C. LES RAPPORTS DE FORCE ENTRE LES GÉANTS DE L'INTERNET, LES ÉTATS, LES ENTREPRISES ET LES CITOYENS

Là où le droit devrait énoncer les règles applicables, ce sont actuellement des rapports de force qui priment.

Pendant que le droit tarde à s'élaborer, des situations de fait se créent, risquant de limiter les marges de créativité des législateurs.

L'exemple de Google dans l'Union européenne illustre bien ces contradictions.

Premièrement, tandis que l'Union européenne s'interroge depuis cinq années sur l'existence de l' abus de position dominante dont le moteur de recherche Google serait coupable aux dires d'une trentaine de plaignants, le Parlement européen a voté une motion appelant au démantèlement de Google et l'Espagne a voté une taxe Google , pour protéger la propriété intellectuelle des outils des éditeurs de presse utilisées gratuitement par Google Noticias , devant entrer en vigueur au 1 er janvier 2015.

À propos de ces initiatives, il faut d'abord relever que poursuivre Google pour ces abus de position dominante, en raison du recours au poids de ses 90 % de parts de marché européen pour promouvoir l'ensemble de ses services au détriment de ceux de ses concurrents, suppose de communiquer à Google les griefs retenus contre lui et d'entamer une procédure qui durera des années... au cours desquelles l'abus supposé perdurera ou s'aggravera. D'où la préférence pour la conciliation du commissaire européen à la concurrence, M. Joaquin Almeira, en fonction de 2009 à 2014.

Quant à la motion votée par le Parlement européen , au-delà de son écho médiatique, d'ailleurs assez limité en dépit de l'audace de ce texte, il est permis de se demander, à ce stade, si sa portée n'est pas plus symbolique que réelle.

Enfin, la simple annonce de la taxe Google espagnole a déjà conduit Google à annoncer la fermeture de son service d'actualités, ce qui a entraîné le recul immédiat des éditeurs de presse que la taxe devait protéger des emprunts gratuits de Google .

Face à cette situation, une réaction européenne ne semble pas envisageable, ne serait-ce que parce que la France a obtenu de Google , depuis 2013, le financement du fonds pour l'amélioration numérique de la presse.

Deuxièmement, aucun pays n'a semblé en mesure de mettre en place un impôt obligeant Google à s'acquitter d'un quelconque paiement proportionnel aux profits réalisés dans chaque pays considéré.

Tout au plus, une directive devrait permettre le versement de la taxe sur la valeur ajoutée dans le pays où une oeuvre cinématographique ou une chanson est achetée sur Apple ou Google .

Troisièmement, la mise en place par Google , en 2014, des modalités du droit à l'oubli , à la suite de la décision de la Cour européenne de justice, laisse Google seul juge de la pertinence des quelque 200 000 demandes de suppression de liens formulées.

De plus, dans un proche avenir, à savoir au cours de l'année 2015, l'Union européenne devrait adopter un règlement sur les données personnelles afin de soumettre ces derniers à la loi du pays où se trouve la personne concernée, quelle que soit la localisation des serveurs hébergeant ces données.

Enfin, les six CNIL européennes sont en contentieux avec Google à qui elles reprochent d'avoir modifié unilatéralement sa politique de confidentialité , qu'il s'agisse de messagerie, de recherche ou de stockage.

À en juger par le test que viennent d'imposer à Booking trois instances nationales de régulation française, italienne et suédoise, agissant de concert contre les clauses imposées par ce site de réservation en ligne aux hôteliers, ce type d'action concertée pourrait être une voie plus rapide et efficace que des solutions institutionnelles européennes.

Mais l'image d'un face à face entre Google et les États doit être complétée par la faculté de la coopération entre ceux-ci.

Depuis des années, Google accède aux demandes de gouvernements souhaitant obtenir les données privées des internautes détenues par cet opérateur .

Depuis 2010, www.google.com/governmentrequests/ permet de connaître, État par État, le nombre de requêtes gouvernementales adressées à Google , soit pour disposer de données privées, soit pour supprimer des contenus.

Cela consiste à préciser que Google détient les lieux de connexion, la configuration des ordinateurs connectés, l'historique de la navigation, le contenu des recherches effectuées, le contenu des messages électroniques , etc.

Les entreprises n'échappent pas à ce système.

De la sorte, Google détient bien plus d'informations sur des individus et des entreprises que la plupart des États et une puissance financière surpassant également celle de nombre d'entre eux .

À ce niveau, cela fait de cette entreprise privée nord-américaine - comme de toutes celles à son niveau - un acteur politique .

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