ont été effectués depuis 1988 et surtout 1998. La Nouvelle-Calédonie a retrouvé la paix civile. Elle a posé les jalons pour construire le destin commun de la société calédonienne. Le rééquilibrage en cours produit ses premiers effets tangibles ; un vivier d'élus locaux, actifs et compétents a émergé dans toutes les provinces. Par-delà la question institutionnelle, la Nouvelle-Calédonie doit affronter de nouveaux enjeux économiques ainsi que le défi social et ethnique du processus de décolonisation. Le respect de l'identité kanak est une composante essentielle du destin commun. La jeunesse kanak est attirée par les modes de vie urbains. Les formations politiques locales devront prendre en compte ses aspirations. L'éducation et la formation professionnelle seront déterminantes pour l'avenir et le partage du territoire. Les Calédoniens doivent prendre le chemin de la réconciliation et bâtir ensemble les conditions de la concorde.

M. Philippe Bas , président . - Je vous remercie pour ce rapport très complet. La Nouvelle-Calédonie de 2014 est différente de celle de 1988 et de 1999, du point de vue démographique, économique, institutionnel et politique. Nos rapporteurs ont rappelé les récentes tensions sociales que l'État a apaisées après avoir réuni les parties prenantes. La question du logement a revêtu une grande acuité dans certaines parties du territoire.

Le référendum prévu par les textes a contribué à rétablir la paix sur le territoire. La question de l'indépendance, dont l'on avait différé la formulation, se pose désormais dans de nouveaux termes. L'on n'est plus dans la perspective univoque qui avait été conçue. Décidément, les déplacements outre-mer sont utiles à notre commission.

M. Pierre Frogier . - Je vous remercie pour l'attention que vous portez à la Nouvelle-Calédonie, dont je ne saurais traiter avec le même recul que vous. Élu local depuis 1977, j'ai été maire du Mont-Dore à partir de 1984. Entre cette date et 1988, j'ai dû affronter des barrages et des balles ont sifflé à mes oreilles.

Si l'on veut comprendre la situation, il faut remonter au 18 novembre 1984, lorsqu'Eloi Machoro a brisé une urne à Canala. Thio a ensuite été pris en otage par le FLNKS pendant plusieurs semaines ; les gendarmes ont été désarmés. Hier, 400 personnes y ont manifesté en tenant des propos assez agressifs.

L'Accord de Nouméa, que j'ai négocié et signé, prévoit d'ici 2019 un référendum d'autodétermination et je crains que ce choix manichéen ne réveille une lutte bloc contre bloc. Je me battrai de toutes mes forces pour éviter cet affrontement. Avant de quitter la Nouvelle-Calédonie, le président François Hollande a prononcé un discours devant les élus puis il a été interviewé par France Ô : il a dit que la France serait toujours présente en Nouvelle-Calédonie, quel que soit son statut. Il a estimé que son rôle n'était pas d'imposer sa solution, mais qu'il valait toujours mieux parvenir à une solution consensuelle. Il espère que la consultation pourra ressembler plutôt que diviser. J'approuve bien évidemment ces propos - je tiens à votre disposition la lettre ouverte que je lui ai adressée, mais comment imaginer que la consultation va réduire l'antagonisme fondamental entre les pro et les anti-indépendantistes ? Comment croire à une solution qui exclurait la France alors qu'en mai 2014, le rapport de forces donnait 60 % en défaveur de l'indépendance ?

Le corps électoral est contesté. L'Accord de Nouméa prévoyait qu'il serait « glissant ». Comme la loi du 19 mars 1999 n'était pas claire, le Conseil constitutionnel l'a interprétée. La majorité de l'époque a alors voté, à la demande des indépendantistes, la révision constitutionnelle de 2007. Aujourd'hui, la jurisprudence de la Cour de cassation va plus loin que la volonté du constituant. Une loi organique sur la procédure ne suffira pas. Les indépendantistes ont porté le débat sur le corps électoral provincial devant l'ONU. Tant que cette question ne sera pas réglée, il ne sera pas possible d'organiser un référendum. Contrairement à ce qu'a indiqué le Gouvernement lors du dernier comité des signataires, ce n'est pas en créant une nouvelle commission administrative qu'on résoudra ce problème avant tout politique. En début d'année, j'ai proposé au Premier ministre de convoquer un comité des signataires extraordinaire, mais il n'a pas donné suite.

Je regrette que les gouvernements successifs ne se soient pas plus impliqués dans ce dossier. Les réunions du comité des signataires ne servent pas à grand-chose. Un haut fonctionnaire m'a dit être là pour nous expliquer comment nous passer de ce dont nous avions besoin...

Pour revenir sur les propos de Mme Tasca sur la clé de répartition : depuis 1988, l'État verse en effet une dotation d'investissement. Mais la dotation de fonctionnement repose sur la fiscalité locale qui est répartie entre chacune des provinces. Cette clé de répartition peut aussi être modifiée par le Congrès de la Nouvelle-Calédonie. Or la province Sud, soit les trois-quarts de la population, consacre 60 % de ses dépenses de fonctionnement à la santé et à l'enseignement. L'exercice 2015 sera un numéro d'équilibriste. Un rééquilibrage de cette clé est donc nécessaire.

Je partage les propos de mes collègues sur l'identité kanak, au centre de l'Accord de Nouméa. Il est essentiel que le drapeau kanak soit devenu celui de l'identité, et non de la violence. Le Sénat coutumier, auquel je l'avais remis avec Charles Pidjot, l'a voulu ainsi et il doit flotter à côté du drapeau bleu blanc rouge. Je regrette que la majorité ne soit pas capable de reconnaître cette réalité : contrairement à l'Australie qui n'a pas su reconnaître sa population originelle, notre République prend acte de l'identité particulière - kanak, mais aussi océanienne - de la Nouvelle-Calédonie. Voilà la réalité sur laquelle nous construirons une nouvelle solution évitant un scrutin d'autodétermination qui dresserait les uns contre les autres, car la revendication indépendantiste est avant tout identitaire et non pas en rupture avec la France.

M. Jean-Jacques Hyest . - Je remercie Pierre Frogier d'avoir exprimé ce qu'il a vécu de cette histoire complexe, que la commission des lois a toujours suivie avec une grande attention.

Pour ma part, je considère que le Conseil constitutionnel a mal interprété notre volonté en 1999 et nous avons dû y revenir avec une révision constitutionnelle en 2007. Certains craignent des violences à l'occasion du référendum, mais nous savons tous quel en sera le résultat. Je suis en revanche inquiet de l'évolution de la société calédonienne, notamment chez les jeunes. Comment parler de rééquilibrage entre les provinces alors que la concentration de la population s'accentue dans l'agglomération de Nouméa ? Certes, de beaux immeubles sortent de terre, mais aussi des bidonvilles, tandis que l'alcool et la drogue se répandent. Je ne suis pas sûr que le nickel offrira des emplois à tous les jeunes.

Cette collectivité, qui a beaucoup de potentialités, doit encore trouver sa place : ce débat me semble bien plus important pour l'avenir que celui sur le corps électoral.

M. Simon Sutour . - Merci à nos collègues pour cet excellent travail. Les choses changent, dites-vous. Sans doute, mais pas si vite que cela, car lorsque nous sommes allés en Nouvelle-Calédonie avec Jean-Jacques Hyest et Christian Cointat en 2003, les constats que nous avions formulés étaient sensiblement identiques aux vôtres. Il est vrai qu'à l'époque, le débat sur la consultation était bien plus apaisé, car encore lointain. Le centre pénitentiaire connaissait déjà une situation dramatique.

M. Jean-Jacques Hyest . - Un nouvel établissement était prévu.

M. Simon Sutour . - Ce n'aurait peut-être pas été une mauvaise option. Depuis, M. Delarue est venu et les choses se sont améliorées.

Lorsque nous sommes allés à Nouméa, M. Pierre Frogier était président du gouvernement et il nous avait fort bien reçus. Nous avions été la première délégation à nous rendre à Ouvéa après les événements dramatiques qui s'y étaient déroulés.

Comme le dit Jean-Jacques Hyest, le problème n'est pas l'indépendance : il n'est qu'à constater la situation du Vanuatu pour s'en persuader. La question centrale est celle de l'identité kanak. Même s'ils ne sont pas parfaits, les accords de Matignon et de Nouméa ont été signés : si l'on ne parvient pas à une solution consensuelle après avoir accompli les gestes nécessaires, le référendum devra avoir lieu. Pour ce qui est du corps électoral, nous devons respecter les grands principes républicains, à savoir que les citoyens sont égaux entre eux.

M. François Grosdidier . - Bien que n'ayant jamais été en Nouvelle-Calédonie, j'ai le sentiment que la question sociale a quelques similitudes avec celles que nous rencontrons en métropole : des minorités se sentent bafouées dans leur identité et sont confrontées à des problèmes sociaux. Pour ce qui est du référendum, nous devons respecter notre parole. Il n'est pas possible de différer éternellement ce scrutin. Enfin, il serait choquant que, lors du vote, le corps électoral ne soit pas celui des citoyens : nous serions en totale contradiction avec les principes fondamentaux de notre République.

- Présidence de Mme Catherine Troendlé, vice-présidente -

M. Pierre-Yves Collombat . - Nous ne pouvons pas ne pas organiser ce référendum. Cela dit, la question sera évidemment clivante. Enfin, nous devrons faire en sorte que le résultat de cette consultation soit acceptable par ceux qui n'auront pas gagné. Pensez-vous que nous serons prêts ?

M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Tous les syndicats de Nouvelle-Calédonie nous ont dit que leur principal problème n'était pas le référendum, mais la question économique et sociale.

Les perdants auront sans doute du mal à accepter le résultat du vote, mais il me semble difficile de ne pas procéder à cette consultation. D'ici deux ans, il est indispensable de parvenir à un accord sur la composition du corps électoral. La clef est politique, sans accord sur le corps électoral, il y aura une élection sur l'élection. Il faut trouver un accord maintenant.

Mme Sophie Joissains , rapporteur . - Notre collègue Pierre Frogier nous a dit que des conflits pourraient intervenir en Nouvelle-Calédonie à l'occasion du référendum, mais le risque n'est-il pas plus fort en l'absence de scrutin ? On ne peut oublier que 40 % de la population est favorable à l'indépendance. S'il est très important de ne pas arriver à une solution binaire, il me paraît compliqué de faire autrement. La Cour européenne des droits de l'homme a autorisé seulement un gel temporaire du corps électoral.

Mme Catherine Tasca , rapporteure . - Nous sommes arrivés à la conclusion qu'il fallait franchir l'étape du référendum pour que ce ne soit plus l'unique objet du débat politique. Après quoi, le chantier des réformes sera colossal.

Je suis néanmoins optimiste car les communautés ont appris à travailler ensemble et les élites des deux camps se connaissent bien. Une fois purgé la question référendaire, les communautés pourront bâtir ensemble leur destin commun, car elles n'ont pas d'autre choix. N'oublions pas l'histoire : un peuple d'origine a été colonisé par des colons venus d'ailleurs. J'espère que les communautés se mettront autour de la table pour apporter des réponses concrètes aux questions qui se posent, quelle que soit l'issue du référendum.

- Présidence de M. Philippe Bas, président -

Mme Sophie Joissains , rapporteur . - En période électorale, un camp a travesti le message initial des « deux drapeaux », si bien que ce message n'a pas été aussi important qu'espéré.

M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Si l'on renonce au référendum, il n'y aura pas d'accord. Le référendum ne pourrait-il pas être le prélude à un nouvel accord ?

La commission autorise la publication du rapport d'information relatif à la Nouvelle-Calédonie.

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