B. LES AUTRES MISSIONS : DES INITIATIVES FRUCTUEUSES, DES ERREMENTS DOMMAGEABLES, DES ECHECS PATENTS

1. L'encouragement de l'offre légale et la sensibilisation au droit d'auteur à l'ère numérique : la Hadopi dépassée
a) Le développement de l'offre légale : une méthode inadaptée

La mission de la Hadopi en matière de développement de l'offre légale constitue le pendant indispensable à la réponse graduée . Cette mission, ajoutée à l' initiative du Sénat lors de l'examen de la loi Hadopi 1, implique une triple activité : encourager le développement de l'offre dans tous les secteurs culturels en ligne, renseigner les consommateurs et apporter une visibilité à l'offre légale, enfin favoriser la disponibilité des oeuvres et aider les utilisateurs à y accéder.

Dès 2009, dans un article intitulé « Donnez envie de télécharger légalement » publié dans les Échos le 4 septembre 2009, Edmond Baranes, justifiait la corrélation entre le dispositif de la protection des oeuvres et celui de la promotion des offres légales. Il y considérait : « À côté des mécanismes de sanction permettant de dissuader le piratage, il est nécessaire de définir puis de mettre en oeuvre des mécanismes conduisant les internautes à modifier leurs comportements et les acteurs de l'écosystème à développer des offres légales de diffusion des contenus. À trop centrer le dispositif sur les sanctions, même sous forme d'une réponse graduée, le risque est trop fort de voir s'adapter les comportements de piratage mais, aussi, de voir les plateformes de diffusion illicites contourner les obstacles en se dotant d'innovations techniques permettant de s'adapter au contexte réglementaire. La question de la sanction est un élément en arrière-plan permettant de répondre à court terme à certains comportements illicites. Au-delà des mécanismes de répression, qui ont leurs propres limites, l'Hadopi doit avoir les moyens d'impulser une politique active du côté de la demande (agissant principalement sur le comportement des internautes) mais également du côté de l'offre (incitant les plateformes de diffusion à construire des modèles économiques durables et respectueux des aidants droit). »

À cet effet, conformément aux termes de la loi, la Haute Autorité a d'abord, mis en place, en 2011, une procédure de labellisation des sites, maladroitement nommée PUR, proposant une offre culturelle légale. À la fin de l'année 2012, près de soixante-dix plateformes, répondant à une grande diversité d'offres et de modes de diffusion, avaient obtenu ce label. Un portail de référencement des offres légales, également prévu par les textes, a, en outre, été créé (www.pur.fr). Son existence resta confidentielle, puisqu'il ne comptabilisa, au mieux, qu'environ 10 000 visites par mois. Comme le rappelait à votre mission d'information Alexandra Laferrière, responsable des relations institutionnelles de Google France, la Hadopi avait alors demandé à Google de privilégier les sites bénéficiant du label dans son moteur de recherche. Mais cette demande n'avait pu aboutir, notamment parce que tous les sites labellisés ne pouvant figurer en première page, le choix opéré risquait de créer des inégalités concurrentielles.

Ce portail ne permettait, en outre, aucunement de télécharger une oeuvre en direct ; il se limitait à référencer des sites. Il convient de rappeler que la proposition de création d'une plateforme publique de téléchargement, issue d'un amendement communiste, avait été votée à l'unanimité par l'Assemblée nationale puis par le Sénat lors des débats relatifs au projet de loi DADVSI, sans que cette initiative n'ait eu une quelconque suite.

Il s'avéra rapidement que la labellisation des offres légales et leur référencement demeuraient des outils insatisfaisants, ni valorisants commercialement, ni attractifs auprès du public . À défaut de fédérer les offres les plus populaires, ils n'ont pu répondre aux attentes des internautes en matière d'identification des contenus légaux. Pire, il était devenu, pour le public averti, un sujet de raillerie. On se souvient, à cet égard, avec une certaine gêne de la campagne de publicité lancée en 2011, dans laquelle une jeune artiste tentait de convaincre que le piratage tuait la création de demain, l'empêchant, en 2022, de sortir son single « I prefer your clone » . La Hadopi elle-même, dans un exercice d'autocritique administrative suffisamment rare pour être souligné , a pris acte de cet échec dans son rapport d'activité pour la période courant de juin 2012 à juin 2013 et en a tiré les conséquences.

Le remplacement du label PUR par le label « Offre légale Hadopi », dès 2013, a ainsi permis à l'institution de diffuser un message plus explicite aux consommateurs. Le site www.offrelegale.fr a reçu 300 000 visiteurs uniques en 2014, dont 71 % sur sa partie « sites & services » : les progrès sont indéniables.

Par ailleurs, en 2014, année qui constitue un véritable tournant dans les méthodes de travail de l'institution en matière d'offre légale, la refonte de la plateforme de référencement pour y adjoindre des offres non labellisées mais pouvant néanmoins être regardées comme légales offre la possibilité de mettre à la disposition du public un plus grand nombre de services légaux, dans tous les domaines de la création culturelle. 421 plateformes y étaient recensées en mars 2015 : 44 pour la musique, 82 pour la vidéo à la demande, 53 pour la télévision de rattrapage, 188 pour le livre numérique et 28 pour le jeu vidéo.

ÉVOLUTION DES PLATEFORMES RECENSÉES PAR SECTEUR

Source : Hadopi

Pour Frédéric Nassar, ancien directeur délégué à la diffusion des oeuvres de la Hadopi, a fait part à votre mission d'information des difficultés de l'institution en la matière. À sa décharge, il convient de rappeler que la création d'un label et d'un site de référencement constituaient, pour la Hadopi, des obligations légales . Or, pour être efficace, il aurait fallu un système d' open data , solution qui s'est heurtée à l'opposition des ayants droit , comme le rappelait également Julien Neutres, chargé de mission au CNC pour l'offre légale, lors de son audition. De fait, les titulaires de droits n'ont pas souhaité que soit rendu public le contenu de leur catalogue, ainsi que les droits dont ils disposaient et les prix proposés.

Si la carence du référencement des offres labellisées a, malgré tout, été en partie comblée par le référencement des sites et services culturels en ligne pouvant apparaître comme légaux, une limite majeure demeure : les internautes ne recherchent pas un site, mais une oeuvre. Ce constat a conduit la Haute Autorité à concevoir en 2013, puis à mettre en oeuvre l'année suivante, un dispositif permettant aux internautes de lui signaler les oeuvres introuvables et de solliciter son aide pour y accéder légalement. En mars 2015, 771 signalements portant sur 703 oeuvres (101 musiques, 357 films, 201 séries, 35 livres numériques et 9 jeux vidéo) avaient été enregistrés. À l'issue de la recherche réalisée par la Hadopi, il apparaît que près du quart des oeuvres signalées sont en réalité disponibles, signe que les internautes connaissent encore mal l'offre légale.

NIVEAU DE CONNAISSANCE DÉCLARÉE DE L'OFFRE LÉGALE

Source : Hadopi

De cette heureuse initiative ne peut toutefois être conclue la réussite, par la Hadopi, de sa mission d'encouragement de l'offre légale. Les errements méthodiques des premières années, comme son isolement institutionnel - la légitimité de l'institution en matière d'offre légale n'est que peu ou pas reconnue, tant par la majorité des acteurs privés que par certaines institutions ou établissements publics -, mais également la limitation des moyens financiers, humains et techniques disponibles à cet effet (un seul agent dédié en 2015, contre sept en 2012) ont progressivement conduit à ce que la Hadopi soit partiellement dépossédée de cette mission.

Comme l'explique fort justement Benjamin Petrover dans son ouvrage précité sur la crise de la musique, les industriels ont pris conscience de l'obligation qu'il y avait de développer une offre légale attractive pour lutter véritablement efficacement contre le piratage . Dès lors, les « majors » ont accepté que leurs catalogues soient disponibles en ligne, sur des sites comme ITunes pour le téléchargement ou Deezer et Spotify pour le « streaming » . L'offre légale est aujourd'hui un succès en musique avec trente millions de titres disponibles en France, grâce aux accords passés entre les producteurs, les plateformes et la SACEM. Si la consommation d'oeuvres par voie numérique demeure moins rentable, elle constitue néanmoins une source de revenus appréciable pour les artistes et les producteurs, tandis que le piratage a visiblement marqué le pas.

Au côté des industriels eux-mêmes, d'autres acteurs ont pris des initiatives en matière de référencement de l'offre légale , concurrençant ainsi fortement la Hadopi. On citera ainsi la création, par le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), d'un service permettant une recherche par oeuvre via le site vad.cnc.fr , qui renvoie lui-même vers des sites partenaires comme Allociné, Première ou Télérama par exemple, où les oeuvres disponibles légalement sont référencées. Pour être tout à fait juste, même s'il convient de se féliciter de la création d'un tel outil, il faut rappeler qu'il fût initialement pensé par la Hadopi - Marie-Françoise Marais, présidente de la Hadopi, avait même, ironie de l'histoire, proposé à Frédérique Bredin, présidente du CNC, de s'associer au projet - jusqu'à ce que les ayants droit et, en premier chef, l'ALPA affichent leur intention de ne travailler qu'avec le seul CNC.

b) Les actions de sensibilisation : un cruel manque de moyens

La Hadopi, parallèlement à la promotion de l'offre légale, a pris l'initiative, heureuse, de développer une action ciblée à destination de la communauté éducative et du jeune public , pour les sensibiliser au droit d'auteur et à la création numérique de façon positive et non-anxiogène, en les mettant en situation de créateurs.

La démarche de l'Hadopi s'est déroulée en plusieurs étapes :

- une phase de terrain en 2011-2012 afin de recueillir les besoins et comprendre les attentes de la communauté éducative , grâce à des évènements (Prix national lycéen du cinéma, en partenariat avec le ministère de l'éducation nationale et le CNC, par exemple) et une série d'entretiens avec le ministère de l'éducation nationale, avec de nombreuses académies (Paris, Nancy, Strasbourg, Nice etc.) et divers établissements, éditeurs scolaires, fédérations d'étudiants et de parents d'élèves, acteurs institutionnels (centre de liaison de l'enseignement et des médias d'information - CLEMI -, centres régionaux de documentation pédagogique) et associations (association d'avocats bénévoles Initiadroit ) ;

- une phase de dialogue avec le ministère de l'éducation nationale en 2012-2013 ( service de l'instruction publique et de l'action pédagogique de la direction générale de l'enseignement scolaire - DGESCO) pour envisager une collaboration, notamment dans le cadre de la formation à l'utilisation des outils et des ressources numériques, qui « comporte une sensibilisation aux droits et aux devoirs liés à l'usage de l'internet et des réseaux, dont la protection de la vie privée et le respect de la propriété intellectuelle » (L. 312-9 du code de l'éducation).

Cette démarche n'a pas pu aboutir à la mise en place d'une coopération entre le ministère de l'éducation nationale et l'Hadopi à l'échelle nationale , pour plusieurs raisons. D'abord, la proposition de l'Hadopi n'étant prévue par aucune disposition législative ou règlementaire, elle s'est heurtée à une difficulté juridique , compte tenu des conditions très strictes qui encadrent l'intervention d'organismes tiers dans l'environnement scolaire. Ensuite, la concrétisation d'une telle démarche aurait supposé un travail de construction pédagogique concerté. Or, l'Hadopi ne pouvait fournir une offre « clé en main » par classe d'âge. Enfin, des réticences liées à l'image de l'Hadopi et aux doutes quant à sa pérennité ont pu également peser.

En conséquence, la Hadopi a opté pour des coopérations locales avec les académies , en proposant aux acteurs (recteurs, délégués académiques au numérique, délégués académiques à la vie lycéenne) de concevoir et de réaliser avec eux des actions dédiées à leurs besoins spécifiques auprès du personnel encadrant, des référents au numérique, des enseignants, des documentalistes et des élèves. Le succès de ce concept a confirmé l'attente de la communauté éducative en la matière. Plusieurs actions ont été menées dans ce cadre, en étroite collaboration avec les responsables pédagogiques : sensibilisation de 400 « référents numériques » lors des Journées académiques des référents aux usages pédagogiques du numérique de l'académie de Nancy-Metz, programme de sensibilisation des 250 référents TICE de l'académie de la Martinique, participation à la Semaine de la presse et des médias dans l'école organisée par le CLEMI, rencontre avec des élus lycéens de l'académie de Strasbourg, stands au Salon de l'étudiant et à celui de l'éducation.

Depuis 2013, notamment grâce à un recrutement dédié, la Hadopi a animé trente-trois ateliers de sensibilisation au droit d'auteur et à la création numérique auprès d'environ 800 enseignants, 350 étudiants, 1 500 lycéens et 1 300 collégiens.

Les ateliers animés par l'Hadopi visent à apporter à la communauté éducative un éclairage précis sur les enjeux relatifs au droit d'auteur, à la création artistique et aux usages numériques . Ils privilégient une approche positive, non-anxiogène d'Internet en mettant en valeur la richesse et la diversité de l'offre culturelle en ligne, notamment le domaine public. Ils placent les participants en situation de créateurs, en leur faisant réaliser et diffuser une oeuvre collective (livre numérique, webzine, vidéo, etc.). Ces mises en pratique permettent d' initier les participants aux outils numériques (dont les logiciels et les ressources libres) et de les confronter de façon concrète au respect du droit d'auteur, non seulement pour créer leur oeuvre (« mash up » , oeuvres dérivées etc.), mais aussi à travers le choix d'un mode de diffusion et d'une licence pour rendre publique leur création.

Votre mission d'information salue cette initiative. Elle regrette toutefois le nombre limité d'ateliers, bien que ce constat soit largement imputable au manque de moyens consacrés à cette tâche, et leur caractère aléatoire en fonction de la démarche de tel ou tel établissement. À cet égard, l'absence de volonté au niveau du ministère de l'éducation nationale lui apparaît fort dommageable au regard des enjeux.

2. La protection des mesures techniques et les études : les limites de l'exercice
a) Les études de la Hadopi ou la folie des grandeurs

Originellement, la tâche de veille confiée à la Hadopi, intitulée « observation de l'utilisation licite et illicite des oeuvres », était intégrée à la compétence d'encouragement de l'offre légale. Elle s'en est progressivement émancipée pour devenir une mission à part entière dotée d'un service dédié (le département « Recherche, Études et Veille » - DREV - créé en juin 2012, puis renommé « Diagnostic, recherche et développement »). À l'instar de la réponse graduée, les études produites par la Hadopi concentrent tant les critiques que les louanges.

Lors de son déplacement au siège de l'institution, votre mission d'information a constaté combien cette compétence tenait à coeur aux équipes , d'une parce qu'elle met en valeur l'expertise acquise depuis la création de l'institution, d'autre part parce qu'elle diffère d'une stricte politique de répression impopulaire.

Les objectifs poursuivis dans ce cadre sont de trois ordres :

- comprendre, évaluer et anticiper les usages de biens culturels sur Internet , dans tous les secteurs et via l'ensemble des technologies (annuaires de liens, services de streaming, services de téléchargement direct et services « peer to peer » , etc.) grâce à une expertise pluridisciplinaire ;

- orienter et optimiser la mise en oeuvre des missions légales de l'Hadopi en fonction de la réalité des usages et de leurs évolutions ;

- apporter aux pouvoirs publics et aux acteurs intéressés (ayants droit, association de consommateurs, plateformes, etc.) des données pertinentes, rigoureuses et objectives sur ces usages . Peu d'études impartiales réalisées par des universitaires existent, en effet, sur ce sujet, exception faite des quelques travaux d'experts comme ceux du groupe Marsouin susmentionné.

Les études d'usage de la Hadopi portent sur quatre thématiques complémentaires : l'utilisation effective des oeuvres, leur circulation sur Internet, le comportement et la typologie des utilisateurs et, enfin, l'impact de l'action de l'institution sur ces pratiques.

Pour mener à bien cette mission, désormais essentielle à sa stratégie de reconnaissance, la Hadopi s'appuie sur des travaux de recherche, dont elle estime qu'ils apportent des résultats inédits, et sur un protocole spécifique d'observation des usages , combinaison de méthodes qualitatives et quantitatives pour mesurer l'aspect social des usages et de méthodes de recherche en informatique pour analyser la part des différents canaux techniques. Grâce à l'expérience acquise, l'Hadopi travaille depuis février 2015 à la conception d'un protocole et d'un outil permettant de réaliser ces mesures d'usages.

Pour garantir l'indépendance et l'impartialité de ses travaux de recherche, la Hadopi les soumet pour validation à des pairs . Il s'agit, pour l'institution, de s'assurer de la pertinence de ses travaux et de permettre à ses interlocuteurs de vérifier par eux-mêmes leur impartialité. Cette transparence a conduit l'Hadopi à se voir reconnaître une expertise sur les usages. Elle fut ainsi invitée à plusieurs conférences scientifiques comme le Digital Economy workshop on Digital Media Markets and the Modernisation of Copyright in the EU organisé par l'un des instituts de recherche de la Commission européenne ou la conférence Copyright and technology de Londres. Elle est, par ailleurs, régulièrement sollicitée par des chercheurs (Université de Zurich, Centre de recherche en économie et statistique de l'INSEE, la Paris School of Economics , etc.).

Pour Marie-Françoise Marais, présidente de la Hadopi, « l'exercice de sa capacité d'expertise a permis à la Haute Autorité d'affirmer et de protéger son indépendance, d'apporter des éclairages précis et objectifs aux juridictions et aux pouvoirs publics qui la sollicitent et d'asseoir sa légitimité en France et à l'étranger. Cet exercice a surtout permis à l'institution de dégager des enseignements précieux et particulièrement utiles à la mise en oeuvre de ses missions ou à la formulation de pistes d'évolutions relatives à ses domaines de compétences ».

Au total, une trentaine de publications ont été produites entre 2012 et 2014 , sous des formes variées (Baromètre, études, travaux de recherche, etc.). On se souvent particulièrement des travaux publiés respectivement sur Megaupload , Youtube et les «Digital Natives». En outre, trois articles ont été retenus pour des conférences internationales de recherche et quatre partenariats de recherche ont été noués par l'institution, notamment avec Télécom ParisTech et l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA). La Hadopi collabore enfin avec des laboratoires et accueille en son sein des étudiants thésards pour les besoins de leurs recherches.

Les dépenses de personnel liées à la mise en oeuvre de cette mission s'élèvent à 0,7 million d'euros environ , selon l'affectation analytique retenue pour les agents, auquel il convient d'ajouter entre 0,3 et 0,5 million d'euros de dépenses de fonctionnement selon les années. Ses coûts directs varient donc entre 1 million et 1,2 million d'euros. La ventilation analytique des dépenses « support » permet de déterminer les coûts indirects liés à l'exercice de cette mission (location de l'immeuble, services finances et ressources humaines, etc.). Leur prise en compte permet d'établir le coût total de la mission d'étude à 2,2 millions d'euros en 2014, soit un quart du budget de l'institution.

Intéressante dans son principe, l'initiative de la Hadopi pour développer, au-delà de sa stricte mission légale, sa capacité d'expertise a fait l'objet de critiques d'une grande virulence.

Il est notamment reproché à l'institution d'avoir détourné sa mission de veille pour développer un discours favorable aux internautes et aux tenants d'une libre circulation des oeuvres sur Internet , dans un contexte où la Hadopi souffrait de leur hostilité. La nécessité d'un rapprochement, que d'aucuns qualifieraient d'idéologique, avec les internautes a émergé au sein de l'institution à moment de la fermeture des Labs en décembre 2012 , sensés proposer une approche ouverte et collaborative de la Hadopi auprès du public. Lancés en février 2011, les cinq Labs, où siégeaient sept experts, devaient constituer des espaces de discussion . Outre l'animation d'un forum sur un site ad hoc , ils furent à l'origine de quelques publications de vulgarisation pédagogique , notamment « L'auteur au temps du numérique » , « La culture et ses publics sur Internet » ou « Écosystèmes : DRM et interopérabilité » . Mais ces outils, boudés par les internautes, n'eurent pas le succès escompté et le maigre investissement des experts extérieurs finit par achever le concept.

Or, peu préoccupés par la fermeture des Labs, les ayants droit n'ont que peu goûté le revirement qui en résulta. Le point culminant de leur incompréhension et de leur colère fut atteint en mars 2014, lorsque la Hadopi publia, à l'initiative de son secrétaire général Eric Walter, une étude sur « la rémunération proportionnelle du partage », envisageant la reconnaissance des échanges non marchands d'oeuvres protégées en contrepartie d'une compensation proportionnelle pour les titulaires de droits. Plus précisément, il s'agit de récupérer une partie des revenus générés par les acteurs intermédiaires du partage (annuaire de fichiers torrent, agrégateur de contenus en streaming , hébergeur de fichiers lourds, etc.), calculée sur la base de leur chiffre d'affaires, en faveur des ayants droit, afin de corriger la captation de valeur née du partage non marchand de leurs oeuvres.

Par ailleurs, la publication de l'étude s'est accompagnée d'une politique de communication de l'institution jugée hostile aux différents droits de propriété intellectuelle et aux ayants droit. On se souvient, à cet égard, de la tribune pour le moins libérale, publiée dans Libération le 7 mai 2014, commune à Eric Walter et à Laurent Chemla, cofondateur de Gandi (Gestion et attribution des noms de domaine sur Internet). Le 14 septembre 2014, le même journal publiait un article d'Erwan Cario, qui débutait ainsi : « Voir les militants de la Quadrature du Net cités dans un document de travail de la Hadopi, c'est pas banal. Et pourtant, ils sont là : le cofondateur de l'association Philippe Elgrain, le blogueur Lionel Maurel, le pionnier Laurent Chemla... La crème des penseurs anti-Hadopi est devenue source d'inspiration pour une Haute autorité qui a décidément bien changé. Elle planche depuis juin 2013 sur une idée fofolle d'une sorte de légalisation d'une certaine forme de piratage. « Rémunération proportionnelle du partage », ça s'appelle . » Il n'est guère difficile d'imaginer la réaction des ayants droit face à une initiative qu'ils jugent à mi-chemin entre la trahison et la provocation. Pour Marc Rees, rédacteur en chef de NextInpact.com, la Hadopi a tenté, à partir de 2012 où son existence fut menacée, de regagner chez les internautes la confiance perdue des ayants droits, déçus du résultat de la réponse graduée.

Des analyses particulièrement sévères s'agissant de cette stratégie de rattrapage affectif ont été à de multiples reprises livrées à votre mission d'information lors des auditions organisées à l'appui de ses travaux. Ainsi, dans sa contribution écrite, le BLOC rappelle que « par une lettre du 14 avril 2014, la filière cinématographique a fortement réagi, en soulignant que ces orientations étaient destructrices pour l'économie du cinéma et de l'audiovisuel en France et dévoyaient les missions de la Hadopi. [Puis] , les professionnels du cinéma ont adressé, le 22 septembre 2014, une lettre à la ministre de la culture et de la communication dans laquelle ils lui demandaient de sensibiliser la Hadopi sur la nécessité de cesser ces attaques et de maîtriser sa communication . Par la suite, les ayants droit ont été conviés à une réunion de concertation, qui s'est tenue le 17 novembre 2014. Cette réunion, dont il aurait été très opportun qu'elle intervienne il y a plusieurs années, a été utile car elle a permis aux ayants droit d'exprimer leur hostilité unanime à la rémunération proportionnelle du partage et leur souhait d'une concertation avec la Hadopi . »

Pour sa part, Florence Gastaud, déléguée générale de l'ARP, a estimé avec sévérité, lors de son audition, que la Hadopi choisissait des sujets de recherche absurdes, qu'elle menait ensuite en se contentant de compiler les résultats d'autres études, qu'elle analysait, au final, mal.

Il semblerait toutefois que l'opposition unanime des ayants droit à ce type d'initiative ait produit quelque résultat . Ainsi, fut alors abandonnée une étude en préparation relative aux pratiques de mise à disposition en ligne, intitulée « pratiques de mise à disposition : représentations et motivations », qui présentait, sans mise en garde quant au danger qu'ils représentent relativement au financement des industries culturelles, des sites permettant la mise à disposition et l'échange de contenus protégés en toute illégalité.

Paradoxalement, tout en provoquant l'ire des ayants droit, les récents travaux de recherche de la Hadopi n'ont pas abouti à la réconciliation rêvée avec les internautes . D'ailleurs, malgré un sujet d'étude compatible avec ses convictions, la Quadrature du Net a refusé de travailler avec la Hadopi sur la rémunération proportionnelle du partage, tant une telle coopération lui semblait, dans son principe, taboue. Marc Rees, rédacteur en chef de NextINpact.com, a, pour sa part, qualifié de science-fiction le projet de rémunération proportionnelle du partage, lors de son audition par votre mission d'information, rappelant que le projet aurait conduit à légaliser les sources illicites sur Internet et à renforcer le système, à la gestion critiquée, de la rémunération pour copie privée. Enfin, Françoise Benhamou, économiste et professeur à l'Université Paris XIII, les a qualifiées de malhonnêtes lors de son audition.

D'aucuns ont toutefois fait part à votre mission d'information de leur sentiment positif quant aux travaux d'étude menés par l'institution. Lors de son audition, Loïc Rivière, délégué général de l'Association française des éditeurs de logiciels et solutions Internet (AFDEL), les a ainsi jugés dépassionnés, techniques et de qualité. Cédric Claquin, de la Fédération de labels indépendants CD1D, a également salué le niveau technique des études publiées, estimant que les difficultés rencontrées par la Hadopi dans ce domaine ressortaient surtout des contraintes budgétaires qui lui étaient imposées. Pour Jean Bergevin, chef de l'unité chargée de la lutte contre la contrefaçon et le piratage à la Commission européenne, la Hadopi possède d'excellentes connaissances techniques ; tant ses études prospectives et que ses évaluations des usages sont particulièrement intéressantes. Il convient toutefois de préciser que, dans ces domaines, toute étude, quelle que soit sa qualité est caduque après environ deux ans tant les usages évoluent.

b) Les mesures techniques de protection : un champ d'action trop restreint

La mission de la Hadopi s'agissant de la régulation des mesures techniques de protection et d'identification, héritée de son ancêtre l'ARMT , poursuit un triple objectif :

- s'assurer que les protections techniques portant sur les oeuvres acquises légalement ne fassent pas obstacle au bénéfice effectif des exceptions pour l'utilisateur « dans la mesure nécessaire pour en bénéficier 13 ( * ) » . il s'agit, pour la Hadopi, de fixer un nécessaire équilibre entre l'intérêt du consommateur, le développement des nouveaux usages et la protection du droit d'auteur ;

- disposer de l' expertise technique nécessaire à la compréhension des effets des mesures techniques et de leur interopérabilité , c'est-à-dire savoir distinguer la frontière entre la protection des oeuvres et la limitation de leurs usages à une seule catégorie de matériel. Le poste dédié, vacant à partir de 2012, n'a malheureusement pas été pourvu depuis en raison des contraintes budgétaires pesant sur l'institution. Toutefois, les services maintiennent une activité de veille régulière ;

- enfin, être en capacité de respecter le principe de proportionnalité dans les décisions rendues .

Dans l'exercice de cette mission, la Haute autorité privilégie l'attention portée aux usages. Elle n'a pas souhaité s'engager dans la voie de la définition normative du nombre de copies autorisées par les mesures techniques de protection, compétence dont elle dispose au titre de l'article L. 331-31 du code de la propriété intellectuelle, estimant que l'existence d'une telle norme pourrait avoir pour effet de limiter le nombre de copies autorisées par les titulaires de droit , pratique préjudiciable aux usages des oeuvres acquises légalement. À cet égard, peut être regrettée l'existence d'un conflit de compétence entre le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et la Hadopi s'agissant des contentieux portant sur la copie privée en matière audiovisuelle, qu'il conviendrait de clarifier.

LES AVIS PRIS PAR LA HADOPI EN MATIÈRE DE RÉGULATION DES MTP

1. Avis Bibliothèque nationale de France (BnF) du 30 janvier 2013

L'Hadopi y a recommandé une modification du régime du dépôt légal pour permettre à la BnF de disposer d'une version non protégée des documents numériques, ce qui implique une réflexion plus large sur le périmètre et les modalités du dépôt légal des documents numériques.

2. Avis VideoLAN du 3 avril 2013

Le Collège de la Haute autorité s'est prononcé sur les exceptions dites de décompilation et d'ingénierie inverse revendiquées par l'association VideoLAN et a précisé la nature et les conditions d'accès des informations nécessaires à l'interopérabilité que pouvait solliciter un éditeur de logiciel sur le fondement de l'article L. 331-32 du code de la propriété intellectuelle.

Il a également considéré que la publication, dans le code source du logiciel VLC caractérisé par sa licence libre, ne pourrait être exclue qu'à la condition de la fourniture de la preuve, par les titulaires de droit sur les mesures de protection, qu'une telle publication porterait gravement atteinte à la sécurité et l'efficacité de ces mesures, appréciée au vu du degré de protection de l'oeuvre concernée tous les supports et formats dans lesquels elle est distribuée.

3. Avis Copie privée du 11 septembre 2014

Le Collège a considéré que, bien que des limitations à la copie puissent être justifiées, notamment afin de réduire le risque de contrefaçon sur Internet, ces restrictions ne doivent pas excéder ce qui est nécessaire pour limiter un tel risque. Des limitations privant les copies privées de toute interopérabilité avec d'autres lecteurs que l'enregistreur ayant réalisé la copie et empêchant la conservation des copies en cas de changement du fournisseur, apparaissent excessives.

Dans ce contexte, il a invité les opérateurs à proposer à leurs clients, dans un délai raisonnable, une faculté de copie privée des programmes télévisés qui leur permette de réaliser des copies durablement conservables et disposant d'une interopérabilité suffisante pour l'usage privé du copiste.

L'Hadopi a également souligné que devait être fournie une information précise sur les possibilités d'usage des copies réalisables avec chaque matériel.

Prochainement, la Hadopi pourrait être saisie des problématiques liées à l'exercice effectif de l'exception dite « handicap », prévue par l'article L. 122-5 7° du code de la propriété intellectuelle, qui permet, sans autorisation préalable ni rémunération des ayants droit, la reproduction et la représentation d'oeuvres protégées par des personnes morales et établissements ouverts au public (bibliothèques, associations etc.), aux fins de leur consultation strictement personnelle sur des supports adaptés par des personnes atteintes d'un handicap.

L'attention de l'Hadopi a été appelée sur les difficultés d'accès aux oeuvres auxquelles se trouvent parfois confrontées les organismes agréés. A ainsi été signalé le cas d'un éditeur qui ne dépose pas ses fichiers à la BnF (laquelle joue un rôle centralisateur via une plateforme appelée PLATON (Plateforme de Transfert des Ouvrages Numériques) dans la transmission des fichiers numériques des oeuvres imprimées). L'hypothèse d'une saisine de l'Hadopi par certains de ces organismes agréés sur cette problématique de refus de transmission est envisagée.

Si cette mission est parfaitement utile et justifiée, elle demeure, au regard des résultats présentés, rarement mise en oeuvre , comme la Hadopi elle-même le déplore. Plusieurs raisons peuvent expliquer la sous-utilisation de cette compétence de l'institution et, en premier chef, la méconnaissance, par les acteurs concernés, du rôle de la Hadopi en la matière . Pour tenter d'y remédier, elle a récemment réalisé un travail de promotion de sa mission de régulation afin d'inciter les personnes pouvant en bénéficier à la saisir. Cette méconnaissance a également des conséquences dommageables sur la reconnaissance de la validité des avis par les professionnels comme par le public , malgré le caractère polémique qui entoure les questions de mesures techniques de protection dans la société civile.

En outre, la carence de recours pour les consommateurs , aujourd'hui empêchés de saisir l'institution, limite de facto l'activité de régulation de la Hadopi. Cette lacune du dispositif est particulièrement regrettable en matière d'interopérabilité , qui constitue pourtant une préoccupation forte des utilisateurs.

Enfin, le pouvoir de la Hadopi en matière d'investigation étant inexistant , contrairement à la plupart des procédures de régulation sectorielle utilisant des procédures souples comme la demande d'avis, et la confidentialité des données nécessaires à l'analyse des mesures techniques de protection assurée par le secret des affaires, toute expertise technique approfondie s'avère impossible et limite, en conséquence, l'efficacité de l'institution dans la mise en oeuvre de cette mission.


* 13 Article 6 de la directive du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information.

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