C. LA RÉGULATION INTERNATIONALE DES PHÉNOMÈNES MIGRATOIRES

Parce que les personnes qui se déplacent soit à la suite d'une catastrophe (évènement exceptionnel touchant un grand nombre de personnes), soit à la suite d'un phénomène récurrent (évènement étalé dans le temps touchant progressivement un nombre important de personnes) effectuent cette migration temporaire ou permanente dans les limites de leur territoire national, et sont donc, pour une large part et dans un premier temps, prises en charge par les États concernés et ne relèvent que marginalement de l'aide internationale, et parce que le droit international ne définit pas de façon spécifique les personnes déplacées en raison de phénomènes écologiques, les migrations environnementales ne sont pas spécifiquement prises en compte ni par le droit international ni par le droit interne des États.

Comme les flux de réfugiés ont des causes multiples, résultant souvent d'une large variété de raisons, politiques, économiques, écologiques, sécuritaires, la classification est difficile voire impossible. La part importante d'origine anthropique dans le changement climatique désormais établie, la question d'une reconnaissance des contraintes environnementales comme facteurs des flux migratoires comme le sont les contraintes politiques et économiques, est posée.

L'accentuation des conséquences du changement climatique en termes de migration, le changement d'échelle et l'internationalisation qu'elle induira, conduisent d'ores et déjà à envisager un traitement particulier à l'échelle internationale pour certaines de ces catégories particulières de déplacés.

Des réflexions sont engagées depuis une trentaine d'années, mais elles n'ont pas concrètement abouti.

Il y aurait pourtant intérêt pour la communauté internationale à anticiper la massification du phénomène à venir et à développer une stratégie de réponse aux crises qui surviendront, comprenant à la fois des mécanismes de prise en charge, des outils juridiques adaptés et une évolution des cultures et des mentalités dans les pays susceptibles d'accueillir les personnes déplacées.

1. Les conflits de terminologie

Dans un rapport en 1985, le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) a défini la notion de réfugiés environnementaux comme « ceux qui sont forcés de quitter leur lieu de vie temporairement ou de façon permanente à cause d'une rupture environnementale (d'origine naturelle ou humaine) qui a mis en péril leur existence ou sérieusement affecté leurs conditions de vie ».

Depuis lors une dizaine de termes ont été employés : « réfugiés écologiques » ou « environnementaux », « migrants de l'environnement », « réfugiés climatiques », « éco-réfugiés », « personnes déplacées en raison d'une catastrophe naturelle », « apatrides climatiques », « exilés du climat »... sans obtenir aucune définition consensuelle.

Un nombre croissant d'organisations, de commentateurs ou d'articles de presse utilisent le concept de « réfugiés environnementaux » ou de « réfugiés climatiques » pour se référer à des personnes contraintes de fuir leur lieu de résidence habituelle du fait d'un changement climatique à long terme ou de catastrophes naturelles soudaines, mais ces termes n'ont aucun fondement en droit international.

Ils résultent selon le ministère français des affaires étrangères « d'une interprétation erronée » de la Convention de 1951. Le HCR a émis de sérieuses réserves concernant la terminologie et le concept, dès ses premières études et rapports sur cette question. « L'utilisation de cette terminologie pourrait éventuellement saper le régime juridique international pour la protection des réfugiés et créer des confusions concernant le lien entre les changements climatiques, la dégradation de l'environnement et la migration. Bien que les facteurs environnementaux puissent contribuer à générer des mouvements transfrontaliers, il n'existe pas de motif pour l'octroi du statut de réfugié aux termes du droit international des réfugiés ».

Le terme de « réfugiés » renvoie en effet à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et prévoit une protection internationale pour les personnes qu'elle vise (Art. I, A,2 : « personnes craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité »). Les personnes déplacées pour raisons climatiques n'entrent donc pas dans les critères de reconnaissance des réfugiés.

A ce stade, aucun instrument international ne permet la reconnaissance d'un statut juridique de « déplacé climatique », ni ne prévoit de protection spécifique. Il n'existe donc pas de régime ad hoc ou d'approche globale relatifs aux personnes franchissant des frontières du fait des impacts du changement climatique.

2. L'inadaptation de la Convention des Nations unies relative au statut de réfugiés de 1951 et le blocage actuel à toute évolution

Certains États et certaines ONG ont suggéré que la Convention de 1951 sur le statut des réfugiés pourrait être amendée et élargie pour inclure les personnes qui ont été déplacées au-delà des frontières du fait d'un changement climatique à long terme ou d'une catastrophe naturelle soudaine. Selon le ministère français des affaires étrangères, et cette opinion est partagée par le HCR dans de nombreux écrits sur la question « toute initiative visant à réviser cette définition présente le risque d'une renégociation de la Convention de 1951, ce qui, dans le climat actuel, pourrait aboutir à un abaissement des normes de protection pour les réfugiés, voire saper complètement le régime international de protection des réfugiés ».

3. Les solutions évoquées pour traiter cette question
a) La rédaction de nouveaux principes directeurs applicables aux personnes déplacées à l'intérieur de leur pays

Les déplacements à l'intérieur d'un même pays relèvent de la responsabilité première des États concernés puisqu'il s'agit à la fois de leurs propres ressortissants et de leur territoire. Ils peuvent néanmoins être régis par les « Principes directeurs de 1998 relatifs aux déplacements des personnes à l'intérieur de leur propre pays » établis par les Nations unies. Ces Principes 103 ( * ) visent à répondre aux besoins particuliers des personnes déplacées, y sont identifiés les droits et les garanties concernant la protection des personnes contre les déplacements forcés et la protection et l'aide qu'il convient de leur apporter au cours du processus de déplacement, ainsi que pendant leur retour ou leur réinstallation et leur réintégration.

Comme l'a fait remarquer Christel Cournil, maître de conférence à l'Université Paris 13 entendue par le groupe de travail : « clairement inscrits dans le champ du «soft law», ces principes directeurs ne sont pas juridiquement contraignants pour les États. Ces derniers peuvent simplement s'en inspirer dans le cadre de leur législation nationale ».

b) La possibilité d'un Protocole à la Convention-Cadre des Nations unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) de 1992

Le droit international de l'environnement n'aborde que très marginalement la question des migrations. Il recouvre en effet la prévention des risques et la réglementation des activités humaines dangereuses sans envisager les conséquences géopolitiques, humaines et sociologiques des changements du climat.

Les questions de déplacement pour des raisons climatiques ne sont pas au coeur des négociations onusiennes menées sous l'égide de la Convention-Cadre des Nations unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC). Seul le droit dérivé de la Convention-Cadre traite de cette question, davantage envisagée comme une problématique à approfondir et à étudier que sous l'angle des solutions juridiques en matière de protection des populations concernées.

Perçu comme un échec des politiques d'atténuation et d'adaptation (et non comme une modalité d'adaptation), le déplacement de populations pour des raisons climatiques a été reconnu par les accords de Cancún (point 14 §f, décembre 2010) 104 ( * ) comme l'une des conséquences du changement climatique. La création en novembre 2013 du mécanisme de Varsovie sur les pertes et dommages devrait en outre faciliter les travaux sur ces questions. Le comité exécutif de ce mécanisme a ainsi pour mandat « d'améliorer la compréhension et l'expertise de la manière dont les impacts des changements climatiques affectent les schémas de migrations, les déplacements et la mobilité humaine ». Ce comité devrait rendre ses conclusions en 2016 105 ( * ) .

Dans le cadre des réflexions menées par les universitaires, Frank Biermann et Ingrid Boas proposent l'adoption d'un Protocole à la CCNUCC 106 ( * ) qui s'adresse explicitement aux «réfugiés», sans exclure les déplacés internes. Il est limité aux déplacements liés aux changements climatiques et prend appui sur les institutions existantes. L'accueil est organisé selon un système de listes des zones et des populations affectées par le changement climatique. L'accord de l'État est nécessaire à cet accueil.

4. En l'absence de réponse du droit international, de nombreuses initiatives ont été prises pour mieux tenir compte du phénomène et tenter d'y apporter des réponses à ce stade au niveau régional ou local

Un rapport a été remis à l'Assemblée générale des Nations unies en 2012 par le Haut représentant des droits des migrants (François Crépeau) ainsi qu'un rapport du conseil des Droits de l'Homme.

L'initiative la plus connue et la plus aboutie reste l' « Initiative Nansen » qui s'appuie sur un processus consultatif des États et de la société civile afin, dans un premier temps, d'améliorer la connaissance du problème et de mettre en oeuvre des bonnes pratiques.

Outre cette initiative, les déplacements liés au climat sont également l'objet de discussions au niveau international et européen.

a) L'Initiative Nansen

L'initiative Nansen

La Conférence d'Oslo sur le changement climatique et les migrations de juin 2011 a abouti à la rédaction d'un ensemble de recommandations non contraignantes, les « Principes Nansen », afin de « guider les réponses à certains des défis urgents et complexes liés au déplacement dans le contexte du changement climatique et d'autres risques environnementaux » (Préambule de la Conférence).

L' » Initiative Nansen » a été lancée officiellement par la Suisse et la Norvège en 2011, en étroite collaboration avec le HCR et l'OIM 107 ( * ) lors de la réunion du 2 octobre 2012. Conçue comme un processus consultatif ascendant dirigé par les États et extérieur aux Nations unies, ses objectifs définis lors des premières consultations consistent à « renforcer les connaissances et combler les lacunes juridiques et opérationnelles sur la protection des déplacés transfrontaliers liés aux désastres naturels ».

Elle concerne les déplacements transfrontaliers d'une part (et non pas les mesures à prendre en cas de déplacements internes à un pays, qui sont de la responsabilité des autorités nationales), d'autre part, les déplacements liés à des désastres naturels (liés ou non au changement climatique) et non aux effets à plus long terme du changement climatique. Elle couvre toutes les questions concernant ces déplacements de leur préparation en amont, la protection et l'assistance pendant ceux-ci, jusqu'à la transition vers des solutions à la suite de la catastrophe.

En février 2014, la France a rejoint le « Groupe des Amis de l'initiative Nansen » 108 ( * ) . Les contacts avec M. Walter Kälin, envoyé spécial pour l'Initiative, ancien rapporteur spécial des Nations unies pour les droits des personnes déplacées, sont réguliers, à Paris et à Genève. L'Initiative est basée sur un processus « vers le haut » (bottom-up) débutée par une consultation en 2014 des Etats-nations insulaires du Pacifique et poursuivie avec l'organisation de 4 consultations régionales sur les principales zones affectées : Amérique centrale, Corne de l'Afrique, Asie du sud-est et Asie du Sud, et l'organisation d'une consultation globale les 12 et 13 octobre 2015 à Genève, qui permettra de consolider les résultats des consultations régionales. L'objectif est l'adoption d'un agenda de protection avant la COP 21. La France a prévu d'être représentée à la Consultation globale de Genève.

b) L'OIM

L'Organisation internationale des migrations (OIM) a lancé un portail de la migration environnementale qui vise à fournir un point d'entrée unique pour promouvoir les nouvelles études, l'échange d'informations et le dialogue. L'objectif est de combler les lacunes concernant les données, les résultats de recherches et les connaissances disponibles sur le lien entre la migration et l'environnement.

Le portail de la migration environnementale

Le projet « Migration, environnement et changement climatique : données à l'usage des politiques », dont le budget atteint 2,4 millions d'euros (dont 1,9 financé par l'Union européenne) a pour objectif de contribuer à la base de connaissances mondiale sur les liens entre les migrations et les changements environnementaux, y compris climatiques. Ces travaux de recherche visent à proposer des moyens d'action pour que la migration aille dans le sens des stratégies d'adaptation aux changements environnementaux et climatiques. Le projet est mis en oeuvre en Haïti, au Kenya, à Maurice, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, en République dominicaine et au Vietnam. Malgré un nombre croissant d'études consacrées à la multithématique migration, environnement et changement climatique, le manque de données fiables et de recherches orientées vers l'action qui puissent répondre à la demande croissante des responsables politiques et à leurs besoins reste important.

c) Une nouvelle convention sur le statut de migrant climatique

Plusieurs projets émanant d'universitaires, de think tanks ou de juristes ont été présentés depuis une dizaine d'années pour proposer une convention spécifique.

Le projet de convention pour les migrants climatiques

Le projet de convention relative aux déplacés environnementaux proposé en 2008 par les juristes de l'université de Limoges propose la mise en place de commissions nationales pour les déplacés environnementaux dans chaque État partie, une Agence mondiale pour les déplacés environnementaux composée d'un conseil d'administration, d'une haute autorité, d'un conseil scientifique d'un Secrétariat et d'un fonds mondial.

En 2009, David Hodgkinson et ses coauteurs 109 ( * ) présentent une nouvelle convention ad hoc pour les déplacés climatiques permettant une reconnaissance collective des populations à risques et dotée d'une définition flexible. Les auteurs prévoient une série d'obligations telles que des mesures de réinstallation de long terme ; une assistance fondée sur la responsabilité commune des États mais différenciée dans les émissions de gaz à effet de serre, des mesures d'adaptation et d'atténuation mises en oeuvre par les États d'accueil, la création d'un fonds d'assistance et des études scientifiques régulières sur les personnes exposées aux risques des changements climatiques. Ils incluent les déplacés internes dans le champ de la Convention.

La proposition de Bonnie Docherty et Tyler Giannini de l'Université d'Harvard 110 ( * ) , qui porte sur les seuls «réfugiés climatiques » envisage la possibilité d'une Convention ad hoc et d'un Protocole à la Convention sur le climat.

L'ancien vice-bâtonnier de l'Ordre des avocats de Paris, Me Yvon Martinet et de M. George J. Gendelman (Fondateur associé des Ateliers de la terre) qui souhaitent que le sujet gagne en visibilité en prenant une dimension internationale et proposent un projet de convention pour définir un statut de déplacé environnemental, permettant aux personnes contraintes de quitter leur pays de demander un « asile environnemental » afin d'obtenir une aide humanitaire et des droits, et de responsabiliser les États.

En dépit des différences, des points de convergence peuvent être mis en évidence. Les propositions sont basées sur le principe des responsabilités communes mais différenciées et proposent le recours à un fonds mondial. La création d'une agence mondiale est souvent présente ainsi que l'attribution de droits subjectifs aux déplacés.

La COP 21 fournit l'occasion de donner au sujet une plus grande visibilité, sans en faire un sujet de l'agenda officiel de la conférence. Les auteurs de ces projets considèrent qu'ils pourraient faire partie de l'agenda des solutions.

Reste qu'un statut unique suppose que tous les migrants environnementaux aient des besoins similaires, or les différences de situation existent. La faisabilité d'une telle convention reste faible en raison de la réticence des Etats et du difficile contexte de son financement. Les autorités françaises font preuve d'une grande prudence à l'égard de ces initiatives au regard des difficultés qui se poseraient pour l'élaboration d'une nouvelle convention internationale sur le sujet.

d) D'autres solutions ont été envisagées

Il s'agit de solutions déjà mises en oeuvre en cas de catastrophes naturelles comme l'élargissement des protections subsidiaires ou temporaires.

Des initiatives isolées et marginales de certains pays (Grèce, Suède, Finlande et Italie) ont timidement et indirectement abordé la question par le développement des protections subsidiaires. La Suède et la Finlande prévoient un mécanisme de protection dans leur législation pour les personnes fuyant une catastrophe écologique ou naturelle.

L'Union européenne et les États-Unis ont développé des modèles de protections temporaires.

Ainsi les États-Unis ont-ils adopté un statut de protection temporaire, applicable lorsqu'un pays se trouve dans l'incapacité temporaire de protéger ses propres ressortissants, notamment en cas de catastrophes naturelles. Il n'autorise pas l'entrée de nouveaux migrants mais suspend les expulsions. Il a été mis en oeuvre à plusieurs reprises et de façon assez systématique.

L'Union européenne a mis en place en 2001 un cadre légal 111 ( * ) susceptible d'être mis en oeuvre en cas d'arrivée d'un nombre important de personnes déplacées, en provenance d'un pays ou d'une zone géographique déterminés, que leur arrivée dans la Communauté soit spontanée ou organisée, par exemple dans le cadre d'un programme d'évacuation ». Conçu dans le contexte de la crise du Kossovo, il pourrait être utilisé, le cas échéant, sur décision du Conseil, en cas de catastrophe naturelle par une interprétation extensive.

Certains pays facilitent les migrations économiques comme la Nouvelle-Zélande (voir infra p.100) ou l'Espagne (programme de migration temporaire de travailleurs colombiens provenant de sites affectés par des catastrophes naturelles).

e) La convention de Kampala (2009)

La Convention de Kampala 112 ( * ) sur la protection et l'assistance aux personnes déplacées en Afrique conclue en 2009 dans le cadre de l'Union Africaine est un exemple de mise en place d'une protection temporaire en cas d'afflux massif de personnes déplacées dans un cadre régional. Ce texte a été conçu pour remédier à la situation des personnes déplacées dans leur propre pays (PDI).

La convention de Kampala

La convention énonce clairement les obligations des Etats parties en matière de protection des personnes déplacées internes forcées à fuir « après ou afin d'éviter les effets de [...] catastrophes naturelles ou provoquées par l'homme » (art. 1.k), y compris celles liées au changement climatique (art. 5.4). Elle fait référence à la création et à la mise en oeuvre de systèmes d'alerte précoce, de stratégies de réduction des risques de catastrophes, de mesures de planification préalable et de gestion d'urgence des désastres, en tant que moyens de prévenir les déplacements et de s'y préparer (art. 4.2).

Elle mentionne également l'obligation qu'ont les Etats « de prévenir et d'éviter les situations pouvant conduire au déplacement arbitraire de personnes » (art. 4.1), faisant explicitement référence aux évacuations forcées dans le cadre de catastrophes naturelles ou d'origine humaine (art. 4.4.f).

Il s'agit donc d'une approche intégrée qui vise non seulement à traiter la question des personnes déplacées mais également à inciter les signataires à mettre en place des dispositifs de prévention, de protection et de gestion de crise. Elle constitue une approche originale et exemplaire à l'échelon régional qui mérite d'être soutenue.

5. Points forts et points faibles

Pour Christel Cournil, maître de conférence à l'Université de Paris-13 113 ( * ) , entendue par le groupe de travail, les solutions offertes par le « droit souple » consistant à renforcer la protection des personnes déplacées internes (renforcer les principes directeurs IDP, mettre en place un Guide opérationnel-catastrophes naturelles ou comme l'Initiative Nansen et l'agenda de protection 2015) permettent de mieux définir la complexité des migrations, de mieux adapter les solutions aux réalités empiriques car la mise en oeuvre est locale. Cela permet de « commencer petit », d'expérimenter et de sensibiliser les Etats aux « bonnes pratiques ». En revanche, le champ de protection demeure réduit et on ne traite pas le cas des personnes piégées sur place, souvent les plus pauvres qui ne peuvent se déplacer.

La signature d'accords régionaux ou bilatéraux garantit également, selon elle, une meilleure faisabilité politique car moins d'États sont à convaincre, les réponses sont mieux adaptées, une meilleure homogénéité culturelle, socio-économique, linguistique, et une meilleure coordination. Néanmoins, les pays en développement touchés portent toute la charge de l'assistance et de l'accueil 114 ( * ) . Les pays « industriels » historiquement responsables des émissions de gaz à effet de serre, sont largement exonérés sauf si un mécanisme de péréquation est prévue. On peut aussi imaginer que l'apport de financements via les Nations unies ou la Banque mondiale assure une forme de péréquation.

6. Le cas spécifique des Etats insulaires menacés de disparition : la migration contrainte

A défaut de solutions de protection adéquate ou d'artificialisation des territoires, l'émigration sera la seule voie ouverte aux populations de ces Etats.

a) Les limites des renforcements des protections à l'artificialisation du territoire

A Kiribati, une vingtaine de programmes internationaux et les deux programmes nationaux d'adaptation au changement climatique rivalisent de solutions de court terme - plantation de mangroves, construction de digues, amélioration des canalisations et de la récolte d'eau de pluie mais le président Anote Tong 115 ( * ) reconnaît lui-même leur relative inefficacité.

« Nous pouvons toujours essayer de trouver des solutions d'ingénierie sur place. Par exemple, la possibilité de surélever les îles est étudiée. Mais dans tous les cas, pour une partie du territoire au moins, arrivera un moment où nous ne pourrons plus rester émergés : peut-être dans vingt ans, vingt-cinq ans, plus tôt qu'on ne le pense à mon avis. A ce moment-là, il sera impossible de s'adapter, à moins de se mettre à nager ou de devenir des iles flottantes artificielles. »

b) L'émigration organisée

« Nous pensons que nous n'aurons pas les moyens de préserver nos îles, même avec l'aide de la communauté internationale. Nous devons nous préparer au déplacement d'une partie de la population. Nous avons encore le temps, nous ne voulons pas que les gens migrent à la dernière minute. L'objectif, c'est qu'ils acquièrent des compétences grâce à des formations pour trouver de bons postes et répondre à des besoins spécifiques dans des pays comme le Japon, l'Australie ou la Nouvelle-Zélande, où la population est vieillissante et où il y a un besoin de main-d'oeuvre. ». Ces objectifs sont inclus dans le plan « Migration dans la dignité ».

Le gouvernement des Kiribati a déjà acheté aux Fidji quelque 20 km² qui serviront de « ferme » si les infiltrations d'eau salée rendent toute culture impossible sur l'archipel et une réflexion est en cours sur des déplacements de la population vers les Fidji et le Timor oriental.

Partir est pourtant une option hautement anxiogène pour les populations, qui laisse en suspens de nombreuses questions. Conserveront-elles leur nationalité, si elles ne sont plus rattachées à un territoire ? Seront-elles des réfugiés climatiques, statut qui n'existe pas encore ? Leur peuple sera-t-il dispersé entre différents pays d'accueil ? Garderont-elles leurs droits sur leur territoire maritime ? Réussiront-elles à préserver leur identité culturelle ?

Cette émigration nécessite le concours des pays voisins et de la communauté internationale, mais jusqu'ici les réponses ont été faibles ou dilatoires. Les pistes envisagées pour mettre en place une « libre circulation » dans sa dimension régionale avec la création d'une Pacific Acces category 116 ( * ) (immigration de travail et non environnementale), n'ont été mises en place qu'avec la Nouvelle-Zélande. L'Australie se montre beaucoup plus réservée. En juillet 2007, un amendement au Migration act demandant que soit créée une nouvelle catégorie de visas ( Climate refugee Visa : 300 personnes/an de Tuvalu, 300 de Kiribati et 300 d'autres îles du Pacifique) proposée par la sénatrice Kerry Nettle a été rejeté par le Parlement australien. De même, les démarches diplomatiques effectuées par le gouvernement de Kiribati se sont-elles révélées infructueuses.

La réponse de la communauté internationale mériterait d'être plus ouverte à l'égard de ces populations et en tous cas d'intervenir avant toute dissolution de l'Etat affecté et avec la capacité, si possible pour les populations affectées, d'avoir une double nationalité.

7. En conclusion

Difficile à définir, car les décisions de migration résultent d'un ensemble de facteurs, le concept de migration climatique tend à globaliser un grand nombre de situations (décisions individuelles ou collectives, déplacements temporaires ou permanents, volontaires ou contraints, à plus ou moins grande distance et dans des conditions humanitaires très différentes).

L'absence de définition ne doit pas pour autant occulter les questions posées par l'amplification des phénomènes migratoires directement ou indirectement liés au changement climatique.

Or les structures de gouvernance internationales actuelles, organisées en silos, ne s'intéressent pas suffisamment à cette question. La question est traitée dans différentes enceintes avec leurs logiques propres, de protections des droits de l'homme ou du droit de l'environnement ou encore de gestion des flux.

Les solutions tardent à émerger en raison des différences d'intérêts entre les États sur les objectifs à atteindre : aider les populations les plus vulnérables, protéger la sécurité internationale, responsabiliser les États émetteurs de GES.

Actuellement, les solutions de droit souple et les plus concrètes paraissent les plus adaptées, mais seront-elles suffisantes dans l'avenir avec la massification possible des migrations ?

Comme l'indique Christel Cournil 117 ( * ) « la gouvernance des migrations environnementales devra s'inscrire dans une approche holistique mêlant différentes dimensions et capable d'impliquer de nombreux acteurs politiques, clé de voûte de la gouvernance internationale. »

Les solutions reposent d'abord sur une atténuation des migrations et donc sur les efforts qui seront engagés pour réduire les émissions des GES et sur l'efficacité des politiques d'adaptation en matière de prévention, protection, alerte et secours et reconstruction. Mais elles ne seront sans doute pas suffisantes, c'est pourquoi la question des migrations environnementales doivent progressivement entrer dans le cadre des négociations internationales.


* 103 http://www.unhcr.fr/4b163f436.html

* 104

L'article 14 de l'accord de Cancún de novembre 2010 (COP 16) « invite les Etats à renforcer leur action en matière d'adaptation, y compris à travers les mesures visant à renforcer leur compréhension, coordination et coopération en ce qui concerne les déplacements causés par les changements climatiques » .

* 105 Voir aussi infra p.69

* 106 Frank Biermann et Ingrid Boas, « Protecting Climate Refugees : The Case for a Global Protocol », Environment Magazine, vol. 50, n° 6

* 107 Rejointes par le Costa Rica, l'Australie, le Mexique, le Kenya, les Philippines et l'Allemagne notamment qui participent au comité de pilotage intergouvernemental). Les principales agences internationales sont associées au sein du Comité consultatif : IOM, HCR, UNISDR, OCHA, UNDP ? Commission européenne, Croix Rouge, Norwegian Refugees Council, Banque mondiale...

* 108 Le groupe des amis de l'initiative comprend des Etats qui ne font pas partie de l'initiative, mais qui souhaitent être tenus informés de ses activités et contribuer à la réflexion.

* 109 David Hodgkinson, Tess Burton, Heather Anderson et Lucy Young, «The Hour when the Ship Comes in ? : A Convention for Persons Displaced by Climate Change» disponible sur www.ccdpconvention.com

* 110 Bonnie Docherty et Tyler Giannini, « Confronting a Rising Tide, a Proposal for a Convention on Climate Change Refugee s», Harvard Environmental Law Review, vol. 33, 2009, p. 349.

* 111 Directive2001/55/CE du Conseil, du 20 juillet 2001, relative à des normes minimales pour l'octroi d'une protection temporaire en cas d'afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les États membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil

* 112 Observatoire des situations de déplacement interne (IDMC) et Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC) - « La Convention de Kampala un an après : avancées et perspectives » http://www.internal-displacement.org/assets/publications/2013/201312-af-kampala-convention-progress-report-thematic-fr.pdf

* 113 « Migrations environnementales : gouvernance mondiale et expériences locales, contribution à l'étude des mobilités humaines », Cournil Ch. et C. Vlassopoulou, (sous la direction de) (avril 2015), Editeur Quae, (450 p.), septembre 2014 et de « Migrations environnementales, enjeux et gouvernance », Cournil Ch. et B. Mayer, Presses Sciences Po, Bibliothèque du Citoyen, 166 p. (Préface de François Crépeau)

* 114 Selon Hélène Thiollet, chercheur CNRS et enseignante à Sciences-Po sur 51 millions de déplacés (y compris 17 millions de déplacés internationaux, 80 à 90% de la charge incombe aux pays en voie de développement. La Croix 23 avril 2015

* 115 Interview donné à Le Monde publiée le 19 septembre 2015 Anote Tong http://www.lemonde.fr/paris-climat-2015/article/2015/09/19/anote-tong-nous-sommes-en-train-de-perdre-notre-terre-nous-ne-voulons-pas-perdre-notre-dignite_4763457_4527432.html

* 116 Immigration instructions recognise the special relationship between New Zealand and Samoa and the Pacific Access Category countries of Tonga, Tuvalu, Kiribati and Fiji. Each year up to 1100 Samoan citizens, 250 Tongan citizens and 75 citizens from Kiribati and Tuvalu are selected by ballot to be considered for the grant of residence in New Zealand. Following the restoration of democracy in Fiji, 250 citizens of Fiji will also now be eligible for residence each year under the PAC, starting this year.

* 117 Cournil Ch. et B. Mayer, « Les migrations environnementales » Presses Sciences Po, Bibliothèque du Citoyen, 166 p. (Préface de François Crépeau)

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