Rapport d'information n° 533 (2014-2015) de M. Éric BOCQUET , Mme Fabienne KELLER et M. Richard YUNG , fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 18 juin 2015

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N° 533

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2014-2015

Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 juin 2015

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur le rôle de la Banque centrale européenne face à la crise ,

Par M. Éric BOCQUET, Mme Fabienne KELLER et M. Richard YUNG,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet, président ; MM. Michel Billout, Michel Delebarre, Jean-Paul Emorine, André Gattolin, Mme Fabienne Keller, MM Yves Pozzo di Borgo, André Reichardt, Jean-Claude Requier, Simon Sutour, Richard Yung, vice-présidents ; Mme Colette Mélot, M Louis Nègre, Mme Patricia Schillinger, secrétaires , MM. Pascal Allizard, Éric Bocquet, Philippe Bonnecarrère, Gérard César, René Danesi, Mmes Nicole Duranton, Joëlle Garriaud-Maylam, Pascale Gruny, MM. Claude Haut, Jean-Jacques Hyest, Mme Gisèle Jourda, MM. Claude Kern, Jean-Yves Leconte, François Marc, Didier Marie, Michel Mercier, Robert Navarro, Georges Patient, Michel Raison, Daniel Raoul, Alain Richard .

AVANT-PROPOS

Dix ans après son installation, la Banque centrale européenne a dû faire face à une crise économique et financière d'une ampleur inégalée, remettant en cause les fondements même de la zone euro. Critiquée jusque-là pour son manque de soutien à l'économie réelle, l'institution a su développer de nouveaux instruments, pour partie non-conventionnels, destinés à répondre aux difficultés rencontrées par le secteur bancaire mais aussi aux problèmes de refinancement des États sur le marché obligataire. Elle a largement contribué à endiguer la crise de liquidités qu'ont pu traverser les établissements financiers tout en tentant de faire baisser les coûts de refinancements auxquels sont confrontés certains États membres en difficulté.

Ce faisant, la Banque centrale européenne s'est affirmée comme un acteur de tout premier plan dans la réponse européenne à la crise. Sa défense volontariste de l'euro, « quoi qu'il en coûte » selon les termes de son président en juillet 2012 a même pu pallier l'absence de consensus politique entre les États membres pour réformer effectivement la gouvernance économique de la zone euro. Les mesures extrêmement fortes qu'elle a pu adopter à l'image du plan d'assouplissement quantitatif lancé en mars 2015 lui ont incontestablement conféré un rôle politique, bien qu'elle s'en défende.

Le présent rapport détaille les mesures adoptées par la Banque centrale européenne depuis le déclenchement de la crise, tant en ce qui concerne la politique monétaire que le rôle spécifique qui lui a été accordé en matière de supervision bancaire. Il tire les enseignements d'une visite de travail effectuée dans ses locaux à Francfort le 4 mai 2015 et d'entretiens organisés à Paris.

I. UNE INSTITUTION INDÉPENDANTE EN CHARGE D'UN PROJET POLITIQUE

Le traité de Maastricht (1992) a inscrit dans les traités européens la création d'une Union économique et monétaire, dont la monnaie serait l'euro (article 3 du traité sur l'Union européenne - TUE). Il confie dans le même temps la responsabilité de la politique monétaire unique à la Banque centrale européenne (BCE). Aux termes de l'article 130 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), celle-ci est indépendante, c'est-à-dire qu'elle ne peut ni solliciter ni accepter des instructions d'un État ou d'une autorité européenne quelconque. Cette exigence s'impose aussi bien à elle même qu'aux banques centrales nationales qui composent le système européen des banques centrales, qu'elle est chargée de coordonner. La BCE a été mise en place en juin 1998. Son siège est situé à Francfort (Allemagne).

A. ORGANISATION ET MISSIONS

Le mode de fonctionnement de la Banque centrale européenne est arrêté par le protocole n°4 sur les statuts du Système européen de banques centrales et de la Banque centrale européenne annexé au Traité de Maastricht. Les missions de la BCE sont, quant à elles, détaillées à l'article 127 du TFUE, qui s'inscrit lui-même dans un chapitre dédié à la politique monétaire (articles 127 à 133).

1. Une organisation décentralisée...

L'introduction de la monnaie unique et la disparition des devises des États membres de la zone euro n'a pas conduit à la disparition des banques centrales nationales (BCN) concernées. Celles-ci sont réunies au sein du Système européen des banques centrales (SEBC), avec les banques centrales des pays qui n'ont pas encore adhéré à l'UEM. Au sein du SEBC, il convient de distinguer l'eurosystème qui ne comprend que les BCN des pays ayant adhéré à l'euro. Le SEBC est lui-même dirigé par les organes de décision de la BCE : Conseil général et directoire. Le SEBC répond à un mode d'organisation coopératif et décentralisé, mais néanmoins hiérarchisé.

Aux termes du Protocole n°4, les BCN agissent conformément aux orientations et aux instructions de la BCE (article 14.2). Elles souscrivent au capital de la BCE, gèrent les réserves et exécutent les opérations de change. Elles demeurent les interlocuteurs naturels des établissements financiers où elles sont établies pour leur permettre d'accéder au refinancement notamment.

Le capital de la BCE provient des BCN de l'ensemble des États membres de l'Union européenne. Il s'élève à 10,8 milliards d'euros au 1er janvier 2015. Les parts des BCN dans le capital de la BCE sont calculées sur la base d'une clé reflétant la part des différents pays dans la population totale et le produit intérieur brut de l'Union européenne, ces deux données étant assorties d'une pondération identique. La BCE ajuste ces parts tous les cinq ans et chaque fois qu'un nouveau pays adhère à l'Union européenne. Les neuf BCN n'appartenant pas à la zone euro sont tenues de contribuer aux coûts de fonctionnement de la BCE en raison de leur participation au Système européen de banques centrales.

Principales contributions au capital de la BCE

Banque centrale nationale

Clé de répartition du capital

Allemagne

18 %

France

14,18 %

Royaume-Uni

13,67 %

Italie

12,31 %

Espagne

8,84 %

Pologne

5,12 %

Pays-Bas

4,03 %

(Source : Banque centrale européenne)

2. ... au service de plusieurs objectifs

L'article 127 du TFUE attribue quatre missions à la BCE :

- définir et mettre en oeuvre la politique monétaire de la zone euro ;

- conduire les opérations de change ;

- détenir et gérer les réserves officielles de change des États membres;

- promouvoir le bon fonctionnement des systèmes de paiement.

La BCE est, dans cette optique, la seule habilitée à autoriser l'émission de billets de banque en euros dans l'Union. Elle peut, avec les banques centrales nationales, émettre de tels billets qui sont les seuls à avoir cours légal dans l'Union (article 128 du TFUE). Les États membres peuvent, de leur côté, émettre des pièces en euros, sous réserve de l'approbation, par la BCE, du volume de l'émission. L'harmonisation des valeurs unitaires et les spécifications techniques des pièces relève du Conseil, sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen et de la BCE.

Au-delà de ces missions, la BCE a pour principal objectif, au sein du SEBC, le maintien de la stabilité des prix (article 127 du TFUE). La BCE a interprété cette disposition en ciblant une inflation à des taux inférieurs à, mais proches de 2 % à moyen terme. Pour répondre à l'objectif de stabilité des prix, la BCE envoie des messages et agit afin de donner un horizon crédible sur les prix à moyen terme, soit généralement à deux ans. Ses anticipations peuvent néanmoins atteindre cinq ans. L'inflation n'est pas sans incidence sur la formation des prix mais aussi des salaires, des marges et donc du niveau d'investissement. Ce faisant, la BCE évalue la compétitivité et le niveau d'emploi à moyen terme. Force est de constater que la BCE a jusqu'à aujourd'hui rempli son mandat en contenant l'inflation en dessous de 2 %, ce qui n'apparaissait pas forcément évident au regard du passé des économies européennes.

Sans préjudice de l'objectif de stabilité des prix le SEBC apporte son soutien aux politiques économiques générales dans l'Union, « en vue de contribuer à la réalisation des objectifs de l'Union, tels que définis à l'article 3 du traité sur l'Union européenne » . Aux termes de celui-ci, l'Union oeuvre pour le développement durable de l'Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d'amélioration de la qualité de l'environnement. Le mandat de la BCE est donc, in fine , assez large. Elle agit, dans ce cadre, conformément au principe d'une économie de marché ouverte où la concurrence est libre, en favorisant notamment une allocation efficace des ressources.

Aux termes de l'article 127 du TFUE, le SEBC contribue également à la bonne conduite des politiques menées par les autorités compétentes en ce qui concerne le contrôle prudentiel des établissements de crédit et la stabilité du système financier. La crise économique et financière a contribué à renforcer cette mission, débouchant notamment sur la mise en place de l'Union bancaire.

B. UN MODE DE GOUVERNANCE RÉFORMÉ

1. Le rôle central du Conseil des gouverneurs

Le Conseil des gouverneurs est la principale instance de direction de la BCE. Il conduit la politique monétaire de la zone euro et prend ainsi les décisions concernant les taux d'intérêt directeurs, l'approvisionnement en réserves ou la définition des objectifs monétaires.

Il se réunit deux fois par mois et est composé :

- Des six membres du directoire de la Banque (président, vice-président et quatre autres personnes). Ceux-ci sont désignés par le Conseil de l'Union européenne en fonction de leur autorité et de leur expérience Le Parlement européen et les gouverneurs de banques centrales de la zone euro sont consultés. Le mandat des membres du directoire est d'une durée de huit ans, il n'est pas renouvelable. Seuls les ressortissants des États membres peuvent être membres du directoire. Le directoire est responsable de la gestion courante de la BCE. Il est présidé par Mario Draghi depuis octobre 2011 ;

- Des gouverneurs des banques centrales des États membres de l'Union économique et monétaire, dont le nombre s'élève à 19 depuis l'adhésion de la Lituanie le 1 er janvier 2015.

Le Conseil des gouverneurs se distingue du Conseil général qui comprend le président et le vice-président de la Banque centrale européenne et les 28 gouverneurs des BCN des États membres de l'Union européenne.

Le directoire coordonne les travaux de la BCE. Il est à l'initiative des principales décisions. Celles-ci sont préparées au sein de comités dédiés où les banques centrales nationales disposent de représentants.

Le directoire de la Banque centrale européenne

Fonction

Nationalité

M. Mario Draghi

Président

Italienne

M. Vítor Constâncio

Vice-Président

Portugaise

M. Benoît Coeuré

Membre

Française

Mme Sabine Lautenschläger

Membre

Allemande

M. Yves Mersch

Membre

Luxembourgeoise

M. Peter Praet

Membre

Belge

2. Un directoire plus indépendant ?

L'adhésion de la Lituanie à la zone euro le 1er janvier dernier, qui devient ainsi le dix-neuvième État à participer au capital de la zone euro, a conduit à une modification du mode de gouvernance de la Banque centrale européenne, et plus particulièrement de son organe de décision, le Conseil des gouverneurs.

Le Conseil des gouverneurs prend ses décisions à la majorité simple, la voix du président de la Banque étant prépondérante en cas d'égalité. Une majorité qualifiée des deux tiers des gouverneurs est nécessaire lorsque son prises des décisions dites d'ordre patrimonial : augmentation du capital de la Banque ou utilisation des réserves de change. Les membres du directoire ne prennent alors pas part au vote. Les voix de chacune des banques centrales sont, dans ce cas précis, pondérées au regard de la participation des pays au capital de la Banque.

Ce mode de gouvernance a été mis en place en 1992. Il paraissait le plus adapté pour une Union économique et monétaire composée d'au maximum quinze membres. L'élargissement de l'Union européenne et les perspectives d'extension de la zone euro ont conduit le Conseil de l'Union européenne à proposer une révision de ce dispositif. Il s'agissait d'éviter une surreprésentation des gouverneurs des banques centrales nationales au détriment du directoire lorsque sont adoptées des mesures de politique monétaire. Alors que la zone euro n'est composée que de douze membres, la décision prise par le Conseil de l'Union européenne le 21 mars 2003 modifie le régime de vote au sein du Conseil des gouverneurs, en introduisant un système de rotation. Celui devient effectif à partir du moment où seize États adhèrent à l'Union économique et monétaire. Il ne concerne que les décisions de politique monétaire. Les décisions d'ordre patrimonial ne sont pas concernées.

L'évolution du mode de gouvernance est alors envisagée en deux étapes :

- Le droit de vote des gouverneurs des banques centrales est dans un premier temps limité à 15 voix, le nombre de voix du Directoire étant maintenu. Les gouverneurs des Banques centrales sont, à cet effet, divisés en deux groupes. Le premier réunit les gouverneurs issus des cinq plus grandes puissances économiques de l'Union européenne. Celles-ci sont déterminées au regard de leur produit intérieur brut et dans une moindre mesure du total des actifs consolidés dont disposent les institutions financières nationales. L'Allemagne, l'Espagne, la France, l'Italie et les Pays-Bas composent logiquement ce groupe qui dispose de quatre voix. Le deuxième groupe est composé des autres États membres et détient 11 voix. ;

- À partir du moment où un vingt-deuxième État intègrera la zone euro, trois groupes de gouverneurs seront mis en place. Le premier comprendra toujours les cinq plus grandes puissances économiques et disposera de 4 voix. Le deuxième groupe comprendra la moitié du nombre total de gouverneurs et bénéficiera de 8 voix. Le troisième sera composé des gouverneurs restant et sera doté de 3 voix.

Cette division en groupes des gouverneurs des banques centrales et la limitation concomitante de leurs droits de vote est assortie d'un ordre de rotation égalitaire. En vertu de celui-ci, chaque gouverneur de banque centrale abandonne périodiquement son droit de vote. La France, comme les autres grandes puissances, ne peut ainsi voter deux mois dans l'année. Les gouverneurs qui ne disposent pas du droit de vote participent cependant aux débats précédant la prise de décision de politique monétaire.

Cette innovation aurait dû initialement prendre effet avec l'adhésion du seizième membre, en l'espèce la Slovaquie, le 1er janvier 2009. La décision du 21 mars 2003 qui vient modifier le Protocole n°4 sur les statuts du système européen des banques centrales et de la Banque centrale européenne laissait néanmoins la possibilité au Conseil des gouverneurs, statuant à la majorité des deux tiers, de différer l'application du nouveau système jusqu'à l'entrée d'un dix-neuvième membre au sein de la zone euro. Cette dérogation se justifie par le fait que dans une zone euro comprenant entre 16 et 18 membres, la fréquence de vote des pays du deuxième groupe est supérieure à celle du premier groupe, celui des grandes économies du continent. Prenant notamment en compte les réserves allemandes, le Conseil des gouverneurs a décidé le 18 décembre 2008 d'utiliser cette clause et de reporter la mise en place du nouveau système à l'entrée du dix-neuvième membre. Celle-ci est intervenue avec l'adhésion, le 1er janvier 2015, de la Lituanie.

L'Allemagne n'a pas officiellement émis de réserve à la mise en place du nouveau dispositif qui, ne devrait pas affaiblir le poids des cinq plus grandes économies européennes. Les chiffres fournis par la Banque centrale européenne soulignent que le groupe 1 disposera désormais de 19 % des voix contre 20 % aujourd'hui. A contrario les quatorze autres gouverneurs ne bénéficieront plus que de 52 % des votes contre 56 % lorsqu'ils étaient treize. La fréquence de vote de chacun des gouverneurs au sein du groupe 1 atteint quant à elle 80 %, alors que celle du groupe 2 devrait être amenée à diminuer au fur et à mesure de l'élargissement de la zone euro : les gouverneurs des autres pays ne devraient ainsi pas pouvoir voter quatre fois par an, soit à la moitié des réunions. Il convient d'insister sur le fait que les gouverneurs qui ne disposent pas du droit de vote participent néanmoins aux débats précédant la prise de décision. Plus qu'une fragilisation des pays du groupe 1, c'est à un renforcement du poids du directoire auquel on assiste véritablement, puisque celui-ci devrait disposer de 29 % des droits de vote contre 24 % aujourd'hui.

Système de rotation des droits de vote au sein du Conseil des gouverneurs

Nombre de gouverneurs au sein du Conseil

19

20

21

22

23

24

25

26

Groupe 1

Nombre

5

5

5

5

5

5

5

5

Votes

4

4

4

4

4

4

4

4

Fréquence

80 %

80 %

80 %

80 %

80 %

80 %

80 %

80 %

Groupe 2

Nombre

14

15

16

11

12

12

13

13

Votes

11

11

11

8

8

8

8

8

Fréquence

79 %

73 %

69 %

73 %

67 %

67 %

62 %

62 %

Groupe 3

Nombre

-

-

-

6

6

7

7

8

Votes

-

-

-

3

3

3

3

3

Fréquence

50 %

50 %

43 %

43 %

38 %

(Source : Banque centrale européenne et Natixis)

Avec la mise en place de ce nouveau système de vote, la Banque centrale européenne se rapproche du mode de fonctionnement de la Federal reserve américaine (Fed). L'équivalent du Conseil des gouverneurs, le Comité fédéral de l'open market, compte ainsi douze membres disposant d'un droit de vote dont sept sont issus du Board of governors , assimilable au directoire de la BCE. Il existe pourtant douze banques de réserve régionale. La rotation s'opère annuellement aux États-Unis et ne concerne que onze de ces douze banques, la banque régionale de New York disposant d'un droit de vote permanent. Les présidents des banques régionales de Chicago et Cleveland votent quant à eux une année sur deux et les neuf présidents votent une année sur trois.

Le nouveau système de rotation favorise le directoire dont la voix pèse plus au sein d'un Conseil des gouverneurs resserré. Une telle évolution, même si elle était prévue par les textes avant son arrivée, correspond assez à l'évolution du rôle de la Banque centrale européenne depuis la nomination à sa présidence de l'ancien gouverneur de la Banque d'Italie, Mario Draghi, le 1 er novembre 2011. A la gestion consensuelle de Jean-Claude Trichet succède, selon les observateurs, une lecture plus tranchée du mandat présidentiel, impliquant le recours au vote, dans un contexte marqué par un raidissement de la crise de la dette souveraine. Ce faisant, la Banque centrale européenne poursuit une mue initiée depuis l'épisode des subprimes et devient une véritable Banque centrale, dotée d'une stratégie lisible à long terme. La Banque centrale européenne s'est, en quelque sorte, révélée à elle-même avec la crise.

II. L'AFFIRMATION PROGRESSIVE D'UNE POLITIQUE MONÉTAIRE NON CONVENTIONNELLE

Associée aux interventions de l'Union européenne et du Fonds monétaire international dans les pays de la zone euro placés sous assistance financière, la Banque centrale européenne a, depuis 2010, développé ses propres instruments destinés à endiguer la crise de liquidités que traverse, à des degrés divers, le secteur bancaire européen tout en tentant de faire baisser les coûts de refinancements auxquels sont confrontés certains États membres en difficulté. Le rôle de la dette souveraine sur les marchés financiers est en effet fondamental, leurs taux servant de référence. Il s'agit, pour la BCE, d'atténuer les tensions excessives observées sur les marchés et de contribuer ainsi à soutenir l'offre de crédit à l'économie réelle. Ce faisant, elle entend répondre à l'objectif de stabilité des prix et de stabilité financière qui lui ont été assignés par le Traité.

La BCE a, dans cette optique, utilisé les instruments de politique monétaire conventionnelle, à l'instar de la baisse des taux, mais aussi de dispositifs relevant de la politique monétaire non-conventionnelle. Celle-ci comprend toute mesure visant à influencer directement le coût et la disponibilité du financement externe des banques, des particuliers et des sociétés non financières Au sein de celle-ci, on peut distinguer les mesures non-conventionnelles indirectes ou endogènes, à l'image de l'ouverture de nouvelles lignes de refinancement et les mesures non-conventionnelles directes ou exogènes, comme le rachat des obligations sécurisées opéré dès 2009.

Par ailleurs, si elle joue effectivement un rôle dans la lutte contre la crise et qu'elle participe aux missions de la troïka dans les pays sous assistance financière, la BCE n'apparaît pas comme prescriptrice de rigueur budgétaire. Elle ne veille pas à l'application du Pacte de stabilité et de croissance ni ne prend de décision en lieu et place de l'eurogroupe en ce qui concerne la poursuite des programmes d'assistance financière. Sa visibilité dans la réponse européenne apportée à la crise tient aussi la faiblesse du pare-feu financier mis en place par l'eurogroupe, via le Fonds européen de stabilité financière (FESF) puis le Mécanisme européen de stabilité (MES).

Avant d'aborder spécifiquement les mesures de politique monétaire, il convient d'insister sur le rôle de la communication de la BCE depuis le début de la crise. La BCE a, dès sa création, institué des conférences de presses suivant ses prises de décision, ce qui a constitué une nouveauté dont s'est inspirée par la suite, la Fed. Certains observateurs relèvent néanmoins un changement qualitatif et quantitatif opéré depuis la nomination de Mario Draghi à la tête du de la BCE en novembre 2011. Une comparaison établie entre les annonces faites en 2002 et 2014 mettent en avant une réelle inflexion en faveur d'une plus grande explication des décisions de la BCE. La durée des présentations lors des conférences de presse a ainsi doublé sur la période. 40 % du temps de ces conférences est par ailleurs consacré en 2014 à la justification de la prise ou non de décision contre 10 % en 2002.

À l'image de la Fed , la BCE a depuis souhaité développer un véritable magistère de la parole, anticipant la prise de décision effective et martelant ses objectifs, au premier rang desquels apparaît expressément depuis 2012 la défense de l'euro. La BCE a ainsi modifié officiellement sa stratégie de communication en 2013 pour se rapprocher de celle mise en oeuvre aux États-Unis ou au Royaume-Uni : la forward guidance . Il s'agit d'influencer durablement les anticipations sur l'évolution des prix à moyen et long terme grâce à une communication active, sans pour autant toujours prendre effectivement des décisions. Cet effort de transparence apparaît particulièrement adapté en situation de taux d'intérêts très faibles. Ainsi, en annonçant à l'avance les niveaux futurs des taux d'intérêt, la BCE précise ses intentions et dissipe l'incertitude reposant sur ses futures décisions. Le recours à la forward guidance est réévalué à chaque réunion du Conseil des gouverneurs. Il s'agit clairement d'une rupture par rapport aux pratiques passées, ou la visibilité de la politique des taux de la BCE ne dépassait pas un mois.

Ce souci de pédagogie est renforcé, depuis le 19 février 2015, par la publication des minutes des réunions du Conseil des gouverneurs. Cette transparence est en vigueur au sein de la Fed depuis 1994. La BCE jugeait jusqu'alors que la publication des comptes rendus pouvait affecter la clarté de la politique monétaire aux yeux des investisseurs. La BCE estimait, en outre, que l'absence de publication permettait de de renforcer son indépendance en prémunissant les gouverneurs des BCN d'éventuelles pressions sur leurs prises de position au sein du Conseil des gouverneurs. Leurs interventions sont d'ailleurs rendues anonymes dans les minutes publiées en 2015, là où la Fed y fait figurer les votes individuels.

A. UNE BAISSE DES TAUX INEFFICACE ?

1. Une diminution quasi-continue depuis 2009...

Face aux risques d'une crise de liquidités et d'une pénurie des crédits, la BCE a pris le parti depuis mai 2009 de baisser ses taux directeurs. La perspective d'une déflation généralisée a contribué à renforcer cette tendance en 2014.

Les taux directeurs sont au nombre de trois :

- Le taux d'intérêt des opérations principales de refinancement (refi), qui grève les coûts de refinancement des banques auprès de la BCE. Les opérations de refinancement ( open market ) sont hebdomadaires ;

- Le taux d'intérêt de la facilité marginale de prêt (taux marginal) est appliqué aux prêts d'urgence accordés par la BCE à des établissements financiers, à court de liquidités. Les prêts sont octroyés au jour le jour, le montant des intérêts étant déduit du prêt initial ;

- Le taux d'intérêt de la facilité de dépôt, qui rémunère les dépôts placés par établissements financiers auprès de la BCE.

Évolution des taux directeurs depuis 2009

07/05/2009

13/04/2011

13/07/2011

09/11/2011

08/12/2011

11/07/2012

02/05/2013

07/11/2013

11/06/2014

04/09/2014

Refi

1 %

1,25 %

1,5 %

1,25 %

1 %

0,75 %

0,5 %

0,25 %

0,15 %

0,05 %

Marginal

1,75 %

2 %

2,25 %

2 %

1,75 %

1,5 %

1 %

0,75 %

0,4 %

0,3 %

Dépôts

0,25 %

0,5 %

0,75 %

0,5 %

0,25 %

0 %

0 %

0 %

-0,1 %

-0,2 %

(Source : Banque centrale européenne)

La baisse des taux, particulièrement manifeste en ce qui concerne celui de la facilité de dépôt, est envisagée par la BCE comme la mesure conventionnelle la plus adaptée pour susciter à la fois une offre et une demande de crédit au sein de la zone euro. À la différence des économies britannique ou américaine, le système financier de la zone euro demeure en effet très intermédié, les banques y jouant un rôle majeur. Avec un taux de dépôt négatif, les établissements financiers n'ont aucun intérêt à placer leurs réserves sur les comptes de la BCE. Dans le même temps, la faiblesse des taux incite entreprises ou particuliers à emprunter.

2. ... mais dont les effets sont limités

Tout aussi séduisante qu'elle soit, cette baisse des taux n'est pas un gage de réussite comme en témoigne l'atonie de la demande de crédits. Les crédits aux agents privés au sein de la zone euro, ont, en effet, reculé de 2-3 % en 2013 et 2014. La baisse des taux comporte également un double risque. Le premier consiste en la formation de bulles nourries par la faiblesse des coûts d'emprunt. Le taux ne varie plus véritablement en fonction de l'offre et de la demande et ne permet plus dans le même temps une sélection entre bons et mauvais projets. Les taux ne jouent plus leur rôle d'éviction des investissements non rentables, ce qui est porteur de risque en cas de nouvelle crise financière. Le deuxième écueil consiste en une tentation au rationnement du crédit, les banques étant justement rétives à l'idée de financer des bulles.

L'action de la BCE s'inscrit de surcroît dans un contexte de croissance de l'épargne qui favorise déjà la baisse des taux. L'offre de capitaux (l'épargne) est supérieure à la demande (l'investissement), ce qui tire le prix de l'argent, le taux d'intérêt, vers le bas. La conjoncture atone et la faiblesse des anticipations d'inflation ont contribué à faciliter cette baisse. Les marges de manoeuvre de la politique monétaire conventionnelle demeurent dans ces conditions limitées, dans un environnement qui pourrait devenir structurellement déflationniste, faute de demande. Cette hypothèse est qualifiée de « stagnation séculaire » par les économistes Olivier Blanchard, Paul Krugman et Lawrence Summers.

B. L'ASSISTANCE AUX ÉTABLISSEMENTS FINANCIERS EN QUESTION

1. Le refinancement des banques

Les établissements financiers peuvent se refinancer directement auprès de la BCE, dans le cadre des opérations hebdomadaires d'open market. Les banques disposent depuis septembre 2014 d'un taux d'intérêt relativement avantageux : 0,05 %. Elles doivent néanmoins apporter en contrepartie une garantie ( colllateral ) d'un montant équivalent. Il s'agit généralement d'obligations, publiques ou privées. Certains actifs non-négociables comme des prêts bancaires sont également acceptés.

Les titres de dette souveraine sont acceptés à condition que la notation de la dette souveraine concernée soit comprise entre AAA et BBB. Ils représentaient, fin 2014, 342 milliards d'euros sur les 1 840 milliards d'euros de titres utilisés en garantie. Ce critère d'éligibilité a été suspendu en mai 2010, au moment du déclenchement de la crise grecque. Rétabli en février 2012, il a de nouveau été suspendu en décembre 2012, les titres souverains apportés en garantie étant néanmoins décotés de 30 %. Cette dérogation était conditionnée par une évaluation positive de l'exécution des programmes d'assistance financière.

De façon générale, l'application d'un seuil minimal de notation pour les garanties a été révisée en novembre 2011, notamment celle visant les titres adossés à des actifs (ABS). L'éventail des actifs a, dans le même temps, été élargi : la BCE accepte depuis des titres libellés en dollars, en yen et en livre sterling, des créances privées (généralement des prêts bancaires) mais aussi des ABS dont les actifs sous-jacents comprennent des prêts hypothécaires ou des prêts aux petites et moyennes entreprises, dès lors qu'ils sont notés au moins A. La liste des garanties acceptées dans le cadre de ces opérations devrait être réduite au 1 er mars 2015, date de l'entrée en vigueur d'une décision adoptée en ce sens le 20 mars 2013 (décision ECB/2013/6). Sont désormais exclus les actifs titrisés émis par les banques avec une garantie de l'État.

Garanties acceptées par la Banque centrale européenne et montants déposés au quatrième trimestre 2014 (en milliards d'euros)

Obligations souveraines

372,6

Créances

362,1

Obligation sécurisées

334,4

Valeurs mobilières titrisées (ABS)

309,2

Obligations bancaires non sécurisées

180,9

Autres actifs négociables

117,2

Obligations des collectivités locales

98,9

Obligations d'entreprises

74,2

Total

1 850,5

(Source : Banque centrale européenne)

Les banques établies au sein de la zone euro peuvent également avoir accès à mécanisme d'aide à la liquidité d'urgence (ELA). Il permet à ces établissements de recevoir indirectement des fonds de la BCE en cas de crise de liquidités, sous forme de prêts, via leur Banque centrale nationale. L'établissement financier doit, être solvable. Le taux d'intérêt de ces prêts s'élève à 1,55 %.

Le prêt étant accordé par la banque centrale nationale, c'est elle qui assume à la fois les coûts et les risques de la fourniture de liquidités. Les banques centrales nationales doivent, à ce titre, informer la BCE des détails de toute opération ELA dans les deux jours ouvrables suivant son exécution. Si le montant du prêt dépasse 500 millions d'euros, la BCE doit être informée avant que l'assistance ne soit accordée. Le Conseil des gouverneurs peut également limiter une opération ELA, si celle-ci dépasse le seuil de 2 milliards d'euros et qu'elle interfère avec ses missions et ses objectifs. Cette décision est prise à la majorité des deux tiers. Elle est précédée d'un examen de la situation de l'établissement financier demandeur, destiné à vérifier la solvabilité de celui-ci.

La Banque centrale européenne et les banques grecques

La BCE n'accepte plus les titres publics grecs en garantie depuis le 4 février 2015. Elle estime, en effet, que les nouvelles autorités grecques remettaient en cause le programme négocié avec ses créanciers internationaux, dont la BCE. Elle pourra de nouveau être utilisée dès lors que la Grèce aura obtenu un nouvel accord avec ses créanciers. Il convient cependant de ne pas surévaluer la portée de la suppression de cette dérogation : les banques grecques ne disposent plus dans leur bilan que de 12,4 milliards de titres grecs, soit 2,5 % du montant total des actifs qu'ils détiennent. Cette somme se décompose de la façon suivante : 4,8 milliards d'euros d'obligations à moyen et long terme et 7,6 milliards d'euros de bons du Trésor. La BCE limitait à 3,5 milliards d'euros l'encours des bons du Trésor éligibles à ces opérations. Compte-tenu de ce seuil, les titres souverains détenus par les banques grecques éligibles aux opérations de refinancement s'élève à 8,3 milliards d'euros, soit 1,66 % de leurs actifs.

L'impact de la révision de la liste des garanties éligibles au 1 er mars 2015 est plus important pour les banques grecques qui disposent de 21,2 milliards d'euros de titres concernés (4,2 % de leurs actifs).

Pour faire face au risque de liquidités, les banques de Grèce peuvent utiliser le mécanisme ELA. La Banque centrale de Grèce a ainsi accès à une enveloppe de prêts de 84,1 milliards d'euros.

2. L'efficacité contestée des prêts à long terme

La BCE a lancé trois opérations de refinancement à long terme en décembre 2011, février 2012 et juin 2014. Ce faisant, la BCE s'est substitué au marché interbancaire.

Les deux premiers - Long term refinancing operation (LTRO) - ont permis aux établissements financiers d'emprunter de l'argent auprès de la Banque centrale européenne (BCE) à long terme (entre un et trois ans) et à un taux avantageux : 1 %, là où une banque bien notée pouvait espérer sur les marchés un taux de 3,5 % à trois ans. Cette pratique diffère des prêts à court terme ( Main refinancing operation - MRO) généralement octroyés par le BCE (entre une semaine et un mois). Le principe des LTRO ne constitue pas, pour autant une nouveauté, leur durée était néanmoins jusqu'alors limitée à un an. Une opération de refinancement d'une durée de six mois avait ainsi été lancée le 10 août 2011, permettant l'octroi de 50 milliards d'euros aux établissements financiers. Elle a été suivie d'un prêt sur douze mois, le 26 octobre 2011, permettant un refinancement de 57 milliards d'euros. Les opérations mises en place en décembre 2011 et février 2012 constituent cependant un changement de dimension. 523 banques ont ainsi levé 489 milliards d'euros en décembre 2011, 800 banques utilisant le même levier en février 2012 pour emprunter 529 milliards d'euros. Au final, les sommes levées - plus de 1 000 milliards d'euros - ont représenté 72 % du montant total des obligations bancaires arrivant à échéance en 2012 et 2013.

L'utilisation des LTRO a permis de décorréler le taux d'emprunt des banques de celui des États, jusque-là associés par les marchés, et éviter ainsi leur éviction des marchés financiers. Elle a pu également contribuer à une baisse des taux d'emprunt des États. Les banques réinvestissent, en effet, les sommes obtenues via les LTRO dans l'achat d'obligations d'État à maturité moyenne. Les banques espagnoles et italiennes ont ainsi acheté pour respectivement 23 et 21 milliards d'euros de dette souveraine en janvier 2012, suite à la première LTRO. L'opération visait également à faciliter l'octroi, par les banques, de crédits. Le résultat semble, à cet égard, plus mitigé. Ces LTRO ont été remboursés fin février 2015.

La BCE a néanmoins annoncé en juin 2014, la mise en place de nouvelles opérations du même type, mieux ciblées (T-LTRO). Les établissements financiers ont, ainsi, pu obtenir des financements en septembre et décembre 2014 correspondant à 7 % du montant de leur stock de prêts au secteur privé (hors prêts immobiliers) en zone euro (montant arrêté à la date du 30 avril 2014). De mars 2015 à juin 2016, les banques doivent pouvoir également obtenir des liquidités au cours de T-LTRO supplémentaires, menés chaque trimestre. Ces montants additionnels ne pourront pas dépasser, pour chaque établissement de crédit trois fois ses prêts au secteur privé distribués entre le 30 avril 2014 et la date de l'adjudication.

La maturité des T-LTRO est fixée à septembre 2018. Le taux d'intérêt de ces opérations correspond au taux de refinancement, majoré de 10 points de base (soit 0,25 % au moment de leur lancement). Les intérêts sont payés au moment du remboursement. Les banques pourront rembourser par anticipation les T-LTRO tous les six mois, deux ans après l'octroi du prêt. Celles qui se trouveront sous le benchmark (mai 2014-avril 2016) en termes de distribution de prêts au secteur privé devront rembourser les montants empruntés à la BCE en septembre 2016.

Un montant de 400 milliards d'euros était initialement envisagé pour les opérations de septembre et décembre 2014. Ce seuil est loin d'avoir été atteint, les banques empruntant 82,6 milliards d'euros lors de la première adjudication et 129,8 milliards d'euros à l'occasion de la deuxième, soit au total 212,4 milliards d'euros. Compte tenu des remboursements à la BCE en cours des LTRO de décembre 2011 et février 2012, l'apport net en liquidité est même négatif : - 155,1 milliards d'euros. L'objectif affiché par la BCE d'une augmentation du bilan de la BCE pour revenir, via les T-LTRO - à la taille de mars 2012 - 3 000 milliards d'euros contre 2 000 aujourd'hui - n'a donc pas été atteint. Cette extension devait permettre de lutter contre la déflation. A l'inverse, une contraction du bilan devrait avoir l'effet inverse. Les nouvelles opérations trimestrielles de T-LTRO à lancées en mars 2015 devraient être également insuffisantes, compte tenu de la faible progression du crédit. C'est dans ce contexte qu'il faut analyser l'annonce par la BCE, le 22 janvier dernier, d'un plan d'assouplissement quantitatif dépassant 1 100 milliards d'euros.

C. LES PROGRAMMES DE RACHAT DE TITRES

1. Des objectifs trop ambitieux en matière de titres privés ?

Annoncés en octobre 2014, les programmes de rachat massif de titres adossés à des actifs (ABS - dispositif ABSPP) et d'obligations sécurisées (covered bonds - dispositif CBPP3) est censé compléter l'opération T-LTRO. Les objectifs sont identiques puisqu'il s'agit de relancer le crédit bancaire et accroître dans le même temps la taille du bilan de la BCE. Les deux programmes, qualifiés par certains économistes de « credit easing » direct, constituent, à ce titre, une amorce du dispositif d'assouplissement monétaire annoncé le 22 janvier dernier. Ces achats doivent permettre d'évacuer de leurs états financiers des prêts immobiliers et prêts à la consommation contractés par des acteurs financiers. Ces prêts seront titrisés puis acquis par la BCE.

Les programmes ABSPP et CBPP3 sont mis en oeuvre pour une durée d'au moins deux ans. Afin que le programme puisse concerner toute la zone euro, le seuil de notation prévu pour l'achat des titres (au moins BBB-) ne sera pas exigé pour les acquisitions de produits dont les sous-jacents sont issus de pays comme Chypre ou la Grèce. Des conditions spécifiques sont alors appliquées. Plus largement, la BCE ne retient que les tranches seniors de titrisation, soit les mieux notées, et n'achète pas plus de 70% de l'encours de chaque ABS ou obligation sécurisée.

Le programme ABSPP a été contesté par le gouverneur de la Bundesbank, qui estime qu'il s'agit d'un transfert des risques bancaires vers la BCE. Le programme CBPP3 ne constitue pas, quant à lui, une nouveauté. Deux programmes similaires ont en effet été lancés en juillet 2009 puis en novembre 2011. Les deux étaient dotés d'un seuil limite d'intervention : 60 milliards d'euros pour le premier et 40 milliards d'euros pour le suivant. Si, dans le premier cas, le seuil a pu être atteint et le programme clos le 30 juin 2010, la BCE n'a pu, dans le cadre du premier programme, acquérir que 16,4 milliards d'euros de titre. Ce programme a été arrêté le 31 octobre 2012. La BCE avait relevé à l'époque la faiblesse de l'offre pour justifier cet écart entre l'objectif affiché et les achats effectués.

Cette faiblesse pourrait également fragiliser la portée du programme CBPP3. Elle tient pour partie au fait que les banques s'intéressent déjà aux obligations sécurisées pour pouvoir satisfaire le critère de ratio bancaire de liquidité à court terme. La question de l'émission de nouveaux titres est également posée compte tenu de la possibilité pour les banques de recourir aux T-LTRO. Les tombées obligataires renforce cette atonie, l'offre nette étant même négative en 2014 : - 40 milliards d'euros. Ce phénomène devrait se poursuivre en 2015.

C'est dans ce contexte qu'il convient d'analyser les premiers résultats des deux programmes. Les acquisitions d'obligations sécurisées ont débuté à la mi-octobre 2014 et les achats d'ABS le 21 novembre 2014. A l'instar des opérations T-LTRO, les objectifs affichés ne semblent pas en passe d'être atteints. Le montant des rachats d'obligations sécurisées atteignait en effet 80,759 milliards d'euros au 15 mai 2015, celui visant les ABS 6,131 milliards d'euros. Ce dernier chiffre révèle l'absence d'effet tangible du programme : selon la BCE, l'encours des ABS éligibles s'établissait à 760 milliards d'euros fin 2013, la moitié servant toutefois de garantie.

2. Une première esquisse du plan d'assouplissement quantitatif : les programmes SMP et OMT de rachats de titres souverains

Si elle ne peut en principe participer au financement des États, la BCE estime qu'une intervention sur le marché des obligations souveraines peut être fondée : des taux trop élevés sur les titres des États membres handicapent in fine la transmission de la politique monétaire. L'ensemble des titres obligataires d'un pays, notamment ceux des banques, sont en effet touchés par une augmentation des titres souverains. L'article 123 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne interdit cependant la Banque centrale européenne et aux banques centrales nationales membres de l'eurosystème d'acquérir directement auprès des États leurs instruments de dette. Dans ces conditions, si la BCE entend acheter des titres de dette souveraine, elle ne peut le faire que sur le marché secondaire.

a) Le programme SMP

Destiné à racheter les titres de pays rencontrant des difficultés pour se refinancer sur les marchés financiers, le programme pour les marchés de titres ( Securities market program - SMP) a été mis en place, en mai 2010.

L'encours a atteint, dès le mois de juillet 2010, les 60 milliards d'euros initialement prévus. Un an plus tard, le montant total des rachats s'élevait à 75 milliards d'euros. La BCE a souhaité, le 7 août 2011, utiliser de manière active le dispositif face aux tensions sur les taux espagnols et italiens notamment. L'encours atteint ainsi 150 milliards d'euros à la mi-septembre 2011, 175 milliards d'euros le 1er novembre 2011 et à 210 milliards d'euros début janvier 2012. Le détail de ces rachats n'a pas été rendu public : les titres espagnols, grecs, irlandais, italiens et portugais étaient néanmoins les principaux concernés.

Ces titres sont ainsi acquis auprès des investisseurs et non des États. La BCE soutient de la sorte les établissements financiers, en réduisant notamment leur exposition à la dette souveraine, et limite dans le même temps la dépréciation de ces titres. Le rachat de titres permet, en outre, de réduire leur circulation sur le marché. Ces obligations sont, ainsi, désactivées. Le paiement des intérêts par les États émetteurs se fait directement auprès de la BCE. Ces intérêts sont ensuite reversés aux États membres, dont l'émetteur, en fonction de leur participation au capital de la BCE.

Ces achats sont compensés par une diminution de la masse monétaire en circulation (principe de stérilisation). Ce faisant, la BCE satisfait à son objectif de maintien de la stabilité de prix. Pour stériliser les liquidités injectées dans le cadre de ce programme, la BCE propose toutes les semaines aux banques de replacer auprès d'elle leurs propres excès de liquidités («reprises de liquidités en blanc»). Elles sont placées sur un compte, pour une durée d'une semaine. Le taux de rémunération de ce dépôt est mis aux enchères entre les banques. Celui-ne saurait dépasser néanmoins celui des opérations de refinancement, soit 0,05 % aujourd'hui. Il convient de relever qu'il n'existe aucune corrélation entre l'origine des titres achetés et la nationalité des banques qui participent aux opérations de stérilisation. Cette stérilisation s'est avérée néanmoins imparfaite, le montant des titres achetés n'étant pas toujours couvert par celui des dépôts d'excès de liquidité. La BCE a d'ailleurs renoncé à celle-ci le 10 juin 2014.

La BCE a mis fin au programme SMP en septembre 2012, les dernières acquisitions étant réalisées en mars 2012. Compte-tenu de l'arrivée à maturité de certains titres, l'encours s'élevait au 15 mai 2015 à 138,098 milliards d'euros.

b) L'option OMT

Les nouvelles tensions observées sur les taux espagnols et italiens à l'été 2012 ont, en effet, conduit la BCE à proposer, le 6 septembre 2012, un nouveau dispositif, plus ambitieux : le programme OMT ( Outright monetary transaction ). Ce nouveau dispositif vient se coordonner avec l'action du Fonds européen de stabilité financière (FESF) et celle de son successeur le Mécanisme européen de stabilité (MES), désormais autorisés à intervenir sur le marché primaire. Ce qui n'était pas le cas lors du lancement du programme SMP.

Le programme OMT consiste en des achats sur le marché secondaire d'obligations d'État dont la maturité varie entre 1 et 3 ans, soit la durée retenue pour les opérations LTRO (partie courte de la courbe des taux). Il n'existe pas de limite quantitative à ces achats ni de niveau de taux d'emprunt au-delà duquel elle intervient. Ce programme de rachat illimité contribue, selon le président de la BCE, à faire « tout ce qui est nécessaire pour sauver l'euro (...) quoi qu'il en coûte ». Sans résoudre les problèmes de fond, la BCE tente de juguler la spéculation, qui fragilise la monnaie.

De nombreux indicateurs sont utilisés : le spread , soit l'écart entre le taux appliqué aux titres les mieux notés et celui des obligations de l'État concerné par le rachat, le niveau des CDS souverains - Credit default swap , contrat d'assurance sur les titres obligataires - mais aussi les conditions de liquidité et de volatilité sur les marchés. En cas d'insolvabilité d'un pays dont elle a acheté des titres, la BCE renonce par ailleurs à son statut de créancier privilégié (principe dit de séniorité). Le montant des achats est, comme pour le SMP, stérilisé. L'OMT n'a, pour autant, pas été adopté à l'unanimité du Conseil des gouverneurs, la Bundesbank allemande estimant qu'il s'agissait là d'un moyen détourné de financer les déficits publics.

Les modalités de l'OMT diffèrent de celles du SMP puisque les achats sont censés relayer ceux que peuvent effectuer FESF puis le MES sur le marché primaire. Le dispositif OMT ne s'adresse dans ces conditions qu'aux pays bénéficiant d'une aide d'un des deux fonds de sauvetage européen, qu'il s'agisse d'un programme d'ajustement, à l'image de la Grèce ou de Chypre, ou d'une ligne de crédit de précaution. Les achats de la BCE sont donc désormais conditionnés au respect du mémorandum d'accord signé par l'État concerné avec l'eurogroupe pour le déclenchement du programme du FESF ou du MES. Les pays sont ainsi placés sous surveillance, un rapport trimestriel permettant à la BCE de décider de la poursuite des achats. En cas de non-respect de ses engagements, la BCE suspend son action.

Ce programme n'a, pour l'heure, jamais été mis en oeuvre. Il convient néanmoins de relever que la seule annonce de son adoption par le Conseil des gouverneurs de la BCE a contribué à détendre les taux des obligations souveraines .

c) Un dispositif illégal ?

La non-utilisation du programme OMT est, pour partie, liée à l'incertitude juridique qui l'a longtemps entouré. Saisie par 37 000 citoyens allemands, la Cour constitutionnelle allemande a, en effet, considéré, le 14 février 2014, que le programme OMT était incompatible avec le droit primaire de l'Union européenne. Selon les juges allemands, le dispositif dépasse le mandat de la BCE en la conduisant à mener sa propre politique économique alors que celle-ci relève principalement de la responsabilité des États membres. L'OMT viole par ailleurs l'interdiction de financement monétaire de la dette publique rappelée à l'article 123 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Le programme pourrait être acceptable si la réduction de la dette était clairement exclue et que les achats de titres n'étaient pas illimités. Cette dernière condition remet en cause directement le principe même de l'OMT. La Cour constitutionnelle a, cependant, introduit, pour la première fois de son histoire, un renvoi préjudiciel devant la Cour de justice de l'Union européenne pour qu'elle évalue également le dispositif. Deux questions sont posées par le juge constitutionnel allemand : le programme OMT constitue-t-il, d'une part, une mesure de politique économique et non de politique monétaire et n'est-il pas, d'autre part, susceptible de violer les dispositions de l'article 123 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne interdisant à la BCE d'acheter directement des instruments de dette des États membres de la zone euro ?

Les auditions devant la Cour ont démarré en octobre 2014. L'avocat général Pedro Cruz Villalón a présenté ses conclusions le 14 janvier 2015 (aff C. 62-4). Celles-ci mettent en avant la légalité du programme et rappellent que la BCE doit disposer d'une large marge d'appréciation dans la conception et l'exécution de la politique monétaire de l'Union européenne. La BCE dispose en effet d'une spécialisation et d'une expérience auxquelles n'ont pas accès les juridictions nationales, qui doivent, en conséquence, contrôler son activité en faisant preuve d'un degré considérable de retenue.

En ce qui concerne le programme OMT, l'avocat général rappelle que celui-ci constitue pour l'heure une mesure inachevée, dont les contours ne sont esquissés que dans un communiqué de presse. Il est en tout état de cause compatible avec la politique monétaire de l'Union européenne et peut être considéré comme une mesure non conventionnelle. L'avocat général estime cependant qu'afin que l'OMT ne devienne pas un instrument de politique économique, la BCE doit s'abstenir de participer directement au programme d'assistance financière appliqué à l'État concerné. Ce qui signifie la fin de la présence de la BCE au sein de la troïka chargée d'évaluer les plans d'ajustement. Le rachat de titres devra de surcroît être motivé, la BCE étant tenue de préciser les circonstances exceptionnelles qui justifient une telle opération. Elle respecterait ainsi le principe de proportionnalité. Les conclusions ne remettent pas pour autant en cause le caractère illimité des achats, la BCE ayant fait valoir qu'elle poserait des limites en interne. L'avocat général rappelle par ailleurs que le rachat sur le marché secondaire ne constitue pas un financement direct de la dette des États membres et ne contrevient pas à l'article 123 du Traité. Cette intervention doit néanmoins rester prudente pour éviter tout comportement spéculatif. Ces achats doivent, en outre, être mis en oeuvre dans le temps de façon à permettre effectivement la formation d'un prix de marché des dettes publiques.

L'arrêt de la CJUE a été rendu le 16 juin 2015. Les juges ont suivi les conclusions de l'avocat général et confirmé la licéité du dispositif. Le programme OMT contribue bien, selon eux, au maintien de l'unicité de la politique monétaire et, indirectement, à la stabilité des prix. Les juges rappellent par ailleurs que si les traités interdisent toute aide financière de la BCE, ils n'empêchent pas le SEBC de racheter aux États des titres préalablement émis par ces derniers. Il est cependant recommandé de mettre en place une période minimale entre l'émission d'un titre sur le marché primaire et son achat sur le marché secondaire. La BCE doit par ailleurs éviter d'annoncer sa décision de procéder à des achats ou le volume des achats envisagés.

D. LA DERNIÈRE ARME ? LE PROGRAMME D'ASSOUPLISSEMENT QUANTITATIF

La Banque centrale européenne (BCE) a annoncé, le 22 janvier dernier, la mise en place d'un programme d'assouplissement quantitatif ( quantitative easing - QE) étalé jusqu'en septembre 2016. Il s'agit pour la Banque de racheter sur le marché secondaire des créances privées et des titres de dettes publiques, sans que les montants versés ne soient stérilisés par ailleurs. Ce faisant, la BCE poursuit deux objectifs : injecter des liquidités pour relancer le crédit bancaire et prévenir le risque de déflation au sein de la zone euro, cinq pays de la zone euro (Chypre, Grèce, Portugal et Slovaquie) connaissant déjà une inflation négative.

Le programme ( Asset purchase programme - APP) s'inscrit dans la continuité de la fourniture de liquidités illimitées, des T-LTRO, des rachats de titres privés et souverains ou de la baisse régulière des taux d'intérêt. Il intervient parce que les instruments conventionnels apparaissent épuisés.

Ce programme a été anticipé par les marchés au cours du second semestre 2014, marqué par une baisse des taux souverains et une dépréciation régulière de l'euro. Son lancement était d'autant plus évident que la remontée des taux attendue aux États-Unis pouvait contribuer à resserrer un peu plus le canal du crédit. L'annonce du 22 janvier constituait donc plus une confirmation qu'une réelle nouveauté .

1. Une solution déjà utilisée par d'autres banques centrales

L'assouplissement quantitatif consiste en un rachat massif par une Banque centrale de titres de dette publique ou de créances privées. Théorisée en 1994 par l'économiste allemand, Robert Werner, le quantitative easing est envisagé comme une politique de stimulation de la « création de crédit ». La banque centrale ne joue plus alors sur les canaux habituels : baisse des taux d'intérêts, expansion de la masse monétaire (« faire tourner la planche à billets »), accroissement des réserves des banques ou rémunération des produits financiers (agrégats M2 et M3).

Plusieurs effets peuvent être attendus d'une telle opération : baisse des taux d'intérêts et du cours de la devise, augmentation des liquidités offertes aux banques et redémarrage du crédit, majoration du prix des actions et relance des investissements. L'impact de l'assouplissement monétaire dépend dans une large partie des montants des rachats effectués par la banque centrale concernée.

Ce type de dispositif a été lancé pour la première fois au Japon en mars 2001 en vue de lutter contre la déflation. La décision de la Banque du Japon avait été précédée en 2000 d'une baisse de son principal taux d'intérêt directeur à 0 %. Ce plan a été interrompu 5 ans plus tard, après une augmentation continue des prix sur trois mois. L'intervention de la Banque du Japon est estimée à 30 000 milliards de yens (210 milliards d'euros environ).

L'assouplissement monétaire a, par la suite, été envisagé comme une réponse à la crise économique et financière de 2008 par les banques centrales américaine et britannique :

- La Federal reserve americaine (Fed) a lancé trois programmes en 2008, 2010 et 2012. Le premier, étalé sur deux ans, visait le rachat des créances toxiques : 1 700 milliards de dollars ont ainsi été investis. Le deuxième, lancé en novembre 2010 et stoppé en juin 2011, a permis l'acquisition de 1 000 milliards de dollars de bons du Trésor américain, permettant ainsi d'autofinancer la dette américaine. Dans le cadre de ce dernier, les rachats visaient des obligations du Trésor et des créances hypothécaires titrisées pour un montant de 85 milliards de dollars mensuels (73,4 milliards d'euros). Ce montant a été ramené à 35 milliards de dollars mensuels en décembre 2013 puis à 15 milliards de dollars mensuels (13,26 milliards d'euros) en octobre 2014. La politique d'assouplissement quantitatif a contribué à l'augmentation du bilan de la Fed atteint aujourd'hui 4 500 milliards de dollars (3 882 milliards d'euros) contre 800 milliards de dollars (708 milliards d'euros) en 2007 ;

- La Banque d'Angleterre a pratiqué le quantitative easing entre 2009 et 2013. 200 milliards de livres d'obligations d'État ont, dans un premier temps, été rachetés avant que le programme ne se concentre à partir de 2010 sur les titres de dettes souveraine pour un montant de 375 milliards de livres sterling sur la période (489 milliards d'euros).

La Banque du Japon a relancé ce dispositif en 2013, le montant annuel des rachats atteignant 70 000 milliards de yens (460 milliards d'euros). Si ce dispositif venait à être maintenu, le bilan de la Banque du Japon pourrait représenter l'équivalent du PIB du pays.

2. Les objectifs du plan de la BCE

La Banque centrale européenne entend, via le plan annoncé le 22 janvier, juguler le risque de déflation (l'inflation atteignait - 0,6 % en janvier 2015) mais aussi relancer le crédit bancaire en agissant sur les liquidités. Le dispositif doit donc permettre de contribuer à relancer la croissance en facilitant l'accès aux liquidités, celles-ci pouvant servir à l'investissement mais aussi à la consommation. C'est cet objectif qu'il convient de relever derrière celui affiché de la lutte contre la déflation. Il convient de rappeler à ce titre que la déflation constatée au sein de la zone euro fin 2014 - début 2015 était en large partie imputable à la baisse des prix de l'énergie et en particulier des hydrocarbures.

Un des effets indirects de ce programme consiste en une dépréciation de la monnaie unique face aux autres devises, ce qui pourrait aider les exportateurs européens. L'écart entre le dollar et l'euro se justifie tant par la divergence entre les conjonctures économiques américaine et européenne que par le décalage entre les interventions de la Fed d'un côté et de la BCE de l'autre. La Fed achève en effet son programme d'achats de titres ce qui laisse augurer une hausse des taux. Il convient cependant de rappeler que le taux de change ne constitue pas un des objectifs de la Banque centrale européenne.

La question de la valeur de l'euro

L'anticipation du plan d'assouplissement quantitatif par les marchés a conduit à un net recul (10 % environ de l'euro par rapport au dollar depuis l'été 2014.

La faiblesse de l'euro comporte trois risques :

- un impact relatif sur la croissance de la zone euro en raison de la faiblesse de l'élasticité-prix des exportations de la zone euro, estimée à 0,16 par les économistes. Une dépréciation de 10 % de l'euro devrait ainsi conduire à une hausse du PIB de la zone ne dépassant pas 0,4 point ;

- une perte de pouvoir d'achat pour les habitants de la zone confrontés à une hausse du prix des importations ;

- une augmentation des taux d'intérêt à long terme, liée à la baisse des rachats des titres souverains libellés en euros par les non-résidents.

L'effet de l'appréciation à la baisse de l'euro reste de surcroit limité. Le montant des exportations de la zone euro vers le reste du monde était, en janvier 2015, inférieur de 600 millions d'euros (sur un montant total de 148,2 milliards d'euros) à celui enregistré un an plus tôt, alors que l'euro était 25 % plus cher.

Les effets de la baisse de l'euro sur la compétitivité des autres économies - États-Unis, Danemark, Suisse ou Suède par exemple - pourraient par ailleurs conduire ceux-ci à réviser leur stratégie monétaire et à freiner ainsi la dépréciation de la monnaie unique. La diminution de la valeur de l'euro ne bénéficiera pas, par ailleurs, à tous les pays de la zone, compte tenu des différences de potentiels industriels.

Enfin, un effet indirect de la baisse de l'euro pourrait consister en un renchérissement de la dette détenue en dollars par les pays émergents, déjà confrontés à un ralentissement de leurs économies. Une telle évolution devrait réduire leurs capacités d'achats de produits européens, fussent-ils plus compétitifs en raison de la dépréciation de la monnaie unique.

Aux termes du dispositif, la BCE devrait acquérir chaque mois 60 milliards d'euros de créances privées et publiques sur le marché secondaire, entre mars 2015 et septembre 2016. Une accélération est attendue du programme était attendue au mois de juin 2015 pour faire face aux ralentissements observables sur les marchés en juillet en en août. Ce programme de rachat de titres devrait in fine atteindre près de 1 140 milliards d'euros, soit 10 % du PIB européen. Le bilan de la Banque centrale européenne devrait donc atteindre 3 300 milliards d'euros, soit l'objectif affiché en juin 2014 lorsque la BCE avait annoncé le lancement des T-LTRO et un programme de rachats d'ABS et d'obligations sécurisées.

L'assouplissement quantitatif pourrait être prolongé au-delà de septembre 2016, si l'inflation n'atteignait pas la valeur cible espérée : près de 2 % à moyen terme.

La BCE a, dans le même temps, décidé d'ajuster à la baisse le taux d'intérêt des opérations de refinancement à long terme (LTRO) pour l'aligner sur le principal taux de refinancement de la BCE (0,05%). Les taux directeurs, sont par ailleurs, maintenus. Il s'agit, là encore, d'encourager les banques à prêter davantage mais aussi d'injecter des liquidités, via la baisse des taux. La BCE entend par ailleurs combiner les T-LTRO et le programme d'assouplissement quantitatif afin de prendre en compte à la fois les besoins de l'économie réelle mais aussi le rôle des banques dans le financement de celle-ci. Ce rôle est plus développé au sein de la zone euro qu'au Royaume-Uni ou aux États-Unis.

3. Nature et montant des rachats

Les rachats de dette publique (PSPP - Public sector purchase programme ) devraient porter sur un montant de 836 milliards d'euros. La maturité des titres de dette souveraine serait comprise entre 2 et 30 ans. Le dispositif amplifie de la sorte les programmes SMP et OMT, avec une différence notable : les rachats ne seront pas stérilisés. Or la stérilisation limite, par essence, l'inflation. Les créances privées visées par le programme consistent en de obligations sécurisées garanties par des crédits hypothécaires ou des créances sur le secteur public ( covered bonds ) et en des crédits titrisés d'entreprises (ABS). La Banque centrale européenne poursuit donc les opérations de rachats lancées en octobre dernier (ABSPP et CBPP3), en dépit des réserves relevées à propos de l'efficacité de ces dispositifs. Le plan d'assouplissement quantitatif intègre d'ailleurs ces dispositifs. La palette d'instruments est, cependant, plus large que celle retenue aux États-Unis ou au Royaume-Uni.

Les opérations de rachat sont, par ailleurs, encadrées :

- Elles ne peuvent couvrir qu'un tiers de la dette totale d'un émetteur (limite d'emprise par émetteur) et ne saurait représenter plus d'un quart d'une émission (limite d'emprise par souche) . Il s'agit, ce faisant, de limiter le risque d'éviction des investisseurs traditionnels ;

- Seuls les émetteurs disposant d'une notation financière comprise entre AAA et BBB- pourraient bénéficier du programme de rachats, sauf à ce qu'ils soient engagés dans un programme d'assistance financière et qu'ils en respectent les conditions. Ce qui n'est pour l'heure pas le cas de la Grèce, la Banque centrale européenne étant déjà, par ailleurs largement exposée à la dette grecque (plus de 33 %). Chypre pourrait en bénéficier si un accord est trouvé avec la troïka au sujet de la loi relative aux saisies immobilières ;

- Les titres doivent être émis en euros.

Les achats sont par ailleurs modulés le long de la courbe des taux et incluent les obligations indexées sur l'inflation. Il s'agit de ne pas acquérir des titres déjà recherchés en masse par les marchés. Les titres présentant un taux négatif peuvent être rachetés, à condition que ce taux reste au-dessus de celui de la facilité de dépôt, soit - 0,20%. Un tel seuil écarte 50 milliards d'euros de titres, qui pourront continuer de servir de collatéral. Ce faisant, la BCE participe de l'aplatissement de la courbe des taux.

Les titres achetés pourront par ailleurs servir pour des opérations de prêts ou de refinancement et éviter ainsi toute pénurie (dispositif de prêt-emprunt). Si les banques centrales nationales ne peuvent pas acheter dans leur juridiction les montants de titres espérés, le Conseil des gouverneurs pourra autoriser l'achat de titres d'institutions publiques non financières. Ce faisant, la BCE anticipe le risque que les banques et assureurs, ne souhaitent pas vendre les titres qu'elles détiennent. Il convient de rappeler à ce stade que le PSPP implique le rachat d'environ 7 % du PIB de la zone euro en titre de dettes. Or l'offre n'apparaît pas conséquente, la plupart des États de la zone euro ayant entrepris des efforts d'ajustement budgétaire. Le programme d'assouplissement quantitatif américain de 2012 a été mis en place alors que le déficit public des États-Unis atteignait 6 % du PIB. Celui de la zone euro est aujourd'hui estimé à 2,4 % du PIB. L' Institut Bruegel estime que, compte tenu des cas chypriote et grec mais aussi du faible encours de la dette dans certains pays (33 % de la dette lettonne ont été ainsi acquis en deux mois, l'Estonie, la Lituanie, le Luxembourg et Malte sont également concernés), l'encours de dette des États éligible au PSPP atteint 799,7 milliards d'euros alors que le programme laisse la possibilité de racheter jusqu'à 836 milliards d'euros de titres souverains.

Programme PSPP au 30 avril 2015

Pays

Montant des titres rachetés (en milliards d'euros)

Maturité moyenne (en années)

Allemagne

22,211

7,90

Autriche

2,419

7,99

Belgique

3,056

9,1

Espagne

10,914

9,73

Finlande

1,559

7,15

France

17,376

7,84

Irlande

1,455

9,14

Italie

15,189

8,41

Lettonie

0,252

5,93

Lituanie

0,122

5,22

Luxembourg

0,388

6,88

Malte

0,058

8,47

Pays-Bas

5,014

6,97

Portugal

2,157

10,77

Slovaquie

1,028

9,26

Slovénie

0,428

7,92

Institutions supranationales

11,427

8,05

Total

95,056

8,25

(Source : Banque centrale européenne)

80 % de ces rachats sont effectués par les banques centrales nationales, sous la coordination de la BCE. Ces acquisitions se feront en fonction de la clé de répartition au capital de la BCE. L'intervention de la Banque de France pourrait ainsi s'élever à 177 milliards d'euros, soit 20 % du total des achats. Ce sont donc les banques centrales nationales qui assumeront la majeure partie des risques en cas de défaut. Cette répartition, qui répond à d'éventuelles objections allemandes, limite l'aléa moral induit par une mutualisation des rachats. Les États sont incités à ne pas relâcher leurs efforts budgétaires. Ce faisant, la BCE limite les objections possibles d'un certain nombre de membres du Conseil des gouverneurs, en premier lieu, le représentant allemand.

Le recours aux banques centrales nationales pour l'exécution des programmes d'achat ne connait que deux exceptions :

- Les rachats de titres des institutions européennes sont coordonnés par la Banque d'Espagne et la Banque de France ;

- Les achats d'ABS sont effectués par la seule Banque de France aux côtés de gestionnaires d'actifs privés mandatés par la BCE.

Seuls 20 % des rachats dans le cadre de ce programme sont soumis à un régime de partage des risques, c'est à dire assumés collectivement par les 19 États membres présents au capital de la BCE :

- 12 % concerne des titres d'institutions européennes (FESF, MES, Banque européenne d'investissement, Union européenne, Banque européenne pour la reconstruction et le développement) ou nationales. Il s'agit en France de titre émis par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES), l'Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (UNEDIC), la Banque publique d'investissement (BPI), la Caisse des dépôts et consignations (CDC), l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) et l'Agence française de développent (AFD) ;

- Les 8 % restant consistent en des achats directs opérés par la BCE.

Comme dans le cas du programme OMT, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe devrait être saisie par des parlementaires allemands au fin de juger de la compatibilité du plan d'assouplissement monétaire de la Banque centrale européenne avec le mandat qui lui a été assigné initialement. Une requête en ce sens est en cours de rédaction. Reste que si le programme de quantitative easing , n'a pas été adopté à l'unanimité par le Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne, tous les membres de  celui-ci ont néanmoins reconnu que cette opération correspondait au mandat de la BCE. Dans ces conditions, le programme de la Banque centrale approuvé sur la forme par la Bundesbank peut-il être contesté par la Cour constitutionnelle allemande ? Les conclusions de l'avocat général au sujet du programme OMT insistent sur le fait que l'annonce d'un programme et d'un calendrier concret d'achat de titres pourrait conduire à stimuler les acquisitions de titres de dette sur le marché primaire. Cette augmentation de la demande pourrait avoir pour effet indirect de transformer la BCE en prêteur en dernier ressort, constituant là un contournement de l'interdiction du financement monétaire prévu à l'article 123 du TFUE.

4. « Les effets secondaires »

La Banque centrale européenne a reconnu, le 14 mai dernier, l'existence d'effets secondaires au programme d'assouplissement quantitatif. Aux conséquences pour les épargnants qu'elle tente de relativiser et au risque de bulle sur certaines classes d'actifs, peuvent s'ajouter des réserves sur l'efficacité des dispositifs sur la relance du crédit, à la lumière des exemples américains ou japonais.

Plus largement, il est possible de s'interroger sur sa mise en place tardive au regard de ce qu'ont déjà réalisé la Banque d'Angleterre et la Federal reserve américaine. Le programme européen intervient en effet sept ans après le premier dispositif. Plus largement, la question de la demande de crédits peut être posée. L'échec du programme CBPP2 ou l'absence d'élan autour des T-LTRO ou des dispositifs ABS et CBPP3 soulignent que l'offre de crédits existe, les banques disposant de suffisamment de liquidités. L'assouplissement quantitatif ne saurait résoudre à lui seul un problème de confiance. L'exemple français est à ce titre révélateur : il n'existe pas de réel problème de distribution du crédit (augmentation de plus de 2 % sur 2014) mais les entreprises investissent peu : 21 % seulement des PME ont effectué une demande de prêt d'investissement au premier trimestre 2015.

a) La spécificité de la zone euro et les enseignements des expériences étrangères

A la lumière des pratiques américaine ou britannique, de s'interroger sur l'adéquation du dispositif à la réalité économique de la zone euro. La politique de quantitative easing a indéniablement contribué à une baisse des taux à 10 ans aux États-Unis (1,8 % aujourd'hui contre 4 % au plus fort de la crise) et au Royaume-Uni (1,5 % aujourd'hui contre 5 % en 2009) tout en augmentant le prix des actifs boursiers et immobiliers. Ce qui n'a pas été sans conséquence sur l'épargne des Britanniques et des Américains, principalement composée d'actions et de biens immobiliers. La consommation a pu, dans ces conditions, être relancée. Cet « effet richesse » n'existe cependant pas au sein de la zone euro, l'épargne n'y étant pas constituée de la même manière.

A l'inverse, le cas du Japon est assez éloquent : si le risque de déflation a été jugulé et le cours des actions favorisé par la manne de l'assouplissement quantitatif, l'effet de celle-ci sur les taux des obligations souveraines déjà très faibles (0,8 % à 10 ans) a été quasi nul. Pire, la dépréciation du yen, que l'assouplissement monétaire a induit, a contribué à renchérir le coût des importations et donc à fragiliser la croissance. Le renforcement de la pression fiscale - augmentation de trois points de la TVA - a également contribué à atténuer l'effet de l'assouplissement quantitatif.

Les exemples du premier quantitative easing américain (2010-2011) et du premier dispositif japonais mettent également en avant un phénomène dit de trappe à liquidité. Aux termes de celui-ci, les agents économiques recevant des liquidités, les stérilisent au lieu de procéder à des investissements ou à consommer, rendant ainsi inefficaces les politiques d'assouplissement quantitatif. Le cas américain est particulièrement éloquent : les entreprises américaines détenaient à l'automne 2010 plus de 2 000 milliards de dollars sur leurs comptes. Les entreprises pourraient également profiter des taux faibles pour se livrer non pas à des investissements mais à des opérations financières : rachats d'action ou versement de dividendes exceptionnels. Ce phénomène a notamment été observé aux États-Unis. Les entreprises américaines ont racheté massivement leurs propres actions entre juin 2013 à juin 2014. 533 milliards de dollars ont été utilisés à cet effet, selon la Banque des règlements internationaux.

Le risque de stérilisation est particulièrement nette au sein d'économies déjà entrées dans un cycle déflationniste, où les taux d'intérêts sont relativement bas, et où la propension à épargner est élevée compte-tenu des incertitudes économiques et de l'absence de confiance dans la reprise de la croissance. Les apports en liquidité pourraient donc être thésaurisés. Une telle situation n'est pas sans rappeler, à des degrés divers, le contexte économique des pays de la zone euro. Il convient de rappeler que les économies européennes font de surcroît face à un excédent structurel d'épargne : le taux d'épargne brute des ménages de la zone euro atteint 13 %, dépassant 15 % en Allemagne ou en France. Celui-ci est lié pour partie au ralentissement de la croissance démographique, qui se traduit par moins de besoins en équipement et que, dans le même temps, les nouvelles technologies font baisser le prix de l'investissement.

b) Quel impact pour les établissements financiers ?

Le contexte réglementaire de la zone euro n'est pas non plus, selon certains observateurs, sans incidence sur la réussite du programme d'assouplissement quantitatif. L'effet des nouvelles règles prudentielles Bâle III ou du TLAC, qui induisent la présence au bilan des banques de plus de fonds propres et d'actifs liquides, pourrait conduire à limiter l'offre de crédits, indépendamment de l'injonction de liquidités opérée par la BCE. L'anticipation d'une éventuelle taxe sur les transactions financières ou des effets du projet de directive sur la structure des banques devrait également limiter l'impact du dispositif de la BCE. Par ailleurs, les banques européennes, en particulier celles de la périphérie, détiennent encore des créances toxiques, qui limitent d'autant leur appétit pour le risque. L'enquête auprès des banques sur la distribution de crédits menées par la Banque centrale européenne auprès de 142 établissements au premier trimestre 2015 tend à illustrer un effet modéré. Interrogés sur les effets du programme d'assouplissement quantitatif, 35 % des établissements bancaires entendent augmenter l'octroi de prêts aux entreprises d'ici 6 mois (contre 28 % six mois plus tôt), 23 % l'octroi de crédits à la consommation (contre 18 % sur la période précédente) et 25 % de prêts immobiliers (contre 17 %).

Par ailleurs, si 55 % des établissements estiment que l'APP n'aura pas d'effet sur leur rentabilité d'ici six mois, 32 % jugent cependant qu'elle aura un effet négatif. L'assouplissement quantitatif peut en effet poser des difficultés aux banques tenues de servir des taux d'emprunts équivalents ou à peine plus élevés que ceux dont ils bénéficient pour leur propre refinancement, ce qui n'est pas sans affecter leur marge. L'épargne réglementée devient également plus coûteuse pour les établissements financiers.

c) Les limites de la baisse des taux souverains : le risque obligataire

L'aplatissement de la courbe des taux souverains au sein de la zone euro, observable depuis plusieurs mois et renforcé par l'assouplissement quantitatif, n'est pas, non plus, sans susciter quelques doutes . Si les taux reflètent la conjoncture économique d'un pays, il apparaît difficilement concevable que les taux souverains espagnol ou italien soient inférieurs à ceux enregistrés aux États-Unis. Cette situation n'est pas sans rappeler celle des taux indifférenciés au sein de la zone euro, avant la crise économique et financière de 2008. À ceci près, que comme l'a montré l'incident du 15 octobre 2014 sur les taux américains à long terme, le marché apparaît extrêmement volatil et donc susceptible de mouvements contradictoires, particulièrement dangereux dès lors qu'il s'agit de la dette des États. Le marché des bons du trésor américain, réputé pourtant le plus liquide et le plus large du monde, a ainsi connu l'un des plus grands mouvements intrajournaliers de son histoire. Les taux d'intérêt des titres à dix ans ont perdu 33 points de base avant d'en regagner 40 en quelques secondes ( flash crash ).

La remontée, de l'ensemble des taux depuis début mai, y compris, allemand (21 points de base le sur taux à 10 ans au cours de la seule journée du 7 mai, le taux allemand atteignant aujourd'hui 0,80 % contre -0,05 % le 17 avril) illustre en Europe cette fébrilité. Celle-ci est à la fois imputable à la remontée du prix du baril de pétrole au cours des dernières semaines, des hésitations de la Fed a réenclencher une hausse de ses taux directeurs, aux légères remontées de l'euro et de l'inflation, au souhait d'investisseurs de se désengager de titres obligataires rendus moins rentables par le programme d'assouplissement quantitatif mais aussi à l'absence d'accord sur la question grecque. Le retour de la volatilité a été mis en avant par la Banque des règlements internationaux (BRI), dans son rapport trimestriel publié le 18 mars dernier. Le président de la BCE a reconnu l'existence de ce risque le 3 juin.

Un intérêt particulier doit, par ailleurs être porté au risque de liquidités sur le marché des titres, à laquelle contribueraient les rachats de titres. Il convient de relever que la baisse des taux des obligations souveraines constatée sur les marchés n'est pas uniquement liée aux mesures non-conventionnelles de la BCE. Une demande accrue de titres liquides de bonne qualité, acceptés en garantie ou permettant de respecter les exigences de ratios de liquidités de Bale III, a contribué à dynamiser la demande d'obligations et donc la baisse des taux . Compte-tenu de la combinaison des règles prudentielles et des programmes de rachats des banquiers centraux, les titres obligataires sont de moins en moins disponibles à la vente sur les marchés. L'exemple américain est à ce titre frappant : le marché des bons du Trésor américain serait par exemple passé de 2 700 milliards de dollars en 2007 à 1 700 milliards aujourd'hui. Or ces titres constituent, en cas de crise, des valeurs refuges au sein des portefeuilles des investisseurs. L'agence Moody's estime qu'avant la fin de l'année 2015 il n'y aura mathématiquement plus assez d'obligations sur le marché. Cette pénurie fragilise la liquidité et renforce la volatilité des titres.

Dans ces conditions, la sortie du plan d'assouplissement quantitatif européen devra être finement réglée pour éviter toute remontée brusque des taux des obligations, dans un contexte marqué par le risque d'une sortie de la Grèce de la zone euro. Il convient de rappeler qu'une majoration d'un point du taux français se traduit par une augmentation de la charge d'emprunt de la France de 40 milliards d'euros. L'Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (EIOPA) juge, de son côté, qu'un cinquième des assureurs européens ne disposeraient pas de suffisamment de capitaux pour faire face à un choc obligataire.

d) Un risque pour l'épargne ?

La baisse des taux n'est pas non plus sans conséquence sur l'épargne et le secteur de l'assurance. Seule l'épargne réglementée apparaît préservée. Face à la diminution des rendements de l'épargne, les ménages qui thésaurisaient pour leur retraite sont tentés d'augmenter leurs versements pour compenser et réduire dans le même temps leur consommation, ce qui n'est pas l'effet recherché par la BCE. Les contrats d'assurance-vie en euros, dont les fonds sont largement investis en obligations, sont également fragilisés.

Le cas des retraites complémentaires des entreprises est particulièrement éloquent. Celles-ci sont principalement financées par le rendement des obligations acquises sur les marchés. L'écrasement de la courbe des taux conduit les entreprises à provisionner davantage de fonds pour maintenir les rendements attendus. La Lufthansa a ainsi divisé par six son bénéfice en 2014 pour provisionner 2,5 milliards d'euros. L'énergéticien Eon a mis en réserve 2,2 milliards d'euros et Daimler 2,9 milliards d'euros. Les engagements comptables des retraites d'entreprise des 30 plus grandes entreprises allemandes ont ainsi augmenté de 25 % en 2014, soit 372 milliards d'euros. L'assouplissement quantitatif opéré au Royaume-Uni a également eu ce type d'incidence sur le régime de retraites complémentaires des cent plus grosses entreprises britanniques, dont le déficit s'est creusé de 36 milliards d'euros en 2014. Plus largement, l'EIOPA estimait lors de la publication des résultats des tests de résistance le 30 novembre 2014 qu'avec des taux d'intérêt restant durablement très bas, 24 % des compagnies d'assurance et de retraites professionnelles ne couvriraient pas leur ratio de solvabilité (SCR).

Face aux critiques, la BCE a décidé de publier le 18 mai 2015 une étude rappelant le mécanisme de formation des taux d'intérêt réel, soit le taux nominal corrigé des effets de l'inflation. Elle souligne que le niveau des taux est principalement imputable à des facteurs économiques tels que le niveau de croissance ou le taux réel de rendement sur les capitaux investis, tous deux en baisse depuis des décennies. Plusieurs données conditionnent une telle baisse : âge moyen de la population, degré d'innovation, flexibilité du marché du travail, qualité des infrastructures, incitations à l'investissement privé, intégration des migrants qualifiés sur le marché du travail et climat des affaires. Dans ces conditions, la BCE ne peut influencer les taux réels et les revenus réels qu'à court terme - un à deux ans tout au plus, son action étant principalement dirigée vers les taux nominaux. Le rôle de toute Banque centrale reste de mener une politique appropriée pour lutter contre une inflation excessive ou au contraire une déflation, qui peuvent affecter durablement les revenus réels. D'une telle étude découle une double conclusion : le programme d'assouplissement quantitatif ne saurait perdurer outre mesure et les États membres doivent poursuivre leurs réformes structurelles.

e) De nouvelles bulles ?

La baisse des taux souverains devrait dans le même temps conduire les investisseurs à délaisser les obligations pour alimenter le marché en actions, au risque de générer une bulle. Anticipant l'APP, 135 milliards d'euros ont déjà été retirés du marché obligataire européen au second semestre 2014 pour être déployés sur d'autres segments. Certaines actions européennes sont ainsi acquises alors que leur valorisation représente dix-sept à dix-huit fois leurs bénéfices anticipés. Le crédit pourrait également être orienté vers des placements immobiliers plutôt que vers des investissements.

Le président de la BCE a lui-même reconnu, le 14 mai dernier, l'existence de ce risque. L'assouplissement quantitatif peut, en effet, entraîner un problème d'allocation de ressources et accroître la prise de risque financier excessive. Celle-ci pourrait, dans ces conditions, retarder la consolidation des institutions financières et fragiliser ainsi la stabilité financière. Le déversement de liquidités en favorisant la baisse des taux contribue à diminuer les primes de risques. La crise des subprimes trouvait en partie son origine dans ce niveau anormalement bas des primes de risques. L'ajustement qui a suivi le déclenchement de cette crise n'a cependant pas visé uniquement les crédits immobiliers mais aussi les obligations des entreprises et les titres souverains.

5. Un dispositif qui appelle des réformes au sein de la zone euro

Compte tenu des risques qu'il induit, l'effet positif de l'assouplissement quantitatif en faveur de la croissance peut apparaître relatif. L'APP ne saurait résoudre, en tout état de cause, tous les problèmes de la zone euro et doit donc être relié à d'autres instruments. Son efficacité est notamment conditionnée à la capacité pour les gouvernements à mettre en oeuvre les réformes structurelles nécessaires pour permettre une relance durable de la croissance. Comme l'a souligné le président Draghi le 3 juin 2015, la politique monétaire ne sert à résoudre que des problèmes conjoncturels et non structurels. L'assouplissement quantitatif ne peut constituer le remède unique à la panne de croissance constatée au sein de l'Union européenne. Si le quantitative easing devrait faciliter l'accès aux financements pour une relance de l'investissement, celui-ci reste conditionné à l'activité des entreprises - la question de l'accès des petites et moyennes entreprises est notamment posée - et aux marges de manoeuvres budgétaires dont disposent les États membres.

Il existe, à ce titre, une réelle complémentarité entre la communication de la Commission européenne du 13 janvier 2015 sur la flexibilité dans l'application du Pacte de stabilité et de croissance et l'annonce de la BCE neuf jours plus tard. L'assouplissement quantitatif devrait permettre aux États endettés de bénéficier de taux bas sur les marchés et donc de pouvoir continuer à se refinancer pour pouvoir ainsi abonder le Fonds européen d'investissement stratégique ou financer, pour ceux visés par le volet préventif du Pacte de stabilité et de croissance, leurs propres infrastructures. Il convient de rappeler que les sommes en jeu ne seront totalement prises en compte par la Commission européenne que lorsqu'elle évaluera les critères de convergence. FEIS, assouplissement quantitatif et flexibilité dans l'application du Pacte de croissance et de stabilité apparaissent dès lors comme les éléments clés pour la mise en oeuvre d'un cercle vertueux en matière de croissance pour l'Union européenne.

Ce cercle vertueux pourrait être consolidé avec la mise en place d'une véritable capacité budgétaire de la zone euro. La Banque centrale européenne dont le président est associé aux réflexions des présidents de du Conseil, de la Commission européenne, de l'eurogroupe et du Parlement européen sur l'avenir de la gouvernance de la zone euro, appelle d'ailleurs de ces voeux un tel instrument. Celui-ci pourrait amplifier la relance de l'investissement souhaitée par la Commission européenne et rendrait plus efficaces encore les mesures non-conventionnelles mises en oeuvre par la Banque centrale européenne depuis 2010.

En lançant un programme d'assouplissement quantitatif, la Banque centrale européenne adresse en tout cas un signal fort en direction des États membres qui contestaient une politique monétaire jugée trop rigide et peu favorable à la reprise économique. Il convient désormais qu'elle pense désormais à la sortie de ce programme pour éviter qu'une mesure temporaire ne devienne permanente à l'image de la pratique japonaise ou de la succession de plans de quantitative easing américains . Une telle évolution limiterait à la fois les velléités de réforme des États membres facilement financés - un tiers des dettes souveraines européennes présentaient ainsi en mars 2015 des rendements négatifs - tout en générant des bulles potentiellement dangereuses, à défaut d'être utiles pour l'investissement.

Une sortie du plan n'est cependant envisageable que si la cible d'inflation est atteinte. Pour l'heure, les premiers effets de l'assouplissement quantitatif semblent néanmoins encourageants, un niveau d'inflation à 1,8 % étant désormais attendu en 2017 (1,5 % en 2016) . Elle était à 0,3 % fin mai 2015. La reprise de l'inflation demeure néanmoins largement tributaire de celle de la croissance économique.

III. UNE NOUVELLE MISSION : LA SUPERVISION BANCAIRE

La crise financière traversée par les banques européennes a conduit le Conseil européen à acter, en juin 2012, le principe d'un renforcement de la supervision des banques au sein de la zone euro, dans le cadre d'une Union bancaire. L'ambition affichée est de rompre le cercle vicieux entre crise bancaire et crise de la dette, à l'origine, notamment, des difficultés traversées par l'Irlande et l'Espagne.

Au-delà, l'Union bancaire doit permettre de juguler de nouveaux risques :

- Les conséquences du manque de profitabilité actuel des banques, exacerbé dans un contexte de taux bas et alors que certains pays disposent de trop d'établissements bancaires ;

- La part des crédits non performants dans leurs actifs. 12 % des crédits accordés sont jugés toxiques, les échéances n'étant pas remboursées. Ce taux est supérieur à celui rencontré en Asie ou aux États-Unis. Il est dépassé en Espagne, en Grèce, en Italie, au Portugal et en Slovénie. Au total 40 banques installées dans 10 pays de la zone présentent actuellement de sérieuses difficultés ;

- La surexposition aux pays émergents dans un contexte de retournement de la conjoncture ;

- Le risque d'attaques cybernétiques ;

- Le poids des sanctions administratives sur la solidité des banques à l'image de l'amende américaine reçu par le groupe BNP-Paribas.

A. LES OBJECTIFS DU MÉCANISME DE SUPERVISION UNIQUE

1. Le mandat du MSU

Le règlement n°1024/2013 du 15 octobre 2013 confiant à la Banque centrale européenne des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit accorde à la BCE un rôle clé pour mettre en oeuvre cette surveillance au sein d'un Mécanisme de supervision unique (MSU). Celui-ci qui est entré en fonctions le 4 novembre 2014.

L'Union bancaire doit permettre de faciliter la transmission de la politique monétaire de la BCE. Le succès de l'utilisation des mesures non-conventionnelles dépend, en effet, de la qualité du système financier dans lequel elles s'inscrivent. Certains observateurs relèvent que l'efficacité du programme d'assouplissement quantitatif mis en oeuvre au Japon a été altérée par l'absence de réforme du secteur bancaire local.

Composé de la BCE et des autorités de contrôle nationales (ACN) des États membres, le MSU est chargé de la surveillance prudentielle de tous les établissements de crédit. Il poursuit trois objectifs :

- garantir la sauvegarde et la solidité du système bancaire européen ;

- accroître l'intégration et la stabilité financières ;

- assurer une surveillance cohérente.

Le MSU a mandat pour mener des contrôles prudentiels et des missions sur place. Il vérifie le respect des règles prudentielles européennes. Au terme de sa mission de surveillance, la BCE a le pouvoir d'accorder et de retirer l'agrément de tout établissement de crédit et d'évaluer l'acquisition de participations dans des établissements de crédit qu'elle supervise. Il peut également imposer des exigences de fonds propres supplémentaires pour couvrir des risques spécifiques. Si un manquement aux exigences réglementaires est constaté, des sanctions administratives aux banques allant jusqu'à 10 % du chiffre d'affaires annuel total peuvent être imposées. À partir de 2016, la nouvelle autorité européenne de résolution bancaire, dotée de 55 milliards d'euros d'ici à 2022, sera en mesure de restructurer voire de démanteler une banque en difficulté.

L'action du MSU est dans les faits limitée à la zone euro, même si l'Union bancaire est, en principe, ouverte aux autres États membres. Le Danemark envisage à ce titre d'intégrer à terme cette structure, alors même qu'il bénéficie d'une clause d'exemption ( opt out ) en ce qui concerne l'Union économique et monétaire). Aucune demande formelle n'a pour l'heure été déposée. Un processus préparatoire d'au moins 5 mois serait nécessaire avant toute adhésion. La Banque centrale européenne s'était déclarée favorable fin avril à la mise en place d'incitations à rejoindre l'Union bancaire pour les pays situés en dehors de la zone euro. Il s'agit, selon elle, de prendre en compte l'activité transfrontalière au sein du marché intérieur, qui ne saurait se limiter à la zone. Le Royaume-Uni comme la Suède demeure assez rétifs à toute intégration dans ce dispositif.

2. Le rôle spécifique de la BCE

La BCE est chargée de veiller au bon fonctionnement du MSU et plus particulièrement à la répartition des responsabilités entre la BCE et les ACN. Afin d'assurer une surveillance efficace, les banques sont, en effet, classées en tant qu'établissements «importants» ou «moins importants ». La BCE est chargée d'exercer une supervision directe des premiers, tandis que les ACN se consacrent aux secondes.

Un établissement de crédit est considéré comme important s'il remplit l'une des conditions suivantes :

- la valeur totale de ses actifs est supérieure à 30 milliards d'euros ou dépasse 20 % du PIB national, la valeur totale de ses actifs ne pouvant être à 5 milliards d'euros ;

- la banque fait partie des trois établissements de crédit les plus importants établis dans un État membre ;

- l'établissement est bénéficiaire de l'assistance directe du Mécanisme européen de stabilité ;

- la valeur totale de ses actifs est supérieure à 5 milliards d'euros et le ratio entre ses actifs ou passifs dans plus d'un État membre et le total de ses actifs ou passifs est supérieur à 20 %.

Le MSU peut, par ailleurs, déclarer important un établissement qui ne satisferait pas à ces critères.

Dans ces conditions, la BCE est amenée à superviser directement 123 groupes représentant approximativement 1 200 entités. Les actifs détenus par celles-ci représentent 21 000 milliards d'euros soit 85 % du total des actifs détenus dans la zone euro (26 000 milliards d'euros, contre 12 900 milliards d'euros aux États-Unis). Les 3 520 établissements jugés moins importants sont concentrés en Allemagne (1 688 banques et 48 % du total), en Autriche (16 %) et en Italie (15 %).

Répartition par pays des actifs bancaires au sein de la zone euro

France

32 %

Allemagne

22 %

Espagne

14 %

Italie

10 %

Pays-Bas

10 %

Autres pays de la zone euro

13 %

Source : Institut Bruegel

B. ORGANISATION DU MECANISME DE SUPERVISION UNIQUE

1. Le conseil de surveillance prudentielle

Les missions de surveillance du MSU sont planifiées et accomplies par un conseil de surveillance prudentielle. Celui-ci propose des projets de décision en vue d'une adoption par le Conseil des gouverneurs de la BCE.

Le conseil de surveillance prudentielle est composé d'un président (nommé pour un mandat de 5 ans non renouvelable par le Conseil de l'Union européenne), d'un vice-président (choisi parmi les membres du directoire de la BCE), de représentants de la BCE et d'un représentant de l'autorité de contrôle nationale de chaque État membre. Le processus de prise de décision par le Conseil des gouverneurs est fondé sur une procédure d'approbation tacite. Il dispose de dix jours ouvrables pour émettre une objection. Il ne peut pas, en tout, état de cause, modifier un projet de décision. Des procédures de recours ont été mises en place pour les ACN qui contesteraient une objection émise par le Conseil des gouverneurs (comité de médiation) et pour les personnes physiques ou entités qui contesteraient une décision (commission administrative de réexamen). La commission administrative se compose de cinq membres indépendants qui ne font pas partie du personnel de la BCE ni de celui d'une ACN.

Liste des membres du conseil de surveillance prudentielle nommé ou issus de la BCE

Nom

Fonction

Nationalité

Mme Danielle Nouy

Présidente

Française

Mme Sabine Lautenschläger

Vice-Présidente

Allemande

M. Ignazio Angeloni

Représentant de la BCE

Italienne

Mme Julie Dickson

Représentant de la BCE

Canadienne

Mme Sirkka Hämäläinen

Représentant de la BCE

Finlandaise

La surveillance quotidienne est, quant à elle, effectuée par des équipes dédiées ( Joint Supervisory Teams - JST), comprenant du personnel provenant à la fois des ACN et de la BCE. Ces équipes sont conduites par un coordinateur de la BCE qui, en règle générale, ne peut être originaire du pays où la banque concernée a son siège. À titre d'exemple, le chef des contrôleurs du Crédit Agricole est allemand, celui d' UniCredit (Italie) est français et celui d' ABN - AMRO (Pays-Bas) espagnol. Il s'agit, de la sorte, d'éviter les biais liés à la nationalité et d'éventuels conflits d'intérêt. 1 000 personnes environ ont été recrutées par le conseil de surveillance prudentielle.

La mise en place d'un conseil de surveillance prudentielle distinct du Conseil des gouverneurs vise à préserver la distinction entre politique monétaire et supervision bancaire, sans pour autant qu'une muraille de Chine ne soit établie. Il s'agit également d'empêcher des prises de décisions contradictoires. La séparation de la politique monétaire de la supervision ne limite pas l'échange d'informations, comme en témoigne l'article 13 du règlement intérieur de la BCE. Ce qui n'est pas sans avantage pour la conduite de la politique monétaire à l'heure où la BCE prévoit d'acquérir, via l'assouplissement quantitatif, obligations sécurisées et produits titrisés (programmes CBPP3 et ABS).

Par ailleurs contrairement à ce qui se passe en matière monétaire, la BCE est tenue de rendre des comptes devant le Parlement européen des décisions prises dans le cadre du Mécanisme de supervision unique (article 20 du règlement n°1024/2013). Elle est également tenue d'adresser un rapport annuel aux parlements nationaux et de répondre à leurs questions écrites (article 21 du règlement n°1024/2013).

2. Premiers résultats et premières contestations

La mise en place du MSU a été précédée d'une évaluation complète des 130 plus grandes banques de la zone euro, menée par la BCE. Celle-ci comprenait tests de résistance et revue de qualité des actifs ( Asset qualitiy review - AQR) au 31 décembre 2013. Les résultats ont été rendus publics le 26 octobre 2014. Aux termes de ceux-ci, 25 banques présentaient une insuffisance de fonds propres, estimée à 25 milliards d'euros et ont dû élaborer des plans de refinancement dans les deux semaines suivant l'annonce des résultats. Elles disposaient ensuite de neuf mois pour compenser ces déficits. 12 d'entre elles les avaient déjà résorbés avant la publication des résultats. La valeur des actifs bancaires a, en outre, été ajustée de 48 milliards d'euros. Les expositions non-performantes des banques sont, quant à elles, évaluées à 879 milliards d'euros, l'ensemble des actifs des 130 banques étant estimés à 22 000 milliards d'euros (96 % des actifs français ont ainsi été supervisés).

Au-delà des résultats, cet exercice a permis une comparaison des banques de la zone euro et préparer une meilleure coordination entre les superviseurs nationaux. Il a permis la définition de standards et de procédures et constituait un test pour la mise en place des équipes de supervision internationales.

Le dispositif ne semble pas susciter l'adhésion de tous les établissements financiers. La banque régionale allemande Ländeskreditbank Bade-Württenberg ( L-Bank ) a ainsi déposé un recours en annulation auprès du Tribunal de l'Union européenne visant la supervision directe par la BCE. La L-Bank dispose de 70 milliards d'euros d'actifs et est donc considérée comme importante, aux termes du règlement n°1024/2013. La L-Bank estime que son modèle économique est simple et que la supervision directe de la BCE ne devrait s'appliquer qu'aux banques d'importance systémique et complexe. Elle relève avant tout les coûts et la charge administrative supplémentaires induits par le transfert de la surveillance bancaire de l'échelon européen à l'échelon allemand.

CONCLUSION

La mise en place d'une politique monétaire non conventionnelle, dont l'aboutissement est intervenu en mars 2015 avec le lancement d'un plan d'assouplissement quantitatif a contribué à rapprocher la Banque centrale européenne de ses homologues américaine ou britannique et en faire de la sorte un acteur majeur de la vie économique de la zone euro. Si son ambition affichée demeure le maintien de l'inflation à un niveau légèrement inférieur à 2 %, son action volontariste en faveur de l'euro lui permet, dans les faits, de dépasser ce seul objectif. Derrière ses nouvelles missions dans le domaine de la supervision bancaire ou l'accélération de la lutte contre la déflation, apparaît l'ambition de mettre tout en oeuvre en faveur de la relance de la croissance au sein de la zone euro. Ce faisant, la Banque centrale européenne répond à toutes les missions qui lui ont été assignées par les traités, à savoir le soutien à toutes les politiques générales de l'Union. Le débat sur la nature de son mandat semble à cet égard dépassé.

L'efficacité des dispositifs non conventionnels mis en place demeure cependant largement tributaire de la volonté des États membres de la zone euro de les accompagner par des réformes structurelles destinées à favoriser l'activité. Le risque tient peut-être aujourd'hui à ce que l'afflux de liquidités, via les programmes de rachats de titres, les prêts de longue durée aux banques ou la baisse continue de taux, anesthésie toute velléité réformatrice dans chacun des États ou tempère la nécessaire amélioration de la gouvernance de la zone. L'exemple américain souligne à quel point il est délicat pour les marchés de se passer de ces liquidités. Cette difficulté pourrait être aiguisée par l'absence de réformes. Le prochain défi qui se présente pour la Banque centrale européenne tient donc sans doute à faire progresser le débat sur la réforme de la gouvernance de la zone euro, afin que celle-ci se dote d'instruments efficaces en vue d'accélérer réformes structurelles et reprise économique. Faute de quoi, le remède non conventionnel qu'elle dispense serait au mieux inefficace. Elle doit, à ce titre, imaginer d'ores et déjà les conditions de sortie du plan d'assouplissement quantitatif. Si celle-ci doit être progressive, elle ne saurait dans le même temps par trop prolonger une forme d'accoutumance.

EXAMEN PAR LA COMMISSION

La commission des affaires européennes s'est réunie le jeudi 18 juin 2015 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par MM. Jean Bizet (en remplacement de Mme Fabienne Keller, excusée), Éric Bocquet et Richard Yung, le débat suivant s'est engagé :

M. Jean Bizet, président. - Merci à nos rapporteurs de nous avoir expliqué le fonctionnement de la BCE.

Les subprimes sont déjà loin derrière nous, mais l'Union européenne a fini, dans un temps relativement contraint, par se doter d'un mécanisme de supervision bancaire assez exceptionnel. On entend d'ailleurs dire que la FED étudie la façon dont nous avons restructuré tout cela, les choses n'étant pas aussi abouties aux États-Unis.

M. Simon Sutour. - On constate que la BCE joue un rôle de plus en plus important. Considérée autrefois comme la gardienne de l'orthodoxie budgétaire, elle est devenue un véritable acteur économique jouant un rôle indéniable en faveur de la relance. Cette réorientation est due aux choix courageux de Mario Draghi. Nous étions un certain nombre à le souhaiter depuis longtemps. Nous l'avions indiqué lorsque nous avons reçu M. Draghi au Sénat il y a plus d'un an environ. L'échange avait été particulièrement intéressant.

Je ne veux pas anticiper le rapport que je vous ferai bientôt sur la situation en Grèce, mais j'ai rencontré à Athènes, avec cinq députés, la semaine passée, le gouverneur de la Banque centrale de Grèce. J'ai été impressionné par ses analyses, et surtout par sa franchise et son courage. Au point de me demander s'il allait rester en place, tant ses propos étaient en contradiction avec ceux du gouvernement grec. Il était, cela étant, dans son rôle de gouverneur. Son indépendance est, de surcroît, garantie par la BCE. Elle dispose à cet égard d'un véritable pouvoir moral. Cette rencontre a été un des rares moments d'éclaircie lors de ces rencontres ! Nous nous sommes dit qu'il existait tout de même des personnes qui essayaient de tenir la barre pour se tourner vers l'avenir.

M. Jean-Claude Requier. - Le gouverneur de la Banque centrale de Grèce a fait une déclaration dans la presse...

M. Jean Bizet , président. - Il a en en effet été très ferme, et cela a été très courageux de sa part, car il va complètement à contre-courant du discours tenu par le Premier ministre.

M. Simon Sutour . - Pour conclure sur la BCE, elle a pris toute sa place dans le paysage institutionnel européen. Elle est une véritable banque d'intérêt général, presque de service public ! Je m'en félicite, et les actions de Mario Draghi en faveur de la relance, qui datent maintenant de plusieurs mois, sont très utiles.

M. Philippe Bonnecarrère . - Les trois présentations qui viennent de nous être faites sont positives et présentent un système qui paraît constituer une forme d'optimum à un moment donné. Les questions que l'on pourrait poser risqueraient donc de ne pas être très réalistes ou manqueraient d'humilité : on peut en effet s'interroger sur les limites et les excès de l'assouplissement quantitatif. Je pense notamment à l'expérience américaine et à tous les dangers que la politique de la FED a amenés. Mais il serait objectivement prétentieux d'aller sur ce terrain, où les points de vue peuvent être assez nuancés.

J'ai même tendance à considérer que ce qu'on peut lire a moins d'importance que les analyses économiques qui ont déterminé le choix de cette politique au sein de la BCE. Elles ont l'avantage d'être partagées, puisque le système de prise de décision au sein de la BCE est collégial.

Je vous remercie pour la qualité du rapport que vous venez de présenter et son intérêt. Ce qui me frappe, c'est votre consensus dans l'analyse technique, mais aussi, en creux, votre consensus politique. Il y a quelques années, évoquer la BCE aurait immédiatement entraîné un débat sur la souveraineté. On perçoit à demi-mot, à travers vos propos, que ce débat est derrière nous. S'il en est ainsi, c'est parce que le système a démontré son efficacité.

Les débats passionnés qui existent à propos de la politique des autres institutions européennes sont en fait un problème de résultats : c'est parce que ses résultats ne sont pas suffisamment tangibles pour nos concitoyens que l'on met en permanence en cause la Commission européenne, entre autres. Dès lors que les résultats sont là et que nos concitoyens comprennent que le système fonctionne, personne ne discute la légitimité des institutions.

L'appropriation du projet européen par nos concitoyens demeure essentiellement soumise à des interrogations concernant l'efficacité des politiques européennes.

Enfin, votre approche place chaque pays face à ses responsabilités. Il devient plus difficile au Gouvernement d'accuser Bruxelles à tous propos. Chaque État doit démontrer son aptitude à mener ses propres réformes. Je trouve cette évolution profondément saine !

M. Éric Bocquet. - Je me sens contraint de sortir un instant de mon rôle de co-rapporteur ! Ce travail a été intéressant, je tiens à le souligner, et très technique. Cela étant, ce que je retiens de ce travail, ce n'est pas un consensus politique, mais un consensus technique. Cela s'arrête là !

Simon Sutour a employé le mot d'« orthodoxie ». La BCE a aujourd'hui fendu l'armure, et c'est ce qui m'a frappé. Auparavant, il n'était pas question de toucher au dogme absolu de la stabilité des prix. Les circonstances et l'ampleur de la crise l'ont obligée à évoluer. J'en tire un enseignement extrêmement intéressant : c'est donc possible. Rien n'est écrit d'avance, j'en suis convaincu !

M. Jean-Jacques Hyest . - Cela faisait-il partie des dogmes que l'on pouvait garder in aeternum ?

M. Éric Bocquet. - Je n'en sais rien. Cela montre en tout cas sa capacité à s'adapter à des conditions nouvelles. C'est ce qu'on est en train de vivre, en particulier avec la crise grecque.

M. Simon Sutour . - C'est un outil.

M. Éric Bocquet. - En effet, mais ce n'est pas qu'un outil technique. Cela doit être un outil politique : quelle Europe veut-on construire ? Une banque comme la BCE doit avoir un rôle déterminant de par sa capacité à investir. Ce qu'elle fait est énorme : 60 milliards d'euros par mois pendant dix-huit mois, ce n'est pas rien !

On va réclamer plus d'1,5 milliard d'euros à la Grèce le 30 juin. Cela pose question. On peut mettre ce chiffre en perspective avec les échéances de remboursement de la dette grecque. Je ne dis pas que la solution passe forcément par le financement de la BCE, mais le débat est intéressant et peut être ouvert. On n'est donc vraiment pas sur un sujet technique, mais sur un sujet politique de fond. Je suis désolé, mon cher collègue : vous le voyez, il n'y a évidemment pas consensus, mais j'ai éprouvé beaucoup d'intérêt à mener ce travail avec mes collègues Richard Yung et Fabienne Keller.

M. Jean-Jacques Hyest . - L'action de la BCE en faveur de la croissance démontre que c'est, à terme, un aspect positif de Maastricht !

M. Richard Yung . - C'est un enfant légitime de Maastricht, il faut le dire. Les dogmes sont parfois de bonnes choses : on peut les conserver durant des siècles.

M. Éric Bocquet. - On peut aussi les bousculer !

M. Richard Yung . - Certes...

M. Jean-Jacques Hyest . - Cela dépend de l'interprétation !

M. Richard Yung .- Ce que dit Éric Bocquet est vrai : il y a derrière tout cela plusieurs débats politiques de fond, à commencer par le débat avec les Anglais.

M. Jean-Jacques Hyest . - Ils recourent de plus en plus à la supervision !

M. Richard Yung .- Curieusement, ils renforcent en effet leur supervision bancaire et financière, mais ils veulent le faire à part. Ils ne désirent pas, en outre, que les travailleurs puissent circuler. C'est ennuyeux.

M. Jean Bizet, président . - C'est un autre sujet !

M. Richard Yung .- Cela fait partie de la question : ils veulent bien les capitaux et les marchandises, mais pas les personnes.

Il existe un autre débat, que l'on retrouve également en France : nous déléguons de plus en plus notre souveraineté nationale à des organes nouveaux, comme la BCE. Considérez la politique budgétaire aujourd'hui : le Parlement ne pèse plus tellement dans l'élaboration du budget, face aux différents critères et au contrôle de la Commission ! Il s'agit d'une perte de souveraineté progressive.

Peut-être n'ose-t-on pas trop le dire. Politiquement, c'est dangereux, mais la réalité est là !

M. Jean Bizet, président . - On n'a pas trop le choix...

M. Daniel Raoul . - Je voudrais corriger le terme utilisé par Simon Sutour : la BCE n'est plus un outil technique. C'est une évolution que l'on peut considérer comme positive et interventionniste dans le cadre de la crise que l'on connaît mais, à terme, cela devient un organe décisionnel politique.

Qu'en est-il de la cohabitation entre la Commission, le Conseil et la BCE ? Nous saluons les évolutions en cours, mais cet outil devient un organe politique, qui a une réelle influence sur l'économie et la politique budgétaire en particulier.

M. Richard Yung. - Lors de notre visite, Benoît Coeuré avait dit que la Grèce n'était pas le problème de la BCE, mais celui du Conseil européen. La BCE évalue simplement la situation des banques dans le pays. C'était très clair.

M. Jean Bizet, président . - La BCE reste malgré tout très ferme. Elle est indépendante, mais c'est un outil politique extraordinaire.

M. Simon Sutour . - J'ai parlé d'outil, je n'ai pas parlé d'outil technique.

L'important, c'est de disposer d'un outil qui apporte des solutions à ce qu'attendent les citoyens européens dans la période difficile qu'ils vivent. Peu à peu, les choses se mettent en place et les pouvoirs s'exercent. Si jamais Mario Draghi a fait ce qu'il a fait en matière de relance, c'est peut-être parce que l'Union européenne et le Conseil des ministres sont passés de la position allemande, qui attendait une orthodoxie budgétaire totale, à la relance, sous la pression de la France et de pays du sud, comme l'Italie ou l'Espagne.

Je trouve tout cela très positif ; peu importe, au bout du compte, le rôle des uns ou des autres. Seule compte l'efficacité.

Nous devons faire oeuvre de pédagogie sur les questions européennes. Comme l'a indiqué Richard Yung, le budget est en partie déterminé à l'échelon européen.

M. Jean Bizet, président . - C'est tout le mécanisme du semestre européen !

M. Simon Sutour . - Il est très difficile d'expliquer au Sénat que 50 % environ des décisions se prennent au niveau européen, et que le rôle de la commission des affaires européennes est plus important qu'il y a un certain nombre d'années. On discute de tout un tas de propositions de loi que les commissions législatives passent leur temps à disséquer, alors qu'elles n'aboutiront pas avant longtemps. Il est dommage de ne pas toujours pouvoir faire comprendre à nos collègues tout l'enjeu du débat européen ! Cela fera partie des sujets que l'on abordera lors de la prochaine réunion de notre bureau avec le Président du Sénat.

J'ai néanmoins eu le sentiment qu'il s'est passé quelque chose, le 16 juin, lors du débat préalable au Conseil européen. Cela semble avoir été une prise de conscience pour beaucoup de nos collègues. Je n'avais jamais vu un président du Sénat présider un débat préalable à un Conseil européen.

Il y a deux ans, j'avais été chargé d'une proposition de résolution européenne au sujet de la proposition de règlement de Mme Reding sur la protection des données personnelles. Nos collègues avaient déposé des amendements et ont commencé à en discuter. Il a fallu que je précise que ce n'est pas nous qui rédigions la proposition de règlement. Il s'agissait d'un projet de la Commission européenne, et notre rôle consistait à donner notre point de vue au Gouvernement pour qu'il le prenne en considération dans les négociations. Je leur ai rappelé que nous ne représentions qu'un seul des vingt-huit pays de l'Union européenne.

M. Jean Bizet, président . - Sans parler d'électrochoc, je pense qu'il y a eu une prise de conscience et une très belle réactivité de la part de nos collègues mardi dernier. Les réponses du ministre ont par ailleurs été construites et argumentées.

M. Yves Pozzo di Borgo . - Je suis issu du mouvement centriste, très attaché au fédéralisme. J'estime que la BCE devrait avoir bien plus de pouvoirs. Je m'interroge encore pour savoir pourquoi l'on garde la Banque de France.

J'ai tendance à croire que la BCE devrait prendre toute sa place dans la guerre des monnaies à laquelle on assiste à l'échelle mondiale. On se rend bien compte de la force du dollar dans toutes nos activités économiques. C'est pourquoi la sortie éventuelle de la Grèce peut, selon moi, constituer un affaiblissement, même si on peut techniquement l'assumer.

On a intérêt à ce que la BCE et l'euro prennent de plus en plus d'importance. Allons même plus loin : cela ne me dérangerait pas que la Russie soit un jour dans l'euro. Je ne suis d'ailleurs pas le seul à le dire ! Cela donnerait à l'euro une puissance économique qu'il n'a pas ! C'est actuellement le dollar qui domine tout. Il y a quarante ans, on s'est essentiellement occupé de construire l'Europe ; nous devons maintenant nous préoccuper de la place de l'Europe dans la mondialisation.

En ce qui concerne la perception des questions européennes au Parlement, le problème vient très largement du fait que nos deux assemblées pensent toujours avoir conservé des pleins pouvoirs. Je le comprends, mais il faut changer d'état d'esprit !

M. Jean-Jacques Hyest . - J'ai été l'élève de Pierre Henri Teitgen, et mon engagement politique a débuté par l'engagement européen.

Je suis également extrêmement attaché au principe de subsidiarité. Il serait erroné de croire que l'on a besoin de tout réglementer à l'échelon européen. Cela permet souvent aux gouvernements de se dédouaner.

Pour en revenir à la BCE, elle a toujours tenu compte de la conjoncture et c'est d'ailleurs son rôle. Cela dit, on ne peut appliquer la même politique à toutes les situations. On peut sans doute regretter que l'Allemagne ait longtemps pesé trop lourd, mais elle est elle-même confrontée à des évolutions qui ne sont pas celles qu'elle attendait. L'Allemagne ne sera pas toujours championne : elle a aussi des faiblesses et éprouve des incertitudes quant à l'avenir. Elle peut de ce fait accepter une nouvelle donne en matière de politique monétaire.

Cependant, on a fait beaucoup de choses à l'envers. Si on n'opère pas un rapprochement entre les politiques économiques des pays de la zone euro, les tensions subsisteront. Avec une monnaie unique, il faut des politiques économiques convergentes. C'est la raison pour laquelle la Grande Bretagne est extrêmement réticente dans ce domaine. L'absence de politiques convergentes dans la zone euro pourrait même faire totalement disparaître cette monnaie. Il faut donc y être attentif.

Un aspect très positif de votre rapport concerne la régulation des banques. Certaines demeurent fragiles. La France a fait le ménage dans ce domaine après quelques crises, je pense à la Société générale, au Crédit lyonnais ou au Crédit agricole. La situation est maintenant bien encadrée. Reste encore le cas des petites banques. En Allemagne, le système de caisses d'épargne constitue une faiblesse.

M. Jean Bizet, président . - Je pense que nous pouvons remercier nos collègues.

Un bref commentaire sur tout ce qui a été dit en ce qui concerne le poids de l'Europe dans les différents États membres. Le principe de subsidiarité doit être extrêmement surveillé ; c'est là tout le sens de l'action de notre commission. Il faut aller vers ce que Monsieur Juncker appelle « l'Europe de l'essentiel ».

On ne répétera jamais assez que la BCE est et doit rester indépendante, mais elle n'est pas en apesanteur politique. C'est un formidable outil. Il est vrai que son architecture est en priorité focalisée sur une inflation autour de 2 %. C'est, de ce point de vue, une vision identique à celle de la FED. L'autre objectif de la FED est de créer de l'emploi. La BCE, quant à elle, concourt elle aux politiques générales de l'Union et donc à l'objectif d'une économie qui tend vers le plein emploi. Elle ne peut se substituer, cela étant, aux gouvernements. C'est le sens des déclarations de Mario Draghi, à Sintra en mai dernier. Il a considéré qu'il avait fait ce qu'il devait faire et c'est la raison pour laquelle il a demandé aux États de procéder à des réformes de façon à créer de l'emploi.

Je voudrais également souligner que la BCE s'est adaptée au pragmatisme du moment et aux réalités d'aujourd'hui. Sans vouloir faire offense à M. Trichet, l'arrivée de M. Draghi a changé beaucoup de choses ! On a la chance d'avoir deux Français à des rôles clés, Mme Nouy pour la supervision bancaire et Benoît Coeuré au directoire.

M. Yves Pozzo di Borgo . - Espérons qu'il aura le courage d'aller ponctionner Goldmann Sachs un jour ou l'autre !

À l'issue de ce débat, la commission autorise, à l'unanimité, la publication du rapport.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

À Francfort :

- Mme Danièle Nouy, présidente du Conseil de surveillance prudentielle ;

- M. Benoît Coeuré, membre du directoire de la Banque centrale européenne ;

- M. Patrick Amis, directeur général adjoint de la Banque centrale européenne ;

- M. François-Louis Michaud, directeur général adjoint de la Banque centrale européenne ;

- M. Jean-François Jamet, chef économiste auprès de la Banque centrale européenne ;

- Mme Johanne Evrard, économiste auprès de la Banque centrale européenne.

À Paris :

- M. Denis Beau, directeur général des opérations de la Banque de France ;

- M. Benoît de la Chapelle-Bizot, directeur général de la Fédération bancaire française ;

- M. Philippe Waechter, directeur de la recherche économique Natixis ;

- M. Gregory Claeys, chercheur Institut Bruegel .

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