D. L'INTERVENTION MILITAIRE : UNE EXCEPTION FRANÇAISE

Comparée à d'autres puissances parfois plus importantes, et si l`on met à part la puissance américaine au nom de l'endiguement à l'époque de la Guerre froide, puis d'une responsabilité de puissance globale, notamment dans la lutte contre le terrorisme, la France intervient militairement en dehors de son territoire national.

Ce n'est pas un phénomène nouveau. Le rapport des députés Guy Michel Chauveau et Hervé Gaymard présente dans son annexe la liste des nombreuses opérations extérieures françaises depuis la guerre d'Algérie 52 ( * ) .

1. Une « passion française » ?

Pour Jean-Baptiste Jeangène-Vilmer, du Centre d'analyse de prévisions et de stratégie (CAPS) du ministère des affaires étrangères et du développement international (MAEDI), une combinaison de facteurs expliquent cet activisme et sa visibilité :

• « La fin de la Guerre froide, qui a aussi été un regain de l'activité des Nations unies, bloquée jusqu'alors par la bipolarité 53 ( * ) . Les opposants traditionnels au concept d'intervention étaient le bloc de l'Est, les États faibles de l'hémisphère Sud, les jeunes États soucieux de leur souveraineté. L'effondrement du bloc de l'Est, la progression de la démocratie dans le Sud, la maturité des jeunes États, l'évolution du droit international concernant tant les individus que les États et la plus grande exposition médiatique des crises humanitaires a poussé les politiciens à agir. Les obstacles traditionnels à l'interventionnisme ont disparu ;

• « Les interventions ont pris une plus grande importance pour la France afin de maintenir son statut dans un environnement international compétitif.

• « La principale motivation de l'interventionnisme français est l'image qu'elle se donne d'une grande nation, mère des droits de l'homme et défenseur des valeurs universelles. Une doctrine développée depuis le 19 e siècle. Ces convictions sont devenues une part de l'identité de la France et de ses intérêts nationaux. Ceci a été renforcé par le sentiment de culpabilité ressenti à la suite du génocide rwandais. Prévenir un nouveau Rwanda est devenu un leitmotiv de nombreuses interventions françaises (RCA 2013 par exemple, mais aussi, pour partie, Libye 2011) ;

• Une autre motivation est le désir de préserver sa sphère d'influence en Afrique et au Moyen-Orient ;

• La volonté de préserver son indépendance, spécialement de l'influence américaine, bien que les deux États soient idéologiquement proches ;

• Enfin, Paris agit parce que sa Constitution le permet, parce qu'elle en a la capacité, la France fait partie du club restreint des puissances capables d'entrer en premier sur un théâtre d'opérations et d'y projeter des forces. Cette capacité, illustrée par l'opération Serval au Mali, constitue, à l'intérieur comme à l'extérieur, une incitation à l'intervention. »

Cet appétence semble s'être accélérée depuis 2011 avec les interventions en Libye et en Côte d'Ivoire, puis sous le quinquennat de François Hollande, amorcé par la décision du retrait des troupes françaises d'Afghanistan, mais rapidement initiateur de trois opérations d'envergure au Mali et au Sahel, en RCA et au Levant dans le cadre d'une coalition au point que certains observateurs ont pu parler d'une « étonnante métamorphose » 54 ( * ) .

De fait, l'évolution du contexte international offre à la France de plus grandes opportunités et obligations d'intervention.

2. Un monde plus instable

Pour Jean-Baptiste Jeangène-Vilmer, entendu par le groupe de travail :

« L'instabilité globale est la conséquence de l'érosion de l'unipolarité américaine, de l'émergence de nouvelles puissances, de l'accroissement du nombre d'acteurs non-étatiques et de groupes armés transnationaux, et de la démocratisation des technologies de l'armement et de la communication, qui permet à des individus et à de petits groupes d'utiliser plus facilement la force militaire. Les pays occidentaux, avec des moyens plus limités, doivent faire face à un plus grand nombre d'adversaires. La prolifération des crises, signifie que les raisons objectives d'intervenir sont désormais plus nombreuses. ».

Ensuite, la récente instabilité vient également de l'absence de certains médiateurs régionaux comme la Turquie et l'Égypte, préoccupés par leur situation intérieure ou plus ambivalents.

Enfin, il y a un effet de diversion : plus il y a de crises et moins d'attention est portée à chacune. Les nouvelles crises surviennent ou perdurent parce qu'elles sont occultées par les autres. »

3. La rareté des puissances actives

La France intervient aussi en raison de l'inaction des autres.

Les États-Unis sont plus discrets dans leurs interventions. Plutôt qu'un retour à l'isolationnisme, la politique du président Obama est celle d'usage de modes d'interventions plus discrets 55 ( * ) ( light footprint ) et marque un retournement par rapport aux larges déploiements de l'ère Bush, elle ne signifie pas un désengagement 56 ( * ) . Cet affaiblissement a bénéficié à la réputation de la France qui conforte la stratégie américaine de lutte contre le terrorisme au Sahel et a renforcé les liens militaires entre les deux pays.

En dehors de la Grande-Bretagne qui souffre d'une éclipse temporaire après que ses forces se sont affaiblies dans les campagnes d'Irak et d'Afghanistan et suite à des coupes budgétaires importantes, les pays de l'Union européenne marquent un intérêt limité aux opérations militaires à l'extérieur du continent européen ou ne s'engagent de façon significative que sous la bannière des Nations unies, de l'OTAN ou dans des coalitions menées par les États-Unis et très rarement sous la bannière de l'Union européenne (voir infra p. 176).

La France a conduit elle-même les interventions en Afrique parce qu'elle a des intérêts sur ce continent, à l'inverse de la plupart des pays européens, mais aussi parce qu'elle est en mesure d'assumer davantage de risques.

Prévenir une perte d'influence est aussi un facteur de cette accélération. Dans l'économie globale et mondialisée, l'influence des pays occidentaux et singulièrement des Européens se réduit. L'activité militaire de de la France, qui conserve de nombreux atouts 57 ( * ) qui font d'elle une puissance globale, notamment son siège de membre permanent du CSNU, est un moyen de compenser cet amoindrissement.

Enfin, les menaces récentes sur le territoire national fournissent une autre raison aux interventions extérieures, les crises extérieures et la sécurité nationale sont étroitement liées 58 ( * ) .


* 52 Assemblée nationale n° 2777 - « Engagement et diplomatie : quelle doctrine pour les interventions militaires de la France ? » - 20 mai 2015.

* 53 14 OMP (opérations de maintien de la paix) autorisées de 1945 à 1987, 5 en 1988-1989).

* 54 David Revault d'Allonnes - « Les Guerres du président » - Seuil, novembre 2015.

* 55 Avec l'utilisation des drones, des forces spéciales et du cyber.

* 56 Voir le rapport du groupe de travail de la commission « Etats-Unis : l'usage de la force et la force de l'influence » - Juillet 2014 - http://www.senat.fr/rap/r13-708/r13-708.html

Discours du Président Barack Obama à l'Académie militaire de West Point - 28 mai 2014.

* 57 Sa puissance militaire (nucléaire et conventionnelle), son réseau diplomatique (le second du monde), ses groupes multinationaux, son programme spatial, la francophonie, ses ressources maritimes et son influence culturelle.

* 58 L'intervention extérieure est une part de la réponse aux menaces plus grandes à la sécurité nationale. L'une des justifications de l'intervention au Mali était la volonté d'empêcher la constitution d'un refuge terroriste qui aurait pu menacer d'autres pays, y compris la France. Ce niveau de menace justifie également l'extension des frappes contre Daech en Syrie, destinée à prévenir et entraver des attaques en France qui pourraient être planifiées, organisées et dirigées depuis cette région.

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