N° 419

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2014-2015

Enregistré à la Présidence du Sénat le 16 avril 2015

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur le déplacement de la commission auprès des institutions européennes (23 et 24 mars 2015),

Par MM. Jean BIZET, Philippe BONNECARRÈRE, Michel DELEBARRE, Jean-Yves LECONTE, Yves POZZO di BORGO, Mme Patricia SCHILLINGER, MM. Simon SUTOUR et Richard YUNG,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet, président ; MM. Michel Billout, MM. Michel Delebarre, Jean-Paul Emorine, André Gattolin, Mme Fabienne Keller, MM Yves Pozzo di Borgo, André Reichardt, Jean-Claude Requier, Simon Sutour, Richard Yung, vice-présidents ; Mme Colette Mélot, MM Louis Nègre, Mme Patricia Schillinger, secrétaires , MM. Pascal Allizard, Éric Bocquet, Philippe Bonnecarrere, Gérard César, René Danesi, Mmes Nicole Duranton, Joëlle Garriaud-Maylam, Pascale Gruny, MM. Claude Haut, Jean-Jacques Hyest, Mme Gisèle Jourda, MM. Claude Kern, Jean-René Lecerf, Jean-Yves Leconte, François Marc, Didier Marie, Michel Mercier, Robert Navarro, Georges Patient, Michel Raison, Daniel Raoul, Alain Richard.

INTRODUCTION

Une délégation de la commission des affaires européennes du Sénat s'est rendue à Bruxelles les 23 et 24 mars 2015. Cette délégation était composée de MM. Jean Bizet, président, Michel Delebarre, Yves Pozzo di Borgo, Simon Sutour, Richard Yung, vice-présidents, MM. Philippe Bonnecarrère, Jean-Yves Leconte et Mme Patricia Schillinger.

Elle s'est entretenue avec M. Maros efèoviè, vice-président de la Commission européenne et commissaire en charge de l'Union de l'énergie, M. Pierre Moscovici, commissaire en charge des affaires économiques et financières, de la fiscalité et des douanes, M. Günter H. Oettinger, commissaire en charge de l'économie et de la société numérique, Mme Sylvie Guillaume, vice-présidente du Parlement européen, M. Jean Arthuis, président de la commission des budgets, M. Claude Moraes, président de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures, M. Alain Lamassoure, président de la commission spéciale sur les rescrits fiscaux au Parlement européen, Mme Sophia in't Veld, députée européenne, M. Pierre Sellal, représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne, M. Gilles de Kerchove, coordinateur européen de la lutte contre le terrorisme, M. Alain Le Roy, secrétaire général exécutif du Service européen d'action extérieure, M. Frédéric Baab, représentant français d'Eurojust, et Mme Christine Roger, directrice « Affaires intérieures » au secrétariat général du Conseil.

La délégation de la commission des affaires européennes du Sénat s'est également entretenue avec des Français occupant des postes de direction dans les institutions européennes sur le thème « la place des Français à Bruxelles », ainsi qu'avec un représentant du « think tank » Bruegel sur les dossiers d'actualité à Bruxelles.

Le présent document présente les principaux enseignements que la délégation de la commission des affaires européennes a tirés de ce déplacement.

I. LES CHANTIERS ÉCONOMIQUES ET FINANCIERS

La délégation de la commission des affaires européennes a entendu, à Bruxelles, MM. Pierre Moscovici, commissaire chargé des affaires économiques et financières, de la fiscalité et des douanes, Jean Arthuis, président de la commission des budgets au Parlement européen, et Alain Lamassoure, membre de la commission des affaires économiques et monétaires et président de la commission spéciale sur les rescrits fiscaux au Parlement européen.

La commission des affaires européennes a, par la suite, auditionné MM. Alain Lamassoure et Jean-Paul Betbèze, économiste, le 1 er avril 2015.

De ces entretiens, il a été tiré un certain nombre d'enseignements.

Organisés moins de deux semaines après l'adoption par le Conseil d'une recommandation visant les déficits français et une semaine après la présentation par la Commission européenne d'un paquet législatif sur la transparence fiscale, les entretiens ont permis d'aborder la situation économique et financière de la zone euro. Deux grands thèmes ont été évoqués : la conciliation entre réduction du déficit budgétaire et investissement, et la question de la gouvernance.

A. UNE COMMISSION EUROPÉENNE AU SERVICE DE LA CROISSANCE

Le Président Juncker a souhaité conférer une orientation plus politique à l'action de la Commission européenne. Cette inflexion se traduit au plan économique par l'accent mis sur la relance de l'investissement et la transparence en matière fiscale. La surveillance des situations budgétaires des États membres a également été effectuée au travers de ce prisme, comme en témoigne l'examen des déficits publics belge, français et italien. L'ambition affichée demeure de consolider la croissance.

1. Une interprétation plus flexible du pacte de stabilité et de croissance

Répondant à une demande du Conseil formulée en juin 2014, la communication de la Commission européenne sur la flexibilité au sein du pacte de stabilité et de croissance du 13 janvier 2015 a pu constituer un des premiers exemples de la nouvelle méthode de travail préconisée par son président. Sans remettre en cause les grands axes du Pacte, la Commission européenne propose une lecture de ses règles prenant mieux en compte les efforts accomplis par les États en faveur de l'investissement et des réformes structurelles. Les ajustements proposés ne doivent pas, dans la mesure du possible, se faire au détriment de la croissance. C'est à l'aune de ces éléments, qu'il convient d'analyser l'absence de sanctions envers la Belgique, l'Italie et la France. La nouvelle Commission européenne ne semble pas, en tout état de cause, favorable à l'adoption de sanctions.

Le cas de la France est assez révélateur, comme en témoigne la recommandation adoptée par le Conseil le 10 mars. Même si le pays n'a pas atteint ses objectifs de déficit pour la deuxième fois depuis 2009 et cela en dépit d'un report, la Commission européenne a proposé de différer le respect du seuil de 3 % du PIB à 2017. Constatant les efforts depuis 2013, elle a refusé de proposer des sanctions. Ce report est cependant assorti d'une obligation d'accomplir des efforts structurels supplémentaires représentant 2,7 % du PIB d'ici à 2017. 4 milliards d'euros de mesures additionnelles doivent, à ce titre, être présentées d'ici au 10 juin 2015. La recommandation doit permettre à la France de ne plus être avec l'Espagne le pays présentant la plus mauvaise performance budgétaire au sein de l'Union européenne. La Commission européenne insiste à ce titre sur le fait que l'Espagne réduit plus rapidement son déficit public.

Il appartient désormais au Gouvernement de présenter les réformes structurelles susceptibles de répondre à l'effort demandé. Selon M. Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques et financières, fiscalité et douanes, le choix des réformes à mettre en oeuvre appartient aux autorités françaises. Il s'agit là, selon lui, d'une rupture avec les pratiques de la Commission Barroso, prompte à dicter la liste des réformes à mettre en oeuvre, ce qui constitue un déni de démocratie. La Commission européenne est juste en charge d'évaluer l'impact des réformes proposées en matière de croissance, celle-ci permettant une augmentation des recettes fiscales et donc une diminution du déficit public. Le Premier ministre a présenté le 18 mars 2015 un programme de réformes devant le collège des commissaires, insistant sur celles du marché du travail et du dialogue social. L'institut Bruegel insiste de son côté sur la mise en oeuvre en France d'une nouvelle réforme des retraites et du temps de travail. Il s'agit d'aller plus loin aujourd'hui que les propositions contenues dans le projet de loi sur la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, qui constitue un signal aux yeux des interlocuteurs de la délégation et non un aboutissement.

Les chercheurs de Bruegel considèrent cependant que ces réformes ne peuvent se faire au détriment de la croissance, ce qu'a confirmé M. Pierre Moscovici. Aller au-delà des efforts demandés serait, dans ces conditions, contre-productif. L'efficacité de l'ajustement structurel ne pourrait par ailleurs être totale, selon le think tank , si l'Allemagne n'investit pas plus de son côté, créant ainsi les conditions d'une consolidation de la croissance européenne en général et française en particulier.

Si la France a besoin d'investissements allemands pour contribuer à sa croissance, celle-ci ne passe pas uniquement par une politique de la demande allemande. Une des divergences fondamentales avec l'Allemagne tient à la question du coût unitaire du travail. Il s'agit également d'évaluer la capacité de la France à s'intégrer dans l'économie mondiale et à faire évoluer sa chaîne de la valeur ajoutée.

La recommandation adressée à la France n'est pas considérée comme punitive par la Commission européenne. Le report obtenu semble même jugé généreux par un certain nombre d'États membres, qui ont accompli les efforts demandés en respectant les échéances. L'isolement de la France au Conseil en raison de sa situation budgétaire est à ce titre devenu une réalité.

2. La mise en oeuvre du plan Juncker en faveur de l'investissement

Le lancement d'un Plan européen en faveur de l'investissement, via notamment la création du Fonds européen pour les investissements stratégiques, peut être envisagé comme un complément d'encouragement aux réformes structurelles, selon M. Pierre Moscovici. Au-delà du montant annoncé pour le Fonds, 315 milliards d'euros, il convient de préciser les conditions dans lesquelles il pourra se déployer.

Il s'agit de faire du Fonds un instrument à la fois opérationnel et visible. Dans ces conditions, il importe de privilégier une approche par le bas, destinée à convaincre les investisseurs privés de souscrire au projet. Il est indispensable, dans ces conditions, qu'une communication adéquate soit mise en place sur le terrain. Le Sénat, qui représente les collectivités locales, a un rôle indéniable à jouer en la matière afin d'informer les élus. Il convient, à ce titre, de favoriser l'émergence de plateformes régionales dédiées à l'utilisation du Fonds. Les structures publiques et parapubliques devraient également être incitées à diffuser ce message, au même titre que la Caisse des dépôts et consignations et la Banque publique d'investissements.

La question de l'optimisation des fonds publics intégrés dans le dispositif demeure cependant entière. 8 milliards d'euros sur les 21 milliards d'euros de fonds européens alloués au dispositif viennent, en effet, garantir la Banque européenne d'investissement alors qu'ils devraient plutôt couvrir les risques des investisseurs privés.

M. Pierre Moscovici a insisté sur la qualité des projets qui devaient être proposés. Ceux-ci doivent correspondre à des initiatives privées et concilier innovation et performance. La qualité de la recherche française représente à ce titre une plus-value. Dans ces conditions, il y a lieu de s'interroger, comme l'a exprimé l'Institut Bruegel, sur les listes de projets d'infrastructures avancées par les gouvernements, à l'image de la France et de l'Italie.

3. Le renforcement de la transparence fiscale

L'action de la Commission européenne se concentre sur trois axes : le paquet législatif transparence fiscale qui vise les pratiques de rescrits fiscaux ou tax rulings , l'adoption du texte définitif sur la taxe sur les transactions financières et la réouverture des négociations sur l'harmonisation de la base d'imposition sur les sociétés.

Le paquet transparence fiscale , présenté le 18 mars 2015, doit permettre de combattre l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices sans pour autant pénaliser les entreprises. Il répond à une demande des citoyens européens mais aussi aux ambitions internationales en la matière, comme en témoignent les travaux menés par l'OCDE sur ce thème, à la demande du G20 depuis plusieurs années. La question des tax rulings a notamment été abordée à l'occasion du sommet du G20 réuni à Brisbane les 15 et 16 novembre 2014. Le communiqué final insiste sur la nécessité de taxer les profits « là où les activités économiques profitables sont réalisées et là où la valeur est créée?». Le G20 a ainsi une nouvelle fois appuyé l'action de l'OCDE et demandé l'application dès 2015 du plan d'action de l'OCDE contre l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices (BEPS), détaillé en septembre 2014. Le G20 a, à cet égard, insisté sur une transparence accrue en matière de rescrits fiscaux, considérés comme « des pratiques néfastes ». Le paquet de la Commission ne condamne pas la pratique des rescrits fiscaux. Ces accords sont couverts par la loi au sein de vingt-deux États membres de l'Union européenne. Il n'est pas illogique qu'une entreprise qui souhaite s'installer sur un territoire entende connaître au préalable le montant de son imposition. Reste que la prévisibilité ne saurait déboucher, aux yeux de la Commission, sur une opacité des dispositifs voire une perversité des pratiques. Il conviendrait qu'il y ait plus de transparence et que les règles soient connues à l'avance. Le dispositif comprend ainsi une proposition de directive destinée à améliorer la coopération entre les États membres en ce qui concerne leurs décisions fiscales en matière transfrontière, via un système d'échange automatique d'information ; l'ambition affichée étant que le texte soit adopté au 1 er janvier 2016. La communication intégrée au paquet envisage, quant à elle, une possible introduction de nouvelles exigences en matière de transparence pour les multinationales et une révision du code de conduite dans le domaine de la fiscalité des entreprises. Ce code fixe les critères qui déterminent si un régime fiscal est dommageable. Il oblige les États membres à supprimer toute mesure fiscale préjudiciable Les critères actuels semblent aujourd'hui dépassés par les mécanismes utilisés par les entreprises pour échapper à l'impôt. Eurostat devrait également être sollicitée pour parvenir à une estimation fiable du niveau de fraude et d'évasion fiscales.

Le deuxième chantier concerne la taxe sur les transactions financières , la TTF. Faute d'avoir abouti à un texte satisfaisant pour l'ensemble des parties fin 2014, les onze États participant à la coopération renforcée ont demandé, le 27 janvier 2015, à la Commission européenne d'apporter son concours pour parvenir à l'adoption d'un texte 1 ( * ) . Si la Commission européenne espère son adoption d'ici l'été prochain, les États tablent sur le 1 er janvier 2016. La TTF pourrait désormais concerner tous les produits financiers ; les produits dérivés seraient donc visés, mais à un taux faible. Cette solution apparaît plutôt satisfaisante pour la France, qui s'est spécialisée dans l'émission de produits dérivés. Une attention particulière devra être apportée au risque de délocalisation des activités financières. Le rendement de la taxe devrait être revu à la baisse. Initialement évalué à 50 milliards d'euros, il pourrait désormais atteindre entre 25 et 30 milliards d'euros.

Le dernier domaine d'action de la Commission européenne concerne l'harmonisation de la base d'imposition sur les sociétés , le projet ACCIS (assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés). Aux termes de celui-ci, une société ne devrait se conformer qu'à un seul régime au sein de l'Union pour calculer son résultat imposable, plutôt qu'aux différents régimes propres à chacun des États membres dans lesquels l'activité est exercée. En outre, les groupes soumis au régime ACCIS auraient la possibilité de ne remplir qu'une seule déclaration fiscale consolidée pour l'ensemble de leurs activités au sein de l'Union européenne. Les résultats imposables consolidés du groupe seraient répartis entre chacune des sociétés qui le constituent, chaque État membre imposant les bénéfices des sociétés résidentes qui y sont établies au taux d'imposition en vigueur. Une formule retenant le capital physique, le nombre d'employés, la masse salariale et le chiffre d'affaires devrait permettre cette répartition. La Commission européenne avait proposé un texte en ce sens le 16 mars 2011. Celui-ci mettait notamment en place un système commun destiné à calculer l'assiette de l'impôt des sociétés actives dans l'Union européenne. Il prévoyait que les sociétés bénéficieraient d'un système de « guichet unique » pour déposer leur déclaration fiscale et qu'elles pourraient consolider tous les bénéfices et toutes les pertes enregistrés dans l'ensemble de l'Union européenne. Les États membres conserveraient leur droit souverain de fixer le taux d'imposition des sociétés. Ce projet n'a jamais obtenu l'accord du Conseil. La Commission européenne souhaite désormais présenter un nouveau texte en juin. Elle ne mésestime pas le fait que la fiscalité des entreprises est sans doute le chantier le plus délicat, dans un domaine où les décisions doivent être prises à l'unanimité au Conseil. Ce faisant, elle entend néanmoins poursuivre son action en faveur de la transparence fiscale et contre l'érosion des bases d'imposition au sein de l'Union européenne, mais aussi réduire les coûts des entreprises et favoriser les investissements étrangers sur le continent. Selon les chiffres avancés par la Commission européenne en 2011, le projet ACCIS permettrait aux entreprises de l'Union d'économiser 700 millions euros chaque année au titre des coûts de mise en conformité, et 1,3 milliard d'euros par le biais de la consolidation.


* 1 La coopération comprend la France, l'Allemagne, la Belgique, l'Autriche, la Slovénie, le Portugal, la Grèce, la Slovaquie, l'Italie, l'Espagne et l'Estonie.

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