N° 200

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2014-2015

Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 décembre 2014

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) en vue du débat sur l' autorisation de prolongation de l' opération Chammal en Irak , en application de l'article 35 de la Constitution,

Par M. Jean-Pierre RAFFARIN,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Pierre Raffarin , président ; MM. Christian Cambon, Daniel Reiner, Jacques Gautier, Aymeri de Montesquiou, Mmes Josette Durrieu, Michelle Demessine, MM. Xavier Pintat, Gilbert Roger, Robert Hue, Mme Leila Aïchi , vice-présidents ; M. André Trillard, Mmes Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Joël Guerriau, Alain Néri , secrétaires ; MM. Michel Billout, Jean-Marie Bockel, Michel Boutant, Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Pierre Charon, Robert del Picchia, Jean-Paul Emorine, Philippe Esnol, Hubert Falco, Bernard Fournier, Jean-Paul Fournier, Jacques Gillot, Mme Éliane Giraud, M. Gaëtan Gorce, Mme Nathalie Goulet, M. Alain Gournac, Mme Sylvie Goy-Chavent, MM. Jean-Pierre Grand, Jean-Noël Guérini, Didier Guillaume, Mme Gisèle Jourda, M. Alain Joyandet, Mme Christiane Kammermann, M. Antoine Karam, Mme Bariza Khiari, MM. Robert Laufoaulu, Jacques Legendre, Jeanny Lorgeoux, Claude Malhuret, Jean-Pierre Masseret, Rachel Mazuir, Christian Namy, Claude Nougein, Philippe Paul, Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, MM. Cédric Perrin, Jean-Vincent Placé, Yves Pozzo di Borgo, Henri de Raincourt, Alex Türk .

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Conformément à l'article 35 de la Constitution, le Sénat débattra et votera, le 13 janvier prochain, sur la demande du Gouvernement d'autoriser la prolongation de l'intervention des forces armées en Irak.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a souhaité préparer cet acte solennel et grave - des hommes et des femmes sont envoyés sur le terrain pour combattre en notre nom à tous -, en fournissant un certain nombre d'éléments concrets sur l'intervention en Irak elle-même et en la replaçant dans le contexte plus global de la multiplication des interventions extérieures de la France.

Le présent rapport entend contribuer à ce débat, l'éclairer, sans pour autant prétendre à l'exhaustivité ni à l'épilogue. Il présente les libres réflexions de divers observateurs ou acteurs, en vue de fournir des éléments de réflexion. Un débat plus général sur les interventions extérieures en cours aura en effet lieu courant 2015, conformément à l'article 4 de la loi de programmation militaire pour 2014-2019, introduit à l'initiative de votre commission, et qui prévoit que : « les opérations extérieures en cours font, chaque année, l'objet d'un débat au Parlement ».

Après les opérations Harmattan en Libye en 2011, Serval au Mali à partir de janvier 2013, Sangaris en République centrafricaine depuis décembre 2013, Barkhane depuis l'été 2014 - opération à vocation régionale qui regroupe notamment Serval et Epervier (Tchad) -, l'intervention Chammal en Irak a été décidée par le Président de la République en septembre 2014.

Chammal, du nom d'un vent soufflant dans la région, avait pour objectif de stopper les « égorgeurs de Daech » selon l'expression de Laurent Fabius, « l'armée terroriste » selon celle de Jean-Yves Le Drian, qui constituent une triple menace : leur utilisation de la violence, de la terreur et de la barbarie est un défi moral pour l'ensemble de l'humanité ; ils déstabilisent gravement un environnement régional déjà fragile et tentent de rallier à leur cause des groupuscules épars allant de l'Afrique à l'Asie ; ils atteignent directement nos intérêts par « l'aura » qu'ils réussissent à faire briller auprès de jeunes qui vont combattre sur le théâtre irako-syrien et qui symbolisent le continuum entre sécurités intérieure et extérieure.

Pour autant, la stratégie de sortie de crise, tant militaire que politique, peine à se dessiner. Aux difficultés d'un engagement sans doute de longue durée s'ajoute cette incertitude majeure.

De manière plus large, les auditions conduites par la commission font ressortir des faits saillants qui se dégagent des différentes interventions françaises ces dernières années.

Avant tout , la capacité de la France, puissance singulière dans le monde, à se projeter sur des théâtres d'opération, le cas échéant en premier et dans des délais extrêmement brefs , pour gérer une crise en toute responsabilité. Malgré la vétusté de certains matériels et les déficits accumulés de préparation opérationnelle, nos armées ont parfaitement démontré leur professionnalisme et leur aptitude à combattre et à réussir une opération.

Ensuite, les difficultés importantes pour bâtir, au-delà de l'intervention militaire, qui ne résout rien durablement, « le jour d'après ». Elles se révèlent déjà dans la relative solitude à laquelle la France a parfois été confrontée au moment de la décision d'intervenir, ainsi que dans les délais de mise en place d'une réponse régionale et internationale à la crise. Puis elles se cristallisent dans les difficultés à faire émerger un règlement politique durable. La Libye constitue l'exemple actuel le plus frappant de la nécessité d'articuler intervention militaire et règlement politique ; notre commission le disait déjà en juillet 2013 : « le chaos sécuritaire fait de la Libye un refuge idéal pour les terroristes ». La diplomatie française est certes active et habile, mais elle ne peut pas tout, et nos partenaires, en particulier les organisations régionales, l'ONU ou l'Union européenne, doivent également savoir se mobiliser.

Enfin, des inquiétudes sur l'outil militaire lui-même, qui fait face à des tensions budgétaires importantes : nos moyens sont-ils à la hauteur de nos ambitions ? Le nouveau modèle des armées défini par le Livre blanc et la loi de programmation militaire de 2013 est-il compatible avec la multiplication des interventions extérieures ?

Le présent rapport ne peut à lui seul répondre à l'ensemble de ces questions, mais il entend contribuer au débat et apporter des éléments à même d'informer les Sénateurs qui seront amenés, le 13 janvier prochain, à voter sur la prolongation de l'opération Chammal en Irak.

I. FAITS ET CHIFFRES

Selon les chiffres fournis par le ministère de la défense, 8 465 militaires français étaient déployés en OPEX au 17 décembre 2014 , dont :

- 3 085 dans la bande sahélo-saharienne , soit plus du tiers du total (36,4%), principalement dans le cadre de l'opération Barkhane (3 000 hommes), qui regroupe depuis le 1 er août 2014 l'opération Epervier (initialement déployée au Tchad) et l'opération Serval (Mali/Niger) et vise à appuyer les forces armées des pays partenaires de la région dans leur lutte contre les groupes armés terroristes.

La France participe aussi à la mission européenne de formation militaire au Mali ( EUTM Mali , 70 militaires français), lancée en 2013 et à la mission intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali ( MINUSMA , 15 militaires français), opération de maintien de la paix créée le 25 avril 2013 pour prendre le relais à compter du 1 er juillet 2013 de la mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MISMA) ;

- 2 260 en République centrafricaine (RCA), soit 26,7% de l'effectif total, dont 2 000 au sein de l'opération Sangaris , intervention engagée en décembre 2013 dans le contexte d'une dégradation de la situation sécuritaire et d'un risque élevé de massacres, en appui à la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (MISCA) autorisée par les Nations-Unies et déployée en même temps.

Ce dispositif a été complété à partir du 1 er avril 2014 par l'action de l'EUFOR RCA, mission européenne de sécurisation à Bangui, à laquelle participent actuellement 250 militaires français - sur un total de 700 hommes - et, à compter de septembre 2014, par celle de la Mission des Nations unies de soutien à la Centrafrique (MINUSCA), opération de maintien de la paix de l'ONU qui se substitue à la MISCA et au profit de laquelle la France met à disposition une dizaine d'hommes ;

- 900 hommes au Liban dans le cadre de la force intérimaire des Nations unies (FINUL) , mise en place en mars 1978 à la suite de troubles le long de la frontière israélo-palestinienne ;

- 800 hommes au titre de l'opération Chammal au Levant qui vise, à la demande du gouvernement irakien et en coordination avec les alliés de la France présents dans la région, à assurer un soutien aérien aux forces armées irakiennes dans leur lutte contre le groupe terroriste autoproclamé Daech ;

- 460 hommes en Côte d'Ivoire , dont 450 dans le cadre de l'opération Licorne , intervention française lancée en 2002 dans le contexte d'une crise politico-militaire dans ce pays, en soutien de l'opération des Nations unies en Côte d'Ivoire (ONUCI), à laquelle la France prête aussi une dizaine d'hommes. L'OPEX Licorne a pris fin le 31 décembre 2014, les militaires français présents en Côte d'Ivoire étant désormais des forces françaises prépositionnées ;

- 300 hommes dans le cadre de deux opérations internationales créées en 2001 en vue de sécuriser et permettre la reconstruction de l'Afghanistan à la suite du renversement du régime des Talibans : la force internationale d'assistance et de sécurité (FIAS) placée sous commandement de l'OTAN (l'opération PAMIR, dotée de 150 hommes en 2014, étant la composante française de cette force) et l'opération Enduring Freedom (OEF) sous commandement américain (la France ne participe désormais qu'à la composante maritime de cette opération, dans l'Océan indien, sous la forme d'une frégate de 150 hommes).

L'engagement des forces françaises en Afghanistan a été exceptionnel par son ampleur, puisque 70 000 soldats français y ont participé depuis 2001 et qu'au plus fort des opérations, 4 000 militaires français étaient mobilisés. Le départ des troupes de PAMIR, accéléré depuis 2012, est achevé depuis le 31 décembre 2014 ;

- 200 militaires français au sein de la mission européenne ATALANTE de sécurité maritime dans la Corne de l'Afrique, dans le cadre de la force navale européenne EU NAVFOR ;

- 450, enfin, dans le cadre de différentes autres opérations extérieures mobilisant des effectifs moins importants :KFOR au Kosovo, Corymbe dans le Golfe de Guinée, Ambre en Ukraine (dispositif de surveillance dans le cadre de l'OSCE), MINURSO au Sahara occidental, MONUSCO et EUSEC en République démocratique du Congo, MINUL au Liberia, FMO dans le Sinaï, ALTHEA en Bosnie, ainsi que des équipes de protection embarqués (EPE) sur les navires.

Effectifs déployés en OPEX au 17 décembre 2014

et coût des OPEX en 2014

Pays/zone

Opérations

Effectif

Proportion de l'effectif total (%)

Coût en M€

Proportion du coût total (%)

Bande sahélo-saharienne

(Mali, Tchad, Burkina Faso, Niger Mauritanie,)

Barkhane

3 000

EUTM Mali

70

MINUSMA

15

Total BSS

3 085

36,44%

484

43,76%

République centrafricaine

Sangaris

2 000

EUFOR RCA

250

MINUSCA

10

Total RCA

2 260

26,7%

244

22,1%

Liban

FINUL

900

10,63%

56

5,06%

Levant

Chammal

800

9,45%

30

2,71%

République de Côte d'Ivoire

Licorne

450

ONUCI

10

Total RCI

460

5,43%

61

5,51%

Corne de l'Afrique

Atalante

200

2,36%

14

1,27%

Afghanistan

FIAS

150

Enduring Freedom ( composante maritime dans l'Océan indien )

150

Total Afghanistan

300

3,54%

131

11,84%

Autres

Corymbe, Ambre, EPE, MINURSO, MONUSCO, EUSEC, MINUL, FMO Sinaï, ALTHEA, KFOR

460

5,43%

87

7,87%

TOTAL

8 465

1 106

Source : ministère de la défense

Le coût total des OPEX s'est élevé en 2014 à 1,106 milliard d'euros , les interventions dans la bande sahélo-saharienne ayant représenté la plus grosse part des dépenses (484 M€, soit 43,8% du total).

Le coût des OPEX, souvent dénommé « surcoût » dans la mesure où il correspond au différentiel de coût entre la métropole et le théâtre d'opération, comprend plusieurs types de dépenses :

- des dépenses de personnel (titre 2), en particulier l'indemnité de sujétion pour service à l'étranger (ISSE) ;

- des dépenses de soutien (titre 3) : alimentation, transport stratégique, loyers immobiliers, entretien programmé du matériel, carburant, fonctionnement courant...

- des dépenses d'intervention (titre 6) correspondant aux contributions versées par la France aux organisations internationales au titre des coûts communs.

Le financement de cette dépense est assuré, conformément à l'article 4 de la loi de programmation militaire (LPM) 2014-2019, pour partie par une dotation inscrite en loi de finances initiale, dont le montant est fixé à 450 millions d'euros (170 millions en titre 2 et 280 millions hors titre 2) et, pour l'excédent, par un financement interministériel.

Ce dispositif, expressément prévu par la LPM à l'initiative du Parlement, a permis de sécuriser le financement des OPEX afin qu'en cas de dérive, il ne conduise pas à grever les crédits hors titre 2 du ministère de la défense, en particulier les crédits d'équipement, comme cela fut souvent dans le passé, les dépenses liées aux OPEX ayant connu des dérives à la faveur de certaines interventions (Libye en 2011, Mali en 2013).

Evolution du coût des OPEX

(en millions d'euros)

2009

2010

2011

2012

2013

2014

870,4

860,2

1 246,3

873,3

1 250,2

1 106

Source : ministère de la défense

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