CONCLUSION

Le déplacement à Londres de la Délégation aux entreprises du Sénat a permis d'enrichir la réflexion sur les freins à la croissance des entreprises. Les mesures vantées par les entrepreneurs relèvent certes d'une culture très différente de celle de la France. La France n'est pas le Royaume-Uni et comparaison n'est pas raison. Il est toutefois utile de se souvenir que le changement opéré au Royaume-Uni n'est pas si lointain, et qu'il est né d'une volonté politique de redresser le pays au début des années 1980.

Les débats qui mobilisent le Parlement français montrent que tous les sujets évoqués dans le présent rapport sont tout à fait d'actualité. Le Sénat, à travers sa Délégation aux entreprises, poursuit son travail de terrain et d'écoute des entrepreneurs pour contribuer efficacement à la définition de solutions et de réformes qui permettront à la France de renouer avec la croissance et l'emploi.

L'exemple britannique montre qu'il existe de nombreuses pistes : obligation ministérielle de simplification administrative, meilleure implication de la haute fonction publique, période d'essai de longue durée, plafonnement des indemnités en cas de licenciement, etc. De nouvelles rencontres entre entrepreneurs, installés des deux côtés de la Manche, pourront certainement contribuer à affiner les possibilités d'inspiration pour l'économie française.

Même si toutes les mesures abordées ici par la Délégation aux entreprises nécessiteraient d'être étudiées en profondeur et parfois adaptées à notre culture juridique, elles ont le mérite de montrer qu'un changement de mentalité est possible et que des réformes adaptées peuvent redonner confiance aux entreprises et à la population active.

Il est temps d'inventer un « pragmatisme responsable » à la française pour faciliter concrètement la vie des entreprises françaises et promouvoir ainsi leur croissance, ce dont les membres de la Délégation présents à Londres sont convaincus depuis ce déplacement.

ANNEXES

1. Programme du déplacement de la Délégation aux entreprises à Londres le 13 avril 2015

07 h 40

Départ de Paris Gare du Nord par l'Eurostar

09 h 00

Arrivée en Gare de Saint Pancras

Transfert et accueil de la Délégation dans les locaux de International SOS.

Visite de International SOS, ETI créée à Singapour par deux Français : MM. Arnaud VAISSIÉ et Pascal REY-HERME. Cette société d'assistance médicale aux expatriés et voyageurs d'affaires fédère 10 000 salariés et opère dans 76 pays. Elle accompagne depuis 30 ans les entreprises dans la gestion des risques liés à la santé et à la sécurité des expatriés.

10 h 00 à 11 h 00

ÉCHANGE AVEC DES ACTEURS ÉCONOMIQUES

Arnaud VAISSIÉ , Président directeur général de INTERNATIONAL SOS et président du réseau des 112 CCI françaises à l'international (CCI-FI)

David BLANC , entrepreneur et vice-président de l'UFE GB et président de l'UFE CORPORATE GB

Philippe CHALON, Directeur des affaires externes d'INTERNATIONAL SOS, membre du cercle d'outre-Manche

Olivier MOREL , avocat, Président de la Section Royaume-Uni des Conseillers du commerce extérieur de la France et référant PME Parrainage

Nathalie RACHOU , président directeur général de TOPIARY FINANCE Ltd

Stéphane RAMBOSSON , entrepreneur et administrateur de la Chambre de commerce française en Grande-Bretagne

Alain TAÏEB , président de MOBILITAS

11 h 00 à 12 h 30

TABLE RONDE AVEC DES ENTREPRENEURS INSTALLÉS AU ROYAUME-UNI

Témoignages de créateurs d'entreprises ou d'exportateurs implantés au Royaume-Uni

Fabrice BEILLEVAIRE, Directeur de la Fromagerie BEILLEVAIRE

Serge BETSEN , ancien sportif international de haut niveau, fondateur de SERGE BETSEN ACADEMY et de BUSINESS CONSULTING

Marie-Cécile BOULLE, Directeur de la Société BOULLE INTERNATIONAL

Jean-Claude COTHIAS , Directeur des opérations du groupe NOST

Nicolas GUINET, Directeur financier d'ALTRAN R.U.

Stéphane LEDUC , Fondateur des ÉDITIONS LEDUC.S à Paris et de PTOLEMY'S BOOK CLUB LIMITED à Londres. Président du Centre des jeunes dirigeants (CJD) de Londres

Stéphane OURY, Directeur général de YONDER & BEYOND VENTURES

Nathalie RACHOU , président directeur général de TOPIARY FINANCE Ltd

Alain TAÏEB , président de MOBILITAS

Mme Patricia CONNELL , fondatrice du site internet FRANCE IN LONDON.

12 h 30 à 14 h 00

Déjeuner avec Madame Syvie BERMANN, ambassadeur de France au Royaume-Uni

14 h 00 - 14 h 30

Transfert

14 h 30 à 15 h 30

Visite de la société EKIMETRICS

Quentin MICHARD , Directeur général, accueillera la délégation dans le quartier de Shoreditch au coeur des Digital Tech.

15 h 30

Transfert vers le Centre Charles Peguy

16 h 00 à 17 h 00

Visite du Centre Charles PEGUY

Le centre Charles PÉGUY est une « Charity » au service de l'emploi et de l'insertion des jeunes expatriés français au Royaume-Uni. Le centre parvient à trouver du travail à un millier de nos jeunes compatriotes, chaque année.

17 h 00 à 17 h 30

Transfert vers la Gare de Saint Pancras

18 h 31

Départ de Saint Pancras pour Paris

21 h 51

Arrivée à la Gare du Nord

2. Compte rendu du déplacement à Londres devant la Délégation, réunie le 16 avril 2015

Mme Élisabeth Lamure, présidente.- Nous nous réunissons aujourd'hui pour évoquer le dernier déplacement du lundi 13 avril à Londres, à l'invitation de notre collègue Olivier Cadic. Après trois séries de visites en Vendée, dans la Drôme et dans le Rhône, nous avions cerné un certain nombre de freins au développement des entreprises sur notre territoire et l'échange avec des entrepreneurs français installés au Royaume-Uni nous a permis de comparer leur situation à celles des entreprises situées dans l'hexagone. Cette expédition outre-Manche a donc constitué une étape importante dans la vie de la Délégation, et je suis heureuse que dix d'entre nous aient pu y participer. Nous avons tous été frappés par le climat optimiste d'une économie en situation de plein emploi, alors que le Royaume-Uni a été affecté plus durement que la France par la crise, ayant perdu jusqu'à sept points de produit intérieur brut (PIB) en 2008. Aujourd'hui, le taux de chômage est évalué à 5,7% et la croissance économique à 2,8%, avec de belles prévisions pour 2015. Je laisse à Olivier Cadic le soin de nous livrer les secrets de ce redressement.

M. Olivier Cadic.- Je vous remercie d'avoir accepté de proposer ce déplacement à Londres, et je suis très heureux d'avoir constaté l'intérêt suscité par ce projet puisque notre délégation était composée de dix membres. En effet mes chers collègues, Mme Lamure et moi-même étions accompagnés de Mmes Létard et Billon, ainsi que de MM. Canevet, Dominati, Durain, Karam, Nougein et Vial.

Nous avons été accueillis dans les locaux d'International SOS, une ETI créée il y a 30 ans à Singapour par deux français, MM. Arnaud Vaissié et Pascal Rey-Herme. Cette société d'assistance médicale aux expatriés et voyageurs d'affaires fédère près de 12 000 salariés dont 1 400 médecins et opère dans 76 pays. Nous avons pu apprécier la mobilisation et la forte réactivité de ses équipes tant pour des cas individuels que dans le cadre de drames collectifs tels que le passage du cyclone au Vanuatu ou encore l'accident d'hélicoptères survenu en Argentine, lors du tournage de l'émission « Dropped ».

Deux tables rondes successives ont été organisées dans les locaux d'international SOS, avec la participation d'Arnaud Vaissié, également président de CCI International qui regroupe les chambres de commerce françaises à l'étranger.

La première a réuni des acteurs économiques, avec notamment des présidents ou représentants des chambres de commerce françaises à l'international, des conseillers de commerce extérieur, ou de la chambre de commerce française en Grande-Bretagne. La seconde table ronde a permis d'entendre le témoignage concret d'une dizaine d'entrepreneurs français installés à Londres. Je tiens à préciser que les profils présents étaient particulièrement variés. J'avais pris soin d'éviter un panel « cliché » avec des Français travaillant tous dans la finance. Étaient ainsi présents le représentant d'une fromagerie familiale vendéenne implantée récemment au Royaume-Uni pour accéder aux marchés anglo-saxons et asiatiques, la fondatrice d'une société immobilière accompagnant les Français s'installant au Royaume-Uni, le directeur d'une société de « web-conseil » et d' « e-mailing », ou encore un ancien sportif international de haut niveau, Serge Betsen -les amateurs de rugby le connaissent forcément-, qui a développé une activité de conseil et créé une association après avoir renoncé à son entreprise française.

Tous ces témoignages étaient saisissants. Il n'y avait aucun doute sur l'amour de ces entrepreneurs pour la France ni sur leur espoir d'avoir un jour un cadre plus favorable pour développer davantage leur activité sur notre territoire. Pourtant nous avons mesuré le poids d'une amertume partagée, en constatant à quel point les règles françaises freinent le développement et la croissance de nos entreprises. Plusieurs ont dénoncé un tissu législatif français rempli de mesures dont personne n'interroge l'efficacité. Mais nous avons en même temps goûté à leur optimisme, puisqu'ils apportent la preuve qu'il est possible de créer de l'emploi.

Voici les principaux messages délivrés par nos interlocuteurs au cours de ces deux tables rondes, lors de leur description du système britannique.

Le premier point est d'ordre philosophique et culturel. Rappelons que le Royaume-Uni était dans une situation économique bien pire que la France il y a 30 ans, et qu'un changement de mentalité a été opéré, d'abord avec Mme Thatcher qui a changé la donne en rendant le dialogue social plus direct au sein de l'entreprise, entre patron et salariés, mais qui s'est prolongé avec Tony Blair qui a confié à son administration la mission de faciliter la vie des entreprises et donc l'emploi au Royaume-Uni. Les hauts fonctionnaires ont alors été évalués sur leur capacité à atteindre cet objectif. Plus récemment, le Gouvernement de David Cameron a choisi de faire face à la crise financière en dévaluant et en réduisant les dépenses publiques. Le résultat est aujourd'hui le suivant : une croissance de 2,8% en 2014, maintenue en 2015, et une hausse de 1,4 million d'emplois dans le secteur privé qui est venue plus que compenser la réduction de 550 000 emplois publics. En outre, le taux de chômage est tombé à 5,7%, ce qui s'apparente à une situation de plein emploi. Tous les témoignages entendus lundi convergent pour décrire la philosophie britannique : ce qui est bon pour les entreprises est bon pour les citoyens britanniques et pour le Royaume en général et doit par conséquent être prioritaire.

Les entrepreneurs français ont comparé le cadre général des deux pays : ils estiment que le sentiment largement partagé est que la France diffuse une atmosphère et des réflexes de méfiance vis-à-vis des entreprises, notamment via son administration fiscale. A l'inverse, le Royaume-Uni offre des règles claires, simples, et promeut une « attitude administrative » visant à aider et à faciliter la vie des entreprises.

De cette philosophie découle une réglementation marquée par la flexibilité. Une flexibilité qui se décline sur tous les sujets pour répondre à un objectif de pragmatisme.

Elle se traduit par les éléments suivants :

- une fiscalité peu complexe et légère sur les salaires (12% de charges patronales et autant de charges salariales), et pas de prélèvements sociaux additionnels ; soit 24% de charges sociales face à 60% en France ;

- une feuille de paie simple, avec une retenue à la source favorisant la consommation une fois le salaire versé. Les patrons présents ont pu mettre en regard le comportement économique de leurs personnels français, qui sont davantage enclins à réduire leurs dépenses pour faire face à une fiscalité fluctuante et croissante ;

- la flexibilité permet également des variations du temps de travail et donc de salaires, qui sont acceptées par les salariés lorsque l'alternative est le licenciement. Certains entrepreneurs ont été contraints de faire travailler leurs personnels 3 jours par semaine lors des périodes les plus difficiles de la crise. Cela a évité à beaucoup le chômage mais aussi, du point de vue de l'entrepreneur, une perte de compétences, fruit de leur formation dans l'entreprise. L'adaptation à la situation économique constitue un élément normal, intégré par les actifs ;

- le pragmatisme guide également l'évolution du droit du travail. D'abord il n'y pas de seuils donc pas d'effets de seuils. Ensuite, pour faire face à la crise, le Gouvernement de David Cameron a augmenté la période pendant laquelle entreprise et salarié peuvent se séparer sans formalités excessives, même s'il reste des procédures à suivre. Cette sorte de période d'essai de deux ans semble considérée comme un atout par les deux parties. Le paradoxe vertueux qui en découle, c'est que plus il est facile de débaucher, plus on embauche. Les entrepreneurs rencontrés ont tous évoqué le défi que constitue la fidélisation des personnels compétents, qui apporte très naturellement un équilibre dans les relations et favorise un dialogue « gagnant-gagnant » ;

- le pragmatisme concerne également le processus de création d'une entreprise, comme le met en évidence l'analyse comparative du Cercle d'outre-Manche dans une publication intitulée « La France et le Royaume-Uni face à la crise (2008-2014) » ;

- impôt sur les sociétés et impôt sur le revenu s'appliquent selon des barèmes progressifs, mais sans exception, ce qui semble favoriser un sentiment partagé de responsabilité;

- la fiscalité sur les plus-values est plafonnée à 10% et l'on prévoit une déduction fiscale pour les financements des jeunes entreprises jusqu'à 1,5 million de livres par an ;

- une forte incitation pour les particuliers à investir dans les start-ups avec le « Seed Enterprise Investment Scheme » qui prévoit 50% de réduction d'impôts sur le revenu pour les investissements dans les entreprises de moins de 25 salariés (en début d'existence) ; il existe aussi l'« Enterprise Investment Scheme » qui permet une déduction d'impôts de 30% du montant investi dans une entreprise ;

- par ailleurs le contentieux social est très rare, les agréments sur les indemnités de départ étant assez facilement établis ;

- enfin, la formation professionnelle est laissée à la liberté des entreprises : là aussi, le paradoxe vertueux joue à plein puisque les entreprises britanniques, qui ne sont pas obligées de financer de la formation professionnelle, en financent bien plus que les entreprises françaises, qui sont, elles, soumises à une telle contrainte de financement mutualisé : au Royaume-Uni, la formation professionnelle est dédiée aux salariés de l'entreprise et ciblée pour augmenter la performance. Sur ce sujet, je recommande également l'analyse comparative proposée par le Cercle outre-Manche.

Les témoignages convergeaient tous pour dénoncer la peur du risque comme l'un des principaux handicaps français. Cette peur concerne aussi bien le risque d'embaucher, compte tenu du risque de contentieux et financier qui pèse sur l'entrepreneur en cas de licenciement, mais aussi le risque d'un contrôle fiscal. Le nombre de contrôles est neuf fois plus élevé en France que dans les pays anglo-saxons. L'un des entrepreneurs présents nous a dit qu'actuellement il avait plus de contrôles fiscaux pour ses 20 entreprises françaises que pour la totalité de ses 60 sociétés britanniques ! Le contentieux social est également très inhibant pour les entreprises. Un chiffre intéressant nous a été donné : 20 000 dossiers sont traités chaque année par la Cour de Cassation, contre seulement 5 000 au Royaume-Uni où la Cour Suprême sélectionne les cas utiles à la jurisprudence.

Les témoignages entendus au cours de ces tables rondes ont également confirmé une tendance qui interpelle : il s'agit de l'exode des jeunes les plus compétents au Royaume-Uni. En moins de 20 ans, le phénomène d'expatriation s'est transformé en un phénomène d'immigration. La démarche n'est plus la même : les jeunes Français ne vont plus simplement vivre une expérience temporaire, ils nous quittent définitivement. Cette nouvelle tendance, confirmée par Mme l'ambassadeur de France que nous avions invitée au déjeuner, a parfaitement été illustrée lors des rencontres de l'après-midi. Je pense tout d'abord à la société Ekimetrics, société créée en 2006 par de jeunes français qui proposent de mettre les mathématiques et les statistiques au service du marketing des plus grands groupes mondiaux : le traitement numérique de masse des données clients permet d'optimiser les dépenses marketing des clients. Avec une croissance annuelle située entre 30 et 40% et bientôt 100 consultants, Ekimetrics montre que les diplômes des plus grandes écoles de commerce et d'ingénieurs perçoivent aujourd'hui le Royaume-Uni comme un pays d'opportunités professionnelles, où leurs profils sont très recherchés.

Notre seconde visite de l'après-midi a également confirmé les propos des entrepreneurs. Il s'agit du Centre Charles Péguy. Cette association créée sur le modèle d'une « charity », et subventionnée par le ministère des affaires étrangères, accueille et aide les jeunes Français à trouver du travail, voire un logement, au Royaume-Uni. Environ 1 000 jeunes trouvent ainsi un emploi chaque année. Le directeur du Centre, comme tous les jeunes présents lors de notre visite, ont partagé le constat des intervenants de la matinée : ces Français déclarent quitter la France car ils n'y trouvent pas de travail. C'est ce que nous avons entendu à plusieurs reprises. Ils savent qu'ils seront très facilement embauchés une fois arrivés à Londres, et que la flexibilité du marché du travail leur permettra d'évoluer rapidement et d'ajuster l'emploi occupé à leur niveau de compétences. Il est temps d'intégrer la mobilité dans notre approche de la problématique de l'emploi.

En conclusion, ce déplacement nous a montré que les entrepreneurs installés au Royaume-Uni sont soucieux d'aider notre pays. Ils souhaitent y contribuer en suggérant les vraies réformes de fond qui permettront enfin de lutter efficacement contre le chômage et d'accroître la compétitivité de la France. Mais aujourd'hui ils ne comprennent plus les règles qui s'imposent aux entreprises et finalement ont le sentiment qu'on ne les comprend plus du tout. Ils évoquent les points forts de notre pays, comme l'excellence de nos formations ou notre capacité à investir pour le long terme dans des projets d'infrastructures. Ils rappellent que si notre productivité est remarquable par rapport au Royaume-Uni, il faut la rapporter au choix des entrepreneurs qui privilégient en France l'acquisition de machines pour éviter de recruter de la main d'oeuvre.

Il me semble qu'il est temps de se poser les bonnes questions pour envisager, avec nos forces, comment réformer utilement en prônant une approche pragmatique. Une rencontre entre les entrepreneurs français installés au Royaume-Uni et ceux rencontrés lors de nos déplacements en France pourrait être très instructive. Les premiers pourront témoigner de leur satisfaction d'un environnement économique, professionnel et social favorable. Ensemble, ils pourraient répondre aux questions qui nous ont été posées à Londres. Alors que Mme Thatcher et M. Blair ont fait évoluer le pouvoir des syndicats et leur nature corporatiste, nos syndicats ne sont-ils pas devenus un frein en France au lieu de remplir leur rôle de facilitateur ? À quoi servent les seuils sociaux ? En quoi cela aide-t-il au développement des entreprises ? Ne pourrait-on pas fixer aux hauts fonctionnaires français un objectif de service aux entreprises ? Ne peut-on pas envisager, nous aussi, une période d'essai plus longue qui non seulement serait préférable à des successions de contrats à durée déterminée -ce que connaissent aujourd'hui 90% des personnes embauchées-, mais qui aurait également l'avantage de rééquilibrer les relations entre patrons et salariés ? Comment justifie-t-on aujourd'hui toutes les contraintes définies pour créer une entreprise ? Qu'attend-on de toutes ces règles ?

Il a fallu deux décennies pour obtenir ce consensus au Royaume-Uni : « C'est l'emploi qui crée la croissance et non l'inverse ! ». Nous devons comprendre cette logique.

En nous fondant sur cette approche, en comparant notre arsenal législatif et réglementaire avec celui qui semble convenir parfaitement à nos compatriotes installés outre-Manche, nous pourrions faire émerger les pistes de réformes prioritaires qui donneront envie à nos entrepreneurs d'embaucher à leur tour sans limite.

Mme Élisabeth Lamure, présidente.- Je vous remercie pour ce compte rendu très fidèle de ce que nous avons pu vivre et entendre lors de ce déplacement. Les nombreux témoignages des entrepreneurs ont ouvert de nouvelles perspectives et des pistes de travail intéressantes pour la Délégation. En outre, au terme de cette journée, il nous a semblé intéressant de prolonger l'échange avec les entrepreneurs français rencontrés à Londres en les invitant à Paris pour y rencontrer des entrepreneurs de nos territoires, afin qu'ils puissent partager les bonnes pratiques et les facteurs clés de réussite qu'ils ont rencontrés outre-Manche.

Mme Annick Billon .- Je tenais également à remercier M. Olivier Cadic pour la qualité de l'organisation et des intervenants rencontrés, qui nous ont permis d'avoir des échanges d'une grande richesse et de tirer le maximum d'enseignements dans le peu de temps qui nous était imparti.

Ce que je retiendrai de ce déplacement me semble, dans un sens, assez rassurant. En effet, que l'on se place d'un côté ou de l'autre de la Manche, les entrepreneurs formulent exactement les mêmes demandes et le discours tenu fait parfaitement écho à ce que la Délégation a déjà pu entendre lors de ses précédents déplacements en France.

Le message que souhaitent nous faire passer les entrepreneurs est suffisamment précis pour constituer une feuille de route assez claire pour les travaux de la Délégation.

M. Michel Canevet.- Je commencerai également par féliciter mon collègue Olivier Cadic pour la qualité des interlocuteurs que nous avons rencontrés et relever la clarté des messages qui ont été diffusés.

Par ailleurs, je tenais à partager avec vous le fruit d'une rencontre avec deux entreprises bretonnes du bio-médicament que je recevais avant-hier, au Sénat. Il s'agit d'une part, d'une entreprise de 300 personnes, installée à Rennes, et d'autre part, d'une entreprise de 40 personnes, basée à Roscoff. Toutes deux se posent la question de leur maintien en France en raison des pesanteurs administratives dans le secteur du médicament, en particulier du fait de l'Agence nationale de santé et du médicament. Elles me confiaient que de telles lourdeurs les empêchent de tenir les délais contractuels, ce qui les place dans une situation délicate vis-à-vis de leurs clients. Ces témoignages sont loin d'être isolés, comme en atteste la récurrence des plaintes des entrepreneurs face aux barrières administratives qu'ils rencontrent quotidiennement et nombreux sont ceux qui envisagent de s'exiler, non pas pour des raisons fiscales, mais pour s'extraire d'un tel carcan administratif. Force est de constater qu'il reste un long chemin de simplification à parcourir afin que l'administration ne soit plus un obstacle à l'activité des entreprises mais se mette au service des entreprises, à l'instar de ce que nous avons pu observer lors de ce déplacement.

M. Claude Nougein.- J'ai, pour ma part, été saisi du contraste entre les deux modèles français et britannique. On peut même parler de deux mondes, en dépit du fait qu'ils ne sont séparés que par deux heures de train ! Les chiffres que vous avez cités sont sans appel, nous avons d'un côté un système britannique performant et de l'autre un système français qui patine. La question qu'il convient dès lors de se poser est celle du niveau de libéralisme auquel nous voulons souscrire, car il ne fait nul doute que le succès britannique est lié au choix d'une économie très libérale. Or, lorsque l'on pousse très loin le libéralisme, cela suppose des contreparties sociales qu'il ne faut pas méconnaître et finalement, ce choix est essentiellement politique. Entre l'approche, que certains appellent ultra-libérale, et que je nommerai pour ma part libérale, de l'économie britannique et l'approche semi-étatiste, voire à tendance collectiviste, de notre économie, il existe peut-être une voie médiane à explorer.

La deuxième question que j'aimerais vous poser est celle de notre capacité, en tant que parlementaires, à faire évoluer la situation. En effet, on constate une vraie volonté de la part du gouvernement de libérer notre économie, volonté qui se heurte dans le même temps à des freins puissants émanant d'une partie de sa majorité. Si nous ne pouvons pas trouver seuls une solution clé en main aux difficultés que rencontre actuellement notre pays, nous ne pouvons pas davantage rester dans l'attentisme et déplorer notre incapacité à suivre le chemin de nos voisins, qui ont réussi à débloquer certains verrous pour renouer avec la croissance économique. Dès lors, que peut-on faire, Madame la Présidente ?

Mme Élisabeth Lamure, présidente.- Le rôle de cette Délégation est, comme nous avons commencé à le faire, d'agir pour faire écho aux demandes des entrepreneurs que nous rencontrons lors de nos déplacements sur le terrain et d'imaginer des solutions concrètes afin de sortir les entreprises de cette crise, qu'ils perçoivent, à juste titre, comme une impasse.

Au titre des comparaisons qui ont été tirées entre les deux systèmes, j'aimerais souligner que les entrepreneurs ont utilement rappelé que notre pays possédait des atouts qui lui sont propres et qu'il faut veiller à valoriser. Le premier atout est celui de notre productivité, le second réside dans la richesse de nos ressources humaines. Nous avons en France une main-d'oeuvre extrêmement qualifiée que nous formons dans les meilleures écoles. Il est regrettable d'observer leur exil vers le Royaume-Uni. Le rapport comparatif du Cercle d'outre-Manche, déjà mentionné, explique d'ailleurs que « les atouts français sont les faiblesses britanniques et les faiblesses britanniques sont les atouts français ». Nous devons donc parvenir à réaliser une sorte d'attelage entre nos systèmes respectifs pour reproduire en France les recettes du succès britannique tout en conservant nos propres atouts. Je constate également qu'au-delà d'une divergence dans les méthodes adoptées par la France et le Royaume-Uni face à la gestion de la crise, les différences relèvent surtout de l'état d'esprit de part et d'autre de la Manche.

M. Philippe Dominati.- Je tiens pareillement à remercier notre collègue Oliver Cadic pour l'excellente synthèse de notre voyage, qui met l'accent sur les points marquants de notre déplacement.

Je vois dans la Délégation aux entreprises un lieu où nous pouvons et devons transcender les clivages politiques pour proposer un certain nombre de mesures concrètes, directement inspirées de nos déplacements et des échanges avec les entrepreneurs, pour soutenir nos entreprises. À défaut de telles actions, la Délégation n'aurait qu'un simple rôle d'observatoire.

Je tiens d'ailleurs à souligner l'intervention de Mme l'ambassadeur de France au Royaume-Uni, qui a semblé nous dire que le Premier ministre français, lors de sa visite dans la City , avait salué l'approche et l'état d'esprit de nos voisins britanniques en affirmant que « ce qui est bon pour les entreprises britanniques est bon pour les entreprises françaises ». Il serait intéressant de savoir dans quelle mesure l'exécutif serait prêt à reprendre à son compte ou à soutenir des mesures directement inspirées du système britannique.

La troisième observation que j'aimerais faire concerne la productivité qui constitue l'un de nos atouts spécifiques. J'estime pour ma part que la différence constatée avec le Royaume-Uni sur ce point, résulte directement des choix de politiques publiques opérés par nos deux pays qui ont adopté des solutions antagonistes pour parvenir au même but. Alors que le Royaume-Uni a été prêt à sacrifier une partie de sa productivité au nom du plein emploi, notre approche a été, à l'inverse, de prôner la productivité afin qu'en découle le plein emploi. Il me semblerait intéressant d'examiner l'impact des deux approches et de creuser la question de leur contrariété qui est pour le moins surprenante.

Pour conclure mon propos, je dirais qu'il existe un certain nombre de sujets sur lesquels la Délégation peut trouver des consensus, concentrer son travail et proposer des mesures concrètes sans attendre un éventuel changement de majorité. Nous avons le choix d'attendre ou d'adopter une attitude proactive afin d'amener le gouvernement dans la voie du soutien aux entreprises.

M. Jérôme Durain. - Je m'associe tout d'abord aux remerciements pour l'organisation de la journée qui fut riche en échanges et en enseignements.

Je ne partage en revanche pas l'enthousiasme de certains de mes collègues vis-à-vis de toutes les solutions adoptées par le Royaume-Uni, en raison de ma sensibilité politique, comme vous pouvez vous en douter. Néanmoins, nous avons abordé lors de ce déplacement des problématiques que je rencontre au niveau local, en particulier celles relatives aux lourdeurs administratives qui brident les initiatives de nos entreprises.

À propos de la flexibilité du marché du travail, j'émettrais pour ma part des réserves quant au modèle proposé outre-Manche. Certes, la grande liberté d'entrée et de sortie du contrat de travail offre une vitalité économique que d'aucuns envient au Royaume-Uni, mais je rejoins aussitôt mon collègue qui pointait l'incompatibilité de certains aspects du modèle britannique avec les choix de politiques publiques français. Au regard du pacte social qui est le nôtre, ce modèle ne me semble pas transposable en l'état. En effet, lorsque le marché du travail offre la possibilité d'embaucher et de débaucher très facilement, cette grande liberté a pour corollaire une grande fragilité pour les salariés, ce qui ne correspond pas au modèle social que nous avons choisi. Il s'agit également de rester prudent dans notre diagnostic du succès britannique car la réussite de ce modèle dépend largement d'une culture du risque et d'un état d'esprit très libéral que l'on ne retrouve pas tels quels en France et qui sont plus difficilement imitables.

Je retiendrai donc plutôt comme source d'inspiration et de soutien à la liberté d'entreprendre, le modèle d'une administration au service des entreprises.

M. Jean-Pierre Vial. - Pour rebondir sur le choc culturel qu'ont ressenti certains de mes collègues, il est vrai que l'on revient de ce déplacement assez ébahis quant à l'étendue des différences d'état d'esprit entre nos deux pays. Passé cet émerveillement, il convient de rappeler que même avec une culture autrement plus libérale que la nôtre, le Royaume-Uni a mis vingt ans pour se réformer. Compte tenu des différences culturelles et de notre aversion à réformer, le chemin semble assez long pour atteindre les mêmes résultats en France. Néanmoins, cette journée nous a tout de même ouvert des pistes de travail et des perspectives à examiner.

Par ailleurs, j'aimerais revenir sur un point de méthodologie. Je rappelle que la Délégation aux collectivités territoriales auditionne ce matin le Secrétaire d'État à la modernisation de l'État et à la simplification et qu'il existe une commission d'enquête consacrée au crédit d'impôt recherche. Ce sont autant de sujets qui intéressent directement la Délégation aux entreprises et qui pourraient, en sus de nos déplacements, venir nourrir notre réflexion. Comment pouvons-nous profiter des réflexions menées dans le cadre de ces travaux ?

M. Michel Vaspart .- Je n'ai malheureusement pas pu participer au dernier déplacement de la Délégation à Londres mais j'aimerais apporter un témoignage et réagir aux dernières interventions de mes collègues.

Pour ma part j'estime que notre pays est bloqué par son histoire et par sa culture. Le blocage ne se trouve pas exclusivement au niveau de nos entreprises mais se retrouve à tous les niveaux. Entreprises et collectivités se heurtent à des freins dès lors qu'elles tentent de monter un projet, et ce en raison de l'excès de normes et de réglementations. Il est d'autant plus difficile de lutter contre ces dernières que nous manquons cruellement de pragmatisme, à la différence de nos voisins anglais. Nous sommes enfermés dans des dogmes et produisons des normes qui s'érigent comme autant de barrières pour toute réforme du système établi.

Par ailleurs, et au risque d'être politiquement incorrect, j'aimerais souligner le fait que ces normes et règlements, que nous votons en tant que parlementaires, sans en mesurer l'impact effectif, semblent parfois directement dictés par l'administration dont on ressent le poids à tous les niveaux. C'est ici mon sentiment et je tenais à l'exprimer sans ambages.

Pour rebondir sur l'observation de notre collègue M. Dominati sur la productivité française, j'estime pour ma part que cette forte productivité n'est pas tant une volonté de nos politiques qu'une conséquence de l'adaptation de nos entreprises aux obstacles qui leur ont été imposés. Ainsi, le passage aux 35 heures a contraint les entreprises à rester compétitives tout en abaissant leur temps de travail de 10% par rapport aux pays voisins, l'excès des lois et règlements les a forcées à trouver des gains de productivité pour continuer leur développement malgré l'inflation de normes. Cette productivité dont on peut se féliciter a aussi ses limites. En effet, pour un certain type d'emploi, la hausse de productivité entraîne davantage de maladies professionnelles et peut-être même d'accidents du travail. On le constate dans le secteur agroalimentaire, en Bretagne notamment.

Pour ma part, je ne suis pas convaincu que les clés soient entre les mains de notre seule Délégation ou de sa Présidente, mais bien davantage dans les mains des gouvernements en place, le fonctionnement de nos institutions donnant un poids prépondérant à l'exécutif par rapport au pouvoir législatif.

En outre, je rejoins mes collègues qui soulignent que le changement majeur à opérer est celui des mentalités. Mais c'est un travail de longue haleine et nous avons besoin de toute urgence de mesures concrètes pour les entrepreneurs. En tant que parlementaires, nous pouvons nous atteler à cette mission.

M. Olivier Cadic.- Nous souhaitons tous pouvoir proposer rapidement des mesures en faveur des entrepreneurs et j'aimerais à cet égard souligner que le succès britannique tient à ce qu'il s'est fixé l'emploi comme priorité face à la crise. En définitive, s'il ne fallait retenir qu'une chose de ce déplacement c'est l'idée que « c'est l'emploi qui fait la croissance et non l'inverse ». Nous devons sans cesse nous rappeler que la croissance n'est qu'une conséquence de la priorité à l'emploi et que seul le succès sur le front de l'emploi est apte à nous faire renouer avec la croissance.

M. Michel Canevet.- Pour revenir sur la nécessité d'agir rapidement, ne pourrions-nous pas imaginer un certain nombre de mesures de simplification administrative que l'on présenterait au secrétaire d'État à la simplification ? Les lourdeurs administratives sont l'élément qui ressort de l'ensemble de nos déplacements dans les territoires et qui semble faire consensus.

Mme Élisabeth Lamure, présidente.- Proposer des mesures de simplification est un objectif à part entière de la Délégation et nous pourrions recroiser les résultats du sondage sur les bonnes pratiques des collectivités en faveur des entreprises avec les pistes que nous avons collectées sur le terrain pour déterminer les mesures de simplification administrative à mettre en oeuvre rapidement.

3. Question orale avec débat sur le gel de la réglementation concernant les entreprises le 10 juin 2015 au Sénat

SÉNAT - SÉANCE DU 10 JUIN 2015

Gel de la réglementation concernant les entreprises

Discussion d'une question orale avec débat

Madame la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion, à la demande de la délégation sénatoriale aux entreprises, de la question orale avec débat n° 11 de Mme Élisabeth Lamure à M. le Premier ministre sur le bilan de la circulaire du 17 juillet 2013 relative à la mise en oeuvre du gel de la réglementation en ce qui concerne les entreprises.

Cette question est ainsi libellée :

« Mme Élisabeth Lamure attire l'attention de M. le Premier ministre sur le bilan de la circulaire du 17 juillet 2013 relative à la mise en oeuvre du gel de la réglementation en ce qui concerne les entreprises.

« La délégation sénatoriale aux entreprises, créée en novembre 2014, est chargée d'informer le Sénat sur la situation et les perspectives de développement des entreprises, de recenser les obstacles à leur développement et de proposer des mesures visant à favoriser l'esprit d'entreprise et à simplifier les normes applicables à l'activité économique, en vue d'encourager la croissance et l'emploi dans les territoires. À cette fin, elle a entrepris d'aller à la rencontre des entrepreneurs et effectué ses premiers déplacements en Vendée, dans la Drôme, le Rhône et l'Hérault. Elle s'est aussi rendue à Londres le 13 avril 2015 afin de comparer l'environnement des entreprises de part et d'autre de la Manche.

« Lors de tous ses déplacements, la délégation a pu recueillir les témoignages convergents des entrepreneurs, dénonçant la lourdeur, la complexité et l'instabilité du cadre réglementaire. Elle a aussi relevé que le Royaume-Uni avait adopté en mars 2015 une loi relative aux petites et moyennes entreprises -PME- et à l'emploi - Small business, Enterprise and employment act - qui comprend une règle visant la déflation législative : désormais, le gouvernement du Royaume-Uni devra respecter, sur la durée de la législature -cinq ans-, un objectif de simplification réglementaire, destiné à favoriser la croissance des entreprises et fixé au début de chaque législature.

« Si la France ne s'est pas encore dotée d'une telle disposition d'ordre législatif, son Premier ministre a publié une circulaire relative à la mise en oeuvre du gel de la réglementation, datée du 17 juillet 2013 ; elle prévoit qu'"un projet de texte réglementaire nouveau créant des charges pour [...] les entreprises [...] ne pourra être adopté que s'il s'accompagne, à titre de « gage », d'une simplification équivalente".

« Soucieuse de faciliter la vie des entreprises afin de soutenir l'emploi et la croissance dans nos territoires, elle souhaite le solliciter, au nom de la délégation aux entreprises, afin qu'il présente au Sénat le bilan d'application, par les ministres et secrétaires d'État, de la règle posée par cette circulaire, selon laquelle un projet de texte réglementaire créant des charges pour les entreprises ne pourra être adopté que s'il est accompagné d'une simplification correspondante. »

La parole est à Mme Élisabeth Lamure, auteur de la question.

Mme Élisabeth Lamure, auteur de la question. Madame la présidente, Monsieur le secrétaire d'État chargé de la réforme de l'État et de la simplification, mes chers collègues, le chômage en France n'en finit pas d'augmenter. Aujourd'hui, 3 536 000 Français se trouvent sans activité. C'est un triste record pour notre pays, et ce malgré l'euro faible, malgré la politique accommodante de la Banque centrale européenne, malgré le prix bas du pétrole, malgré les prémices de reprise...

Or nous sommes nombreux à avoir la conviction que les entreprises détiennent la clé de l'emploi et de la croissance sur notre territoire. C'est pourquoi le président Gérard Larcher a proposé au bureau du Sénat, à la fin de l'année dernière, de créer une délégation aux entreprises. Cette délégation, que j'ai l'honneur de présider, est précisément chargée de recenser les obstacles au développement des entreprises et de proposer des mesures visant à simplifier les normes applicables à l'activité économique.

C'est à cette fin que les sénateurs de la délégation aux entreprises vont à la rencontre des entrepreneurs depuis six mois. Dans les différents départements dans lesquels nous nous sommes rendus, nous avons écouté une centaine d'entre eux, à la tête d'entreprises de taille petite, moyenne ou intermédiaire qui font vivre nos territoires. Tous nous ont alertés sur le poids de la réglementation et sur l'énergie qu'ils doivent y consacrer, au détriment des projets d'avenir pour leur entreprise.

Je ne pourrai pas rapporter ici la richesse de nos échanges ni les nuances locales, mais il me semble important de vous indiquer, monsieur le secrétaire d'État, l'élément clé qui en ressort. Ce que nous ont essentiellement dit les entrepreneurs, c'est : « Laissez-nous travailler ! » En effet, la complexité des règles à appliquer, conjuguée à leur instabilité, prend un temps considérable aux entreprises - cette part est de 20 % à 30 %, nous a précisé un entrepreneur de la Drôme.

Les normes sont trop nombreuses dans tous les domaines, à commencer par le domaine social. Le code du travail, on le sait, est particulièrement épais en France. Une entreprise nous a d'ailleurs indiqué que l'embauche du cinquantième salarié entraînait tellement d'obligations qu'elle imposait le recrutement d'un cinquante et unième salarié pour tout gérer. Une autre a pointé la lourdeur de la déclaration obligatoire d'emploi des travailleurs handicapés. Toutes dénoncent en outre la complexité du compte pénibilité.

Dans le domaine de la construction, les normes s'empilent également, au nom du principe de précaution : prévention des risques technologiques, normes antisismiques, protection de l'environnement, etc.

En matière fiscale, le maquis réglementaire est tel que nombre d'entreprises appellent de leurs voeux une généralisation du rescrit.

De surcroît, la complexité de la transmission d'entreprise nous a souvent été rapportée. Une entreprise familiale nous a dit songer à monter une holding pour faciliter sa transmission !

La prolifération des normes soulève des questions juridiques, mais, je tiens à le souligner, elle constitue également un sujet économique majeur. Non seulement ces normes engendrent des coûts élevés, estimés à 60 milliards d'euros par la commission Attali, en 2008, mais elles pèsent aussi sur l'attractivité de notre pays. Notre ancien collègue Alain Lambert et notre collègue Jean-Claude Boulard ont dénoncé cette situation dans un rapport percutant remis en mars 2013 au Premier ministre de l'époque, Jean-Marc Ayrault.

Le Gouvernement en a pris acte. C'est ainsi que, le 17 juillet 2013, M. Ayrault a adressé une circulaire aux membres du Gouvernement pour les inviter à geler la réglementation. Ce texte indique notamment que toute norme créée doit s'accompagner d'une simplification équivalente. Ce système de gage vise à la fois les collectivités territoriales et les entreprises. Ce sont naturellement ces dernières qui préoccupent notre délégation. Voilà pourquoi nous vous demandons, monsieur le secrétaire d'État, de nous présenter aujourd'hui le bilan d'application de cette circulaire, dont je ne suis pas tout à fait certaine que les entreprises ressentent les effets.

Ainsi, quelle méthodologie le Gouvernement suit-il pour mettre cette règle en application ? Chacun de ses membres a- t-il recensé les textes applicables dans son champ de compétences, évalué le coût de ces normes et repéré les dispositions obsolètes ou inutiles susceptibles d'être supprimées ? Comment sont précisément évaluées les charges induites, pour les entreprises, par chaque disposition existante ou envisagée, et avec quels outils ? Vérifie-t-on, norme pour norme, que la réduction de charges permise par la suppression de l'une compense l'augmentation de charges résultant de l'adoption de l'autre ? Ce travail est-il effectué à une échelle consolidée par ministère ou bien au niveau de l'ensemble de notre corpus juridique ? Comment le secrétariat général du Gouvernement supervise-t-il la mise en oeuvre de cette circulaire ? Les administrations centrales et déconcentrées sont-elles responsabilisées et mobilisées pour atteindre le but fixé ? Surtout, pouvez-vous nous dire dans quelle mesure cet objectif a été atteint ?

Vous ne l'ignorez pas, d'autres grands pays européens peuvent inspirer notre action en ce domaine. Ainsi, l'Allemagne a son Normenkontrollrat . Cet organe indépendant a été créé en 2006 par le gouvernement allemand pour réduire la bureaucratie. Il offre une évaluation précise et transparente de la charge induite par toute nouvelle disposition, avant son adoption.

De même, le Royaume-Uni dispose du Regulatory Policy Committee , créé en 2009 et chargé de vérifier les estimations des coûts et bénéfices de chaque norme envisagée, en termes économiques, sociaux et environnementaux. Cet organe accompagne le gouvernement britannique dans l'application de la règle qu'il s'est fixée pour réduire le poids des normes.

Au reste, le Conseil de la simplification pour les entreprises d'avril 2014 avait préconisé, en priorité, la création d'une instance équivalente pour la France : la semaine dernière, vous avez annoncé sa mise en place au 1er juillet. Pouvez- vous nous le confirmer ?

À l'origine, la règle britannique ressemblait à celle fixée dans la circulaire dont nous débattons aujourd'hui : « one-in, one-out ». Mais le gouvernement britannique a revu, en 2013, son ambition à la hausse, avec le mot d'ordre « one-in, two- out » : une livre sterling de charges créées par l'adoption d'une nouvelle norme doit s'accompagner de la suppression, non plus d'une, mais de deux livres sterling de charges existantes. Cette ambition de déflation législative est désormais gravée dans le marbre de la loi. En effet, lors de notre déplacement à Londres, en avril dernier, nous avons appris que le Royaume- Uni venait d'adopter, le mois précédent, une loi relative aux PME et à l'emploi. Ce texte contraint le gouvernement à respecter, sur la durée de la législature, un objectif de simplification réglementaire destiné à favoriser la croissance des entreprises.

L'enjeu de la prolifération normative n'est pas strictement quantitatif : il implique une plus profonde évolution, d'ordre qualitatif. Il s'agit d'entrer dans une culture du résultat ; cela signifie évaluer les effets des dispositions applicables, en aval, pour éventuellement les réajuster, mais aussi, en amont, mieux documenter les études d'impact. Certes, les projets de loi doivent déjà être assortis d'une étude d'impact, mais ces documents se révèlent souvent trop légers. Le Conseil d'État lui-même a récemment dressé ce constat : dans sa délibération du 8 décembre 2014 relative au projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, il n'a pu que « déplorer, à la date de sa saisine du projet de loi, le caractère lacunaire et les graves insuffisances de l'étude d'impact sur nombre de dispositions du projet ».

La délégation sénatoriale aux entreprises éprouve le besoin de disposer d'études ciblées et documentées, pour être à même d'assurer convenablement la mission d'« examiner les dispositions des projets et propositions de loi comportant des normes applicables aux entreprises » que lui a confiée le bureau du Sénat. La délégation a également reçu du bureau du Sénat la mission de « proposer des mesures visant à favoriser l'esprit d'entreprise et à simplifier les normes applicables à l'activité économique, en vue d'encourager la croissance et l'emploi dans les territoires ». Elle a donc besoin d'évaluer les conséquences des mesures proposées par les entrepreneurs qu'elle rencontre sur le terrain. C'est pourquoi nous envisageons de recourir à des études d'impact au cours des prochaines années.

La commission Juncker plaide elle aussi en ce sens au niveau européen. Monsieur le secrétaire d'État, comment le gouvernement auquel vous appartenez entend-il prendre sa part dans cette évolution ?

Enfin, j'aborderai la question du poids des normes pour nos entreprises sous un angle plus large.

De nos échanges avec les entrepreneurs français implantés dans nos territoires, il ressort que les normes leur pèsent tout autant par leur nombre et leur instabilité que par l'état d'esprit qui anime l'administration chargée de leur application.

Tout d'abord, notre administration se comporte comme un contrôleur de l'application des normes, au lieu d'accompagner ou de conseiller les entreprises, afin qu'elles s'y conforment. Partout où nous les avons rencontrés, les entrepreneurs nous ont lancé : « Faites-nous confiance ! »

Depuis quelques mois, le Premier ministre déclare dans toutes les langues qu'il aime les entreprises.

M. Jean-Claude Lenoir. Il aime aussi le football !

Mme Élisabeth Lamure. Toutefois, pour notre part, nous avons senti une forme de dépit amoureux chez les entrepreneurs. Ces derniers se sentent soupçonnés d'emblée. Ainsi, l'un d'eux a reçu, à titre purement préventif, un courrier l'informant que si d'aventure son entreprise ne respectait pas les 35 heures, il s'exposerait à des poursuites pénales.

Plusieurs chefs d'entreprise déplorent, par exemple, de n'être pas jugés assez responsables pour assurer la sécurité de leurs apprentis, au point de la garantir par des règles si contraignantes qu'elles en deviennent absurdes et paralysantes. D'ailleurs, le Gouvernement a bien été obligé de les revoir récemment. Faisons confiance aux entreprises, au lieu de les présumer coupables !

La délégation aux entreprises l'a constaté en se rendant à Londres, les sociétés qui ont un pied de chaque côté de la Manche nous ont fait part de la différence d'approche fondamentale entre les administrations nationales. La confiance que l'administration britannique accorde aux entreprises libère l'élan entrepreneurial, ce qui ne l'empêche pas de sanctionner sans états d'âme les cas d'infraction. En France, nombre de ceux qui ont par exemple sollicité un crédit d'impôt recherche ont témoigné avoir subi, dans la foulée, un contrôle fiscal.

M. Jean-Claude Lenoir. Et voilà !

Mme Élisabeth Lamure. Comme si l'on était suspect dès lors que l'on innove !

Ainsi, trop occupée à contrôler plutôt qu'à accompagner, notre administration a trop souvent tendance à pécher par excès de zèle dans son interprétation des normes.

Sur le terrain, de nombreuses entreprises attestent de la concurrence déloyale qu'elles subissent de la part de leurs compétiteurs, même européens, soumis à des normes moins sévères. Comment expliquer cette situation, sinon par une naïveté européenne dans les négociations commerciales et par une surtransposition française des directives communautaires ? La circulaire dont nous examinons l'application avait elle-même identifié cette difficulté précise, puisqu'elle invitait l'administration à justifier expressément toute règle plus exigeante imposée par la France. À l'occasion du bilan que nous en dressons aujourd'hui, pouvez-vous nous dire ce qu'il est advenu de cette mesure, que vous avez annoncée à nouveau la semaine dernière alors qu'elle figurait déjà dans la circulaire de 2013 ?

Au demeurant, la nouvelle Commission européenne vient de proposer, dans son paquet « Mieux légiférer », que chaque État membre opère une claire distinction entre ce qui est décidé à Bruxelles et ce qui est ajouté au niveau national, régional ou local.

M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l'État et de la simplification. Voilà !

Mme Élisabeth Lamure. Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les entreprises sont le berceau de la croissance et de l'emploi pour nos territoires. Il ne suffit pas de les aimer ; nous devons tous chercher à leur simplifier la vie, pour leur laisser le temps de travailler et d'innover et leur permettre d'être plus compétitives.

Nous devons engager un changement d'état d'esprit et faire confiance par principe aux entreprises. C'est une dimension importante de notre combat contre le chômage ! Les règles, les protections, les normes rassurent, certes, mais notre ambition, ce n'est pas de nous cramponner. Notre enjeu, ce n'est pas simplement de maintenir les emplois, c'est d'en créer. Faisons des normes un facteur de croissance et de compétitivité, pour que la France tienne une place solide dans l'économie mondiale ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel.

M. Henri Cabanel. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les entrepreneurs sont unanimes pour saluer le bien-fondé de la création de liens forts entre les parlementaires et le monde de l'entreprise. C'est une démarche dans laquelle je me suis moi-même engagé dès mon élection, en lançant un tour des entreprises du département dont je suis l'élu, l'Hérault, pour aller au plus près de la réalité économique.

Je tiens à remercier notre collègue Élisabeth Lamure de la manière dont elle anime la délégation sénatoriale aux entreprises, dont elle est la présidente. L'action de la délégation s'appuie sur la rencontre avec les PME et les TPE, qui représentent 99,8 % des entreprises françaises et emploient 50% des salariés. Ce faisant, nous sommes au plus près des territoires grâce à nos déplacements sur le terrain.

La majorité des entrepreneurs ont exposé des problématiques récurrentes, quels que soient les territoires. Le contraire aurait été étonnant, compte tenu du marasme économique actuel. Cependant, quand un entrepreneur fait preuve d'audace et d'écoute dans son management, on peut encore trouver, en France, des patrons et des salariés heureux. À Valrhona, dans la Drôme, nous avons été accueillis par une banderole portant cette inscription : « Bienvenue aux sénateurs dans une entreprise où tout va bien ! » Derrière cette phrase teintée d'humour, il y a une démarche de ressources humaines. En effet, 84 % des salariés sont heureux de travailler dans cette société, 11e au classement national Great place to work .

Évidemment, mon but n'est pas de vous faire croire que tous les problèmes sont déjà résolus dans notre pays. Nos multiples échanges avec le monde de l'entreprise nous ont permis d'identifier une véritable soif de simplification. C'est un combat mené par le Gouvernement.

Alors que la majorité précédente ne devait ses mouvements de simplification qu'à l'action courageuse de certains parlementaires, le gouvernement actuel s'est saisi pleinement de cette thématique en accompagnant, pour la première fois, l'action parlementaire par un secrétariat d'État dédié.

M. Martial Bourquin. Très juste !

M. Henri Cabanel. À cet égard, monsieur le secrétaire d'État, je vous remercie de votre engagement et de votre travail.

Résultat : plus de 200 mesures de simplification concernant les entreprises ont été prises depuis avril 2014.

M. Martial Bourquin. Il était temps d'agir !

M. Henri Cabanel. Pour preuve du lien étroit entre l'action menée par le Gouvernement et les requêtes exprimées par les entreprises, je citerai les demandes des entreprises de l'Hérault, que nous avons visitées, et les réponses apportées via les récentes annonces faites par le Premier ministre et par vous-même.

La surtransposition des normes constitue un premier sujet. Force est de l'admettre, nous vivons dans un pays où l'on aime bien ajouter des normes aux normes, en particulier aux normes européennes. Une entreprise de charcuterie, Les Brasérades, nous a saisis du problème du bisulfite. Interdit en France et autorisé dans d'autres États d'Europe, ce composé chimique est employé pour accroître la durée de conservation de produits qui peuvent être, dans un second temps, vendus dans notre pays. En résulte une iniquité au niveau de la concurrence.

Le Gouvernement vient d'annoncer des mesures très claires encadrant les dispositions françaises, lorsqu'elles sont plus contraignantes que les exigences européennes : commencer par tester les textes européens sur des panels d'entreprises ; mettre en place des processus d'explication et de justification obligatoires en cas de surtransposition ; réexaminer les surtranspositions antérieures dans les mêmes conditions.

Deuxième sujet : l'apprentissage. La société d'intérêt collectif agricole des Vergers de Mauguio a soulevé la problématique très connue des escabeaux. Nous sommes là face à l'exemple caricatural d'une norme sans doute pensée par des personnes n'ayant jamais vu d'arbres fruitiers, ni de près ni de loin.

M. Roland Courteau. C'est bien possible !

M. Henri Cabanel. Annoncés par François Rebsamen au Sénat et lors des Assises de l'apprentissage, deux décrets importants, datés du 17 avril 2015, sont entrés en vigueur le 2 mai dernier. Ils simplifient la procédure de dérogation aux travaux interdits. Avec le premier décret, les jeunes de quinze à dix-huit ans - apprentis, titulaires de contrats professionnels, stagiaires, élèves, étudiants - peuvent désormais utiliser des échelles, des escabeaux et des marchepieds, dans les conditions prévues par les dispositions de droit commun du code du travail.

M. Roland Courteau. Eh bien voilà !

M. Henri Cabanel. Le second décret entoure le travail et la formation des jeunes munis d'un équipement de protection individuelle. Nous espérons que cet assouplissement, couplé au financement par l'État des charges des jeunes apprentis la première année de leur contrat, favorisera leur embauche.

Troisième sujet : l'interprétation du cadre législatif par les services de l'État. Au-delà des entreprises rencontrées par la délégation sénatoriale dans l'Hérault, de nombreux entrepreneurs, comme EDF Énergies nouvelles, la société Quadran ou Irrifrance, ont témoigné de l'interprétation des textes législatifs par les fonctionnaires de l'État, notamment en ce qui concerne les projets d'énergies renouvelables. Là encore, l'enjeu est l'équité.

Le Gouvernement, conscient de ce problème de cloisonnement entre les administrations, vient d'annoncer que des doctrines nationales seront clairement affichées pour chaque corps de contrôle, dans un souci de partage transversal de pratiques et de connaissances. Les décisions d'interprétation devront être publiées régulièrement et rendues facilement accessibles à l'ensemble des entreprises.

Quatrième sujet : les seuils sociaux. Les responsables de l'entreprise héraultaise Médithau, spécialisée dans la production et la vente de coquillages - c'est certainement celle à laquelle Mme Lamure faisait référence dans son propos -, nous ont expliqué qu'ils avaient créé une autre société pour éviter de dépasser le seuil de cinquante salariés.

Le Gouvernement a annoncé hier deux mesures phares : la suppression des deux premiers seuils pour commencer avec un seuil de onze salariés et le gel des prélèvements fiscaux et sociaux pendant trois ans concernant le seuil de cinquante salariés, afin de permettre aux entreprises de s'adapter. Ces mesures ont pour objectif de doper l'embauche au sein des TPE et des PME, comme l'aide de 4 000 euros promise aux TPE embauchant un premier salarié en CDI ou en CDD de plus de douze mois.

Cinquième sujet : l'agriculture. Lors de notre visite de la cave coopérative Terroirs de la voie domitienne, nos interlocuteurs ont principalement évoqué les problèmes posés par la lourdeur administrative. Sur ce point encore, les réponses du Gouvernement sont concrètes, avec la dématérialisation de nombreuses formalités telles que les déclarations ou les autorisations de plantation et la mise en place du nouveau titre emploi-service agricole, qui permettra une extension importante du champ des bénéficiaires. En outre, la majorité des contrôles sur le lieu de l'exploitation seront remplacés par des contrôles sur la base de pièces justificatives. Les caves coopératives souhaitent cependant se voir offrir la possibilité de ne faire qu'une seule déclaration de récolte par entité, plutôt que des déclarations individuelles, comme c'est le cas aujourd'hui.

Ce chantier de la simplification n'est pas achevé, mais il faut saluer le travail déjà effectué. Notre rôle de parlementaire nous impose non seulement de communiquer sans modération sur ces nouvelles mesures auprès des entrepreneurs, mais aussi d'en faire le bilan avec eux dans quelques mois, peut- être dans le cadre de la délégation aux entreprises. Je nourris l'espoir que les déplacements à venir de la délégation sénatoriale soient accueillis par de nombreuses banderoles comme celle que nous avons vue dans la Drôme : « Bienvenue dans une entreprise où tout va bien ! » Cela sera le signe que notre travail aura porté ses fruits. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Watrin.

M. Dominique Watrin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, cette question de l'application du gel de la réglementation, surtout en direction des entreprises, posée par la circulaire du 17 juillet 2013, prolonge le débat que nous avons eu il y a peu dans cet hémicycle au sujet du Conseil national d'évaluation des normes. À cet égard, je partage les propos de ma collègue Cécile Cukierman. Malgré le flot de critiques, la prolifération normative et l'insécurité juridique qui en résulte s'accentuent, notamment avec le projet de loi Macron. Près de 300 articles nous ont été soumis, de surcroît en procédure accélérée. En somme, pour faire moins de normes, faisons plus de normes !

Nous ne pensons pas que cette inflation soit due au « zèle normatif » des administrations centrales ou déconcentrées de l'État. Cette vision caricaturale minimise l'exigence de clarté du droit, inscrite dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel. En réalité, il n'y a pas de « volonté perverse de quelques administrateurs » mais une volonté de produire la norme la meilleure, et ce au service de la sécurité juridique. Un rapport d'information de la commission des lois d'avril dernier intitulé Droit des entreprises : enjeux d'attractivité internationale, enjeux de souveraineté précise d'ailleurs que « la situation des entreprises françaises n'est pas préoccupante du point de vue du droit qui leur est applicable ».

En réalité, il est délicat de concilier simplification administrative et légitimité de l'action publique au service d'une société solidaire et de progrès. Si la norme peut être contraignante à l'égard de certains, à plus long terme, elle en protège d'autres. Derrière le leitmotiv de la simplification ne se cache- t-il pas une volonté pure et simple de dérégulation ?

Nous ne nions pas les difficultés rencontrées par nos entreprises. Nous voudrions rappeler que leur exacerbation est en grande partie liée à l'insuffisance des moyens financiers au service des PME et des TPE ainsi qu'au retrait de l'État et à la diminution du nombre de fonctionnaires, les restructurations des services administratifs s'intensifiant par la réduction en personnel, par les mutualisations, par les privatisations larvées de services publics.

Quant à la dérégulation et au « moins d'État » qui se profilent souvent derrière une démarche dite de « simplification », la circulaire du 17 juillet 2013 n'échappe pas à la règle : tout nouveau texte réglementaire créant des charges pour les collectivités, les entreprises ou le public « ne pourra être adopté que s'il s'accompagne, à titre de "gage", d'une simplification équivalente ». Selon le vocabulaire même de la circulaire, les normes, juridiques, administratives et techniques, sont donc considérées comme de simples marchandises dont il faudrait « vérifier les volumes, peser les poids, évaluer les validités jusqu'à signifier les dates de préemption », pour reprendre les termes du professeur Geneviève Koubi. C'est là où nous pensons qu'il faut être particulièrement vigilant, car, selon la circulaire, toute réglementation nouvelle doit désormais contribuer positivement à l'effort de simplification du droit. Est-ce vraiment ainsi qu'on relancera les entreprises ? Ne serait-ce pas plutôt en améliorant leur carnet de commandes ?

De plus, toujours selon la circulaire, « il importe que l'évaluation financière soit correctement renseignée, qu'il s'agisse des charges significatives créées par la réglementation ou d'allégements qu'il y serait apporté ». Or ce qui est perçu comme complexité par les gouvernements successifs - il suffit d'entendre ici certains orateurs -, c'est le droit du travail, le droit fiscal et, plus largement, les droits porteurs d'une certaine justice sociale. À cet égard, le rapport que j'évoquais est particulièrement éclairant, puisque les mesures de complexité évoquées sont l'obligation d'informer préalablement les salariés en cas de cession de leur entreprise, en vue de leur permettre de présenter une offre de reprise, sous peine d'annulation de la cession, ou encore la mise en place de la procédure d'action de groupe en matière de consommation et de concurrence, dont la mise en oeuvre effective nécessitera - c'est normal - une réglementation.

Enfin, la mise au point de cette politique de simplification dépendrait, selon la circulaire, de « méthodes de consultation participatives ». Si l'idée de la participation doit être encouragée, nous devons garder à l'esprit que seuls le législateur et le Gouvernement ont en charge la définition de l'intérêt général, lequel ne saurait se résumer à la somme des intérêts particuliers, aussi légitimes soient-ils. De plus, il ne faudrait pas sous-estimer les limites de l'évaluation économique systématique du droit. Or c'est en ces termes que la circulaire du 17 juillet envisage la simplification normative.

En guise de conclusion, je voudrais rappeler que le nombre de normes risque de continuer à croître. En effet, les citoyens et les entreprises attendent - et c'est bien normal ! - toujours plus de sécurité. Cette demande est relayée par les médias, et les pouvoirs publics y répondent forcément par l'adoption de normes.

Comme le soulignait le Conseil d'État, « la multiplication des sources externes, le droit européen en particulier, en même temps que l'apparition de nouveaux domaines » sont des facteurs de la complexité croissante du droit. Citons la progression, qui va de pair avec la libéralisation économique, de la régulation par des autorités administratives de pans entiers du droit : le droit boursier par l'Autorité des marchés financiers, le droit de l'énergie par la Commission de régulation de l'énergie, le droit des télécommunications par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, sans oublier la Commission nationale de l'informatique et des libertés.

Il faut également souligner l'apparition de nouveaux domaines de législation complexes, comme le droit de la concurrence, le droit monétaire et financier dans un contexte ouvert ou encore les biotechnologies, qui accompagnent de fait une logique de libéralisation.

Ce débat, nous le disons fortement, n'est pas politiquement neutre. Dans tous les cas, nous devons veiller à ce que l'évaluation qualitative l'emporte sur une évaluation faussement comptable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin.

M. Yvon Collin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la prolifération des normes et la multiplication de leurs sources sont des thèmes récurrents, tant la France souffre d'un harcèlement textuel bien ancré... Le Forum économique mondial sur la compétitivité des économies place la France à la 130e place en matière de poids de la réglementation. Certes, on ne peut pas être bon partout, mais cette position n'est vraiment pas glorieuse.

M. Jean-Claude Requier. Eh non !

M. Yvon Collin. Dans son rapport sur la simplification de l'administration française, publié en 2004, l'OCDE a souligné que le coût de la paperasserie s'élevait en moyenne à 11 % du PIB, selon le standard cost model .

Trop souvent, les entreprises doivent faire face à de nouvelles normes prescrites par l'État, d'une part, lorsqu'il exerce son pouvoir réglementaire et, d'autre part, quand il applique la loi. Elles doivent assimiler environ 3 000 nouvelles informations chaque année et se soumettre à de lourdes procédures administratives, qui entravent leur développement. Régulièrement, elles doivent communiquer leur chiffre d'affaires, attester de leur respect des normes environnementales ou des mesures paritaires, sans que les différentes administrations soient aujourd'hui en mesure de croiser et donc de coordonner les informations déjà transmises.

À cela s'ajoutent les normes européennes, dont nous mesurons parfois sur le terrain la contrainte qu'elles peuvent générer pour les acteurs économiques sans que soit toujours démontrée leur utilité. De la taille des cages pour palmipèdes gras au calibre des bananes, déterminé par « la longueur du fruit, exprimée en centimètres et mesurée le long de la face convexe, depuis le point d'insertion du pédoncule sur le coussinet jusqu'à l'apex » (Sourires.) , on atteint souvent un niveau de précision décourageant pour les agriculteurs, qui, comme tout entrepreneur, aspirent à la simplification.

À ce niveau, plus qu'elle ne réglemente, l'administration tourmente ! C'est pourquoi il y a urgence à agir pour simplifier la vie des entreprises, des exploitations et des industries. C'est en particulier vital pour les petites entités, pour lesquelles le coût des formalités administratives est beaucoup plus lourd, faute de ressources humaines suffisantes pour les gérer. Le temps que consacrent ces dirigeants d'entreprise à mettre en application les normes est autant d'énergie perdue qu'ils pourraient consacrer à leur stratégie de développement.

Mes chers collègues, il faut reconnaître que les gouvernements qui se sont succédé depuis deux décennies ont tenté de résoudre ce problème, même si l'incantation a souvent pris le pas sur l'action.

Dès son arrivée au pouvoir, le Président Hollande a décidé d'amorcer un choc de simplification. La création, l'année dernière, du Conseil de la simplification pour les entreprises est le témoin concret de cette volonté de desserrer l'étau réglementaire qui pèse sur elles et, in fine , nuit à l'emploi. Je me réjouis également des annonces faites hier par le Premier ministre visant à alléger certaines formalités pour les TPE et les PME. Je pense en particulier à la simplification de l'accès aux aides publiques ou encore au développement du titre emploi-service entreprise. Le projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques contient également des mesures intéressantes, que nous avons approuvées, notamment la mise en place d'un identifiant électronique unique et sécurisé pour les entreprises et l'allégement des obligations comptables pour les TPE durant leur période d'inactivité.

M. Thierry Mandon, secrétaire d'État. C'est exact !

M. Yvon Collin. Tout cela va bien sûr dans le bon sens, mais ne résout pas la question du stock fossilisé de normes et de règles qui se sont accumulées. C'est pourquoi, monsieur le secrétaire d'État, vous allez sans doute nous éclairer sur le bilan de la circulaire du 17 juillet 2013 relative à la mise en oeuvre du gel de la réglementation des entreprises, qui affirme notamment : « une norme créée, une norme supprimée ou allégée ». Car, comme l'indique notre collègue Élisabeth Lamure dans le texte de sa question orale, la simplification réglementaire représente un enjeu de compétitivité et de croissance. J'ajoute que c'est aussi un enjeu d'attractivité internationale.

Comme je l'ai dit au début de mon intervention, l'État a une responsabilité dans la production de normes. Nous devons donc nous interroger sur la façon de ralentir cette inflation. Certes, la circulaire précitée pose une règle « désinflationniste », si je puis dire, mais il faut aussi s'attaquer au processus de production de la norme. À cet égard, je relève que le fameux rapport Lambert-Boulard souligne que, « pour chaque question, pour chaque problème, la réponse a été trop souvent l'instauration d'une loi nouvelle plutôt que la recherche d'une action plus efficace dans le cadre des lois existantes ». En effet, nous l'avouons, le législateur est également comptable de l'empilement normatif.

M. Thierry Mandon, secrétaire d'État. C'est vrai !

M. Yvon Collin. Certes, nous votons désormais des lois de simplification, mais c'est un peu le serpent qui se mord la queue : il faut une norme pour abroger une norme ! Dès lors, n'est-ce pas l'état d'esprit qu'il faudrait faire évoluer au niveau de l'État ? Il faudrait en effet trouver le point d'équilibre entre Colbert et Tocqueville, entre une société que l'on encadre pour mieux la protéger et une société que l'on responsabilise pour encourager son dynamisme et la liberté d'entreprendre. Dans le contexte économique actuel, dont nous sommes tous d'accord pour dire qu'il est difficile, nos chefs d'entreprise ont besoin de stabilité et de visibilité, et surtout pas de coûts induits par un excès de normes.

M. Alain Chatillon. Très bien !

M. Yvon Collin. C'est pourquoi le groupe du RDSE vous encourage, monsieur le secrétaire d'État, à ne pas relâcher les efforts du vaste chantier qu'est le défrichage normatif. Nous vous faisons confiance pour vous y atteler ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur quelques travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. Thierry Mandon, secrétaire d'État. Merci !

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canevet.

M. Michel Canevet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je tiens à remercier Mme Lamure, présidente de la délégation sénatoriale aux entreprises, d'avoir posé une question orale avec débat sur ce sujet particulièrement important, qui est au coeur des préoccupations non seulement du Gouvernement, mais aussi de la plupart de mes collègues, en particulier des membres du groupe UDI-UC du Sénat.

Monsieur le secrétaire d'État, les membres de la délégation aux entreprises ont eu l'occasion d'aller sur le terrain et de rencontrer de nombreux entrepreneurs de notre pays. Tous ont fait le même constat : ce sont pour l'essentiel les contraintes administratives qui constituent des freins au développement économique et donc au développement de l'emploi dans notre pays. Plus que le poids des charges, c'est bien l'inflation normative qui donne aux entrepreneurs le sentiment que, dans notre pays, de nombreux obstacles freinent le développement des entreprises et enrayent les énergies nécessaires à leur création.

Si vous avez déjà formulé un certain nombre de propositions, de concert avec le Premier ministre, nous pensons qu'il faudra aller au-delà, en particulier pour ce qui concerne l'emploi. On le sait bien -cela aussi nous a été dit très fréquemment-, il y a encore beaucoup de mesures à prendre pour simplifier le code du travail et lever les freins à l'embauche. Je pense en particulier aux contrats, au travail à temps partiel, la durée minimale de vingt-quatre heures étant considérée par beaucoup d'entrepreneurs comme assez limitative. Il importe que nous puissions permettre au plus grand nombre d'accéder à l'emploi.

En outre, comme l'a dit l'un des intervenants, nos façons de faire, par exemple dans le domaine agricole ou dans celui de la pêche, font naître des obstacles pour les entreprises, qui ont beaucoup de difficultés à faire avancer leurs dossiers.

Très récemment, j'ai eu l'occasion de recevoir les représentants d'un certain nombre d'entreprises du domaine des biotechnologies. Pour ces entreprises, les prescriptions réglementaires, notamment le passage obligé par un certain nombre de commissions ou la nécessité d'obtenir l'accord de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, laquelle n'a pas véritablement les moyens de répondre dans des délais rapides, constituent des obstacles. Au final, ces entreprises ont tendance à vouloir se délocaliser à l'étranger, alors même que nous souhaitons privilégier l'emploi dans notre pays.

Vous le voyez bien, il importe que notre action soit volontariste. Il importe que les propositions gouvernementales ne vaillent pas seulement pour un temps limité, mais qu'elles puissent être durables dans le temps, parce que les entrepreneurs demandent aussi de la stabilité. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe Les Républicains et du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Vaspart.

M. Michel Vaspart. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je veux à mon tour remercier Élisabeth Lamure, présidente de la délégation sénatoriale aux entreprises - instance à laquelle j'ai le plaisir d'appartenir -, d'avoir proposé l'inscription à l'ordre du jour de nos travaux d'une question orale avec débat sur ce sujet essentiel qu'est la simplification administrative au profit des entreprises.

En effet, monsieur le secrétaire d'État, que peut-on attendre en la matière d'une circulaire, par nature dépourvue de caractère contraignant ? J'espère que vous parviendrez à nous l'expliquer tout à l'heure. Pour ce qui me concerne, depuis mon élection au Sénat, en septembre 2014, je m'étonne constamment de la complexité des textes qui nous sont soumis. Je pense au projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, que nous avons examiné tout dernièrement en deuxième lecture et que nos élus locaux apprécient déjà... On peut aussi évoquer la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové comme un modèle de complexité, qui aura pour seule conséquence de bloquer davantage encore l'activité - non dé localisable, je le rappelle - du bâtiment.

M. Jean-Claude Lenoir. On le constate déjà !

M. Michel Vaspart. Notre pays est dans une situation législative et réglementaire quasi paralysante. Il est urgent d'appeler à une simplification de cet environnement : c'est une absolue nécessité, que tout le monde attend. On finit par se demander d'ailleurs si, en France, on est capable de simplifier, en dehors des incantations et des postures.

Certes, la semaine dernière, vous avez annoncé un nouveau « train » de simplifications, certaines concernant les entreprises. Ces mesures sont-elles à la hauteur des enjeux ? Je voudrais bien pouvoir vous en faire crédit, car cet objectif de simplification est louable et je ne mets pas en doute votre bonne volonté. Mais de quels moyens usez-vous pour y parvenir ? Où est la volonté politique chez chacun de vos collègues du Gouvernement et dans leurs services respectifs, sur lesquels vous n'avez absolument aucune prise ?

Parmi les mesures annoncées la semaine dernière, une grande partie consiste à dématérialiser de nombreuses déclarations qui se faisaient jusque-là par écrit. L'administration, certes, se simplifie la vie, mais, pour les citoyens et les entreprises, quel en est le bénéfice ?

S'agissant de la simplification annoncée de la fiche de paie, attendue pour 2016, elle consiste en fait en un regroupement des cotisations patronales pour réduire le nombre de lignes apparaissant sur la fiche. En quoi le chef d'entreprise voit-il son quotidien simplifié avec une telle mesure ?

Dans ce contexte, la déclaration sociale nominative et l'accès aux marchés publics facilité ne sont que des gouttes d'eau dans un océan de complexité. La Banque mondiale publie, chaque année, une évaluation des mesures administratives qui freinent l'activité des entreprises. La France arrive en 31e position, quand la Grande- Bretagne est au 8e rang et l'Allemagne au 14e. La performance de la France est qualifiée de « catastrophique » : notre pays occupe la 126e place en ce qui concerne l'enregistrement des droits de propriété, la 95e position pour le paiement des impôts et le 86e rang pour les permis de construire. Le projet de loi relatif au dialogue social et à l'emploi, dont nous allons bientôt examiner, en première lecture, le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale, ajoute encore de la complexité. Si ce texte était voté en l'état, il y aurait, par exemple, des commissions territoriales capables d'accéder aux locaux des entreprises, davantage de représentants de salariés dans les entreprises de 50 salariés, et donc une amplification de l'effet de seuil, alors que nous avons exactement besoin du contraire, et deux administrateurs salariés dans toutes les entreprises employant plus de 1 000 salariés, contre 5 000 actuellement... Mais pour régler quel type de problèmes ?

Les simplifications administratives permettraient de substantielles économies ; monsieur le secrétaire d'État, vous évoquez vous-même régulièrement un gain potentiel de 11 milliards d'euros d'ici à 2017. Le calcul de cette estimation m'échappe beaucoup, mais, si le chiffre est exact, que n'allez-vous plus vite ?

On peut comprendre que l'administration soit réticente, puisque, au fond, elle vit et se nourrit de la complexité.

M. Gérard Cornu. Eh oui ! C'est ça le problème !

M. Michel Vaspart. Inventer encore et toujours des règles, contrôler qu'elles sont respectées, faire porter des pénalités, voilà qui crée de l'emploi ! La simplification administrative peut pourtant aider les entreprises bien plus efficacement que n'importe quel type de subventions.

Les PME font l'objet de tous les éloges dans les discours publics. Dès lors, répondons à leurs principales préoccupations et demandes ! Ne disposant pas de département juridique, les PME passent trop de temps à accomplir des tâches administratives, quand elles ont besoin de développer leurs produits et leur clientèle, y compris à l'international.

Monsieur le secrétaire d'État, je fais un rêve - c'est la deuxième fois dans cet hémicycle - : je fais le rêve que l'Assemblée nationale et le Sénat consacrent une partie du temps législatif à la suppression et à la réécriture des lois et règlements, après recensement de tout ce qui bloque le développement et la création d'emplois en France. C'est à ce prix et à ce prix seulement que celles et ceux qui, au quotidien, entreprennent retrouveront le souffle, l'espoir et la confiance, gages du retour de notre pays vers le chemin de la croissance et de l'emploi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Durain.

M. Jérôme Durain. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je veux moi aussi remercier Mme Lamure d'avoir posé cette question orale, au nom de la délégation aux entreprises, tout particulièrement parce qu'elle nous permet de mettre en valeur l'action du Gouvernement, notamment de M. Mandon, en matière de simplification.

Votre question, madame Lamure, est intéressante : la circulaire du 17 juillet 2013 s'apparente en quelque sorte à l'article 40 de la Constitution, lequel limite le droit d'amendement des parlementaires. Mais faut-il aller aussi loin dans son application ? Bien que jeune parlementaire, j'ai cru comprendre que l'article 40, bien plus qu'un simple instrument du parlementarisme rationalisé, est parfois perçu comme un instrument de blocage des initiatives parlementaires.

Je devine, sous votre question, une volonté d'application stricte de la circulaire et du principe nouveau qu'elle crée : une norme supprimée pour chaque norme nouvelle. Je devine aussi une inquiétude : la circulaire ne serait peut- être pas suffisamment appliquée... Certes, je ne suis pas certain que le Gouvernement fasse réaliser des études d'impact sur l'augmentation des normes à gager, mais peut-être M. Mandon me contredira-t-il sur ce point.

En tout état de cause, si l'on regarde l'action du Gouvernement de manière objective, il apparaît que celui-ci supprime davantage de charges qu'il n'en crée. Ce choix n'est d'ailleurs pas allé sans provoquer de débats chez les socialistes. Je ne vois donc pas de procès à intenter au Gouvernement sur ce sujet.

Au-delà de tout clivage, tous s'accorderont à dire que l'administration est un vaste labyrinthe, onéreux pour l'État, décourageant pour les entreprises, fatigant pour les particuliers. Simplifier, c'est accéder à une revendication citoyenne, tout en répondant aux impératifs budgétaires imposés par la conjoncture économique.

Le format participatif qu'a choisi le Gouvernement permet d'associer les acteurs de tous les milieux - chefs d'entreprise, particuliers, préfets, administrations centrales ou déconcentrées... -pour une meilleure efficacité. Au total, sur près de 900 propositions de simplification formulées, 350 sont déjà appliquées, dont 142 nouvelles depuis 2014, pour 3,3 milliards d'euros d'économies d'ores et déjà réalisés et 11 milliards d'euros espérés in fine .

Pour preuve de cette efficacité, je relève ce qu'ont pu déclarer certains entrepreneurs sur l'action de M. Mandon : « Jusqu'à aujourd'hui, aucun gouvernement n'avait pris de pareilles mesures », a ainsi déclaré Corinne Vieillemard, présidente de l'association Femmes chefs d'entreprises en Essonne. José Ramos, à la tête d'une entreprise de BTP en Île-de-France, a confirmé ces propos : « Il y a effectivement un vrai sentiment de simplification. L'une des mesures, celle de la non-rétroactivité fiscale, est un plus pour l'image et l'attractivité ».

Pour autant, j'estime qu'il ne faut pas être trop extrémiste dans la volonté de simplification : je crains que, sous couvert de simplification, certains veuillent simplement s'attaquer au modèle social français. Pour illustrer cette pensée par l'absurde, permettez-moi de citer Marc Simoncini, l'un des leaders du numérique français, qui indique que la complexité française avait aussi protégé l'Hexagone de concurrents allemands et permis à des pépites d'émerger sur le marché national avant de partir à la conquête du monde. Un minimum de complexité administrative peut parfois protéger nos entreprises.

Méfions-nous donc de la simplification comme idéal. Je prendrai l'exemple des oppositions récentes à la mise en place du compte personnel de prévention de la pénibilité : étaient- elles pragmatiques ou idéologiques ? Les principales doléances des entreprises, en ce qui concerne la pénibilité, tournaient autour du recensement des salariés exposés et de l'établissement des fiches individuelles, jugés trop compliqués. Mais n'était-ce pas un moyen, pour certains, de s'opposer à ce nouveau droit des salariés sans le dire ? Du côté des entreprises, pour le MEDEF et l'Union professionnelle artisanale, c'est le principe même de la fiche individuelle qui posait problème. Un accueil positif de cette mesure de simplification était de toute façon à exclure.

Le Gouvernement, en la matière, a su marier droit nouveau et esprit de simplicité pour sortir de cette querelle. Sans abandonner le dispositif, il a annoncé une simplification du compte pénibilité, sur la base d'un rapport co rédigé par MM. Christophe Sirugue, Michel Davy de Virville et Gérard Huot. Les chefs d'entreprise n'auront plus à remplir de fiches individuelles : ils devront seulement déclarer à la caisse de retraite leurs salariés exposés, en appliquant un « référentiel » fixé par la branche. C'est à la caisse de retraite que reviendra la tâche d'informer le salarié sur les points qu'il a accumulés. Parallèlement, l'entrée en vigueur des six critères de pénibilité restants est prorogée de six mois au 1er janvier 2016. Voilà l'exemple réussi d'une bonne simplification, d'une norme qui crée un droit nouveau, qui est juste, lisible, efficace.

Vous l'aurez compris, mes chers collègues, je plaide pour une simplification pragmatique, et non idéologique. À mon sens, c'est ainsi qu'il faut aborder la circulaire de juillet 2013. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic.

M. Olivier Cadic. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, voilà près de deux mois, nous étions dix sénateurs de la délégation aux entreprises, conduite par notre présidente Élisabeth Lamure, à faire le voyage de Londres. Nous y avons rencontré nos compatriotes qui ont fait le choix d'entreprendre outre-Manche. En les écoutant, nous avons mesuré le poids d'une amertume partagée et constaté combien les règles françaises freinent le développement et la croissance de nos entreprises. Plusieurs d'entre eux ont dénoncé un tissu législatif français rempli de mesures dont personne n'interroge l'efficacité. Par comparaison, ils nous ont indiqué que la simplification administrative arrive en tête des priorités annuelles données à l'administration britannique.

Pour prévenir l'inflation législative et, par voie de conséquence, l'augmentation des coûts pour les entreprises, le Premier ministre David Cameron a imposé un garde-fou : le gouvernement britannique a ainsi instauré en janvier 2011, comme l'a justement rappelé notre présidente Élisabeth Lamure, une règle baptisée « one-in, one-out ». Autrement dit, si vous imposez aux entreprises une mesure légale qui leur coûte une livre sterling de plus, vous devez, en contrepartie, supprimer un texte existant pour leur permettre d'économiser une livre sterling.

La création de l' Office of Tax Simplification a permis de prendre en compte le point de vue des entreprises dans les efforts de rationalisation et de simplification de la stratégie fiscale britannique. Et que croyez-vous qu'il arrivât ? Les parlementaires ont tenu parole. Ils ont fait mieux encore, en générant un solde positif d'allégement de charges en faveur des entreprises de 963 millions de livres sterling en deux ans, la déflation législative en prime.

Le dispositif « one-in, one-out » a été en vigueur durant les deux premières années de la législature du gouvernement de coalition des conservateurs et des libéraux démocrates. Puis, en juillet 2013, il a été remplacé par la règle « one-in, two- out » : à chaque fois qu'une nouvelle réglementation génère un coût d'une livre sterling pour l'entreprise, les services de l'État doivent lui en faire économiser deux. Il s'agit d'un principe d'amélioration continue, simple et efficace.

Deux fois par an, le Gouvernement doit publier la liste des nouvelles règles qui vont entrer en vigueur dans les six prochains mois et celle des règles qui disparaîtront dans le même temps, accompagnée d'une évaluation de l'économie prévue.

Un Small Business Act , voté en mars dernier, reprend expressément la philosophie du « one-in, two-out » en imposant un objectif de dérégulation. De plus, ce Small Business Act prévoit que toute réglementation pesant sur la vie des affaires doit faire l'objet d'une évaluation régulière afin de vérifier qu'elle est toujours efficace et nécessaire et non devenue un « fardeau inutile ».

Au moment où le Royaume-Uni passait à la règle du « one- in, two-out », la France initiait un texte plus modeste, mais relevant du même état d'esprit. Il s'agit de la circulaire du 17 juillet 2013 relative à la mise en oeuvre du gel de la réglementation. Cette circulaire du Premier ministre de l'époque, Jean-Marc Ayrault, conditionne l'adoption de tout projet de texte réglementaire créant des charges pour les entreprises à une mesure de simplification équivalente pour « endiguer l'inflation normative ». Avec beaucoup d'à-propos, ma collègue présidente Élisabeth Lamure a estimé opportun de connaître le bilan d'application de cette circulaire, après deux ans de mise en oeuvre.

Le groupe UDI-UC souhaiterait ainsi évaluer les économies qu'a permis de réaliser cette démarche et savoir s'il n'est pas temps, à notre tour, d'imposer l'élimination de deux règles chaque fois que nous en créerons une nouvelle.

Face à la Commission européenne, le gouvernement britannique milite, vous le savez, pour un secteur public plus léger qui n'étrangle pas la croissance par des réglementations excessives. Cette idée fait son chemin. Le nouveau président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a déclaré devant le Parlement : « Nous allons légiférer mieux et nous allons donc légiférer moins ». Voilà qui devrait nous inspirer ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Cornu.

M. Gérard Cornu. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je remercie à mon tour Élisabeth Lamure de sa question orale très judicieuse. La simplification administrative, on en parle beaucoup, on en fait des formules, on évoque un « choc », mais pour quel résultat ? J'ai été artisan-commerçant avant d'être parlementaire. J'ai pu connaître les joies du formalisme administratif, des contacts avec des administrations tatillonnes, ce temps passé à tout autre chose qu'au développement de mon activité. Depuis cette époque, je sais que c'est devenu encore bien pire avec de nouvelles lois et règles diverses, auxquelles s'ajoutent les graves dysfonctionnements du régime social des indépendants, le RSI, pourtant censé simplifier les choses.

Depuis que je suis parlementaire, je crois avoir toujours entendu la petite musique de la simplification. Plus on a complexifié, en légiférant trop - nous en sommes tous coupables -, plus on a parlé de simplification. Des rapports, des études, ont été commandés, tous pleins de bon sens. En 2002 a même été créé un secrétariat d'État à la réforme de l'État, spécialement chargé de la simplification. C'est l'époque du lancement des fameux projets de lois d'habilitation interministériels, c'est-à-dire fourre-tout : chaque ministère était prié de proposer quelques mesures de simplification dans son domaine que le secrétaire d'État chargé de la réforme de l'État compactait dans un texte inégal et disparate. L'exercice s'est poursuivi au fil des années ; l'actuel gouvernement en a d'ailleurs repris la méthode. Est-ce suffisant ? Comment peut- on imaginer simplifier efficacement en se bornant à récolter auprès des services des ministères des mesures qu'ils acceptent de simplifier, selon leur bon vouloir ?

La circulaire du Premier ministre, qui sert de base à cette discussion, procède de la même logique. Je suis très curieux d'entendre votre réponse sur ce sujet, monsieur le secrétaire d'État. Je vous ai entendu toujours très positif et volontariste, mais il faut bien faire les constats qui s'imposent : toutes ces dernières années, droite et gauche confondues, ont encore alourdi le droit applicable aux entreprises - mais aussi à l'ensemble de nos concitoyens -, les faits sont implacables.

Vous annonciez, lundi dernier, une nouvelle vague de simplifications. Très bien ! Parmi les mesures annoncées se trouvent des éléments concernant la surtransposition de directives européennes au-delà des exigences bruxelloises, ce que la France a trop souvent tendance à faire et ce qui la pénalise par rapport à ses voisins. C'est le cas, par exemple, s'agissant des rapports de sécurité à fournir sur les sites à risque classés Seveso ou de la mesure des expositions des salariés à des substances dangereuses. Malheureusement, dans votre annonce, il n'est pas question d'éviter de sur transposer en s'alignant sur les normes les moins contraignantes. Il s'agit seulement d'identifier les surtranspositions, de les justifier et d'en évaluer l'impact. Pourquoi continuer de procéder à des surtranspositions qui pénalisent les entreprises françaises ? L'avantage compétitif de ces dernières est déjà restreint au sein de l'Union européenne du fait de notre droit social - bien français, lui.

Si droite et gauche sont responsables -nous devons tous plaider coupable-, permettez-moi toutefois de relever quelques modèles de complexités instaurés depuis 2012 à l'encontre de nos entreprises, avant et après le fameux « choc de simplification » annoncé par le Président Hollande... Sur la plus haute marche du podium, sans conteste, se trouve la loi ALUR, chef-d'oeuvre de complexité mâtiné d'idéologie. On peut également citer la loi relative à l'économie sociale et solidaire, dont les articles 19 et 20, créant un droit d'information des salariés en cas de cession de l'entreprise, étaient tout simplement impraticables. Le décret d'application a été attendu par les entreprises et leurs conseils pendant plusieurs mois, sans explications... Il aura fallu attendre votre collègue Macron, qui a fini par reconnaître qu'il fallait revoir la rédaction de ces articles dans son projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques.

M. Jean-Claude Lenoir. Il est très bien, M. Macron !

M. Gérard Cornu. Un mot sur le projet de loi Macron, énorme compilation disparate qui ne va pas manquer de donner du travail à toutes les professions qui vivent de la complexité, tandis que d'autres professions en meurent...

On peut encore évoquer, par exemple, le projet de loi relatif au dialogue social et à l'emploi du ministre Rebsamen dont nous allons prochainement débattre au Sénat. Ce texte inquiète à juste titre les patrons, surtout les petits, qui craignent de nouvelles contraintes réglementaires. On y trouve notamment des mesures de simplification du compte pénibilité créé par la dernière réforme des retraites. Le dispositif était entré partiellement en vigueur au 1er janvier 2015. Il aura fallu que les représentants des employeurs, surtout ceux des PME, alertent pendant des mois les pouvoirs publics pour que ce dispositif soit simplifié sur la base des préconisations d'un rapport parlementaire.

Comment s'y retrouver dans ces revirements ? Quelle perte de temps ! L'instabilité juridique et fiscale non seulement nuit à la compétitivité de nos entreprises, mais aussi dissuade les entrepreneurs de créer leur société. N'est-ce pas désespérant ? Nos concitoyens vont jusqu'à nous demander de ne plus légiférer tellement ils ont peur de subir de nouvelles contraintes administratives !

Je crois qu'il faut arrêter de se payer de mots, de formules- chocs, de marketing politique. Il faut dire enfin la vérité, c'est-à-dire que l'on ne simplifie pas, que l'on ne gèle même pas la réglementation, mais, au contraire, que l'on continue de complexifier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Mandelli.

M. Didier Mandelli. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je tiens moi aussi à remercier Élisabeth Lamure d'avoir proposé, au nom de la délégation sénatoriale aux entreprises, l'inscription à l'ordre du jour de cette question avec débat.

Par la circulaire du 17 juillet 2013 relative à la mise en oeuvre du gel de la réglementation, le Premier ministre Jean- Marc Ayrault a remplacé le moratoire des normes du 6 juillet 2010 par le « gel de la réglementation » : toute nouvelle norme devra être « gagée » par la suppression ou l'allégement d'une norme ancienne. Désormais, le principe « une norme créée, une norme supprimée ou allégée » s'applique non seulement aux collectivités territoriales et au public, mais également aux entreprises.

L'objectif poursuivi par le Gouvernement est d'endiguer l'inflation normative et d'accélérer les simplifications. La critique de la prolifération et de la complexité des règles administratives est récurrente. Tous les gouvernements se sont emparés de cette question avec plus ou moins de succès - je serais tenté de dire plutôt moins...

La simplification administrative est nécessaire et encouragée par tous. Elle est attendue en premier lieu par les entrepreneurs. En effet, la complexité administrative actuelle est une source d'inégalité et un obstacle véritable à l'attractivité du territoire français.

Une réglementation simplifiée et claire est un élément primordial de compétitivité pour notre pays. Elle encourage l'esprit d'entreprise des jeunes Français et l'investissement des grands groupes internationaux en France. Elle accroît également la compétitivité des sociétés déjà présentes sur le marché mondial. Or, actuellement, la réglementation française, réputée complexe et instable, anéantit cet esprit d'entreprise et les projets d'investissement. Dans un contexte de mondialisation des échanges et de concurrence accrue, les logiques de fonctionnement de l'entreprise et de l'administration peuvent apparaître opposées : le temps long de l'administration face à l'immédiateté du marché.

Pour les TPE et les PME, des tâches comme remplir la « paperasse » et assurer la gestion administrative s'avèrent chronophages. Selon une étude publiée par IPSOS en avril 2014, les dirigeants de TPE ou de PME estiment qu'il leur manque en moyenne trois heures et dix-huit minutes par jour pour accomplir l'ensemble de ces tâches administratives. Pour les TPE, la gestion des formalités administratives est d'autant plus problématique que, avec moins de dix salariés, la part globale de la ressource humaine dédiée à cette tâche est proportionnellement accrue. Comme l'a rappelé Élisabeth Lamure, l'OCDE a évalué à 60 milliards d'euros le coût de la complexité administrative pour les entreprises, ce qui, d'après le Forum économique mondial, classe la France au 130e rang sur 148 pays en termes de fardeau administratif ressenti par les entreprises.

Le choc de simplification annoncé en 2013 par le Président de la République, dans le prolongement du pacte national de compétitivité, a pour ambition de changer la vie quotidienne des entreprises, de stimuler l'activité économique, d'aider les entreprises à être compétitives et à créer de l'emploi.

Le 1 er juin, monsieur le secrétaire d'État, vous avez annoncé une nouvelle série de mesures, dont cinquante-deux à destination des entreprises, ciblées par secteur : l'industrie, l'hôtellerie-restauration, les petits commerces et les entreprises agricoles. Cet inventaire, à la fois technique et sectoriel, va- t-il véritablement alléger le quotidien des chefs d'entreprise concernés et constituer un levier de croissance ?

Votre démarche de simplification mérite d'être saluée, même si l'on dénombre déjà 273 mesures depuis 2013 en faveur des entreprises. Attendue par les entrepreneurs, sera-t- elle efficace ? Pouvez-vous mesurer les fruits de cet effort de simplification ? Quel est son impact sur la croissance, la création d'emplois, l'innovation, la confiance des entreprises ? Il paraît hasardeux aujourd'hui d'en mesurer les effets, surtout si l'on se fie à la hausse continue du nombre de demandeurs d'emploi, critère essentiel aux yeux de nos concitoyens.

Les entreprises, pour naître, se développer et se transmettre, ont besoin non seulement d'un environnement administratif simplifié, mais également d'environnements juridiques et fiscaux stables. Or les changements successifs de fiscalité depuis 2012, les taxes et les impôts qui s'abattent sur les entreprises ne sont pas de nature à apporter une stabilité. Par ailleurs, le Gouvernement prône la simplification, alors qu'il crée le compte pénibilité, qui ajoute une nouvelle couche de complexité, bien qu'il ait ensuite été simplifié.

En conclusion, je dirai qu'il est essentiel de poursuivre la simplification de la vie des entreprises, qui est un objectif partagé par tous dans cet hémicycle. Toutefois, à mon sens, elle ne portera ses fruits que si elle est associée à un allégement significatif de la fiscalité des entreprises et du coût du travail, grâce à une baisse des charges salariales et patronales. Ce ne sera qu'à cette condition que les entreprises françaises innoveront et créeront de l'emploi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l'État et de la simplification. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, le débat qui nous réunit cet après-midi est riche, précis et sans dogmatisme, ce dont je félicite les différents intervenants. Il va me permettre de clarifier un certain nombre de points et de vous donner des informations.

J'ajoute que, si le Sénat le souhaite, nous pourrons engager dans les mois qui viennent un travail ensemble, en particulier avec vous, madame Lamure, afin d'aller encore plus loin, plus vite et plus fort en matière de simplification des règles de la vie économique. Comme vous, je crois qu'il y va de la compétitivité de nos entreprises. C'est également une question d'équité vis-à-vis des petites entreprises, qui n'ont aucun moyen d'affronter la complexité administrative et qui subissent de plein fouet l'ensemble des normes, alors que les grandes entreprises, qui disposent des outils et des conseils pour y faire face, en tirent parfois des avantages concurrentiels. Il y va donc d'une certaine conception de la vie économique et des règles de concurrence, qui doivent être loyales.

M. Collin a évoqué Tocqueville. Il m'est alors revenu en mémoire cette phrase, dont vous venez de faire la démonstration, mesdames, messieurs les sénateurs : « Il y a plus de lumière et de sagesse dans beaucoup d'hommes réunis que dans un seul. » On pourrait corriger Tocqueville, en regrettant qu'il n'ait pas écrit « d'hommes et de femmes », dans la mesure où vous êtes à l'origine de ce débat, madame Lamure.

Avant de répondre aux questions qui m'ont été posées, je souhaite évoquer l'ensemble des problématiques de simplification, le champ du débat ayant été beaucoup plus large que la seule circulaire du 17 juillet 2013.

Vous avez évoqué, mesdames, messieurs les sénateurs, non seulement le stock des normes existantes, mais aussi le flux, c'est-à-dire tout ce qui vient s'ajouter à des volumes de complexité importants. Je rappelle cependant que les politiques de simplification ne sont pas nouvelles. En préparant ce débat, je lisais que, dès le 26 septembre 1953, un décret a établi la nécessité de simplifier les formalités administratives. En 1983 a été créée une commission pour la simplification des formalités incombant aux entreprises. Je ne vais pas continuer la chronologie, mais cela montre qu'on en parle depuis très longtemps. Or personne n'a jamais vu les résultats concrets des politiques menées en la matière.

Instruit de ce paradoxe - les efforts, renouvelés depuis très longtemps, sont suivis de conséquences assez faibles -, j'ai décidé, au moment où le Premier ministre de l'époque, Jean- Marc Ayrault, et le Président de la République m'ont demandé de mettre en place des outils pour réussir la simplification en direction de la vie économique, de faire, comme vous-mêmes l'avez fait voilà peu de temps, un tour d'Europe des pays qui mènent depuis quelques années -un peu moins de dix ans pour la plupart d'entre eux- des politiques de simplification, avec des résultats plus ou moins importants.

Outre l'Allemagne - vous avez cité le Normenkontrollrat, qui s'accompagne d'autres dispositifs -, nous nous sommes rendus en Angleterre, en Belgique, aux Pays-Bas, au Danemark... Nous avons commencé, sagement et modestement, à regarder comment il fallait s'y prendre pour réussir une politique de simplification. De ce petit tour d'Europe, nous avons tiré quelques principes qui fondent la politique que je m'apprête à évoquer.

Le premier principe, le plus important, est que cette politique ne peut être que collaborative. La délégation sénatoriale aux entreprises partage d'ailleurs ce point de vue puisqu'elle va à la rencontre des entreprises. La politique de simplification ne peut pas être décidée par les administrations. Ce n'est pas à elles de faire ce qui les arrange, en considérant que c'est cela la simplification. La politique de simplification part de la complexité vécue par les entreprises et des cibles de complexité qu'elles-mêmes désignent et auxquelles il faut s'attaquer parce qu'elles polluent leur vie quotidienne.

Ce travail se fait au sein du Conseil de la simplification pour les entreprises, que la plupart d'entre vous ont évoqué, et qui n'est finalement qu'une fabrique à simplifier. Cette instance réunit un peu plus d'une centaine d'entreprises en ateliers réguliers autour de dix moments clés de la vie de l'entreprise : sa création, la déclaration fiscale et sociale, le recrutement, l'import-export... Je ne vais pas énumérer toute la liste de ces groupes de travail ; je rappelle juste que ces ateliers sont composés de représentants de grandes et de petites entreprises, non pas forcément ceux qui appartiennent aux niveaux hiérarchiques les plus élevés - le président ou la présidente de la société -, mais plutôt ceux qui sont en butte à la complexité : il peut s'agir des comptables, pour ce qui concerne les déclarations fiscales et sociales, ou des responsables des ressources humaines, quand il y en a un, s'agissant du recrutement ou de la formation.

Dans un premier temps, on y recense ce qui est vraiment vécu comme un problème à traiter. Dans un second temps, on y travaille avec l'administration, ce qui permet de pré instruire toutes les mesures qui seront annoncées. Il y a donc tout un travail, mené par le Conseil de simplification, de préparation collaborative des décisions. Il s'agit de vérifier non seulement que les décisions qui seront prises correspondent bien aux souhaits des entreprises, mais aussi qu'elles permettront réellement de leur simplifier la vie.

Avec ce travail préalable à l'annonce de mesures se met en place une « mini-révolution », en tout cas une manière nouvelle de produire de la norme. En effet, si je résume notre culture en matière de fabrication de la norme jusqu'à présent - pour nous, comme pour les gouvernements qui nous ont précédés - : on décide d'une orientation bonne pour le pays et les entreprises, puis on découvre, bien souvent lors de la mise en oeuvre de la norme, ses effets pervers ou inattendus. Soit, au mieux, la mesure s'applique mais ne produit pas les résultats escomptés, soit, au pire, on ne peut pas l'appliquer.

Vous avez cité le compte pénibilité. Je l'ai dit plusieurs fois, je considère que les assemblées ont eu raison de voter un dispositif relatif à la pénibilité, qui existe d'ailleurs dans la quasi-totalité des pays européens. Toutefois, si le texte initial voté par le Parlement était parfait, il était également inapplicable. Nous avons donc travaillé à le simplifier.

Le deuxième principe consiste à anticiper l'application des textes avant de les proposer. C'est mieux que d'annoncer des mesures et de découvrir après coup qu'elles sont difficiles à mettre en place, d'autant que présenter des « paquets » de cinquante mesures tous les six mois, cent mesures par an, moins de deux cent cinquante mesures au total ne suffira pas à simplifier la vie des entreprises. Ce travail doit être systématique et s'inscrire dans la durée, car il faudra bien plus d'un quinquennat pour le mener à bien, ce qui signifie que cette méthode doit perdurer malgré les alternances politiques.

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je formule de nouveau la proposition que je vous faisais voilà quelques minutes. Nous avons travaillé récemment avec la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales. Nous l'avons reçue au ministère, en mettant sur la table l'ensemble des chantiers sur lesquels nous travaillons. Si vous y voyez un intérêt, madame Lamure, nos équipes sont tout à fait prêtes à travailler avec la délégation aux entreprises, qui peut nous aider à accélérer un certain nombre de chantiers, voire à nourrir notre réflexion d'idées que nous n'aurions pas.

Vous m'avez interrogé très précisément sur la mise en oeuvre de la circulaire du 17 juillet 2013, qui édicte la règle du « un pour un », laquelle prévoit que tous les décrets, et seulement les décrets, visant, à compter de cette date, à créer une charge nouvelle pour les particuliers, les entreprises ou les collectivités territoriales s'accompagnent de la suppression d'une charge équivalente. Sur la période concernée, soit de septembre 2013 à mai  2015, environ 1 100 textes réglementaires, ordonnances, décrets et arrêtés - je vous donnerai bien volontiers des détails supplémentaires si vous en avez besoin -, sont entrés dans le périmètre visé par la circulaire du 17 juillet 2013. Ces textes concernent pour l'essentiel les entreprises et, pour une partie beaucoup moins significative, les collectivités territoriales et les particuliers. Si l'on considère l'origine des dispositions soumises à la cellule constituée au sein du secrétariat général du Gouvernement pour veiller à l'application de cette circulaire, on s'aperçoit qu'un tiers d'entre elles proviennent du ministère de l'économie, un cinquième du ministère des affaires sociales et un autre cinquième du ministère de l'écologie. Pour les entreprises, les gains nets sont d'un peu plus de 1,5 milliard d'euros. La règle du « un pour un » a donc joué en leur faveur. Quant au gain total, qui concerne les entreprises, les collectivités et les particuliers, il tutoie les 3 milliards d'euros.

Comment ces gains sont-ils mesurés ? Chaque ministère, au moment où il rédige un projet de décret, joint une étude d'impact estimant le coût que celui-ci représente et proposant des suppressions de charges équivalentes. Le secrétariat général du Gouvernement veille à la cohérence et, donc, à l'équilibre entre ce qui est proposé et ce qui est supprimé.

Que prenons-nous en compte dans le calcul du coût ? Premièrement, les charges administratives, c'est-à-dire l'ensemble des procédures, qu'elles soient ponctuelles ou récurrentes, que représentent les nouvelles règles. C'est ce qu'on appelle l'« impôt papier ». Deuxièmement, les coûts de mise en conformité, c'est-à-dire l'ensemble des investissements engagés pour se mettre en accord avec les nouvelles règles envisagées. Troisièmement, certains coûts particuliers, notamment les obligations de détention en fonds propres.

L'estimation de l'ensemble de ces coûts répond à deux exigences. Premièrement, on monétise en euros et on doit justifier les hypothèses retenues. Deuxièmement, on utilise une méthode qui donne des résultats à l'étranger, notamment en Allemagne et aux Pays-Bas - on pourrait passer des heures à en discuter -, celle du standard cost model .

Pour les décrets, ce dispositif fonctionne. Il a produit les résultats dont je vous ai fait part, mais la franchise m'oblige à dire que ce n'est qu'un premier pas et qu'il est très insuffisant. En effet, il faudrait que cette règle soit étendue à l'ensemble de la production normative, en particulier aux textes de loi. C'est pourquoi, au 1er juillet 2015, un comité impact entreprises, ou CIE, sera créé, à l'image du Normenkontrollrat en Allemagne ou du Regulatory Policy Committee en Angleterre, composé de représentants du monde économique et de personnalités qualifiées.

Ce comité pourra donner un avis sur les conséquences microéconomiques pour les entreprises d'un texte de loi. Il ne s'agira bien évidemment pas d'un avis sur l'opportunité du texte en question. Vous, parlementaires, êtes libres de voter le texte que vous voulez, mais les projets de loi que vous examinez sont normalement accompagnés d'études d'impact, de plus ou moins bonne facture, d'ailleurs. Ces études d'impact seront examinées par le CIE, qui pourra considérer que l'impact sur le fonctionnement quotidien des entreprises de certaines mesures a été sous-estimé ou au contraire correctement appréhendé. Vous pourrez donc voter la loi en étant parfaitement éclairés sur les conséquences très concrètes qu'elle pourra avoir.

Je précise que ce CIE relèvera d'une mission supplémentaire confiée au Conseil de la simplification pour les entreprises. Pour l'instant, il n'est pas prévu que son avis soit obligatoire ; le Gouvernement aura seulement la faculté de le saisir ou non. Néanmoins, il représentera un progrès considérable dans la fabrique de normes nouvelles ; la règle du « un pour un », actuellement valable pour les décrets, sera ainsi étendue à la production législative.

Vous avez par ailleurs insisté, madame Lamure, sur l'effort qu'il convient de faire en direction des PME. J'appelle à ce sujet votre attention sur les annonces qui ont été faites hier en direction de ces entreprises. Trois éléments importants de simplification ont notamment été évoqués.

Premièrement, une réflexion sur les seuils a été engagée. Comme vous le savez, les conséquences sociales et fiscales entraînées par le seuil de 50 salariés vont être gelées pendant trois ans. Les seuils de 9, 10 et 11 salariés seront également globalisés en un seuil unique de 11 salariés.

Par ailleurs, cela n'a pas été dit mais j'y insiste, vous n'êtes pas sans savoir que certaines entreprises éprouvent des difficultés à calculer les seuils, hésitant parfois à inclure les apprentis dans le décompte ou se demandant encore comment y faire figurer les temps partiels. Tout un travail de clarification des méthodes de calcul des seuils nous a été demandé par le Conseil de la simplification pour les entreprises ; nous comptons le réaliser d'ici à la rentrée prochaine.

Deuxièmement, dès le mois de janvier 2016, le dispositif dit d'« aide publique simplifiée » sera mis en place pour l'ensemble des entreprises, principalement pour les PME qui touchent des aides publiques. À cette date, ces entreprises n'auront plus aucune pièce justificative à fournir à l'administration de Bpifrance. Dans le courant de l'année prochaine, ce dispositif sera ensuite étendu à l'ensemble des aides publiques de l'État, voire des collectivités territoriales. Ces entreprises pourront solliciter un subventionnement uniquement avec leur numéro SIRET, comme cela leur est déjà possible dans le cadre de la procédure des marchés publics simplifiés. Elles s'épargneront ainsi le passage de la première enveloppe pour justifier de leur identité, à la condition, bien sûr, que les donneurs d'ordre, c'est-à-dire les communes, les départements ou les régions, utilisent le dispositif de marché public simplifié. Il leur suffira pour cela de se rendre sur une place de marché numérique, qui, dans la quasi-totalité des cas, offre ce produit. Cette méthode pour ouvrir la commande publique aux petites entreprises -je le dis devant les membres de la chambre représentant les collectivités territoriales, parce que ce dispositif n'est pas assez connu- est particulièrement appréciée de celles qui en bénéficient déjà.

Troisièmement, des annonces ont été faites sur le titre emploi-service entreprise. Objectivement, pour l'instant, ce dispositif ne marche pas très bien. Il s'agit d'une mesure qui était jusqu'alors un peu confidentielle et au périmètre limité. Je dirais même que son intérêt, notamment pour ce qui concerne les déclarations de cotisations sociales, était trop faible. Son utilisation sera donc élargie aux entreprises de moins de vingt salariés, et il sera plus intéressant d'y recourir. L'acte de recrutement des petites entreprises se verra donc facilité de manière considérable. Montre en main, en effet, une petite entreprise dénuée de service de ressources humaines met trois heures à embaucher un salarié. Avec ce dispositif, l'ensemble des déclarations nécessaires à l'embauche se fera de manière sécurisée et en un peu moins de cinq minutes.

Concernant la question des études d'impact européenne, je confirme que nous travaillons étroitement avec l'Allemagne et les Pays-Bas, notamment, en direction de M. Timmermans, premier vice-président de la Commission européenne, chargé de la simplification, afin de veiller à ce que la norme européenne soit de meilleure qualité et qu'elle soit produite après consultation obligatoire du monde économique, au lieu qu'elle sorte directement des cerveaux de l'administration bruxelloise. Il y aura là encore, à n'en pas douter, des progrès réalisés dans l'élaboration de la norme.

J'en viens à la question très importante des contrôles. Comme vous le savez, Frédérique Massat, députée de l'Ariège, mène actuellement une mission sur la question des contrôles agricoles. Elle remettra son rapport dans les tout prochains jours, dans lequel elle proposera au Gouvernement des mesures concrètes. Si j'en ignore la liste exacte, je peux néanmoins vous dire qu'il s'agira principalement de privilégier les contrôles sur pièces dans les exploitations, au lieu des contrôles sur place ; d'harmoniser les interprétations de la réglementation par les corps de contrôle ; de mieux coordonner autour du préfet les capacités de contrôle -Dieu sait qu'il est important, pour les petites entreprises, de ne pas voir les contrôleurs défiler chez elles chaque semaine et les empêcher de travailler- ; de rédiger une charte nationale des contrôles. En matière de contrôle, en effet, jurisprudence à Albi n'est pas nécessairement jurisprudence à Lille, par exemple, ce qui n'est pas normal : l'administration est une et indivisible ; même décentralisée, elle doit appliquer à peu près les mêmes règles.

Plusieurs orateurs ont également parlé de la surtransposition. L'importance du dispositif annoncé lundi dernier, qui s'applique désormais directement, a été soulignée. Ce dispositif est inspiré du système allemand dit de « double corbeille ». En Allemagne, en effet, le premier texte de transposition reste le plus proche possible du texte de la directive. Un débat législatif est organisé quelques mois après pour corriger ou adapter des dispositions du texte de transposition, voire en ajouter. J'aurais été assez partisan de la transposition de ce système en droit français, mais cela n'a pas été possible, malheureusement, pour des raisons assez complexes.

Néanmoins, le système que nous avons mis en place me semble donner toutes les garanties de transparence sur les questions de surtransposition.

Aujourd'hui, on sur transpose de bonne foi, sans s'en rendre compte. L'administration peut en effet présenter au Parlement un texte qui ne précise pas les éléments confinant à la surtransposition ; les parlementaires eux-mêmes peuvent amender au cours de leurs débats le texte qui leur a été soumis et tendent ainsi, là encore de bonne foi, à le sur transposer, introduisant ainsi des dispositions entraînant des distorsions de concurrence.

Désormais, un texte de base - la transposition a minima de la directive - sera d'abord soumis aux assemblées. Il sera suivi d'un second texte, accompagné obligatoirement d'une étude d'impact, qui en identifiera les éventuelles surtranspositions. Vous avez tout à fait le droit, en effet, de sur transposer un texte, en acceptant les propositions du Gouvernement ou en le complétant de vous-mêmes, pourvu que vous le fassiez en toute connaissance. Avec l'étude d'impact, vous pourrez ainsi mesurer les distorsions de concurrence entre les entreprises françaises et les entreprises étrangères que l'adoption de certaines dispositions pourrait entraîner.

Je tiens par ailleurs à remercier M. Cabanel pour ses propos aimables sur le travail effectué à propos des apprentis, notamment mineurs. Nous allons en effet développer un système extrêmement intéressant, qui s'appliquera dans de nombreux cas, et qui présume la bonne foi des entreprises. On ne peut pas travailler autrement ! Auparavant, en effet, quand elles employaient un apprenti mineur, les entreprises devaient demander à l'inspection du travail l'autorisation de le faire travailler sur une machine dangereuse ou en hauteur. Désormais, elles n'auront qu'à remplir une déclaration pour ce faire, sans attendre l'autorisation explicite de l'administration, laquelle disposera par ailleurs de toutes les statistiques nécessaires à la conduite des contrôles qu'elle jugera utiles.

M. Watrin a posé une question très importante sur le lien entre simplification et déréglementation. Ce n'est pas qu'une question de philosophie politique, d'ailleurs ; elle se pose sur toutes les travées de cet hémicycle. La réponse doit donc être extrêmement précise. En effet, si l'on veut inscrire la politique de simplification dans la durée, ma conviction personnelle est qu'elle ne doit pas être mélangée avec la déréglementation. La simplification est un combat au nom du droit, et non pas pour moins de droit. C'est un combat qui doit rendre le droit lisible, pour qu'il soit efficace.

Les assemblées sont libres ; le débat public, les choix collectifs peuvent décider certaines formations politiques à remettre en cause certains droits. Mais c'est un autre sujet ; il ne s'agit pas là de simplification. Certains voudraient par exemple voir passer le code du travail de 3 500 à 50 pages. Cette décision n'a rien à voir avec de la simplification ; elle relève d'un choix collectif, formé librement, chacun étant libre de ses convictions. La simplification, je le répète, est un combat au nom du droit. Croyez-moi, il y a assez à faire en la matière pour ne pas la polluer avec des objectifs qui ne sont pas les siens.

M. Collin, qui a illustré son propos en évoquant Tocqueville, a insisté sur les déclarations demandées aux entreprises et sur la lourdeur administrative. J'appelle son attention sur le programme « Dites-le-nous une fois », dont les bases juridiques permettant de le mettre en oeuvre, pour l'essentiel, à compter du 1er janvier 2017 - même si, d'ici là, quelques applications anticipées sont prévues - ont été adoptées en conseil des ministres il y a une quinzaine de jours.

Ce programme permettra aux entreprises françaises de ne jamais plus donner de pièce justificative - fiscale, sociale, comptable notamment - à une administration, quelle qu'elle soit, si une autre administration en dispose déjà. Ce programme requiert la mise en place de nombreux outils informatiques, que nous sommes en train d'élaborer. Il représentera une petite révolution dans la vie des entreprises : la plupart de leurs démarches administratives actuelles disparaîtront, les pièces justificatives qu'elles requièrent ayant déjà été envoyées à une administration ou une autre.

M. Canevet a insisté sur la nécessité d'inscrire cette politique dans la durée. Il a tout à fait raison. Le précédent ministre britannique chargé de ces questions, camarade de classe, témoin de mariage et bras droit au parti conservateur de David Cameron, m'a confié un jour qu'il travaillait à la simplification depuis dix ans, mais qu'il en restait encore au moins pour cinq ans. Il ne faut donc pas se leurrer : en France aussi, nous en avons pris pour quinze ans ! Il est donc plus que nécessaire d'inscrire ce travail dans la durée.

M. Vaspart nous a interrogés sur le projet de loi relatif au dialogue social et à l'emploi. De mon point de vue, il contient des éléments de simplification, mais je n'entrerai pas plus avant dans le débat, ce texte devant être examiné bientôt au Sénat.

M. Durain a été franc -il a eu raison- lorsqu'il a abordé la question de la pénibilité. Nous avons beaucoup épaulé Christophe Sirugue, Gérard Huot et Michel de Virville pour rendre ce dispositif efficace et corriger la première version, qui était insuffisante.

Les référentiels de branche nous offrent désormais les moyens, si les branches jouent le jeu - leurs premières réactions indiquent que ce devrait être le cas -, de faire entrer ce droit social important dans les faits. Une étude de l'OCDE montre, et ce n'est pas suffisamment souligné, que les critères de pénibilité retenus dans notre pays existent déjà ailleurs en Europe. Nous n'avons donc rien inventé. Mais il faut faire en sorte que ce droit soit d'application simple pour les entreprises. Tel est déjà le cas, et certains éléments de simplification figurent dans le projet de loi présenté par M. Rebsamen.

M. Cadic a fait référence à des témoignages de jeunes entrepreneurs français implantés en Grande-Bretagne qui trouveraient trop compliqué d'exercer leur activité en France. Pour ma part, je préfère m'en tenir à certains éléments : selon la dernière étude du Wall Street Journal , la France réalise actuellement de très gros progrès et se classe à la septième position mondiale en matière d'accueil des start-up ; d'autres organismes nous placent même en deuxième position !

Peut-être certains dispositifs fiscaux sont-ils plus lourds que chez nos voisins d'outre-Manche. Mais chacun voit midi à sa porte ! La France est l'un des pays les plus accueillants pour les start-up au monde. Le nouveau régime des plus-values de cession, mis en place après l'épisode malheureux de la « révolte des pigeons », est l'un des plus intéressants en Europe. On peut donc parfaitement créer une entreprise et réussir en France !

M. Cornu a soulevé une question pertinente : pourquoi la France a-t-elle tendance à sur transposer ? En réalité, ce serait plutôt à moi de vous le demander, mesdames, messieurs les sénateurs ; après tout, c'est bien vous qui votez les lois ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.) En matière de complexité, nous sommes tous, Gouvernement et Parlement, sur le même bateau. Par exemple, le projet de loi Macron, qui se composait d'environ 200 articles à l'origine, en compte près de 400 après son examen par les deux assemblées. Nous avons donc tous, membres du Gouvernement et parlementaires, des efforts à faire pour avoir la main un peu moins lourde lorsqu'il s'agit d'ajouter des textes à des textes !

La revue des normes, sur laquelle M. Mandelli m'a interrogé, fait partie de nos propositions. Elle sera utile aux entreprises et résultera d'une méthode collaborative. Il appartiendra au Conseil national de l'industrie d'effectuer ce travail de revue des normes résultant de surtranspositions de ces dix dernières années et de proposer des mesures de simplification.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je pense que notre dispositif est sérieux, même si vous avez le droit de le critiquer.

Toutefois, comme je le répète souvent à mes collaborateurs, nous devons combler une lacune. Nous ne pourrons convaincre l'administration, les parlementaires et les entreprises de la sincérité et de l'efficacité de nos efforts qu'à la condition de développer des outils d'évaluation indépendants. Ce n'est pas au Gouvernement de s'attribuer un autosatisfecit ! Et ce n'est pas non plus aux parlementaires, qui sont soumis au jeu des majorités politiques, de faire ce travail d'évaluation. Il faut des organismes indépendants, à l'instar de ce qui se pratique à l'étranger.

Nous préparons actuellement un cahier des charges. Je pense que l'effort de simplification sera déjà suffisamment important d'ici à la fin de l'année pour pouvoir procéder à une évaluation indépendante à ce stade. Nous confierons à quelques universités françaises le soin de mesurer les effets microéconomiques et, si possible, macroéconomiques de la simplification sur la vie quotidienne des entreprises. À mon avis, ils seront massifs ! En Grande-Bretagne, la simplification et la réduction des charges administratives ont permis d'économiser un peu plus de 2 milliards d'euros par an. Et le chiffre n'est pas très éloigné en Allemagne. Je pense que nous pouvons faire mieux. Un certain nombre de réformes structurelles, par exemple sur la fiche de paie ou la déclaration sociale nominative, permettent de réaliser des gains de compétitivité importants.

J'espère pouvoir revenir devant la Haute Assemblée l'an prochain, par exemple pour participer à un débat comme celui d'aujourd'hui, et convaincre les parlementaires, évaluation indépendante à la main, de l'intérêt et de l'efficacité de cette politique ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du RDSE. - Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Durain, pour la réplique.

M. Jérôme Durain. Madame la présidente, Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, cette politique de simplification nous offre une belle occasion de transformer l'environnement juridique de nos entreprises. Ne la gâchons donc pas !

Les chefs d'entreprise sont des gens concrets, pragmatiques. Ils attendent de nous des mesures concrètes. C'est ce que vous proposez, monsieur le secrétaire d'État. Vous avez expliqué la méthode et formulé des propositions de collaboration avec la délégation aux entreprises, que préside Élisabeth Lamure. Je pense qu'il faut y répondre favorablement.

Cela étant, je ne partage pas le point de vue de M. Cadic. L'enjeu n'est pas de choisir entre légiférer mieux ou légiférer moins. Il faut légiférer juste ! Je ne souscris pas à un objectif politique libéral de simple dérégulation. Derrière les normes, il y a des droits : droit du travail, droit des personnes handicapées, droit de l'environnement... À cet égard, je trouve convaincants les éléments explicatifs que M. le secrétaire d'État a développés sur les premiers résultats de la politique de simplification. Nous le constatons bien, il faut sortir de l'approche un peu simple d'une apparente opposition entre, d'un côté, l'administration et, de l'autre, les entreprises. Il faut agir dans un même mouvement pour protéger les droits et faciliter l'activité économique à la fois.

Nous pouvons donc ensemble dessiner un paysage économique collaboratif, pour reprendre les mots de M. le secrétaire d'État, où les administrations sont aux côtés des chefs d'entreprise, dans l'accompagnement et dans la confiance, comme le soulignait Mme Lamure.

C'est à nous tous, sur toutes les travées de cet hémicycle, de relever ce défi. Il n'y a pas ceux qui aiment l'administration d'un côté et ceux qui aiment les entreprises de l'autre.

Dans l'esprit de ce qu'a indiqué M. le secrétaire d'État, nous devons encourager le mouvement pour plus de compétitivité, plus d'équité et plus d'attractivité. En un mot, soyons pragmatiques ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Lamure, pour la réplique.

Mme Élisabeth Lamure. Monsieur le secrétaire d'État, je veux tout d'abord vous remercier de votre écoute s'agissant des préoccupations des entreprises que nous avons exprimées dans cette enceinte. Je salue votre action. J'espère que nous pourrons en sentir les effets concrets lors de nos prochains déplacements sur le terrain.

J'ai également pris bonne note de la mise en place du comité impact entreprises. Je pense que cela devrait permettre d'accélérer les mesures.

Je souhaite maintenant attirer l'attention du Gouvernement sur un élément qui est peut-être un peu sous-estimé à Paris. Lors de nos rencontres, nous avons pu constater qu'il existait des différences d'interprétation des normes en vigueur selon les territoires. Ainsi, certaines administrations ont trop souvent tendance à pêcher par excès de zèle en la matière. Des entreprises ont dénoncé la rigidité de certaines directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement, ou DREAL, ou la longueur des délais d'obtention de permis, agréments ou certifications techniques.

L'administration doit faciliter la vie des entreprises, et non l'entraver encore plus. Dans leur rapport, auquel j'ai fait référence tout à l'heure, Alain Lambert et Jean-Claude Boulard ont émis une proposition intéressante. Dénonçant « l'intégrisme normatif », ils ont appelé de leurs voeux une instruction du Premier ministre, afin de demander aux autorités administratives, lorsqu'elles font application d'une norme, d'en délivrer une interprétation facilitatrice.

À mon sens, il faut absolument tenir compte du contexte du projet, du dossier et de la situation locale. L'administration doit être amenée à faciliter plutôt qu'à empêcher. Elle doit être non pas un frein, mais une aide. Il lui faut, me semble-t-il, opérer un véritable changement d'esprit. Cela rendrait un grand service aux entreprises. (Applaudissements.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec cette question orale avec débat sur le bilan de la circulaire du 17 juillet 2013 relative à la mise en oeuvre du gel de la réglementation en ce qui concerne les entreprises.

4. Examen du rapport de Mme Élisabeth Lamure et M. Olivier Cadic par la Délégation réunie le jeudi 18 juin 2015

Mme Élisabeth Lamure, présidente.- Je vous propose de débuter par la présentation d'Oliver Cadic du rapport relatif aux environnements britanniques et français du point de vue des entreprises rencontrées à Londres, en avril dernier. Dans un second temps, Mme Nicole Bricq nous fera le compte rendu de notre dernier déplacement en Seine-et-Marne.

M. Olivier Cadic, rapporteur.- Madame la Présidente, mes chers collègues, vous l'avez tous dit à plusieurs reprises, il est de notre devoir, en tant que membres de la Délégation aux entreprises, de peser sur le débat et de contribuer aux réflexions qui permettront de définir les réformes utiles aux entreprises, pour enfin libérer leur croissance.

Lors de la question orale avec débat du 10 juin dernier, nous avons demandé au Gouvernement un bilan de l'application de la circulaire du 17 juillet 2013 relative à la mise en oeuvre du gel de la réglementation en ce qui concerne les entreprises.

Madame la Présidente, vous avez interrogé le secrétaire d'État chargé de la réforme de l'État et de la simplification en rappelant les exemples de nos voisins, comme le Normenkontrollrat en Allemagne , organe indépendant créé en 2006 pour réduire la bureaucratie. Ou encore le Regulatory Policy Committee , créé en 2009 au Royaume-Uni et chargé de vérifier les estimations des coûts et bénéfices de chaque norme envisagée, en termes économiques, sociaux et environnementaux.

J'ai moi-même fait référence à l'Office of Tax Simplification en en rappelant le succès outre-Manche, au regard des économies réalisées pour les entreprises installées au Royaume-Uni.

Je crois que nous avons tout intérêt à rappeler ce que font nos partenaires européens qui réussissent à soutenir les entreprises et connaissent le plein emploi. C'est la raison pour laquelle ce matin nous voulons vous proposer de publier un rapport d'information reprenant les enseignements tirés de notre déplacement au Royaume-Uni. Avec Mme Lamure, nous y reprenons tous les éléments évoqués au cours des échanges et visites organisés à Londres le 13 avril dernier, en apportant des analyses et statistiques permettant d'étayer les arguments développés par les entrepreneurs rencontrés.

En première partie, nous rappelons les chiffres caractérisant l'économie britannique en les comparant à ceux de la France et d'autres membres de l'Union européenne. Nous y proposons une analyse sans tabou, en nous interrogeant sur la précarité régulièrement dénoncée outre-Manche. Pourtant les études menées sur les personnes bénéficiant d'un contrat « zéro heure », tout comme les indices de la Banque mondiale ou de l'OCDE montrent que non seulement les inégalités n'ont pas cru avec les réformes de David Cameron, mais que le revenu moyen ajusté net des ménages est proche de celui de la France.

Nous rappelons également que la culture économique britannique a été qualifiée par nos interlocuteurs de « relativement récente », car elle est née avec Margaret Thatcher, au début des années 1980. La « révolution » opérée ensuite par Tony Blair en 1995 a été déterminante, notamment pour que l'administration accompagne la stratégie du Gouvernement. Il est d'ailleurs intéressant de comparer la portée du mot « révolution » dans les analyses relatives au Royaume-Uni et en France. En effet, lors du débat du 10 juin, le secrétaire d'Etat nous a répondu, en parlant du Conseil de la simplification, que « la procédure collaborative représente une mini-révolution. En France, culturellement, les normes sont produites par l'administration pour répondre à une orientation politique, mais on ne se soucie pas des modalités d'application... (...) ». Évidemment, lorsqu'on entend cela, on réalise que nous sommes encore loin de la révolution du parti travailliste de 1997. Mais si nous rappelons régulièrement ce qui marche chez nos voisins, alors nous finirons certainement par aider les entreprises françaises. D'ailleurs le secrétaire d'État lui-même a expliqué avoir fait un « tour d'Europe des exemples qui ont donné plus ou moins de résultats » et en avoir « retenu quelques principes d'action ».

La seconde partie du rapport détaille le pragmatisme britannique qui inspire tant les entrepreneurs français.

Nous y évoquons la simplicité fiscale - avec un coût du travail beaucoup moins élevé qu'en France, et la simplicité administrative avec la règle du « One in, One out » devenue « One in, Two out » : elle a permis aux entreprises de réaliser des économies s'élevant à 2,2 milliards de livres, soit plus de 3 milliards d'euros.

La flexibilité y est également abordée, avec l'utilisation du temps de travail lors de la crise comme outil de dialogue social pour éviter les licenciements. La question des indemnités montre également les différences de coûts pour des employeurs en France et Royaume-Uni. Il est intéressant d'avoir ces exemples en tête alors que le Premier ministre vient d'annoncer le plafonnement des indemnités en cas de licenciement injustifié.

Enfin nous abordons le pragmatisme sous l'angle de la confiance : confiance dans les entreprises appelées à se développer, avec des mesures attirant les investissements ; confiance à l'égard des entrepreneurs que l'administration fiscale n'empêche pas de travailler ; mais aussi confiance dans la relation contractuelle entre employeur et employé. Le rapport d'Alain Lacabarats sur la justice prud'homale est saisissant : la France a été condamnée 58 fois en 2012, et 51 fois en 2013 avec un montant de 1,4 million d'euros. Avec des dysfonctionnements aussi graves, peut-on réellement affirmer que le droit du travail protège les salariés en France ?

Voici, mes chers collègues, la structure du rapport que nous vous proposons de publier, afin que notre déplacement au Royaume-Uni laisse une trace et puisse contribuer au débat qui nous préoccupe tous.

Je vous remercie.

Mme Élisabeth Lamure, présidente.- Merci pour le résumé de ce rapport traduisant les témoignages recueillis lors de notre déplacement à Londres.

M. Dominique Watrin.- Je ne partage en aucun cas les conclusions de ce rapport que je considère comme un rapport idéologique, ne traduisant pas fidèlement la réalité du Royaume-Uni.

Tout d'abord, vous évoquez un taux de chômage de 5,4% mais il diffère de ce qui est annoncé dans l'ouvrage du cercle d'outre-Manche relatif à la France et au Royaume-Uni face à la crise, que vous nous avez communiqué. Il y est précisé que le chiffre britannique de 2,5 millions de chômeurs en 2013 ne prend pas en compte les chômeurs qui ont travaillé à temps partiel, ceux qui ont abandonné toute recherche d'emploi ni ceux qui ont reçu une formation. Le congrès des syndicats britanniques -TUC- estime que le chômage au Royaume-Uni, toutes catégories confondues, touche au total 4,7 millions de personnes.  Toute comparaison appelle donc une grande prudence.

D'autre part, il me semble nécessaire d'évoquer tous les aspects du modèle britannique que vous présentez comme porteur d'effets positifs et de réformes utiles aux entreprises, et qui, selon vous, fonctionnerait mieux qu'en France. Je voudrais donc apporter des précisions sur les conséquences tout d'abord sociales, puis économiques de ce modèle.

D'un point de vue social d'abord, je m'attacherai simplement à rappeler certaines données que je tire directement de l'étude comparative du cercle d'outre-Manche précitée. Cette dernière nous apprend notamment qu'il existe au Royaume-Uni des « sous-SMIC jeunes ». Ainsi, en 2014, pour les moins de 18 ans, le salaire minimum est de 4,5 euros de l'heure, pour les 18-21 ans, de 6 euros de l'heure et pour les 22 ans et plus, le salaire minimum est de 7,5 euros de l'heure alors qu'en France le SMIC s'établit à 9,43 euros de l'heure pour tous les travailleurs. Si telle est la voie que nous voulons prendre, il s'agit de le dire clairement et distinctement.

Par ailleurs, je m'inscris en faux contre l'affirmation selon laquelle les « contrats zéro heure » n'auraient pas créé de précarité. Sans dire que ces derniers sont l'unique cause de l'explosion de la précarité en Grande-Bretagne, il me semble que cela en est probablement une. Les salariés sous contrat « zéro heure » expriment le fait qu'ils vivent « au jour le jour » sans aucune perspective. Ce modèle ne me paraît pas nécessairement transposable en France.

Je souligne également qu'outre le développement des « contrats zéro heure », les allocations sociales ont été attaquées de toutes parts -ce qui a valu au Premier ministre un surnom de « boucher des allocations ». Un exemple frappant est celui de la bedroom tax qui frappe les plus personnes les plus vulnérables, en leur retirant des aides au logement ; elle a notamment touché les personnes handicapées utilisant une pièce pour y stocker leur matériel médical.

Le bilan social de ce modèle comprend 13 millions de britanniques vivant aujourd'hui sous le seuil de pauvreté et 1 million de personnes - contre quelques dizaines de milliers auparavant - ayant recours au Trussell trust , la principale banque alimentaire britannique.

J'entends bien que vous souhaitez surtout vous inspirer du système britannique d'un point de vue économique, et non pas social, mais une fois encore, un certain nombre d'éléments me permettent de nuancer fortement, voire de contredire, le tableau que vous faites des réussites économiques découlant de ce modèle. Tout d'abord, la Grande-Bretagne vient seulement de retrouver son niveau de PIB d'avant-crise, quand la France l'a retrouvé bien avant. Les lois sociales et le code du travail sont autant d'amortisseurs sociaux qui nous ont préservés. De ce point de vue, notre modèle est plus efficace.

D'autres indicateurs économiques à contre-courant de l'apparence de réussite économique du Royaume-Uni, peuvent être mis en avant. Le niveau de déficit public s'établit à 6,5% -je reprends ici les chiffres de l'ouvrage du cercle d'outre-Manche-, l'endettement des ménages britanniques est deux fois plus important que celui des ménages français. Enfin, vous avez souvent mis l'accent, à juste titre, sur la croissance de l'investissement productif, de 8,5% en 2014. Toutefois cette hausse intervient après une chute de 20% entre 2008 et 2013.

Pour conclure et à l'aune de l'ensemble de ces paramètres, je ne vois dans le système britannique ni l'efficacité économique que vous défendez, ni l'efficacité sociale et encore moins un rôle de modèle.

Mme Nicole Bricq .- Je suis membre du Conseil de la simplification, dont les travaux comportent un volet relatif aux entreprises. Cette instance, qui se réunit le jeudi matin, a également adopté une approche comparative. Nous avons présenté, le premier juin dernier, une cinquantaine de propositions dont un certain nombre rejoignent les mesures que vous décrivez dans votre rapport.

J'ajoute que notre collègue député Christophe Sirugue a produit un rapport qui se traduira par une simplification législative du compte pénibilité.

M. Martial Bourquin.- Il me semble intéressant de se pencher sur les causes du succès britannique, car les chiffres de 2,6% de croissance ou de 2,4 millions d'emplois créés ne peuvent nous laisser indifférents.

J'aimerais d'abord souligner la part de l'assouplissement monétaire, dont les effets contribueraient, selon certains économistes, à un quart de la réussite économique. Néanmoins, la question monétaire n'est pas la seule raison d'un tel succès qui tient également à certaines spécificités de la Grande-Bretagne à laquelle la France ne peut, ni ne doit s'assimiler, en raison d'une tradition et d'une culture différente de part et d'autre de la Manche. Il s'agit dès lors de trouver un juste milieu et de s'inspirer de certaines mesures, je pense notamment à celles qui ont pour but de prioriser la création d'emploi et de valeur en soutenant l'investissement dans les entreprises. Le système d'aide à l'investissement dans les entreprises a été renforcé, passant de 20% à 30% puis à 50% de réduction d'impôts pour les sommes investies dans les entreprises. Cette initiative de soutien de l'économie réelle me semble indispensable.

Par ailleurs, on ne rappelle plus l'importance d'une stabilité fiscale pour créer un environnement favorable à l'activité des entreprises.

Enfin, David Cameron disait qu'il souhaitait « la main d'oeuvre la plus compétente et la plus flexible d'Europe » , on touche là à des questions qui concernent directement le code du travail.

Ainsi, un certain nombre d'éléments clés du modèle britannique peuvent nous inspirer et il ne faut pas, à mon sens, tout rejeter en bloc. Un tel niveau de croissance doit inciter à nous questionner. Corrélativement, il faut garder les pieds sur terre et savoir concilier nos traditions avec la nécessité de la réforme. Il me semble en revanche incontournable de prioriser la création de valeur ajoutée et l'entreprise.

Mme Élisabeth Lamure, présidente.- Je rejoins totalement Martial Bourquin lorsqu'il souhaite trouver un « juste milieu » entre nos deux modèles. Je rappelle que la France possède de nombreux atouts que l'on souhaite conserver et qu'il ne s'agit pas de vouloir ressembler à la Grande-Bretagne. D'un autre côté, certaines mesures mises en oeuvre par notre voisin britannique peuvent nous inspirer.

M. Olivier Cadic, rapporteur.- Assurément, le fait de comparer la France et le Royaume-Uni créée un choc culturel. Notre démarche, lorsque nous avons programmé le déplacement à Londres, s'inscrivait dans une volonté de partir à la découverte de nos différences sans a priori , tout en gardant en tête que la France ne sera jamais le Royaume-Uni et inversement. Il y aura toujours en revanche un respect mutuel de nos différences.

Pour répondre plus précisément à la remarque de M. Watrin sur le SMIC évolutif, je tiens à souligner que le Royaume-Uni n'est pas le seul pays à avoir fait le choix d'un emploi moins payé pour enrayer le chômage de masse des jeunes. La France a pour le moment fait le choix inverse, mais il me semble que dans la conjoncture actuelle, la question mérite d'être posée.

En revanche, je tiens à être clair sur le fait que tous les chiffres qui vous ont été communiqués sont officiels ; ainsi le taux de chômage au Royaume-Uni, en date de février 2015, s'établit à 5,4%.

Le cercle d'outre-Manche, dont les travaux datent de 2014, a clairement différencié les stratégies britannique et française, que l'on peut respectivement qualifier « d'économie trampoline » et « d'économie de l'édredon» : si la France a bénéficié d'amortisseurs sociaux, force est de constater que l'on rebondit moins vite.

Mme Élisabeth Lamure, présidente.- Nous tenions à témoigner de notre expérience à Londres et, sans vouloir copier le modèle britannique, nous pouvons néanmoins nous inspirer de ce dernier pour retenir un certain nombre de mesures qui pourraient être bénéfiques pour l'économie française.

Je vous demande à présent votre accord pour la publication de ce rapport qui reprendra en annexe le compte rendu de cette discussion afin que toutes les opinions soient représentées.

La Délégation autorise la publication du rapport.

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