N° 420

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2014-2015

Enregistré à la Présidence du Sénat le 16 avril 2015

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la place du Royaume - Uni dans l' Union européenne ,

Par Mme Fabienne KELLER,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet, président ; MM. Michel Billout, MM. Michel Delebarre, Jean-Paul Emorine, André Gattolin, Mme Fabienne Keller, MM Yves Pozzo di Borgo, André Reichardt, Jean-Claude Requier, Simon Sutour, Richard Yung, vice-présidents ; Mme Colette Mélot, MM Louis Nègre, Mme Patricia Schillinger, secrétaires , MM. Pascal Allizard, Éric Bocquet, Philippe Bonnecarrere, Gérard César, René Danesi, Mmes Nicole Duranton, Joëlle Garriaud-Maylam, Pascale Gruny, MM. Claude Haut, Jean-Jacques Hyest, Mme Gisèle Jourda, MM. Claude Kern, Jean-René Lecerf, Jean-Yves Leconte, François Marc, Didier Marie, Michel Mercier, Robert Navarro, Georges Patient, Michel Raison, Daniel Raoul, Alain Richard.

AVANT-PROPOS

Ce rapport d'information tend à présenter la position du Royaume-Uni face à l'actuelle répartition des compétences entre l'Union européenne et les États membres et la manière dont le Royaume-Uni conçoit sa place au sein de l'Union européenne.

Il se veut le relevé aussi fidèle que possible de l'audit de cette répartition entrepris par le gouvernement britannique depuis 2012. De ce tableau se dégage l'impression d'une irréductible singularité propre à nos voisins britanniques dont l'adhésion à l'Union européenne n'est pas une affaire de coeur mais de tête. Pas de lyrisme, pas de romantisme, simplement du bons sens au service d'intérêts bien compris.

L'ensemble des auditions et des rencontres qui ont ponctué cette mission n'ont fait que renforcer cette impression et surtout ancrer la certitude que les Britanniques défendaient une position singulière au sein de l'Union et obéissaient majoritairement à un tropisme libéral insulaire. Cette particularité affichée sans complexe les conduit à considérer que le projet européen est un projet économique et doit le rester.

Pour faire en sorte que ce projet conserve sa finalité économique, libérale, et avant toute chose, pragmatique, les Britanniques, à l'exception d'une infime minorité qui s'est tournée vers le Parti extrémiste United Kingdom Independence Party (UKIP), envisagent une réforme de l'Union européenne ou du moins un nouveau départ (« a fresh start ») mais, contrairement à ce qu'écrit trop souvent la presse continentale, ce nouveau départ n'est pas une sortie de l'Union. Il s'agit plutôt d'un nouveau départ sur de nouvelles bases plus « raisonnables ». Le Marché unique doit rester l'Alpha et l'Omega du projet européen lequel est essentiellement au service du désir d'entreprendre et de l'énergie créatrice.

Ce rapport relève également les pistes de réforme de l'Union européenne auxquelles le Royaume-Uni aspire dans le cas où s'ouvriraient des négociations pour rééquilibrer les liens entre l'Union et ses membres. Sur la nécessité de réformer, il existe un consensus dans la classe politique et dans l'opinion, mais il y a quelques nuances d'un parti à l'autre et assez de lucidité chez tous pour comprendre que ces réformes ne peuvent être, dans un premier temps, qu'à la marge puisque la modification des Traités est un exercice laborieux et périlleux.

QUELQUES CHIFFRES RÉVÉLATEURS SUR LA GRANDE-BRETAGNE EN 2014-2015

Population : 63 millions d'habitants

Population urbaine : 82 %

Croissance : 2,8 % (3,5 % prévu en 2015)

Inflation : 2 %

Chômage : 5,7 % de la population active

Progression du salaire moyen depuis un an : 2,1 %

Déficit budgétaire : 5 % du PIB

Dette publique : 80 % du PIB

Dépenses publiques : 42 % du PIB (objectif des Conservateurs : 35 %)

Services financiers : 35 % du PIB

Contribution nette au budget européen : 7,2 milliards d'euros

Immigration nette annuelle : 298 000 personnes

Part dans les exportations mondiales : 2,4 %

Déficit de 115 000 logements par an

Principal client : Allemagne

40 % des échanges se font en euros

Depuis 2004 : entrée de 1 million de Polonais et de 200 000 Baltes

I. L'AUDIT DU PARTAGE DES COMPÉTENCES POSE LES JALONS D'UN STATUT SPÉCIAL POUR LE ROYAUME-UNI

A. UN EXERCICE EXCEPTIONNEL ET OBJECTIF MAIS NON DÉNUÉ D'INTENTIONS POLITIQUES

1. L'originalité de l'exercice et ses intentions politiques à long terme

Cet audit a été lancé par le gouvernement britannique en 2012 et il s'est achevé en 2014. Il vise à évaluer la manière dont sont réparties l'ensemble des compétences d'un État moderne entre l'État britannique et l'Union européenne en fonction des traités existants et de leur pratique. Aucun autre membre de l'Union, à l'exception des Pays-Bas et de la Finlande - mais d'une manière moins approfondie - ne s'est livré à cet exercice d'analyse et de transparence.

Cet exercice a d'abord été conçu comme une mise au point à usage interne, non dénuée d'arrière-pensées politiques. Toutefois il apparaît maintenant, à la lecture des rapports, que ce travail particulièrement équilibré et objectif, qui a mis à contribution l'ensemble de la haute administration britannique, le Parlement et tous ceux qui ont bien voulu apporter leur témoignage grâce à un processus ouvert de consultations et d'auditions, débouche sur des conclusions essentiellement favorables à la répartition existante sans pour autant s'abstenir d'énumérer tous les domaines où cette répartition n'étant pas satisfaisante, il est nécessaire de la modifier, soit au profit de l'État britannique, soit au profit de l'Union. Cependant d'une manière générale, le ton est factuel et impartial et dans chaque rapport, la parole est donnée aux positions minoritaires.

Ainsi, ce travail qualifié par tous d'objectif, et seulement de « technocratique » par ses détracteurs, a l'immense mérite, aux yeux du gouvernement actuel, de venir soutenir, preuves à l'appui, les positions britanniques traditionnelles en matière de réforme de l'Union européenne.

L'opinion publique n'y a prêté qu'une attention modérée dans la mesure où un certain consensus existe déjà, dans l'opinion britannique, sur la nécessité de réformer l'Union européenne et que le principe que cette réforme doive être à l'initiative du Royaume-Uni est confusément sinon parfaitement intégré par l'opinion.

Le gouvernement britannique attache la plus haute importance à cet audit et c'est la raison pour laquelle les rapports de cet audit ont été présentés aux ambassades des États membres de l'Union européenne par le ministre des affaires européennes lui-même (David Lidington, européen convaincu que votre rapporteur a rencontré à Londres lors de sa mission) en présence de Lord Wallace (également rencontré lors de la mission), président du Groupe parlementaire Libéral Démocrate, et de Jill Morris, directeur Europe au Foreign Office , car le Foreign Office pilotait l'ensemble de l'exercice.

Cet exercice singulier se voulait une description exacte de l'existant, mais il s'avère que les conclusions des rapports seront cependant très utiles pour soutenir l'agenda des réformes de l'Union européenne souhaitées par le Royaume-Uni. La France et l'Allemagne ont refusé de participer à l'audit, peu enclines à alimenter le débat et gênées à l'évocation de possibles rapatriements de compétences. Une explication plus simple de ce refus tient au faut que ni l'Allemagne ni la France ni les autres États membres ne souhaitent communiquer sur leur position avant d'éventuelles négociations.

La Commission européenne a pris connaissance de l'ensemble des rapports et saisi l'occasion de réaffirmer son désir de voir la Grande Bretagne rester dans l'Union et participer à la poursuite de l'intégration européenne. La Commission considère que l'audit et les conclusions qui en sont tirées relèvent seulement du débat politique interne britannique.

Le ministre britannique des affaires européennes a insisté sur la nécessité, mise en lumière par ces rapports, d'introduire plus de flexibilité et de transparence, et surtout sur la nécessité d'améliorer le processus de décision en Europe, ce qui correspond très exactement à l'agenda réformateur défendu par les Britanniques et, dans une certaine mesure aussi, à l'agenda de la Commission Juncker.

2. Les réactions européennes à l'audit

La discrétion de l'Allemagne et d'autres États membres comme la Suède, les Pays-Bas, le Danemark ou la Finlande, et l'indifférence affectée par la France ne signifient pas que l'audit des compétences soit passé inaperçu dans les chancelleries.

La Grande-Bretagne sait qu'elle peut compter sur un soutien allemand à sa demande de renégociation. Ce soutien repose sur des liens historiques et culturels anciens mais aussi sur des intérêts convergents en matière économique et commercial. Londres a toujours su habilement mettre en avant les initiatives germano-britanniques, en particulier en matière budgétaire. Georges Osborne et Wolfgang Schaüble ont exhorté ensemble leurs partenaires communautaires à mener des réformes profondes de leurs finances publiques et du marché du travail.

Berlin toutefois n'est pas dupe : le Royaume-Uni est un acteur majeur de l'Union et il est de l'intérêt de tous de le conserver dans l'Union, mais cette position ne saurait justifier n'importe quelle concession. Berlin sait qu'une réforme des Traités sera nécessaire pour y introduire tout ce qui a été fait pour la zone euro depuis la crise et qui relève plus de la pratique que des textes fondateurs. Cependant, il n'y a pas pour Berlin d'urgence ni de nécessité de saisir cette occasion pour modifier la nature de la construction européenne pour satisfaire Londres.

Sur la question de la libre circulation des personnes qui est un point de fixation pour Londres, Berlin a toutefois fait preuve de fermeté en déclarant qu'il était intangible même si les abus devaient être examinés et sanctionnés à l'aide d'instruments efficaces.

Ainsi, la réouverture des Traités semble difficile et Londres l'a bien compris qui évoque plutôt le recours à des mécanismes juridiques ad hoc pour éviter une révision. Londres a entrepris de rendre ses demandes plus acceptables aux yeux de Berlin.

En clair, Berlin saura maintenir un subtil équilibre pour éviter la réouverture des Traités tout en donnant satisfaction à Londres afin d'éviter une sortie de l'Union. Berlin a déjà accepté trois axes de réforme : compétitivité, subsidiarité, simplification. Berlin a reconnu être sensible à l'inquiétude britannique sur l'articulation entre États membres et non membres de la zone euro. Enfin, Berlin affiche une convergence de vue avec Londres sur l'approfondissement du Marché intérieur et le traité de libre-échange avec les États-Unis.

La France, de son côté, a pris le parti d'attendre l'issue des élections du 7 mai pour examiner les demandes du Gouvernement Cameron, partant de l'idée que ces demandes pourraient être infléchies après les élections, analyse qui semble hasardeuse dans la mesure où un réel consensus britannique existe autour de ces demandes, comme cela nous est apparu pendant notre mission. Paris pense s'aligner, le moment venu, sur la position allemande pour contenir les demandes britanniques à un niveau acceptable.

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