V. RÉUNION DU JEUDI 2 JUILLET 2015

A. AUDITION DE MME CLOTILDE VALTER, SECRÉTAIRE D'ÉTAT À LA RÉFORME DE L'ÉTAT ET À LA SIMPLIFICATION, MME REBECCA PERES, CONSEILLÈRE POLITIQUE (RELATIONS AVEC LES ÉLUS, LES ENTREPRISES ET LA PRESSE) ET MME MIREILLE COLAS, CONSEILLÈRE PERFORMANCE ET ÉCONOMIES

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Nous sommes d'autant plus heureux d'accueillir Clotilde Valter, qu'elle nous réserve l'une de ses premières interventions de secrétaire d'État à la Réforme de l'État et à la simplification. Nous vous remercions, madame la Ministre, et vous félicitons de prendre ainsi la suite de Thierry Mandon.

Nous avons déjà ouvert plusieurs pistes dans notre réflexion sur les moyens d'améliorer la commande publique. Comment faire moins cher et plus simple ? Comment favoriser l'accès des PME à la commande publique ? En effet, même si nos chiffres ne sont pas négatifs, on peut toujours faire mieux. Comment gérer le recours aux travailleurs détachés lorsqu'il pose problème dans l'exécution des marchés publics ?

La transposition des trois directives européennes de 2014 devra être achevée le 18 avril 2016. Loin de vouloir réécrire le code des marchés publics ou d'examiner les ordonnances article par article, nous sommes en quête d'une valeur ajoutée pour enrichir les recommandations que nous souhaiterions adresser au gouvernement.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Je joins, madame la Ministre, mes félicitations à celles du président.

La commande publique peut favoriser une reprise solide et durable de la croissance. Les trois directives européennes qui réforment le droit de la commande publique donnent des possibilités inédites aux PME. La simplification, la confirmation de la possibilité de l'allotissement, le plafonnement de l'obligation faite aux PME en matière de chiffre d'affaires au double du montant estimatif du marché pour y postuler, tout cela contribue à mettre en place une économie de territoire et de proximité. Le futur document unique sur les marchés publics (DUME) participe à cette simplification. Des inquiétudes persistent cependant sur le dumping social qui se met en place pour proposer des offres anormalement basses en recourant à des entreprises de sous-traitance employant des travailleurs détachés. Si la directive garantit un maximum de transparence, les troisième et quatrième niveaux de sous-traitance sont particulièrement dégradés. Chez moi, pour construire le nouvel hôpital, on fait appel à des entreprises qui comptent pas moins de douze à quatorze nationalités différentes, alors que les entreprises régionales sont en difficulté.

La transposition des directives européennes n'est-elle pas l'occasion d'améliorer notre droit en la matière ? Le projet d'ordonnance « marchés » a été transmis au Conseil d'État. Les directives sont bonnes, la transposition sera de qualité. À nous de supprimer un dernier verrou, mais non des moindres, en développant une culture de l'achat public.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - D'habitude, mon collègue ne manque pas de dénoncer explicitement la culture de la sur-transposition qui caractérise l'administration française.

Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État . - Je vous remercie de vos mots d'accueil, monsieur le Président.

La commande publique est un facteur de croissance, de développement économique et de création d'emplois dans nos territoires. On estime à 71,5 milliards d'euros le montant de l'achat public en 2014, 200 milliards avec les DSP, soit 10 % du PIB. Parce que la commande publique participe de la bonne gestion des finances publiques, l'État et les collectivités doivent se montrer exemplaires en favorisant son efficacité. Il faut prendre en compte les textes, mais aussi tout le poids des pratiques. C'est pourquoi, nous avons ouvert de grands chantiers sur l'entretien du patrimoine immobilier, sur les équipements au travail, etc. Nous devons renouveler l'image de l'achat public. L'importance de la commande publique requiert l'intervention d'un corps spécialisé.

En matière de réforme et de simplification, notre programme vise d'abord à développer l'accès des entreprises aux marchés publics, en accordant une attention particulière aux PME qui souffrent des procédures imposées. Nous souhaitons également favoriser la transparence et l'information des candidats, grâce à une politique d'ouverture et de mise à disposition des données. La dématérialisation assouplira le dispositif. Enfin, nous gagnerons en efficacité en professionnalisant la fonction d'achat de l'État. Notre action est coordonnée avec celle d'Emmanuel Macron, en charge de la transposition de la directive, et de Michel Sapin, responsable du service des achats de l'État.

Le marché public simplifié fonctionne déjà, sans qu'on ait le recul nécessaire pour évaluer l'effet des souplesses introduites. Des améliorations sont envisagées comme la standardisation des modèles d'appel d'offres ou la mise à disposition de toutes les entreprises des publications de marché. On incitera également les organisations professionnelles à accompagner ceux de leurs ressortissants qui souhaitent s'engager dans un marché public, en leur transmettant les informations nécessaires. Enfin, nous souhaitons travailler sur le niveau des seuils.

La comparaison avec d'autres pays n'est pas en notre défaveur en matière d'accès des PME à la commande publique. Les États-Unis qui bénéficient d'un dispositif ad hoc restent en deçà de l'objectif des 23 % qu'ils s'étaient fixé.

Quant aux travailleurs détachés, c'est un sujet brûlant qui préoccupe les élus. Le Sénat a déjà abordé la question, tout comme les députés, avec la proposition de loi de Gilles Savary. Un dispositif de la loi Macron cible les fraudeurs. Des avancées sont acquises, notamment grâce aux règles de transparence mises en place par les directives européennes. Cependant, à toute mesure contre la fraude, son détournement : ne relâchons pas notre vigilance.

M. Daniel Raoul . - Je suis heureux de vous féliciter à mon tour, Madame. Dans ma commune, nous avions mis en place un service central des marchés pour contrôler tous les marchés, y compris les Mapa. Il aurait encore son utilité pour éviter que s'installent des relations privilégiées entre les services et les entreprises. En outre, en recourant à des acheteurs, ces cost killers formés à l'achat et à la mise en concurrence, nous avions déjà commencé à professionnaliser la procédure de la commande publique, avec comme résultat de sérieuses économies.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont . - Nous avons tous eu l'occasion de nous interroger sur l'efficacité de la commande publique et la pertinence des pratiques. La situation des comptes publics nous contraint et la croissance est un impératif. Les collectivités locales et territoriales représentent 75 % de l'investissement public. Voilà où nous devons nous montrer efficaces, en incitant les élus aux bonnes pratiques, en bousculant les services pour les sortir du confort intellectuel où ils se sont installés, en faisant évoluer les modules de formation de la fonction publique territoriale. La dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) a augmenté dans des proportions significatives. Les communes qui en bénéficient ont beaucoup à gagner à ce que l'évolution des procédures facilite l'accès aux marchés publics. Je suis heureuse que vous refusiez d'entonner l'antienne selon laquelle nos PME ne participent pas à la commande publique. Nous ne sommes pas les plus mal lotis dans le panel européen. Encourageons-les dans cette voie, en simplifiant encore davantage les procédures. Merci de vos propositions.

Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État . - Je puis le dire d'expérience, on ne peut qu'encourager les élus à constituer des services d'achat professionnels, imprégnés des règles et des bonnes pratiques, et compétents pour apprécier les prix à leur juste valeur. Les élus ne peuvent pas toujours maîtriser dans le détail ces sujets souvent complexes. Ils savent que leur responsabilité peut être mise en cause, d'où un certain inconfort. L'exemplarité de certaines collectivités ne peut que les encourager. La formation leur donnera des points de repère.

Nous envisageons de créer un corps interministériel d'acheteurs qui pourrait tout aussi bien être trans-fonctions publiques, ce qui favoriserait l'élaboration d'une culture commune. Deux enjeux déterminent l'action de l'État : l'exemplarité et l'équilibre des finances publiques. Alors que se profile la réorganisation des services territoriaux, il devra s'adresser aux élus tout autant qu'aux praticiens.

M. Daniel Raoul . - Qu'en est-il de l'élévation du seuil pour les Mapa ?

Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État . - Les seuils donnent lieu à des discussions permanentes. Je ne pourrai qu'être attentive aux propositions que vous ferez. Votre raisonnement est à double entrée : d'un côté, vous souhaitez élever les seuils, de l'autre vous voulez donner plus de contrôle aux élus.

M. Daniel Raoul . - Avec le seuil actuel, j'avais avec les services une réunion hebdomadaire de contrôle des marchés. Si mon raisonnement est à double entrée, c'est pour concilier simplification et transparence.

Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État . - Les élus, qui sont l'exécutif, peuvent imposer leurs exigences de transparence. Comment un élu pourrait-il considérer que les services sont libres d'agir en toute indépendance ?

Nous nous sommes engagés dans l' open data pour que la transparence profite à tous, à l'État, aux collectivités, aux entreprises, mais aussi aux citoyens. L'expérience lancée en Bretagne est un succès. Les seuils impliquent d'adapter la procédure interne. Ils influent sur le comportement des acheteurs publics, mais aussi sur celui des entreprises, d'où leur effet contradictoire.

M. Didier Mandelli . - Dans ma commune d'un peu plus de 8 000 habitants, nous avons privilégié l'achat public local pour la restauration collective. A l'instar de ce qu'avait impulsé Stéphane Le Foll, envisage-t-on l'édition d'un guide pratique sur ces sujets ? Il n'y a pas que la grande commande publique ; on s'adresse parfois à de petits producteurs locaux. Vous avez récemment évoqué à Fontenay-le-Comte les 273 mesures de simplification pour les entreprises prises depuis 2012. Peut-on en espérer autant pour la commande publique ?

Quand on parle de travailleurs détachés - ils sont 350 000 dans notre pays - on pense souvent aux grands chantiers du bâtiment où les entreprises recrutent des ouvriers provenant de l'est de l'Europe. Je connais une entreprise qui a dû recruter 50 travailleurs détachés pour une mission de deux ans, car elle ne trouvait pas de candidats localement.

M. Georges Labazée . - Les lois de décentralisation prévoyaient un contrôle de légalité des marchés passés par les collectivités. Initialement réalisé par des personnels de catégorie A, il a été transféré, quand la révision générale des politiques publiques (RGPP) est passée par là, à des personnels de catégorie C, moins bien formés. Cela a donné lieu à des tensions. Qu'en pensez-vous ?

Le numérique préoccupe les collectivités, car c'est un secteur très concurrentiel, où les délégations de service public (DSP) sont pratique courante. Comment favoriser la transparence pour ce type de contrat ? Comme président du conseil général j'ai pu mesurer ce que coûtait l'échec d'une DSP mal estimée.

Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État . - L'UGAP est le bon endroit pour discuter des pratiques en matière de restauration collective. Beaucoup de collectivités et de conseils généraux ont privilégié les circuits courts. Dans le Gers, les plats servis aux élèves sont composés à 40 % à partir de produits locaux. L'Eure et d'autres départements suivent cette voie.

Monsieur Labazée, dans une autre vie, j'ai pu constater comme vous ce qu'est devenu le contrôle de légalité. L'État a effectivement mis en difficulté les collectivités les plus petites, en retirant un personnel expérimenté. À l'époque, j'avais regretté que l'État modifie l'équilibre de 1982, en mettant fin à l'obligation d'un contrôle de légalité systématique. Certaines collectivités s'engagent dans des DSP sans être suffisamment informées. Elles ignorent, par exemple, que ce type de contrat prévoit nécessairement un bénéfice pour l'opérateur. C'est regrettable.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Selon vous, y aura-t-il transposition ou sur-transposition ? Chacun connaît la tradition du droit français... Puisque l'on a beaucoup parlé des travailleurs détachés, obligera-t-on la maîtrise d'ouvrage à contrôler les chantiers, sous peine de voir sa responsabilité juridique engagée ? Ce dispositif verra-t-il le jour ?

Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État . - Nous ne pouvons qu'encourager la France à changer de mode opératoire par rapport aux règles européennes. La complexité est un handicap. Ce chantier avait été ouvert par Thierry Mandon et Emmanuel Macron. Nous entendons le poursuivre.

Je vous enverrai une réponse écrite sur la maîtrise d'ouvrage.

Nous devons travailler à réduire les coûts que la dématérialisation représente pour les collectivités. La signature électronique coûte chaque année 140 euros par personne concernée. C'est beaucoup pour les PME.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Le diable est dans les détails. Le futur document unique de marché européen (DUME) est un progrès ; encore faut-il que son contenu soit également simplifié. Encore faut-il aussi s'assurer de la véracité des informations mentionnées. Élaborer des modèles de documents de marché est de bonne méthode. Nous avons déjà bien avancé. La dématérialisation suppose de passer par des plateformes. Il en existe douze. Comment un opérateur pourra-t-il s'adapter à chacune d'entre elles ? Un logiciel type de dématérialisation est un bon moyen d'évoluer. Madame la Ministre, nous vous remercions.

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