AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

La France a fait depuis plusieurs années de la lutte contre le changement climatique une des priorités de sa diplomatie , qui s'illustre dans l'organisation - du 30 novembre au 11 décembre prochains - de la vingt-et-unième Conférence des parties de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, la « COP 21 ».

Ce sujet est souvent abordé sous l'angle des pays industrialisés ou des grands émergents, en oubliant les « pays les moins avancés » (PMA) . Certes, ces États ne sont pas des émetteurs importants de gaz à effet de serre, mais il est fondamental qu'ils adoptent dès aujourd'hui une stratégie de croissance bas carbone.

De plus, ils sont les premiers à ressentir les effets du changement climatique , du fait de leur position géographique, de leur plus grande dépendance aux ressources naturelles et d'une plus faible capacité à s'adapter à l'évolution climatique, ce qui se traduira, entre autre, par des pressions migratoires importantes que l'Organisation des Nations unies estimait à 250 millions de personnes d'ici 2050. Enfin, la COP 21 ne pourra être un succès sans l'adhésion de ces pays.

C'est pourquoi les rapporteurs spéciaux de la mission « Aide publique au développement » ont choisi d' étudier la politique de la France en matière de « financements climat » envers les « pays les moins avancés » , afin de juger si elle permet de répondre au défi auquel nous faisons face et si elle correspond véritablement aux besoins de ces pays.

Afin d'étudier le cas spécifique de cette catégorie de pays, ils se sont rendus au Sénégal du 19 au 21 mai dernier. Ce pays fait partie des PMA, bien qu'il espère accéder au statut d'émergent d'ici 2035, et se trouve particulièrement exposé aux conséquences du changement climatique, et plus particulièrement à la montée du niveau des mers, aux sécheresses et aux inondations.

I. L'AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT DE LA FRANCE EN MATIÈRE DE CLIMAT

A. DES OBJECTIFS GÉNÉRAUX MAIS PEU CONTRAIGNANTS

1. Des objectifs généraux dans le cadre de la politique française d'APD en matière de climat

La politique d'aide publique au développement (APD) de la France accorde depuis de nombreuses années une place spécifique à la lutte contre le changement climatique. Cette idée n'a pas toujours fait consensus, dans la mesure où la vision traditionnelle de la politique de coopération se concentrait sur la lutte directe contre la pauvreté.

Cependant, il est évident aujourd'hui que la lutte contre la pauvreté doit tenir compte de la nécessité de protéger les biens publics mondiaux, à commencer par le climat, et qu'il n'est pas de développement économique durable sans respect de l'environnement.

C'est pourquoi, déjà en 2011, le document cadre de la politique d'APD française 1 ( * ) , adopté lorsque notre collègue Henri de Raincourt était ministre de la coopération, distinguait quatre « enjeux stratégiques pour la coopération », afin de mieux maîtriser la mondialisation, parmi lesquels celui de « préserver les biens publics mondiaux ». Plus précisément, cet enjeu stratégique vise explicitement la « préservation du climat ».

Les biens publics mondiaux

Un bien public est un bien ou un service dont l'utilisation est « non rivale », c'est-à-dire que son utilisation par un agent n'a pas d'effet sur l'utilisation par un autre agent, et « non-exclusive », c'est-à-dire qu'on ne peut empêcher un agent d'en bénéficier.

Peuvent être considérés comme des « biens publics mondiaux », les biens publics qui s'étendent à l'échelle de la planète.

De même, la loi de programmation relative à l'aide publique au développement 2 ( * ) , adoptée à l'été 2014, prévoit dès son article 1 er que cette politique vise également à lutter contre le changement climatique. Plus précisément, le rapport annexé indique que cette politique vise à « limiter à 2 °C l'augmentation des températures mondiales afin d'éviter de graves dérèglements climatiques » et que « une complète prise en compte des questions environnementales dans la politique de développement est une condition nécessaire à la pérennisation des projets de lutte contre la pauvreté. La France contribue activement aux négociations internationales dans le cadre de diverses conventions des Nations unies. ».

Cette priorité n'a pu être que renforcée par la perspective de l'organisation à Paris de la vingt-et-unième Conférence des parties à la Convention des Nations unies sur les changements climatiques (COP 21), dans quelques semaines.

2. Un objectif quantitatif dans le cadre d'intervention de l'Agence française de développement

Dans le prolongement de ces objectifs, l'Agence française de développement (AFD), principal « bras armé » de la politique d'aide publique au développement française, s'est dotée de sa propre stratégie « climat - développement » pour la période 2012-2016 3 ( * ) .

Tout d'abord, l'AFD s'est engagée en termes quantitatifs . Au moins la moitié de son activité dans les pays en développement - c'est-à-dire en dehors de ses activités outre-mer - doit avoir des co-bénéfices climat ; ce pourcentage est de 30 % pour l'activité de sa filiale Proparco, consacrée au secteur privé. Les objectifs de l'agence sont déclinés par zone géographique : la part des financements climat doit ainsi s'élever à 70 % en Asie et en Amérique latine, à 50 % en Méditerranée et à 30 % en Afrique subsaharienne. En 2014, l'AFD a dépassé cet objectif en atteignant 53 % (contre 47 % en 2013) d'engagements « climat ».

Par ailleurs, le groupe AFD a mis en place une procédure d'évaluation systématique de l'empreinte carbone des projets qu'il finance dans les pays en développement. Tous les projets en financement direct (hors appuis budgétaires, intermédiation financière et renforcement de capacité) ayant un impact significatif et quantifiable en termes d'émissions de gaz à effet de serre (à la hausse ou à la baisse) doivent faire l'objet d'une analyse ex-ante de leur bilan carbone.

Enfin, l'AFD peut être amenée à écarter certains projets à travers l'application d'une grille de sélectivité en termes d'émissions de gaz à effet de serre (GES) , distinguant les projets d'atténuation ou à impact négligeable, les projets émissifs et les projets fortement émissifs. La décision d'écarter le projet dépend du mandat de l'AFD dans le pays concerné, de son niveau de développement et de sa politique de développement ainsi que, naturellement, de l'empreinte carbone du projet. Eu égard à leur rôle limité dans les émissions mondiales de gaz à effet de serre et à leurs besoins de rattrapage en matière d'infrastructure énergétique pour assurer leur croissance, les pays les moins avancés ainsi que les pays en sortie de crise ne sont pas concernés par cette politique de sélectivité.

3. Un objectif international ambitieux : 100 milliards de dollars par an d'ici 2020

La politique française s'inscrit également dans le cadre d'objectifs internationaux, à commencer par l'objectif de la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) de limiter l'augmentation des températures moyennes mondiales à 2 degrés Celsius au maximum.

S'agissant plus spécifiquement du domaine de l'aide publique au développement, on peut tout d'abord souligner que les « objectifs de développement durable » (ODD), adoptés à New York le 27 septembre dernier et qui remplaceront les « Objectifs du millénaire pour le développement » pour l'après 2015, prévoient de « prendre d'urgence des mesures pour lutter contre les changements climatiques et leurs répercussions » (objectif n° 13).

Au-delà de ces principes, des objectifs quantitatifs avaient été adoptés. Dès 2009, réunis à Copenhague pour la COP 15, les pays développés s'étaient engagés à consacrer 100 milliards de dollars par an, à compter de 2020, au financement de projets climat dans les pays en développement , en fixant un objectif intermédiaire de 10 milliards de dollars par an sur la période 2010-2012.


* 1 Ministère des affaires étrangères et européennes, Coopération au développement : une vision française , 2011.

* 2 Loi n° 2014-773 du 7 juillet 2014 d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale.

* 3 Cadre d'Intervention Transversal Climat - Développement 2012-2016 du groupe de l'Agence Française de Développement, novembre 2012.

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