N° 193

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 25 novembre 2015

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable (1) par le groupe de travail sur l'aménagement numérique du territoire (2), sur la couverture numérique des territoires : veiller au respect des engagements pour éviter de nouvelles désillusions ,

Par MM. Hervé MAUREY et Patrick CHAIZE,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Hervé Maurey , président ; MM. Guillaume Arnell, Pierre Camani, Gérard Cornu, Ronan Dantec, Mme Évelyne Didier, M. Jean-Jacques Filleul, Mme Odette Herviaux, MM. Louis Nègre, Rémy Pointereau, Charles Revet , vice-présidents ; Mme Natacha Bouchart, MM. Jean-François Longeot, Gérard Miquel , secrétaires ; MM. Claude Bérit-Débat, Jérôme Bignon, Mme Annick Billon, M. Jean Bizet, Mme Nicole Bonnefoy, MM. Patrick Chaize, Jacques Cornano, Michel Fontaine, Alain Fouché, Benoît Huré, Mme Chantal Jouanno, MM. Jean-Claude Leroy, Philippe Madrelle, Didier Mandelli, Jean-François Mayet, Pierre Médevielle, Louis-Jean de Nicolaÿ, Cyril Pellevat, Hervé Poher, David Rachline, Michel Raison, Jean-Yves Roux, Mme Nelly Tocqueville, MM. Michel Vaspart, Paul Vergès.

(2) Ce groupe de travail est composé de : M. Hervé Maurey , président ; MM. Pierre Camani, Patrick Chaize , vice-présidents ; M. Jérôme Bignon, Mmes Annick Billon, Natacha Bouchart, Évelyne Didier, MM. Jean-François Longeot, Louis-Jean de Nicolaÿ, Rémy Pointereau, Jean-Yves Roux.

SYNTHÈSE

« Envol du très haut débit », « explosion des investissements », « décollage des réseaux d'initiative publique », autant de métaphores entendues ou lues au gré des auditions, des colloques et des communications officielles. Lors de la seconde conférence du très haut débit, organisée en juillet 2015, la secrétaire d'État chargée du numérique s'était félicitée que « tous les intérêts convergent » en matière de déploiements. La couverture numérique de la France en 2015 offre pourtant un tableau loin d'être aussi flatteur . Il y a au contraire tout lieu de considérer que l'évolution observée n'est pas de nature à répondre réellement aux inquiétudes de ses territoires.

Dans la continuité de la précédente majorité, le Gouvernement s'est engagé dans une feuille de route pour le numérique au début de l'année 2013, promettant une couverture totale de la population en très haut débit d'ici 2022. Plus de deux ans après le lancement de cette stratégie numérique, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat a décidé de mettre en place en son sein un groupe de travail sur l'aménagement numérique du territoire , afin d'établir une première évaluation de la mise en oeuvre de ces engagements, de formuler des propositions en amont du futur projet de loi sur le numérique, et de faire un point sur la couverture de nos territoires par les réseaux de communications électroniques fixes et mobiles.

En matière de réseaux fixes à très haut débit, les déploiements progressent globalement , grâce à la mobilisation des différentes parties prenantes. Cet état des lieux est plus contrasté si l'on observe la répartition géographique et technologique de la couverture en très haut débit de la population, estimée à 44,3 % de logements et locaux éligibles au deuxième trimestre de l'année 2015. En termes de technologies, cette progression s'appuie principalement sur une rénovation du réseau de cuivre et du réseau de câble , dont la capacité en débit n'est pas de même nature que la fibre optique : environ 30 Mbit/s en flux descendant, alors que la fibre offre un débit symétrique dépassant 100 Mbit/s. Le développement de la fibre optique de bout en bout, « frontière technologique » du numérique, représente encore une fraction limitée de la couverture en très haut débit. L'appétence des utilisateurs pour une migration vers des offres de services très haut débit reste également à confirmer. Au total, seuls 12,5 % des logements et locaux sont effectivement raccordés et abonnés au très haut débit en France.

Plus encore que l'enjeu technologique, la répartition territoriale du très haut débit fixe laisse présager de nouvelles inégalités territoriales . L'absence de garanties sur la complétude des réseaux en zone très dense, la faiblesse du conventionnement pour les engagements des opérateurs privés en zone intermédiaire, et les difficultés rencontrées par les collectivités territoriales pour viser une couverture totale de la zone d'initiative publique fragilisent significativement les objectifs nationaux du Gouvernement, et la répartition territoriale des progrès enregistrés.

Quelle part de la zone d'initiative privée sera effectivement couverte par les opérateurs ? Quelle est l'ampleur des efforts qui resteront à accomplir dans la zone d'initiative publique en 2020 ? Quels seront les financements mis à disposition des collectivités territoriales ? Quel sera le coût réel du déploiement intégral du très haut débit ? Autant d'interrogations pour lesquelles le groupe de travail n'a pu obtenir, dans le meilleur des cas, que des réponses partielles.

Comme trop souvent en matière d'aménagement du territoire, force est de constater que les informations sur le détail géographique des réseaux et des déploiements restent parcellaires, épargnant ainsi aux responsables nationaux de s'interroger plus avant sur l'impact territorial de leur planification. Ce déficit de connaissance et de transparence sur la réalité des déploiements donne le sentiment qu'en matière de très haut débit, l'État navigue parfois à vue. Pourtant, selon l'adage bien connu, gouverner impose de prévoir. A fortiori lorsque l'enjeu en présence est de déployer une infrastructure aussi essentielle pour notre pays, son développement économique et ses territoires.

Dans le même temps, certains secteurs restent confrontés à une couverture défaillante en matière de haut débit de qualité . À ce jour, plus d'un Français sur dix ne dispose pas d'un accès à un débit supérieur à 3 Mbit/s, niveau jugé indispensable à une utilisation « de base » des applications numériques et déjà sur le point d'être dépassé par les besoins des nouveaux usages (8 Mbit/s sont nécessaires au minimum pour accéder au triple play avec la télévision en haute définition). L'absence de stratégie spécifique pour mettre un terme à cette exclusion numérique aboutit à une progression très limitée de la couverture en haut débit. Il s'agit pourtant d'un objectif de cohésion, visé par la feuille de route du Gouvernement de 2013, et qui doit être atteint rapidement afin de permettre à tous nos concitoyens de suivre l'évolution des usages dans des conditions acceptables.

La couverture mobile demeure également très lacunaire , malgré les interpellations récurrentes de notre assemblée sur les fragilités du cadre imposé aux déploiements privés. Certains territoires sont dépourvus de réseau 2G et donc de tout accès à la téléphonie mobile, un nombre plus élevé encore n'a pas été couvert par les opérateurs en internet mobile 3G malgré leurs engagements, tandis que la progression globale du très haut débit par la 4G exclut encore à ce jour près de 70 % du territoire national. Cet état des lieux, déjà peu satisfaisant, se double d'une connaissance encore limitée de la disponibilité réelle des réseaux et de la qualité de service constatée par les utilisateurs dans leurs tentatives quotidiennes pour les utiliser. Les récents engagements du Gouvernement en matière de couverture mobile devront aller au-delà des effets d'annonce , pour se concrétiser par une progression rapide dans nos territoires. Des éléments d'inquiétude apparaissent déjà en la matière.

Il est en effet inacceptable que certains Français situés en zone rurale ou de montagne n'aient accès qu'aux services minimaux de communications électroniques, par le fixe et le mobile, voire à aucun réseau, alors que les habitants des grandes villes se voient offrir des services toujours plus performants . En matière de réseau fixe, le rapport entre les accès varie de 1 à 100, certains utilisateurs disposant d'un débit supérieur à 100 Mbit/s, tandis que d'autres sont confrontés à un débit inférieur à 1 Mbit/s. Quant au mobile, le décalage est encore plus flagrant, si l'on compare l'absence de tout accès à la téléphonie mobile 2G dans certains territoires, avec la disponibilité d'offres « 4G+ » et bientôt 5G dans les grandes villes. Ce décalage est d'autant plus inacceptable que la plus-value apportée par les dernières technologies est bien plus importante dans les territoires ruraux que dans les zones urbaines déjà bien dotées, compte tenu de la rupture avec les débits actuellement disponibles. Une telle évolution des déploiements, en reproduisant sans cesse un schéma descendant, réserve aux territoires les plus fragiles un accès tardif, voire inexistant, alors même qu'ils en ont le plus besoin.

À cet égard, vos rapporteurs attirent l'attention du Gouvernement et de l'ensemble des parties prenantes sur les nombreuses déceptions et désillusions qui émaillent déjà l'histoire du déploiement des réseaux de communications électroniques dans notre pays . En s'appuyant sur des effets d'annonce et des échéances souvent définies de façon approximative et inconséquente, les gouvernements successifs créent un mécontentement croissant dans nos territoires compte tenu du décalage entre ces promesses et leur mise en oeuvre. Si certaines difficultés en matière de déploiement sont intervenues postérieurement à la planification gouvernementale, d'autres problèmes sont connus depuis de nombreuses années. À cause de l'inertie des gouvernements successifs , vos rapporteurs regrettent que de nombreux dangers identifiés par des travaux sénatoriaux depuis plusieurs années se soient effectivement réalisés, que certaines situations n'aient que très peu évolué et que plusieurs solutions de bon sens proposées par le Parlement n'aient pas été adoptées. Comment ne pas déplorer à cet égard que la proposition de loi visant à assurer l'aménagement numérique du territoire, adoptée par le Sénat en février 2012, ait été rejetée par l'Assemblée nationale à l'initiative du Gouvernement en novembre de la même année ? L'aménagement numérique du territoire en aura été la principale victime.

Face à ce constat, il s'agit d'intervenir rapidement afin d'accélérer la résorption des fractures existantes et de prévenir l'apparition de nouvelles inégalités numériques .

Les auditions organisées par le groupe de travail ne révèlent pas un climat aussi consensuel que le prétend le Gouvernement. Si le déploiement des réseaux relève fondamentalement de l'initiative privée dans un marché ouvert à la concurrence, vos rapporteurs regrettent que les opérateurs d'envergure nationale, présents à la fois sur le marché de gros et sur le marché de détail, aient une emprise considérable sur des millions de citoyens en attente du très haut débit, ainsi que sur des milliers de collectivités territoriales dont l'avenir en termes de couverture ou de commercialisation est suspendu à la stratégie de ces opérateurs. Sur tous les sujets numériques, les collectivités territoriales semblent « otages » des opérateurs privés. La disproportion dans ce rapport de force intime à l'État d'être plus présent, afin d'assurer la contribution des opérateurs à une infrastructure d'intérêt général.

L'objectif de l'action publique et des programmes de déploiement est de doter notre pays d'une infrastructure de pointe à temps, sur l'ensemble du territoire national. Selon plusieurs grands axes, le présent rapport, sans bouleverser le cadre des projets de déploiement, formule des propositions concrètes pour garder la France de nouveaux écueils en matière de couverture numérique, qui seraient particulièrement dommageables au développement de nos territoires. Il vise à assurer le respect des engagements pris, pour éviter de nouvelles désillusions.

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