B. LA FRAGILITÉ DE L'INDÉPENDANCE

En confiant une nouvelle mission à une autorité administrative indépendante, le Parlement a naturellement manifesté des attentes à l'égard de l'indépendance de l'institution à laquelle il confiait la protection d'une liberté publique ou la régulation d'un secteur économique. Cette indépendance appelle deux conditions : les conditions matérielles , notamment financières, de l'indépendance et l'indépendance d'esprit de ses membres. Comme le notait en forme de bilan M. Jean-Marie Delarue lors de son audition, « l'indépendance est un apprentissage » 63 ( * ) . On ne peut nier que, sous l'effet de la théorie des apparences, la perception de cette indépendance est devenue fortement subjective, au risque d'alimenter les suspicions. Les réactions suscitées par la nomination à la présidence de France Télévisions en mai 2015 de Mme Delphine Ernotte démontrent qu'une autorité administrative, même qualifiée d'indépendante, ne peut s'exonérer de cette réflexion.

Comme un fil rouge aux auditions de votre commission d'enquête, ses membres ont souhaité vérifier les garanties d'indépendance qui existent réellement pour les membres de ces autorités, de manière collective et sur le plan individuel au sein du collège. Plusieurs constats se sont progressivement dégagés.

Votre commission d'enquête a noté la fragilité de l'indépendance de ces autorités. Instituée par la loi, une autorité administrative indépendante peut ainsi voir son action totalement paralysée par la simple abstention du Gouvernement qui manifeste une curieuse conception de l'application de la loi à laquelle il est pourtant tenu par l'article 21 de la Constitution.

Ainsi, les autorités administratives indépendantes sont partiellement dépendantes du bon-vouloir des pouvoirs publics s'agissant de leur composition. Votre commission d'enquête a constaté un étrange procédé consistant à ne pas renouveler les membres de certaines autorités administratives indépendantes. Au 1 er septembre 2015, les collèges des autorités administratives indépendantes comportaient 581 sièges mais le nombre de sièges effectivement occupés s'élevaient à 544 sièges. À la date retenue, les vacances sont d'autant plus importantes que certaines autorités ont connu des démissions en bloc au cours de l'année 2014, notamment en réaction à de nouvelles règles fixées en matière de transparence de la vie publique. Cependant, ces vacances trouvent également leur origine dans une abstention regrettable de la part du Gouvernement qui refuse délibérément de nommer les membres d'une autorité administrative indépendante, en espérant par ce subterfuge aboutir à sa disparition de fait : ainsi, la Commission de la sécurité des consommateurs (CSC) ne compte plus que 4 membres sur les 15 qui forment son collège, le Gouvernement n'ayant procédé à aucune nomination depuis la fin de l'année 2014, ni soumis au Parlement la nomination de son président, comme prévu par la loi organique. Il évoque seulement la nécessité d'une « large réflexion » sur l'avenir de cette autorité selon les termes du courrier adressé à votre rapporteur 64 ( * ) .

Cette situation n'est malheureusement pas inédite. Entre fin 2013 et mi 2014, il n'a pas été procédé à la nomination de trois membres du collège de la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI). Sa présidente, Mme Marie-Françoise Marais, indiquait lors de son audition avoir « tiré le signal d'alarme à plusieurs reprises [...] [et] enfin obtenu satisfaction, au bout de six mois, après une alarme vigoureuse pour ne pas dire une mise en demeure avant que d'autres instances interviennent » 65 ( * ) .

Au-delà de ces exemples regrettables, votre commission d'enquête a focalisé son attention sur trois questions relatives à l'indépendance de ces autorités. La première concerne l'influence qu'ont acquise les hautes juridictions à travers la présence de leurs représentants. La deuxième tient aux garde-fous dont bénéficient ces autorités face aux pressions financières extérieures. Enfin, au fil de ses travaux, il est apparu nécessaire à votre commission d'enquête de s'arrêter sur le corpus déontologique, à de multiples égards perfectible, des membres et collaborateurs des autorités administratives indépendantes.

1. L'influence des « grands corps de l'État »

Au cours des auditions menées par votre commission d'enquête, un sentiment d'entre soi, de consanguinité ou d'endogamie s'est fait jour dans le processus de désignation des membres des autorités administratives indépendantes. Cette impression s'est particulièrement manifestée à l'égard des membres issus du Conseil d'État, de la Cour de cassation et de la Cour des comptes. Autant l'examen de la composition des collèges et des commissions des sanctions de ces autorités confirme cette impression, autant elle démontre également que la responsabilité de cet état de fait n'incombe pas au seul législateur.

a) Un « vivier » de membres et de collaborateurs issu principalement des hautes juridictions

Parmi les 544 sièges occupés au sein des autorités administratives indépendantes, 167 sièges sont occupés, dans l'ordre décroissant, par des membres du Conseil d'État, de la Cour des comptes ou de la Cour de cassation. Ensemble, ceux-ci occupent ainsi plus de 30 % des sièges au sein des autorités administratives indépendantes.

Ce pourcentage doit être revu à la hausse si sont exclues du périmètre deux autorités à la composition originale - la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH) et le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) comptant respectivement 64 et 43 membres - qui sont tournées, par construction, vers la société civile et ont des effectifs particulièrement étoffés. Soustraction faite des membres de ces deux autorités, le nombre total de membres appartenant à l'une de ces trois institutions représente 37 % des membres dans les autres autorités.

Sous un autre angle, seules 5 autorités administratives indépendantes ne comptent en leur sein aucun membre issu d'une de ces trois institutions. Sans surprise, la présence de tels membres est davantage marquée dans certaines autorités, notamment en lien avec la protection des libertés publiques.

Par comparaison, les autorités administratives indépendantes comptent 20 sièges pour les parlementaires.

(1) Une pratique autant qu'une exigence légale

Cette présence incontournable des membres de ces trois institutions résulte pour partie de la loi qui a souvent repris, au moment de composer le collège de l'autorité administrative indépendante, le triptyque membres du Conseil d'État, de la Cour de cassation et de la Cour des comptes. Cette solution résultait, dans la quasi-totalité des cas, du projet initial du Gouvernement, le Parlement s'étant plutôt attaché, en certaines occasions, à ouvrir cette composition 66 ( * ) .

Toutefois, la prédominance des membres de ces trois institutions - Conseil d'État, Cour de cassation et Cour des comptes - ne peut s'expliquer uniquement par une volonté législative mais plonge également ses racines dans des habitudes directement héritées du modèle administratif français. En effet, si la loi impose la présence d'un membre issu des rangs de la Cour de cassation, du Conseil d'État ou de la Cour des comptes dans 135 cas, les autorités administratives indépendantes en comptent 143 qui, en raison du cumul de fonctions, occupent 167 sièges.

Plus précisément, lorsque la présence au sein d'une autorité d'un membre issu d'une de ces trois institutions - Cour de cassation, Conseil d'État et Cour des comptes - résulte d'une obligation légale, deux cas doivent être distingués :

- le pouvoir de nomination appartient à une de ces trois institutions ou au chef de l'une de ces juridictions ou - variante plus rare -, la nomination intervient à partir d'une liste de candidats dressée par les chefs de ces juridictions ;

- la qualité de membre du collège de l'autorité en question est conditionnée par l'appartenance à l'une de ces trois institutions, que le siège soit « fléché » pour une institution en particulier ou que l'intéressé doive être choisi indistinctement au sein de l'une d'entre elles 67 ( * ) .

Le législateur a parfois combiné les deux caractéristiques : la nomination, par exemple, d'un membre du Conseil d'État relève souvent du Conseil d'État lui-même par la voix de son vice-président ou, plus rarement, de son assemblée générale. Cependant, le législateur, tout en confiant à une de ces institutions le soin de procéder à une nomination, n'a pas automatiquement exigé que le candidat présenté en soit issu. Or, dans ce cas, le choix se porte, en pratique, quasi-systématiquement sur un membre de l'institution concernée, au-delà de la lettre de la loi. Ce premier penchant explique une partie de l'écart entre nombre de sièges réservés à ces trois institutions et leur représentation effective.

Autre raison : un membre d'une de ces trois institutions peut être nommé par une autorité extérieure à ces trois institutions à une fonction sans que son appartenance à une de ces institutions ne soit requise par la loi. En pareil cas, la présence de représentants de ces trois institutions ne résulte pas d'une quelconque volonté du législateur.

Cette hypothèse est répandue. Le cas de Mme Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), est illustratif. Lors de son audition, elle retraçait ses nominations successives : « J'ai été nommée à la CNIL comme personnalité qualifiée, non pas en tant que représentante du Conseil d'État mais en tant que déléguée générale et présidente du Forum des droits sur l'internet. C'est seulement depuis 2014 que je siège à la CNIL sur le quota du Conseil d'État » 68 ( * ) .

Parfois, à défaut de base légale, se créé un véritable usage, comme le rappelait lors de son audition M. Jean-Marie Delarue, président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), à propos de la fonction qu'il exerçait : « Le président de la CNCIS est nommé par décret, sur une liste de trois noms arrêté conjointement par le premier président de la Cour de cassation et le vice-président du Conseil d'État. Traditionnellement, le premier nom a toujours été choisi. C'est toujours un magistrat. Un seul était magistrat de l'ordre judiciaire : mon prédécesseur, Hervé Pelletier. » 69 ( * )

Par comparaison, cette possibilité ouverte aux membres du Conseil d'État, de la Cour de cassation et de la Cour des comptes d'être nommés non seulement quand la loi impose leur présence ès qualité mais également lorsque l'autorité de nomination le souhaite a progressivement été fermée aux parlementaires. En effet, les articles L.O. 145 et L.O. 297 du code électoral rendent incompatible, respectivement avec le mandat de député et celui de sénateur, « les fonctions exercées au sein d'une autorité administrative indépendante ou d'une autorité publique indépendante » sauf à ce que le texte constitutif de l'autorité prévoie expressément la présence d'un parlementaire.

(2) La construction de véritables « carrières »

De l'observation de la composition des collèges et des commissions des sanctions des autorités administratives indépendantes se dégage l'impression de « carrières » construites dans ces autorités, de manière horizontale ou dans le temps.

La différence entre le nombre de sièges occupés et le nombre de membres s'explique ainsi par l'exercice de fonctions au sein de plusieurs autorités par une même personne. Au 1 er septembre 2015, 30 membres d'autorité administrative indépendante se trouvent dans une telle situation de cumul : 27 siègent dans deux de ces autorités quand trois siègent dans trois de ces autorités. En prenant en compte les fonctions de suppléant, deux membres ont même été désignés concomitamment au sein de quatre autorités. Au sein de la Commission des infractions fiscales (CIF), cette situation de cumul concerne un tiers des membres, tous issus du Conseil d'État, de la Cour de cassation et de la Cour des comptes.

Exceptionnellement, cette situation de cumul est organisée par la loi 70 ( * ) mais ce cas ne concerne pas les membres issus du Conseil d'État, de la Cour de cassation ou de la Cour des comptes. À l'inverse, seule une incompatibilité - rare en droit - empêchant tout membre du collège d'exercer une autre activité professionnelle fait obstacle à une telle situation 71 ( * ) .

Certaines de ces carrières se construisent également dans la durée au point que certains membres deviennent de véritables « professionnels » des autorités administratives indépendantes. Au long de son parcours, une même personne peut exercer des fonctions de responsable d'autorité administrative indépendante avant d'y siéger voire de la présider. Exemple particulièrement frappant : directeur général de la Commission des opérations de bourse (COB) entre 1997 et 2003, M. Gérard Rameix a exercé les fonctions de secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers (AMF) de 2004 à 2009 avant d'en devenir le président depuis 2012.

b) Une concentration des pouvoirs entre les représentants des « grands corps de l'État »

Après examen de la composition des autorités administratives indépendantes, trois traits caractéristiques distinguent les membres des autorités administratives indépendantes issus du Conseil d'État, de la Cour de cassation et de la Cour des comptes par rapport à leurs pairs.

Sans surprise, ils sont très présents dans les organes quasi-juridictionnels - tels que les commissions des sanctions - des autorités administratives indépendantes. Ils représentent plus des deux-tiers des membres de ces instances.

Les membres de ces trois institutions sont majoritairement représentés à la présidence des autorités administratives indépendantes. Ainsi, sur 40 personnes assurant, au 1 er septembre 2015, la présidence d'une autorité ou les fonctions d'une autorité (médiateur ou contrôleur général), 24 sont issus de ces trois institutions : 14 du Conseil d'État, 3 de la Cour de cassation et 7 de la Cour des comptes. Pour dresser un état des lieux complet, il convient d'y ajouter un inspecteur général des finances et un membre du conseil général de l'environnement et du développement durable.

Or, une fois qu'un membre de ces institutions siège, souvent comme président, au sein de cette autorité, l'habitude est généralement prise de recourir à des membres de ces institutions comme collaborateurs de cette autorité.

6 membres du Conseil d'État sont directeur général ou secrétaire général d'une autorité administrative indépendante, dont 4 à temps plein par la voie du détachement. Dans la moitié des cas, le président de l'autorité en question est lui-même issu du Conseil d'État.

Cette forte présence des membres des hautes juridictions se ressent également dans le recrutement des collaborateurs occasionnels de l'autorité, traditionnellement choisis parmi les membres du Conseil d'État ou les magistrats de la Cour de cassation et de la Cour des comptes. Interrogé lors de son audition sur le recours à des rapporteurs issus du Conseil d'État, M. Marc Dandelot président de la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA), lui-même issu de la juridiction du Palais Royal, récusait le terme de consanguinité pour préférer le terme de « filiation [...] ou essaimage, même s'il y a parmi [les] rapporteurs moins d'auditeurs [du Conseil d'État] que par le passé » 72 ( * ) . Le même constat existe au sein de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique où, parmi les vingt-quatre rapporteurs, on dénombre quatre magistrats de la Cour de cassation, quatre magistrats de la Cour des comptes et quatre membres du Conseil d'État.

Ils représentent également une part importante des membres des autorités administratives indépendantes qui sont en situation de cumul. Sur les 30 membres concernés, 22 sont issus de ces trois institutions, soit près de trois quarts des membres en situation de cumul.

c) Un tropisme de recrutement parisien

Le profil des membres et des collaborateurs extérieurs des autorités administratives indépendantes dénote une présence écrasante de personnes résidant à Paris.

Cette résidence s'explique pour une large partie par la présence, précédemment évoqué, de membres du Conseil d'État, de la Cour de cassation et de la Cour des comptes mais également par celle de représentants de l'administration centrale. Pour des raisons identiques, le constat similaire peut être formulé pour les collaborateurs extérieurs de ces autorités, généralement issus du même vivier.

Cette remarque peut s'étendre aux universitaires qui composent les collèges des différentes autorités administratives indépendantes. Au 1 er septembre 2015, sur les 79 personnes concernées, près des trois quarts enseignent à Paris.

De manière générale, cette situation résulte essentiellement de la localisation à Paris de la quasi-totalité des sièges de ces autorités. Seuls le Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) et l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF) font exception. Lors de son audition, le président de cette dernière, M. Pierre Cardo, s'est montré lui-même très critique sur ce choix. Rappelant que la fixation du siège au Mans résultait d'un arrêté ministériel, il soulignait que ce choix, compréhensible du point de vue de l'aménagement du territoire, soulevait des difficultés de recrutement : « S'il est aisé de recruter des juniors en province, c'est bien plus difficile pour des spécialistes de haut niveau, dont une partie réside en banlieue ou en grande banlieue » . Et M. Pierre Cardo d'ajouter : « aller à Bruxelles depuis Le Mans n'est pas évident, non plus que d'obtenir de certaines personnalités qu'elles daignent venir jusqu'à nous pour les auditions » 73 ( * ) . Aussi, cette autorité a-t-elle maintenu une double localisation, à Paris et au Mans, avec le coût de fonctionnement qu'elle induit (de l'ordre de 295 000 euros par an).

Interrogés lors de leur audition sur un éventuel transfert du siège de leur autorité hors de Paris, les responsables d'autorités administratives indépendantes ont marqué une surprise face à une question qui leur semblait incongrue. En guise de réponse, ils n'ont ni opposé un refus catégorique, ni, pour la quasi-totalité, manifesté d'enthousiasme pour cette évolution.

2. Une déontologie à géométrie variable

Compte tenu des responsabilités éminentes confiées à certaines autorités administratives indépendantes, votre commission d'enquête a souhaité s'intéresser aux règles déontologiques applicables aux membres et agents des autorités administratives indépendantes, avec le souci - là encore - que le transfert des compétences vers ces autorités ne traduise pas un amoindrissement des garanties par rapport à l'administration traditionnelle.

Les autorités administratives indépendantes n'ont pas échappé au mouvement de renouvellement et de renforcement des mécanismes de prévention et de traitement des conflits d'intérêts. Cependant, contre toute attente, votre commission d'enquête a été confrontée à de nombreuses interrogations sur leur application effective voire a constaté, au cours de ses investigations, des manquements caractérisés aux règles légales.

Lors de son audition ainsi que lors d'échanges complémentaires sur place, M. Jean-Louis Nadal, président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), a indiqué que les membres des autorités administratives indépendantes feraient l'objet de la part de Haute Autorité d'un examen plus particulier au cours de l'année 2016. Pour votre commission d'enquête, cette priorité est plus que nécessaire 74 ( * ) .

a) L'application d'un corpus déontologique commun : protestations, crispations et subterfuges.

La diversité des autorités administratives indépendantes a toujours fait obstacle à l'émergence d'un corpus déontologique commun, au point qu'il est possible de considérer que certaines autorités sont davantage en avance que d'autres sur cette question. Il existe, pour chaque autorité administrative indépendante, des incompatibilités spécifiques, applicables au président et éventuellement aux membres, et des règles spéciales de déport. Au cours de ses travaux, votre commission d'enquête a rencontré des situations extrêmement diverses selon que le président et les membres des autorités exerçaient à plein temps ou à mi-temps, dans des proportions variables, leurs fonctions.

La précision du cadre déontologique de certaines autorités administratives indépendantes, comme le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) ou la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), coexiste avec le cadre statutaire de plusieurs autorités administratives indépendantes qui reste encore muet sur les obligations déontologiques.

La loi organique et la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique ont introduit des progrès indéniables pour les autorités administratives indépendantes en fixant, pour la première fois, un cadre commun à l'ensemble de leurs membres :

- les membres des collèges des autorités administratives indépendantes s'abstiennent de siéger lorsqu'ils estiment être dans une situation de conflit d'intérêts, désormais défini par la loi ;

- dans la même situation, les personnes qui exercent des compétences propres au sein de ces autorités sont suppléées ;

- aucun parlementaire ne peut plus présider une autorité administrative indépendante et seuls les parlementaires présents ès qualité peuvent siéger en leur sein ;

- chaque membre doit déposer auprès du président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique une déclaration d'intérêts et une déclaration de situation patrimoniale qui ne sont pas rendues publiques mais qui peuvent donner lieu à des observations ou des injonctions de la part de cette Haute Autorité.

Ces dispositions s'appliquent sans préjudice des règles, plus contraignantes et précises, applicables à chaque autorité.

Leur application suppose cependant de définir préalablement le périmètre des autorités administratives indépendantes en retenant une liste de ces dernières. Votre commission d'enquête a pu constater, au cours de ses auditions, que la qualification d'autorité administrative indépendante qui faisait peser de nouvelles contraintes déontologiques sur ses membres a suscité de vives discussions en leur sein, entraînant démissions en bloc de membres de certaines autorités voire - procédé plus discret - retrait de certaines autorités du périmètre d'application de la loi. Ainsi, les membres de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH), au grand dam de sa présidente, ne sont plus concernés par le dépôt de déclarations d'intérêts et de situation patrimoniale. De même, la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale relative à l'élection du Président de la République, présidée par le vice-président du Conseil d'État, et le Haut conseil des finances publiques, présidé par le Premier président de la Cour des comptes, pour lequel un doute existait, ont été opportunément exclus du champ d'application de cette mesure, permettant ainsi à leurs membres de se dispenser de cette nouvelle obligation.

L'établissement du périmètre des autorités administratives indépendantes
soumises à déclaration d'intérêts et de situation patrimoniale

Le dépôt par chaque membre d'une autorité administrative indépendante ou d'une autorité publique indépendante d'une déclaration d'intérêts et d'une déclaration de situation patrimoniale auprès du président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) a été imposé par l'article 11 de la loi du 11 octobre 2013. Les membres avaient jusqu'au 1 er octobre 2014 pour s'acquitter de cette obligation.

La définition de la liste des autorités et des membres concernés a donné lieu à une bataille juridique à travers des échanges discrets auquel votre rapporteur a eu accès. Tout d'abord, la Haute Autorité a retenu la liste du site Légifrance - sur laquelle ne figurait plus le Haut conseil des finances publiques - comme référence pour identifier ces autorités. En ont été exclues :

- la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale relative à l'élection du Président de la République, au motif de sa constitution uniquement à l'approche de cette élection ;

- la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH), au terme de la consultation du secrétariat général du Gouvernement.

Pour déterminer qui était « membre » d'une autorité administrative indépendante, « la Haute Autorité a privilégié une acception large de cette notion : toute personne ayant voix délibérative au sein d'une autorité administrative indépendante est assujettie aux obligations déclaratives, y compris les membres suppléants et les membres de commissions chargées de pouvoirs de sanction ».

Lors de son audition, Mme Christine Lazerges, président de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH), indiquait avoir reçu un courrier de M. Jean-Louis Nadal, président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), invitant les membres de la Commission à déposer les deux déclarations requises. Cette demande a suscité des réactions : « Quelques associations telles qu'Amnesty International ont considéré comme complexe cette procédure de transparence. L'universitaire Emmanuel Decaux estimait que ces déclarations représentaient une intrusion dans sa vie privée. Les avocats Henri Leclerc et Thierry Massis se sont également déclarés gênés par cette procédure. » Mme Lazerges a précisé que « Monsieur Nadal a consulté le vice-président du Conseil d'État qui a estimé que, bien qu'indépendante, la CNCDH ne disposait pas de toutes les caractéristiques d'une autorité administrative indépendante, notamment en raison du fait que nos membres sont bénévoles . » 75 ( * )

Lors de son audition, M. Jean-Louis Nadal a confirmé ces réticences à déclarer : « Pour garantir notre travail, nous avons consulté le secrétariat général du Gouvernement qui a exclu du dispositif la Commission de contrôle de l'élection présidentielle qui n'est pas permanente et la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH) qui n'a pas de pouvoir de décision. Certaines AAI voulaient être soumises à déclaration, pour asseoir leur statut, d'autres le refusaient... » 76 ( * )

Pour sa part, en réponse à la version rapportée par Mme Lazerges et M. Nadal, M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'État, a démenti avoir apporté lui-même une réponse, évoquant néanmoins « dans le cadre des conversations qui peuvent s'établir entre différentes instances publiques [avoir] eu vent de cette question et de la réponse apportée par le secrétariat général du Gouvernement ». Il a précisé, s'agissant de la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale relative à l'élection du Président de la République qu'il préside, avoir « tendance à penser qu'il faudra se conformer à cette obligation » déclarative lors de sa prochaine constitution.

Enfin, une fois la liste arrêtée, certains membres concernés par cette nouvelle obligation ont préféré démissionner, plutôt que de s'y soumettre. Le Bureau central de tarification offre un exemple particulièrement frappant relaté par son président, M. Laurent Leveneur, lors de son audition : « Face à l'obligation de rendre leur double déclaration au 1 er octobre 2014, nos membres, tous bénévoles, ont estimé que la mesure était disproportionnée. Ils ont surtout considéré qu'ils n'entraient pas dans la catégorie des représentants de la vie publique, car ils traitaient de dossiers individuels de manière confidentielle, et 77 des 82 membres du Bureau ont préféré démissionner. Depuis [...] , il est délicat de recruter de nouveaux membres, au point que la nouvelle formation qui devait statuer en matière d'habitation n'a pu être mise en place, faute de volontaires pour y siéger. » 77 ( * )

Par un courrier du 16 octobre 2015 adressé à votre rapporteur, Mme Florence Braka, directrice générale de la fédération française des agences de presse, contestait également l'interprétation retenant la formation « agences de presse » de la Commission paritaire des publications et des agences de presse (CPPAP), annonçant la démission de certains membres face à « cette question de principe ».

Selon les informations recueillies par votre rapporteur auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) à l'occasion d'un contrôle sur place, au 1 er octobre 2015, sur les 571 membres devant déposer ces déclarations, 102 n'avaient pas satisfait entièrement à cette obligation, malgré une information des présidents de ces autorités et une double relance, adressées en 2015 aux membres concernés. Au regard de la gravité de ces faits, votre commission d'enquête a décidé de publier le tableau - particulièrement éloquent - retraçant la part de membres qui, au sein de chaque autorité administrative indépendante, ne se sont pas conformés à l'obligation de double dépôt. Ainsi, dans neuf autorités administratives indépendantes, plus du quart des membres sont concernés, et dans trois d'entre elles, plus de la moitié.

Dépôts des déclarations d'intérêts et des situations patrimoniales
par les membres des autorités administratives indépendantes auprès de
la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP)

Autorités administratives indépendantes

Nombre de membres pour lesquels

Part des membres en conformité avec leurs obligations

aucune déclaration n'est manquante

au moins une déclaration est manquante

Agence française de lutte contre le dopage

9

4

69 %

Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires

8

2

80 %

Autorité de contrôle prudentiel et de résolution

42

2

95 %

Autorité de la concurrence

13

3

81 %

Autorité de régulation de la distribution de la presse

3

0

100 %

Autorité de régulation des activités ferroviaires

6

0

100 %

Autorité de régulation des communications électroniques et des postes

7

0

100 %

Autorité de régulation des jeux en ligne

11

1

92 %

Autorité de sûreté nucléaire

5

0

100 %

Autorité des marchés financiers

28

0

100 %

Bureau central de tarification

13

7

65 %

Commission nationale pour l'informatique et des libertés

19

1

95 %

Comité consultatif nationale d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé

39

4

91 %

Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires

4

6

40 %

Commission centrale permanente compétente en matière de bénéfices agricoles

3

0

100 %

Commission consultative du secret de la défense nationale

7

0

100 %

Commission d'accès aux documents administratifs

22

1

96 %

Commission de la sécurité des consommateurs

13

0

100 %

Commission de régulation de l'énergie

10

2

83 %

Commission des infractions fiscales

45

1

98 %

Commission des participations et des transferts

5

2

71 %

Commission des sondages

22

2

92 %

Commission nationale d'aménagement cinématographique

6

0

100 %

Commission nationale d'aménagement commercial

12

7

63 %

Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité

3

0

100 %

Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques

10

0

100 %

Commission nationale du débat public

14

7

67 %

Commission paritaire des publications et agences de presse

23

37

38 %

Conseil supérieur de l'Agence France-Presse

4

5

44 %

Contrôleur général des lieux de privation de liberté

2

0

100 %

Conseil supérieur de l'audiovisuel

8

0

100 %

Défenseur des droits

1

0

100 %

Haut conseil du commissariat aux comptes

12

0

100 %

Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet

13

5

72 %

Haute autorité pour la transparence de la vie publique

7

0

100 %

Haute autorité de santé

8

0

100 %

Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur

10

3

77 %

Médiateur du cinéma

0

0

-

Médiateur du livre

1

0

100 %

Médiateur national de l'énergie

1

0

100 %

Total

469

102

82 %

18 %

NB : Ce tableau ne fait pas état des postes vacants ou des personnes se trouvant encore dans le délai de déclaration à la date du 8 octobre 2015.

Source : Haute Autorité pour la transparence de la vie publique

La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) a indiqué à votre rapporteur que « la suite normale de la procédure est l'envoi d'injonctions en application des articles 4 et 11 de la loi du 11 octobre 2013 », cette question devant être débattue à la fin du mois d'octobre 2015 par le collège et ouvrant la voie à une saisine du parquet. Rappelons que l'absence de dépôt de telles déclarations fait encourir au non-déclarant une peine de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende, accompagnées éventuellement de l'interdiction des droits civiques et de l'interdiction d'exercer une fonction publique. De même, le refus de répondre à une injonction est condamné par une peine d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.

Comment faut-il expliquer cette résistance ? Est-ce en prévision d'une législation plus « favorable » aux personnes concernées ?

S'agissant de la déclaration de la gestion sous mandat des instruments financiers des présidents et membres d'autorité administrative indépendance « économiques », la Haute Autorité a indiqué à votre rapporteur que « au 1 er août 2015, quatre présidents d'AAI s'étaient mis en conformité avec ces règles, soit en indiquant ne pas détenir d'instruments financiers, soit en faisant parvenir un mandat de gestion ou une attestation de conservation en l'état » mais la Haute Autorité a dû se rapprocher des huit autres présidents concernés au mois d'août 2015 pour obtenir les documents nécessaires. Sous réserve de « situations particulières en cours de résolution », les règles voulues par le législateur sont donc formellement appliquées.

b) Des désignations et des recrutements contestables

Au cours de ses travaux, votre commission d'enquête a pu vérifier la compétence des présidents, membres ou agents des autorités administratives indépendantes qu'elle entendait ou rencontrait. Toutefois, l'ère de la suspicion n'épargne pas ces autorités qui doivent démontrer la parfaite déontologie de ses responsables, loin de tout conflit d'intérêts. Outre la réalité de cette prévention, l'apparence est primordiale pour la crédibilité de l'autorité en cause.

La prévention de ces conflits d'intérêts est cruciale lorsqu'une autorité administrative indépendante, chargée du contrôle et de la régulation d'un secteur, accueille en son sein des membres ou agents issus de ce secteur. Quelques exemples, découverts au cours des travaux de votre commission d'enquête, ont appelé l'attention de ses membres, à l'instar du cas d'une membre du collège de l'Autorité de la concurrence nommée, au cours de son mandat, administratrice du conseil d'administration d'une entreprise de rang européen en matière de travaux publics et de construction.

Votre rapporteur pourrait également relever le cas de deux anciens collaborateurs au sein du cabinet de M. Alain Vidalies, ministre délégué aux relations avec le Parlement, en charge de préparer et défendre la loi ayant créé la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) qui, la loi à peine créée, ont immédiatement été appelés à exercer les fonctions de secrétaire général et de responsable des relations institutionnelles et de la communication de cette autorité. Il en est de même de Mme Laurence Engel, médiatrice du livre, et de M. Jacques Archimbaud, vice-président de la Commission nationale du débat public qui, après avoir respectivement exercé les fonctions de directrice de cabinet de la ministre de la culture et de directeur adjoint de cabinet de la ministre du logement et de l'égalité des territoires, ont été appelés, au sortir de leurs fonctions précédentes, à exercer des fonctions au sein de ces autorités.

Comment éviter de telles pratiques de nature à jeter le trouble ? Selon M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'État, « le meilleur moyen de se prémunir contre le risque [de conflit d'intérêts ou d'infraction pénale] est évidemment de puiser dans le vivier des juridictions suprêmes ». Au terme de ses travaux, votre commission d'enquête n'en est pas pleinement convaincue tant elle a pu constater que les mobilités au sein de l'administration voire en direction du secteur privé des membres de ces « grands corps de l'État » n'étaient pas toujours exemptes de critiques. Il a souvent été opposé à votre commission d'enquête, lors des auditions, que les membres des hautes juridictions seraient, par leur statut, indépendants. Pour votre commission d'enquête, les garanties du statut des membres et magistrats de ces juridictions participent évidemment de leur indépendance mais elles ne les placent pas, de manière définitive, hors de toute influence du secteur privé ou des autres institutions publiques, ne serait-ce que celles dont ils sont issus.

c) Fonctions au sein des hautes juridictions et des autorités administratives indépendantes : un exercice compatible ?

Compte tenu de l'expérience et de la compétence des membres des « grands corps de l'État », à commencer par le Conseil d'État, la Cour de cassation et la Cour des comptes, il est apparu naturel de recourir à eux pour pourvoir aux sièges au sein des autorités administratives indépendantes. Comme indiqué précédemment, cette présence est particulièrement marquée pour ces institutions.

Au rythme actuel de création des autorités administratives indépendantes, votre commission d'enquête s'interroge sur la capacité de ces institutions à pourvoir un nombre suffisant de sièges au sein de ces autorités.

L'ampleur de ce phénomène n'est pas sans soulever une difficulté : l'exercice de fonctions juridictionnelles est-il compatible avec les fonctions au sein de l'autorité administratives indépendante ? Cette compatibilité doit s'apprécier au regard de deux critères, la charge de travail et la prévention des conflits d'intérêts.

Votre commission d'enquête s'interroge sérieusement sur la compatibilité de la présidence ou de la présence au sein d'autorité administrative indépendante de membres de ces hautes juridictions en parallèle de leurs activités. Quelques cas, relativement illustratifs, ont retenu son attention, comme celui de :

- Mme Evelyne Ratte, présidente de la Commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN) - fonction qui requiert une certaine réactivité de la part de son titulaire appelé à se déplacer en cas de perquisition - alors qu'elle exerce les fonctions de présidente de chambre à la Cour des comptes ;

- Mme Christine Maugüé, présidente du Conseil supérieur de l'Agence France Presse qui est parallèlement présidente-adjointe d'une section administrative au Conseil d'État ;

- Mme Stéphanie Gargoullaud, membre de la Commission d'accès aux documents administratifs qui, outre ses fonctions de conseiller référendaire, exerce également au sein de la commission de protection des droits de la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI).

Ainsi, la secrétaire générale, deux présidents de section et deux présidents de sous-section du Conseil d'État sont parallèlement membres d'une autorité administrative indépendante. Cette ubiquité parait d'autant plus méritoire lorsque l'on connait la règle, rappelée par le vice-président du Conseil d'État lors de son audition 78 ( * ) et dans le courrier adressé à votre rapporteur 79 ( * ) , que « cette charge [...] n'ouvre droit à aucun allégement du service dû, par ailleurs, au sein du Conseil d'État ».

De surcroît, cette remarque vaut pour les membres qui exercent des fonctions au sein de plusieurs autorités administratives indépendantes. À une époque où le cumul des fonctions est condamné afin de rendre davantage de temps aux titulaires de ces fonctions, il est surprenant qu'une telle mansuétude s'applique aux membres des autorités administratives indépendantes.

3. Un financement compatible avec l'indépendance ?
a) Une majorité d'autorités administratives indépendantes financée par des crédits du budget général

Des crédits budgétaires financent 30 autorités administratives indépendantes, soit 71,4 % du nombre total d'autorités administratives indépendantes ; ces 30 autorités disposent d'un budget de 238,7 millions d'euros, soit 39,7 % du budget total consacré aux autorités administratives indépendantes.

Proportion d'autorités administratives indépendantes
(en nombre et selon leur budget) par type de financement

(en millions d'euros)

Nombre

Proportion

Budget

Proportion

Crédits budgétaires

30

71,4%

238,7

39,7%

Ressources affectées

8

19,0%

302,6

50,3%

Mixte

3

7,1%

60,5

10,1%

Autre 80 ( * )

1

2,4%

0,0

0,0%

Total

42

100,0%

601,8

100,0%

Source : commission d'enquête à partir des réponses des autorités administratives indépendantes

Plus de 70 % des autorités administratives indépendantes sont financées par le biais de crédits budgétaires inscrits au budget général de l'État, mais 8 autorités administratives indépendantes disposant de budgets particulièrement importants bénéficient de ressources affectées ; il s'agit :

- de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et l'Autorité des marchés financiers (AMF), qui bénéficient du produit de taxes affectées ;

- du Haut conseil du commissariat aux comptes (H3C), financé par des droits et contributions versés par les commissaires aux comptes ;

- du Médiateur national de l'énergie, à qui est versé une partie du produit de la contribution au service public de l'électricité (CSPE) et de la contribution au tarif spécial de solidarité gaz (CTSSG) ;

- de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF), financée par un droit fixe dû par les entreprises ferroviaires qui utilisent le réseau ferroviaire ;

- de l'Autorité de régulation de la distribution de la presse (ARDP), financée par les sociétés coopératives de messageries de presse jusqu'au 1 er janvier 2016 81 ( * ) .

Par ailleurs, le Médiateur du cinéma comme la Commission nationale d'aménagement cinématographique sont financés par le biais du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), dont le budget est intégralement financé par des taxes affectées.

Malgré le plafonnement des taxes affectées 82 ( * ) , les autorités administratives indépendantes financées par ce biais bénéficient de marges de manoeuvre financières plus importantes, à la fois s'agissant de la détermination du niveau de ressources nécessaire, mais aussi en ce qui concerne les mesures de régulation budgétaire en cours d'exercice (gels, surgels, etc.).

C'est pourquoi, certaines autorités administratives indépendantes réclament un tel financement. Interrogé le 16 juin 2015 par votre commission d'enquête sur l'indépendance de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), son président, M. Pierre-Franck Chevet, a répondu : « Nous sommes financés sur le budget général de l'État, qui n'est pas dans une très bonne situation. Depuis Fukushima, nous anticipions une montée en charge. Alors que d'autres organismes voient leurs effectifs baisser, nous avons obtenu l'année dernière trente personnes supplémentaires, sur trois ans. (...) Mais je doute que dans le système actuel de financement, nous puissions obtenir beaucoup plus. C'est pourquoi un financement par une taxe affectée, payée par les exploitants, après contrôle par le Parlement, sur le modèle des États-Unis, serait préférable ».

Les autorités disposant de ressources affectées reconnaissent généralement les avantages de ce mode de financement. Ainsi, pour l'Autorité des marchés financiers (AMF), « le principe de l'autonomie financière de [...] posée dans la loi a pour conséquence que l'AMF n'a pas d'autorité de tutelle sur le plan budgétaire. Par ailleurs, dans la mesure où l'AMF dispose de ressources propres, elle ne reçoit pas de subventions, ni de dotations financières inscrites au budget de l'État. L'AMF n'est donc pas associée au « dialogue de gestion », en particulier, pour l'application des mesures de régulation budgétaire 83 ( * ) ».

De la même façon, s'agissant de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF), « compte tenu de son mode de financement (fiscalité affectée), l'Autorité ne fait pas l'objet d'une association particulière des services de l'État aux travaux de préparation du projet de loi de finances ni au dialogue de gestion. En dehors de la contribution demandée à l'Autorité à la rédaction des parties des documents du projet de loi de finances qui la concernent (« bleu budgétaire »), la seule question examinée dans le cadre de la procédure budgétaire porte aujourd'hui sur le plafond d'emploi 84 ( * ) ».

Si l'indépendance de l'autorité administrative indépendante dépend d'abord et avant tout de celle de ses membres, les moyens financiers dont elle dispose doivent lui permettre de conduire les missions qui lui sont confiées.

b) Un dialogue de gestion parfois peu soucieux de la spécificité de l'autorité administrative indépendante

Une des questions adressées par votre rapporteur à chacune des autorités administratives indépendantes concernait « les modalités d'association de l'autorité administrative indépendante au cours du dialogue de gestion, en particulier pour l'application des mesures de régulation budgétaire ».

À cet égard, la diversité des réponses met en évidence des pratiques très différentes selon les autorités administratives indépendantes - et selon le ministère de rattachement.

Par exemple, le Défenseur des droits reconnaît « [être] en relation régulière avec la direction des services administratifs et financiers des services du Premier ministre, qui assurent le rôle de responsable de programme (...). L'institution participe au comité de pilotage du programme lorsqu'il se réunit et les mesures de régulation lui sont communiquées en amont afin d'en anticiper autant qu'il est possible les conséquences 85 ( * ) ».

Selon la Commission de régulation de l'énergie (CRE) : « une charte de gestion régit les rapports entre l'AAI et le responsable de programme. Dans les faits, l'AAI n'est pas associée à un dialogue de gestion. Les gels supplémentaires tout comme les mesures de régulation lui sont appliqués sans aucun dialogue de gestion et sans explication sur la façon dont les arbitrages sont réalisés. L'AAI est considérée comme un service d'administration centrale sans respect de son statut réglementaire 86 ( * ) ».


* 63 Audition de M. Jean-Marie Delarue, président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), 16 septembre 2015

* 64 En réponse au courrier adressé par votre rapporteur, Mme Martine Pinville indique laconiquement, dans un courrier du 6 octobre 2015, que « dans le paysage actuel qui comporte désormais des organismes en charge d'intérêts similaires et possédant un fonctionnement et des missions de même nature », « les travaux entrepris par la CSC devraient être poursuivis, sous un format qui reste à définir dans ce cadre ».

* 65 Audition de Mme Marie-Françoise Marais, présidente de la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI), 8 juillet 2015

* 66 Lors de l'examen de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013, le Parlement a imposé la présence, au sein du collège de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, de deux personnalités qualifiées désignées respectivement par le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat.

* 67 À titre d'exemple, l'article 461-1 du code de commerce prévoit que le collège de l'Autorité de la concurrence compte « six membres ou anciens membres du Conseil d'État, de la Cour de cassation, de la Cour des comptes ou des autres juridictions administratives ou judiciaires ».

* 68 Audition de Mme Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), 29 juillet 2015

* 69 Audition de M. Jean-Marie Delarue, président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), 16 septembre 2015

* 70 Par exemple, l'article 13 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 prévoit ainsi que le Défenseur des droits siège ex officio au sein du collège de la Commission nationale de l'informatique et des libertés.

* 71 À titre d'exemple, l'article 5 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 prévoit pour que « les fonctions de membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel sont incompatibles avec tout mandat électif, tout emploi public et toute autre activité professionnelle ».

* 72 Audition de M. Marc Dandelot, président de la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA), 24 juin 2015

* 73 Audition de M. Pierre Cardo, président de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF), 21 juillet 2015

* 74 Audition de M. Jean-Louis Nadal, président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), 15 septembre 2015

* 75 Audition de Mme Christine Lazerges, présidente de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), 23 juillet 2015

* 76 Audition de M. Jean-Louis Nadal, président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), 15 septembre 2015

* 77 Audition de M. Laurent Leveneur, président du Bureau central des tarifications (BCT), 16 septembre 2015

* 78 Audition de M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'État, président de la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale relative à l'élection du Président de la République, 29 septembre 2015

* 79 Courrier du vice-président du Conseil d'État du 28 juillet 2015 à votre rapporteur.

* 80 Il s'agit du Bureau central de tarification, dont les missions sont assurées par les organismes professionnels (assureurs).

* 81 La loi n° 2015-433 du 17 avril 2015 portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse prévoit en effet qu'à partir du 1 er janvier 2016, l'Autorité de régulation de la distribution de la presse (ARDP) est financée par des crédits budgétaires.

* 82 Principe posé par l'article 46 de la loi de finances initiale pour 2012.

* 83 Réponse de l'AMF au questionnaire adressé par votre rapporteur.

* 84 Réponse de l'ARAF au questionnaire adressé par votre rapporteur.

* 85 Réponse du Défenseur des Droits au questionnaire adressé par votre rapporteur.

* 86 Réponse de la CRE au questionnaire adressé par votre rapporteur.