B. LES ARGUMENTS DIFFICILEMENT RECEVABLES DE LA NON-COMMUNAUTARISATION DE L'INSTRUCTION DES DEMANDES DE VISAS

Au total, la coopération dans le cadre de Schengen est encore loin d'aller jusqu'à l'instruction en commun et la délivrance conjointe de visas par les différents consulats. Le ministère avance deux principaux arguments pour expliquer la difficulté qu'il y a à « franchir le pas » d'une véritable co-délivrance européenne.

Le premier argument a trait aux systèmes d'informations . En effet, l'instruction des dossiers de demandes s'inscrit aujourd'hui dans un cadre informatique constitué de logiciels et d'application développés par chaque administration nationale et non interfacé. Il y a là un exemple caractéristique de « dépendance du sentier », que la collecte des informations biométriques, selon des normes techniques et des critères de confidentialité des données là encore hétérogènes, ne fait que renforcer.

Le second argument a trait aux normes de sécurité différentes qui s'attachent aux consulats . En particulier s'agissant de la France, le relèvement du niveau de sécurité des accès aux services consulaires depuis les attentats de Paris du début de l'année 2015 rend plus difficile encore une colocalisation des services français avec des services consulaires n'ayant pas le même niveau d'exigence sécuritaire.

Au-delà de ces deux principaux arguments avancés par le ministère, vos rapporteurs spéciaux ont pu constater, au cours de leur contrôle, que deux autres arguments, plus fondamentaux, expliquent largement la réticence à une coopération européenne plus approfondie .

Tout d'abord, les Etats Schengen, au premier rang desquels la France, tiennent à une délivrance des visas strictement nationale qu'ils voient comme un attribut de souveraineté . Cette crainte d'une perte de souveraineté qui s'attacherait à la « communautarisation » de la délivrance des visas tient tout à la fois à des raisons politiques et philosophiques, mais aussi à des considérations pratiques - par exemple, des « interventions » ponctuelles sur des dossiers sensibles, pour des raisons politiques ou commerciales, seraient-elles encore permises dans le cadre d'un système purement européen ?

Par ailleurs, les Etats de l'espace Schengen constatent depuis plusieurs années l'intérêt qu'ils peuvent avoir à cette « concurrence » entre consulats dès lors qu'ils sont en mesure de présenter des éléments d'attractivité qui leur permettent de capter des flux importants de demandeurs de visas. Ce sont en effet les Etats, par cette course à l'attractivité, qui jouent les premiers le jeu du « visa shopping », aux termes duquel les demandeurs de visa s'adressent au consulat qui, de tous les Etats Schengen, offrira le traitement le plus rapide, le plus efficace ou présentant le plus de chance d'aboutir à une décision favorable.

Faisant le constat de la situation telle qu'elle se présente aujourd'hui et à court et moyen termes, vos rapporteurs spéciaux ont mis en avant, dans le présent rapport, des propositions qui participeront sans doute de cette logique d'attractivité et de concurrence. Cependant, ils n'en considèrent pas moins que cette situation n'est, à long terme, ni saine ni pérenne, dès lors qu'elle contredit le principe même de la libre circulation des personnes au sein de l'espace Schengen et qu'elle fait peser un risque sur le contrôle de nos frontières .

En outre, ils estiment que les arguments avancés par le ministère peuvent être largement surmontés si une volonté politique suffisante est engagée. Des systèmes d'information communs et multilingues peuvent être développés, y compris en utilisant les fonds européens dont vos rapporteurs spéciaux ont constaté qu'ils avaient été particulièrement mal employés , finançant la rénovation de salles d'accueil des demandeurs aujourd'hui vides compte tenu de l'externalisation. S'agissant des normes de sécurité, les services d'instruction des demandes de visas, qui ne sont pas les plus sensibles, peuvent être localisés dans un bâtiment commun qui présenterait les garanties de sécurité les plus élevées, dans le cadre d'un « nivellement par le haut ».

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