CONCLUSION

Avec la Tunisie, mais par des voies différentes, le Maroc est le seul pays a avoir véritablement mis en oeuvre une transition démocratique, les printemps arabes donnant une nouvelle dimension à un processus déjà enclenché. Depuis 2008, le Maroc s'est vu octroyer le statut avancé par l'Union européenne, soulignant ainsi les efforts accomplis pour avancer vers l'État de droit.

Il apparaît en effet aujourd'hui comme un pays en pleine évolution. Sa jeunesse dynamique a, comme ailleurs, un accès facile au numérique et aux nouveaux moyens de communication, et pousse au changement dans tous les domaines. Forte de ses atouts tant en matière éducative que culturelle, la France est bien placée pour l'accompagner dans ce processus, tout en contribuant ainsi au rayonnement de la francophonie en Afrique. Dans bien des domaines, la France et le Maroc ont des intérêts communs et leur coopération doit servir la vision d'un espace méditerranéen ouvert, en paix et favorisant les échanges humains, économiques et culturels. Elle doit également servir la stabilité et le développement du continent africain, l'accès à l'éducation et à la formation sont à cet égard des clés de la réussite.

La réussite des saisons marocaine en France et française au Maroc témoigne de l'attrait de chaque pays pour l'autre. Dans un monde confronté à des défis en matière de sécurité, de climat et de migration, la France a tout à gagner à « Oser le Maroc », pour reprendre la devise de l'université internationale de Rabat.

EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 2 MARS 2016

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Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur . - En avril dernier, une délégation de notre commission a effectué une mission au Maroc. C'était la première fois que nous nous rendions en Afrique et dans le monde arabe. Ce choix venait souligner la place éminente du Maroc tant du point de vue stratégique qu'en tant qu'acteur majeur de la relation entre l'Europe et l'Afrique. En 2008, le Maroc a d'ailleurs obtenu le statut avancé auprès de l'Union européenne.

Dans les domaines de compétence de notre commission, elle était d'autant plus justifiée que le Maroc constitue le premier réseau d'enseignement français à l'étranger et le premier réseau culturel français à l'étranger.

Dernier élément de contexte, les saisons croisées entre la France et le Maroc. Certains ont sans doute encore en mémoire la visite de l'exposition sur le Maroc contemporain à l'Institut du Monde arabe. À Rabat, nous avons pu visiter l'exposition consacrée au Maroc médiéval auparavant présentée au Louvre. Ces événements constituaient également une illustration de l'intensité des échanges culturels entre nos pays, renforcés après l'accession au trône du roi Mohammed VI et, plus encore, de la réforme constitutionnelle de 2011.

Au lendemain des printemps arabes, le Maroc s'est engagé de manière déterminée dans une politique de renouveau des institutions. La Constitution reconnaît les fondements historiques multiples du Royaume et accorde une place à l'exercice des libertés individuelles.

Faire avancer l'état de droit revêt de multiples aspects. Je pense par exemple au nouveau code de la famille.

Pour ce qui nous concerne plus directement, la communication dispose désormais d'un cadre légal rénové, qui tend à se rapprocher des standards démocratiques, aux dires mêmes des personnalités officielles rencontrées par la délégation qui nous ont livré leur analyse sans langue de bois.

Trois chantiers principaux ont été ouverts :

- la réforme du cadre légal de l'exercice de la profession de journaliste ;

- la mise en place de règles permettant de garantir l'indépendance de l'audiovisuel public ;

- la mise en oeuvre d'une véritable filière de formation des journalistes.

Lors de l'entretien qu'il nous a accordé, le ministre de la communication a été très clair sur la volonté d'élaborer un nouveau code de la presse, projet qui « ambitionne de consolider les garanties des libertés de la presse, en droite ligne des dispositions constitutionnelles et des engagements internationaux du Royaume et d'abolir les peines privatives de liberté, tout en les substituant par la responsabilité sociale et la réparation civile, via des amendes appropriées ».

La réforme du paysage audiovisuel traduit, elle aussi, la volonté du Maroc de développer l'option démocratique à travers la consécration du pluralisme, la consolidation des fondements de l'état de droit et des institutions et la garantie de l'exercice de la liberté d'expression et d'opinion. Placée sous la protection tutélaire du Roi, la Haute autorité de la communication audiovisuelle (Haca), créée en 2002, a pour mission première de veiller au respect des principes du pluralisme, de la diversité et de la liberté d'expression « dans le respect des valeurs civilisationnelles fondamentales et des lois du Royaume ». Elle a à sa tête une femme remarquable, Mme Amina Lamrini, avec qui nous avons longuement échangé et qui a souligné les évolutions positives enregistrées ces dernières années.

Dernier signe tangible d'évolution, la priorité donnée à la formation des journalistes. Le développement des médias numériques et l'élargissement de l'offre audiovisuelle ont placé la question de la formation - initiale comme continue - des journalistes parmi les chantiers prioritaires de l'Institut supérieur de l'information et de la communication (Isic) qui constitue la seule école publique de journalisme. Elle forme une cinquantaine de professionnels chaque année, qui, semble-t-il, s'insèrent facilement sur le marché du travail et les responsables que nous avons rencontrés étaient très demandeurs d'une coopération avec les établissements français.

Cette transformation institutionnelle traduit les aspirations d'une société jeune à plus de transparence et de développement par la connaissance.

En effet, le premier défi que le Maroc doit relever concerne la démographie : en cinquante ans, la population a été multipliée par trois. Elle dépasse désormais 33 millions d'habitants, dont 30 % ont moins de 15 ans. C'est dire si la question éducative et la scolarisation de tous revêtent un caractère tout à fait prioritaire.

De fait, de 38 % en 1960, le taux de scolarisation dans l'enseignement primaire est passé à plus de 71 % en 1999 et atteint désormais 99,5 %. Si le taux d'alphabétisation n'atteint guère plus de 56 % globalement, il s'élève à 84 % chez les 15-24 ans. Néanmoins, le ministre de l'éducation nationale déclarait récemment, si l'on en croit la presse, que « l'école publique marocaine a touché le fond puisque 76 % des élèves ne savent ni lire ni écrire après quatre années passées en primaire, la majorité des élèves entre 6 et 11 ans n'ont pas acquis les bonnes bases de lecture, d'écriture, de calcul ».

D'où l'adoption d'une « vision stratégique pour la réforme de l'école marocaine », adoptée en mai dernier et couvrant les années 2015 à 2030. Cette politique ambitionne l'édification d'une école nouvelle qui sera l'école de l'équité et de l'égalité des chances, l'école de la qualité pour tous. Pour ce faire, la vision stratégique estime nécessaire de repenser la formation et la qualification des métiers de l'enseignement, de reconsidérer les méthodes pédagogiques, de revisiter les programmes, de clarifier les choix linguistiques, de mettre en place une nouvelle gouvernance et de promouvoir la recherche scientifique et l'innovation.

La pression est encore plus forte dans l'enseignement supérieur, dont les effectifs progressent très rapidement : de moins de 300 000 à la rentrée de 2007, le nombre des étudiants est passé à près de 700 000 aujourd'hui. Bien évidemment, un accroissement aussi rapide pose d'inévitables problèmes de capacités d'accueil et de montée en puissance du corps enseignant. Sans oublier la question de l'accès au marché du travail des jeunes diplômés, d'autant que la proportion de bacheliers littéraires s'accroît par rapport aux bacheliers scientifiques.

Après le Liban, le réseau de l'enseignement français au Maroc est aujourd'hui le premier au monde par le nombre d'établissements et d'élèves scolarisés, soit 32 000 élèves au sein de 36 établissements. Ceux-ci se répartissent entre gestion directe par l'Agence de l'enseignement français à l'étranger (AEFE) et établissements partenaires.

La délégation a eu la grande chance de visiter trois d'entre eux, lui permettant ainsi de mieux appréhender la diversité des situations :

- le lycée Lyautey de Casablanca , avec près de 3 500 élèves constitue un des établissements les plus importants de toute l'éducation nationale ;

- récemment ouvert, le groupe scolaire Jacques Majorelle de Marrakech accueille plus de 600 élèves, dont quelques Français et constitue un établissement partenaire, géré par la Mission laïque française ;

- l' école primaire Narcisse Leven , qui compte environ 200 élèves dont un tiers de Français, qui dépend de l'Alliance israélite universelle, et est sans équivalent dans tout le monde arabe.

Au-delà des spécificités de chacun, nous avons constaté la grande qualité et la variété des enseignements dispensés. Tout à fait logiquement, ce réseau suscite l'admiration et doit faire face à une très forte demande. Malgré le montant des frais à la charge des familles, souvent hors de portée pour les foyers marocains, la France n'éprouverait aucune difficulté à « remplir » des établissements supplémentaires si elle faisait le choix d'en ouvrir. Mais outre le coût d'une telle politique, l'enseignement français au Maroc n'a pas vocation à se substituer à l'enseignement public marocain, qui doit poursuivre son propre développement.

Plus globalement, c'est la question de la place du français dans l'ensemble du système scolaire marocain qui est aujourd'hui posée. Si les élèves apprennent le français dès la deuxième année de l'école primaire, de l'aveu des responsables rencontrés par la délégation, à la fin du cursus scolaire, c'est-à-dire après douze années d'études, la majorité d'entre eux ne possède qu'un niveau très faible. Pourtant, c'est en français que continuent d'être enseignées les matières scientifiques dans l'enseignement supérieur.

Le gouvernement marocain a décidé de mettre en place des sections internationales du baccalauréat marocain, afin de préparer les élèves à accéder à l'enseignement supérieur et de faciliter leur insertion économique. Dans ces sections, la langue étrangère est progressivement utilisée pour l'enseignement de certaines matières du cursus. Cette expérience est toute récente, puisque seuls six lycées expérimentaient une section internationale à la rentrée 2014. À la rentrée 2015, l'expérience a été étendue à au moins un lycée public dans chacune des académies. 200 sections internationales francophones existent désormais (deux hispanophones et deux anglophones).

Dernier élément en date, postérieur à notre visite, le 10 février dernier, le conseil des ministres a entériné l'enterrement de l'arabisation de l'enseignement. Ce programme vise à « franciser » l'enseignement des mathématiques, des sciences naturelles et des sciences physiques. Cette politique ouvre de nouvelles perspectives à la coopération éducative entre nos deux pays. Il serait en effet dommage que la volonté que manifestent les autorités marocaines soit freinée par l'absence d'enseignants de qualité. Elle constitue en tout cas une raison supplémentaire d'accentuer nos efforts d'accueil - déjà très importants grâce à Campus France - des étudiants marocains en France, qui constituent bon an mal an la deuxième communauté étrangère dans notre enseignement supérieur. Elle rend encore plus intéressantes les initiatives en faveur de la création d'écoles au Maroc même. Outre un coût moindre, une telle volonté permet d'ouvrir l'enseignement supérieur français à des jeunes qui n'y auraient pas accès et valide la volonté affichée par le Maroc de constituer un pont entre l'Europe et l'Afrique et, en particulier, entre la France et le monde africain francophone, volonté clairement appuyée par le ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche lors de l'échange que nous avons pu avoir avec lui ainsi que les présidents d'université réunis.

L'INSA de Fez constitue déjà un exemple réussi de cette politique de co-diplomation. L'Université internationale de Rabat, établissement privé de tout premier plan, nous a vivement impressionnés.

Il faut également encourager les projets tels que celui qui nous a été présenté à Casablanca d'école centrale, c'est-à-dire d'une grande école française « décentralisée » mais qui offre le même niveau d'enseignement et exige la même excellence qu'à Paris ou Hyderabad où l'école est également implantée.

Rapprocher l'enseignement français des Marocains pourrait également éviter de trop politiser le débat car le français, surtout après les printemps arabes, a été parfois présenté ou vécu comme une langue réservée à une élite. Certains verraient dans la généralisation des sections internationales francophones une remise en cause de la « souveraineté linguistique marocaine » voire le signe d'une « dépendance culturelle et linguistique par rapport à la France ». L'enterrement récent de trente ans d'arabisation a d'ailleurs déjà suscité des critiques politiques, un député estimant que « ce projet montre à quel point le lobby francophone est encore puissant et à quel point notre pays dépend de la France ».

Prenons garde, par conséquent, à croire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.

J'en viens maintenant à la coopération culturelle.

Je l'ai dit, le réseau culturel français au Maroc est le premier au monde, avec 13 implantations de l'institut. 1 500 manifestations culturelles sont organisées en moyenne chaque année, le pays compte 13 médiathèques françaises, avec plus de 35 000 inscrits. En outre, plus de 70 000 élèves sont inscrits aux cours de français dispensés par les différents instituts et l'Alliance française.

Au-delà de cette politique, émergent de nouvelles formes de coopération ou d'expression, publiques ou privées.

Ainsi, en banlieue de Casablanca, nous avons eu la chance de visiter le centre culturel « Les étoiles de Sidi Moumen », fruit d'une initiative conjointe de l'auteur du roman éponyme Madi Binebine et du réalisateur Nabil Ayouch. Ce centre s'est donné pour objectif d'offrir, par la culture et l'éducation, une « alternative » à la radicalisation et à la violence aux publics défavorisés qui constituent la population de ce quartier excentré dont provenaient les 14 kamikazes des attentats du 16 mai 2003 qui firent 45 morts.

Autre rencontre marquante, celle que nous avons eue à Marrakech à la Maison Denise Masson, où nous avons échangé avec des membres de la pépinière 2015 de la Commission internationale du théâtre francophone. Ce projet me paraît particulièrement intéressant en ce qu'il ne s'agit pas d'une coopération franco-marocaine mais Francophonie-Maroc, au service de nos intérêts et de notre patrimoine commun.

À l'autre bout de l'échelle, du moins par la taille, comment ne pas saluer ce que la revue Beaux-Arts , dans sa dernière édition, qualifie de « course aux équipements culturels ». Depuis 2011 et l'adoption de la nouvelle Constitution qui garantit la pluralité de ses héritages, le Maroc s'est engagé dans une politique de valorisation de son patrimoine. Il s'est doté, en 2012, d'une Fondation nationale des musées. Présidée par le peintre Mehdi Qotbi, que nous avons rencontré, cette jeune institution regroupe 14 musées, dont le musée Mohammed VI, inauguré en octobre 2014. Premier musée national construit depuis 1958, il traduit« une volonté d'ouvrir le musée sur l'étranger ».

Autre projet destiné à élargir l'offre culturelle du pays et, par-là, s'attirer de nouveaux visiteurs, le musée de la Photographie et des Arts visuels (MMP+) de Marrakech vient de se voir décerner le « Leading Culture Destination Award », équivalent des oscars des musées, dans la catégorie « Meilleure nouvelle destination en Afrique ». Avec cette récompense, Beaux-Arts estime que « le Maroc fait une entrée remarquée sur le nouvel échiquier culturel mondial ». Je vois, pour ma part, dans cette reconnaissance, le reflet d'un pays en pleine évolution, dont la jeunesse dynamique pousse au changement dans tous les domaines. Forte de ses atouts tant en matière de système éducatif que de culture, la France est bien placée pour l'accompagner dans ce processus, tout en contribuant ainsi au rayonnement de la francophonie en Afrique.

M. Louis Duvernois . - Merci, madame la présidente, pour cette synthèse très complète. La francophonie marocaine est particulièrement intéressante, constituant un pont entre l'Europe et l'Afrique. Il s'agit là d'une conception très actuelle de ce qu'elle peut être. Je compte d'ailleurs approfondir ce point dans le cadre du groupe de travail que j'anime avec Claudine Lepage.

Mme Mireille Jouve . - Nos échanges ont été très denses tout au long de la mission. Ils nous ont permis de saisir l'importance du Maroc comme point d'entrée sur l'Afrique. J'ai également été frappée par la place que la France y occupe.

Par ailleurs, je tiens à souligner que nous avons rencontré des femmes de premier plan, telle que la présidente de la Haca - que vous avez mentionnée, madame la présidente -, la présidente de l'université de Rabat ou celle de l'école centrale de Casablanca. S'il reste beaucoup à faire afin d'assurer l'égalité des droits, notamment sur l'accès à l'enseignement pour les filles, ce dynamisme est gage d'espoir.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente - Notre mission s'est évidemment faite en coordination avec la commission des affaires étrangères ; je m'étais d'ailleurs entretenue au préalable avec son président.

Elle s'est déroulée à un moment charnière, quelques jours après le deuxième forum parlementaire franco-marocain. Nous avons ainsi contribué à la réconciliation entre nos deux pays après une année de brouille. Ne l'oublions pas, le Maroc est un pays hautement stratégique.

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