N° 609

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 mai 2016

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur le volet méditerranéen de la politique de voisinage de l' Union européenne ,

Par MM. Louis NÈGRE et Simon SUTOUR,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet, président ; MM. Michel Billout, Michel Delebarre, Jean-Paul Emorine, André Gattolin, Mme Fabienne Keller, MM Yves Pozzo di Borgo, André Reichardt, Jean-Claude Requier, Simon Sutour, Richard Yung, vice-présidents ; Mme Colette Mélot, M Louis Nègre, Mme Patricia Schillinger, secrétaires , MM. Pascal Allizard, Éric Bocquet, Philippe Bonnecarrère, Gérard César, René Danesi, Mme Nicole Duranton, M. Christophe-André Frassa, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Pascale Gruny, M. Claude Haut, Mmes Sophie Joissains, Gisèle Jourda, MM. Claude Kern, Jean-Yves Leconte, François Marc, Didier Marie, Robert Navarro, Georges Patient, Michel Raison, Daniel Raoul, Alain Richard et Alain Vasselle.

AVANT-PROPOS

La Commission européenne a présenté, le 18 novembre dernier, une communication proposant une révision de la politique de voisinage. Cette nouvelle approche, plus réaliste, permet de repenser le cadre des relations euro-méditerranéennes. L'Union européenne n'avait en effet pas véritablement réévalué ses relations avec la rive Sud de la Méditerranée à la lumière des conséquences politiques, économiques et migratoires des printemps arabes. L'afflux de réfugiés à ses frontières dans un premier temps et la multiplication des attentats revendiqués par Daech ensuite ont contribué à réviser sa position initiale, fondée sur un soutien aux réformes démocratiques, à la promotion d'une vaste zone de libre-échange pan-euro-méditerranéenne et à la signature de partenariats pour la mobilité avec plusieurs pays. Ces solutions se sont révélées en décalage avec la réalité de la crise migratoire mais aussi avec les aspirations de ses partenaires, en attente de solutions différenciées, pas uniquement économiques.

Le Conseil a validé le 14 décembre 2015 cette réorientation de la politique de voisinage, destinée désormais à diffuser les valeurs européennes mais aussi à défendre les intérêts de l'Union européenne. Il s'agit aujourd'hui d'assurer la stabilité à ses frontières par un soutien précis et efficace, destiné à favoriser la sécurité de la région, le développement de véritables coopérations économiques dépassant le seul libre-échange et la poursuite des réformes démocratiques. Cette ambition doit être soutenue. Elle passe aussi par une rationalisation des instruments dont dispose l'Union européenne et en particulier par la promotion de l'Union pour la Méditerranée.

Cette révision de la stratégie globale incite également à une nouvelle approche des relations bilatérales entre l'Union européenne et chacun de ses partenaires méditerranéens. L'association avec l'Égypte, distendue ces dernières années, pourrait ainsi être repensée dans les mois à venir pour incarner au mieux la nouvelle politique de voisinage. C'est dans ce contexte que vos rapporteurs se sont rendus en Égypte du 20 au 25 mars derniers.

I. LA NOUVELLE POLITIQUE DE VOISINAGE ET LA MÉDITERRANÉE

Les relations de l'Union européenne avec les pays de la rive sud de la Méditerranée sont couvertes par la politique de voisinage mise en place en 2001. La rive Sud bénéficie, à ce titre, de crédits dans le cadre de l'Instrument européen de partenariat et de voisinage (IEPV). Deux tiers des fonds de l'IEPV - 15,4 milliards sur la période 2014-2020 - sont en principe attribués aux partenaires de l'Union européenne dans la région méditerranéenne, le tiers restant aux pays du partenariat oriental (Arménie, Azerbaïdjan, Biélorussie, Géorgie, Moldavie, Ukraine). Ce principe « deux tiers/un tiers » a été exactement respecté en 2014 pour les crédits d'engagement : 1,457 milliard d'euros contre 730,4 millions d'euros pour le Partenariat oriental. Il s'agit cependant d'une règle non-écrite.

L'étude des crédits d'engagement met toutefois en avant une réalité différente : 927,3 millions d'euros versés à la rive Sud contre 548,1 millions à l'est, soit un pourcentage en deçà des deux tiers. Par ailleurs, il convient de rappeler que sans compter le soutien aux territoires palestiniens, dont la logique relève dans une large mesure de l'aide humanitaire, les pays du bassin méditerranéen restent moins bien accompagnés que ceux du volet oriental de la politique de voisinage : 3,2 euros par habitant par an contre 4,4 euros à l'Est. Compte-tenu de ces moyennes, la répartition deux tiers/un tiers doit être au minimum préservée.

Au-delà de la politique de voisinage qui concerne 10 pays de la rive Sud 1 ( * ) , l'Union européenne a tenté de développer depuis 1995 une coopération régionale avec les pays de cette zone au travers du processus de Barcelone puis de l'Union pour la Méditerranée. Les résultats de cette approche sont aujourd'hui jugés peu satisfaisants, tant par les pays de l'Union européenne que par leurs partenaires de la rive Sud. La relation euro-méditerranéenne telle que conçue jusqu'alors est apparue inadaptée à une région profondément bouleversée par les « printemps arabes » de 2011 et leurs conséquences géopolitiques et migratoires.

A. DU PROCESSUS DE BARCELONE AUX « PRINTEMPS ARABES » : LA RECHERCHE D'UN FORMAT ADAPTÉ POUR LES RELATIONS EURO-MÉDITERRANÉENNES

1. Du processus de Barcelone à l'Union pour la Méditerranée
a) Le processus de Barcelone

Lancé en 1995, le partenariat euro-méditerranéen - dit « processus de Barcelone » - incluait les quinze pays à l'époque membres de l'Union européenne et douze pays de la région Méditerranée : Algérie, Chypre, Égypte, Israël, Jordanie, Liban, Malte, Maroc, Syrie, Territoires palestiniens, Tunisie, Turquie. Soumise depuis 1992 à des sanctions de l'ONU pour ses implications dans des actes terroristes (suspendues en 1999 et levées en 2003) et à un embargo européen (levé le 11 octobre 2004), la Libye assistait aux conférences ministérielles des affaires étrangères à titre d'observateur.

La déclaration de Barcelone, adoptée à l'issue du sommet constitutif, énonçait les principaux objectifs de ce partenariat : construire ensemble un espace de paix, de sécurité et de prospérité partagée. Les États membres s'engageaient à développer l'État de droit et la démocratie et à lutter contre le terrorisme et la criminalité organisée. Le partenariat politique et de sécurité prévoyait ainsi la mise en place d'un dialogue politique global et régulier, des mesures de partenariat, et l'adoption d'une Charte pour la paix et la stabilité. Une coopération politique multilatérale devait également se mettre en place sur les questions liées aux droits de l'Homme et à la lutte contre le terrorisme. Le 11 septembre 2001, la dégradation continue des relations entre Israéliens et Palestiniens et les crispations liées à la lutte contre l'immigration clandestine ont cependant contribué à gripper le processus.

b) L'Union pour la Méditerranée

Créée sous la présidence française de l'Union européenne le 13 juillet 2008, l'Union pour la Méditerranée (UpM) vise à relancer les relations entre les États membres de l'Union européenne et leurs partenaires méditerranéens. L'Union pour la Méditerranée réunit les 28 États membres de l'Union européenne et 15 partenaires de la région du Sud de la Méditerranée, d'Afrique et du Moyen-Orient : l'Albanie, l'Algérie, la Bosnie-Herzégovine, l'Égypte, Israël, la Jordanie, le Liban, la Mauritanie, Monaco, le Monténégro, le Maroc, l'Autorité palestinienne, la Syrie, la Tunisie et la Turquie.

Elle vise la mise en place de nouveaux projets régionaux et sous-régionaux qui présentent un véritable intérêt pour la population du bassin méditerranéen. Ces projets portent sur des domaines tels que l'économie, l'environnement, l'énergie, la santé, la migration et la culture. L'action de l'UpM n'est pas celle d'un bailleur de fonds. Elle ne dispose pas des crédits ou des effectifs suffisants pour répondre à une telle ambition. L'UpM labellise les projets répondant à ses priorités pour qu'ils puissent bénéficier de financements adéquats. Elle participe à cet effet à l'élaboration de l'étude de faisabilité de chacun de ces chantiers. Elle les présente devant la Commission européenne, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, la Banque européenne d'investissement ou toute autre organisation internationale qui pourront, quant à elles, accorder les crédits adaptés.

Six priorités ont été définies :

- dépolluer la Méditerranée ;

- mettre en place des autoroutes maritimes et terrestres qui relient les ports et améliorent les liaisons ferroviaires en vue de faciliter la circulation des personnes et des biens ;

- assurer la sécurité civile des populations ;

- développer un plan solaire méditerranéen qui explore les possibilités d'accroître des sources d'énergie alternatives dans la région. C'est ainsi que l'UpM avait apporté son soutien au projet « Desertec », qui prévoit l'exploitation du potentiel énergétique des déserts. Il vise à la fois à répondre en grande partie aux besoins des pays producteurs d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient et à couvrir jusqu'à presque 20 % de la demande d'électricité en Europe ;

- créer une université euro-méditerranéenne (EMUNI). Celle-ci a été installée en Slovénie. L'ouverture en septembre 2015 de l'Université euro-méditerranéenne de Fès (UEMF) est venue compléter ce dispositif. Elle se concentre sur les questions euro-méditerranéennes et accueille 6 000 étudiants ;

- favoriser le développement des petites et moyennes entreprises en évaluant dans un premier temps leurs besoins, puis en leur offrant une assistance technique et un accès au financement.

L'Union pour la Méditerranée promeut un mode de gouvernance associant directement les partenaires de la rive Sud. La présidence est ainsi assumée par un État membre et un partenaire. Elle est dotée d'un secrétariat général, établi à Barcelone. L'Assemblée parlementaire euro-méditerranéenne, créée dans le cadre du processus de Barcelone, devient Assemblée parlementaire de l'Union pour la Méditerranée en 2010.

Même si son ambition politique était dès l'origine modeste, l'UpM a été très rapidement victime du contexte international. Six mois après son lancement, l'opération israélienne « Plomb durci » dans la bande de Gaza est venue fragiliser cette organisation, incapable d'incarner l'espace de dialogue qu'elle était censée être implicitement. Le boycott de ses réunions par certains de ses membres a contribué à conférer à l'UpM l'image d'une coquille vide, symbole d'une politique euro-méditerranéenne inadaptée. Impression que la réponse européenne aux « printemps arabes » n'a pas corrigé.

2. La réponse aux « printemps arabes »

Pour accompagner les « printemps arabes », l'Union européenne a présenté, en mars et mai 2011, deux programmes visant à renforcer la démocratie et la prospérité sur la rive Sud de la Méditerranée. L'Union a fixé deux priorités : l'approfondissement des réformes institutionnelles (rédaction de constitutions démocratiques, instauration d'un pouvoir judiciaire indépendant, liberté de la presse et encouragement au dynamisme de la société civile) et le développement économique, solidaire et durable. Cet engagement s'est traduit par des financements supplémentaires via l'Instrument européen de partenariat et de voisinage (IEPV), de nouveaux prêts pour la région octroyés par la Banque européenne d'investissement (BEI), et un élargissement du champ d'action de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD).

Un représentant spécial de l'Union européenne pour la région du Sud de la Méditerranée a par ailleurs été nommé en juillet 2011. Sa nomination a coïncidé avec le lancement d'un nouveau fonds de soutien au partenariat à la réforme et à la croissance inclusive : le programme SPRING doté de 350 millions d'euros sur la période 2011-2013. Les initiatives soutenues par ce programme se concentraient sur les défis socio-économiques urgents auxquels doivent faire face les pays concernés (60 % des crédits) et sur l'accompagnement du processus de transition démocratique (40 % des crédits). Les financements s'effectuaient sur la base d'une évaluation des avancées du pays en matière démocratique, selon le principe « more for more » . Plus un pays est engagé sur la voie de la modernisation politique et institutionnelle, plus le financement est important. Dès le lancement du programme, l'Égypte, la Jordanie, le Maroc et la Tunisie ont bénéficié de fonds.

L'Union européenne a également souhaité instaurer des zones de libre-échange approfondies et complètes (DFTCA) qui doivent permettre une intégration économique progressive des pays de la rive Sud de la Méditerranée dans le marché intérieur. Un mandat a été accordé en décembre 2011 à la Commission pour négocier avec quatre États - Égypte, Jordanie, Maroc et Tunisie - en vue de signer avec eux un accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA). La signature d'accords sur l'évaluation de la conformité et l'acceptation (ACAA) au sein de secteurs spécifiques ainsi que des concessions commerciales spécifiques devaient, dans un premier temps, précéder la signature des ALECA. Au-delà de la situation propre à chaque État, la signature d'un ALECA avec ces quatre pays devait faciliter entre eux la convergence de leurs normes et permettre l'émergence d'un véritable marché intégré. Le coût de l'absence d'intégration économique régionale varie entre 1 et 2 % du PIB des pays concernés. Les négociations sont aujourd'hui ouvertes avec le Maroc et la Tunisie.

Des « partenariats pour la mobilité » portant sur l'assouplissement des procédures en matière de visas et sur la lutte contre l'immigration illégale ont également été initiés.

Cet outil répond à deux objectifs :

- une meilleure gestion de la mobilité, de l'immigration et de l'intégration. Celle-ci passe par une amélioration des procédures de délivrance de visas Schengen, la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles et universitaires, et la facilitation de l'octroi de visas pour les étudiants, les chercheurs et les hommes d'affaires ;

- l'aide au renforcement de la capacité institutionnelle et opérationnelle des Etats de la rive Sud dans tous les domaines liés à la migration, à la lutte contre l'immigration irrégulière, les réseaux de trafic de migrants et de traite des êtres humains.


* 1 Algérie, Égypte, Israël, Jordanie, Liban, Libye, Maroc, Territoires palestiniens, Syrie et Tunisie.

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