D. UNE OU DES APPROCHES GLOBALES

Force est de constater, dans la phase de stabilisation, la multiplicité des acteurs au chevet du pays en crise et malgré leur spécialisation, la grande difficulté de coordination entre les différents intervenants pour apporter à la fois des solutions cohérentes, consensuelles et acceptables par les autorités locales.

1. Un empilement de structures sur chaque théâtre

L'empilement des structures rend nécessaire une coordination forte des acteurs et augmente nécessairement les coûts de transaction. Il n'y a pas de partage des rôles préétabli même entre l'Union européenne et les Etats membres. En pratique, l'ONU joue souvent un rôle de coordination de certaines actions sur le terrain et il y a un partage des rôles opérationnels pour permettre une efficacité accrue et une complémentarité entre les différentes actions entreprises.

On notera le poids dans ces opérations des grandes organisations internationales, qu'il s'agisse des organismes dans la sphère du FMI : Banque mondiale ou de la sphère onusienne (PNUD, PAM, HCR, OCHA), mais aussi des grandes ONG qui sont en mesure de mettre en oeuvre des moyens dont nombre d'Etats sont dépourvus, ce qui est somme toute logique puisqu'une part importante des crédits d'aide au développement sont versés à ces institutions.

Lorsque la France intervient sur un théâtre, l'engagement de nos partenaires est immédiatement recherché. En pratique, elle n'intervient donc pas seule, mais aux côtés des actions menées par l'Union européenne et les Nations unies. L'objectif recherché est la stabilisation durable des théâtres concernés, ce qui passe par la mise en oeuvre de processus de réforme du secteur de la sécurité et de démobilisation, désarmement et réintégration pour que les forces locales puissent assurer elles-mêmes la sécurité de leur territoire.

Dans les faits, sur les théâtres où la France dispose d'une plus grande expérience et de la confiance des autorités locales, en raison aussi de l'opération militaire qui garantit une meilleure sécurité et marque sa détermination à soutenir le pays en crise, elle acquiert une plus grande influence et elle sera l'initiatrice de la mobilisation de nombreux partenaires, notamment européens.

Assez systématiquement la France cherche à mobiliser l'Union européenne et les Etats-membres, aux côtés des actions qu'elle met en oeuvre à titre bilatéral ou dans le cadre onusien, en particulier dans les contextes de crise et post-crise. En effet, l'Union européenne dispose de toute une gamme d'instruments qu'elle peut mettre en oeuvre de manière coordonnée dans le cadre d'une approche globale. Par ailleurs, la mobilisation de l'Union européenne permet d'exercer un effet d'entraînement vis-à-vis des autres Etats membres, qui s'engagent à titre bilatéral, sur le plan financier ou dans le cadre de missions de PSDC. Les exemples maliens et centrafricains témoignent de l'efficacité de cette approche : l'Union européenne participe au dialogue politique, intervient sur le plan sécuritaire (en particulier en appui au processus de RSS) dans le cadre des missions de PSDC, elle apporte de l'aide d'urgence et met en oeuvre des projets de reconstruction et de développement. S'agissant de la RCA, elle a spécifiquement créé un instrument dédié à la reconstruction et au développement et ouvert aux contributions de l'ensemble des bailleurs, le Fonds Békou.

2. Une dimension régionale souvent absente

Sur le terrain la coordination doit être étroite pour être efficace et opérationnelle, respectueuse des acteurs locaux et éviter les surenchères. Il n'y a pas de modèles-types. Lorsqu'elles sont présentes, les Nations unies sont légitimes pour assurer cette coordination.

En Centrafrique par exemple, un collège des représentants des principales organisations (Nation unies, Union Africaine, Union européenne, PNUD, Banque mondiale) et des ambassadeurs des pays les plus impliqués dont naturellement la France se réunissait très régulièrement pour conduire cette démarche et au-delà de la mobilisation des aides, pour apporter au gouvernement tous les conseils nécessaires à la mise en oeuvre des processus de retour à la paix (DDRR, RSS...).

3. La mise en place de fonds dédiés, une solution à développer

La résolution des crises est fondée sur la capacité de mobiliser très vite des capacités de restauration et de résilience des États défaillants, dans la foulée de l'opération militaire.

Eu égard à l'ampleur des besoins dans les contextes de crises et de sortie de crises ainsi que nos ressources limitées, la mutualisation des moyens aux niveaux européen et international est privilégiée. Cela se traduit notamment par la contribution à des fonds fiduciaires avec une réelle capacité pour le MAEDI (à travers sa participation à leurs conseils d'administration) à suivre les fonds qu'il finance, à orienter les choix en fonction des intérêts de la France et à créer des effets de levier.

La pratique de fonds fiduciaires dédiés 277 ( * ) est un moyen de surpasser les mécanismes rigides des programmes traditionnels de développement mis en place au niveau de l'Union européenne pour une durée de six ans avec une révision intermédiaire après trois ans, lesquels se prêtent mal aux situations d'urgence pour prévenir des crises ou leur apporter une aide d'urgence dans la période post-crise.

a) Un premier exemple : le Fonds Békou pour la Centrafrique

A l'initiative de l'Agence française de développement, l'Union européenne a ainsi mis en place le Fonds Bekou 278 ( * ) en juillet 2014 qui a pour objectif d'appuyer la sortie de crise, la reconstruction et le développement de la République Centrafricaine et permettre à la région de faire face aux conséquences de la crise.

Il a été créé par une décision de la Commission en date du 11 juillet 2014, en accord avec l'Allemagne, la France et les Pays Bas, membres fondateurs et signataires de l'acte de création du fonds. Il est ouvert à la participation des autres membres de l'UE et d'autres donateurs.

Le fonds finance des projets qui permettent l'articulation étroite entre actions humanitaires et de développement, dans une approche dite de LRRD ( Linking Relief, Rehabilitation and Development) . Ainsi, les actions financées par le fonds visent-elles à venir immédiatement en aide aux populations tout en renforçant les capacités des autorités locales afin de créer les conditions pour un développement de long terme de la République centrafricaine. A ce jour, le fonds est alimenté à hauteur de 115 millions d'euros 279 ( * ) .

La stratégie globale est fixée par le Conseil d'administration où siègent, sous la présidence de l'Union européenne, les représentants de l'Union européenne, des Etats membres et des donateurs ayant contribué au fonds, soit l'Allemagne, la France et les Pays-Bas, et de la République centrafricaine. En mai 2015, l'Italie et la Suisse ont intégré les instances de gouvernance du fonds.

Le Comité de gestion sélectionne quant à lui les projets . Celui-ci est composé, toujours sous la présidence de l'Union européenne, de représentants de l'Union européenne et de tous les donateurs ayant abondé le fonds d'au minimum 3 M€, ainsi que de la République centrafricaine.

Enfin la gestion du fonds relève d'une équipe restreinte qui coordonne et exécute les projets du fonds et qui est dirigée par le gestionnaire du fonds. Début 2015 , six fiches actions ont été adoptées dans les domaines de la santé (15 M€), du genre (1,5 M€), de la sécurité alimentaire (10 M€), de la réhabilitation urbaine (4.5 M€), de l' assistance aux réfugiés centrafricains au Cameroun (4,5 M€), de la relance économique et d' autonomisation des acteurs économiques centrafricains (11 M€).

b) Les fonds Syrie

L'Union européenne a reproduit ce mécanisme avec la création d'un Fonds Syrie pour répondre aux besoins des Syriens en Syrie, des réfugiés syriens dans les pays voisins ainsi que des collectivités locales et des administrations locales dans les pays hôtes. Il a tenu sa première réunion de conseil d'administration en mai 2015 et adopté des programmes d'action européens pour un montant de 40 millions d'euros 280 ( * ) .

Avec les États-Unis et les Émirats Arabe Unis, l'Allemagne a mis en place, en 2013, un Fonds fiduciaire pour la reconstruction de la Syrie . Plus de 120 millions d'euros ont été versé à ce jour. L'Allemagne est le second donateur avec une contribution de 18,68 millions d'euros (et devrait verser 15 millions supplémentaires en 2016). La Banque allemande KfW ( Reconstruction Loan Corporation ) a pris en charge la gestion du Fonds. En plus des trois fondateurs, le Danemark, la Finlande, la Suède, le Japon, le Royaume-Uni, l'Italie, le Koweït, les Pays-Bas, la Norvège et la France apportent un soutien financier. Il finance nombre de projets d'aide à ceux qui sont restés sur leurs terres malgré les combats : reconstruction des pylônes détruits, livraison d'eau, construction d'un moulin à farine, reconstruction d'hôpitaux et financement d'équipement médicaux.

c) Un changement d'échelle : le fond fiduciaire pour l'Afrique

Enfin, un fonds fiduciaire pour l'Afrique a été créé pour prévenir les migrations à l'occasion du sommet de la Valette en novembre 2015. Dote' de 1,8 milliard d'euros, provenant des moyens financiers de l'Union européenne, son ambition est de réunir des fonds au-delà de 2 milliards d'euros provenant des États membres, d'autres États ou de fondations privées. Son objectif est de faire face aux crises qui frappent les régions du Sahel et du lac Tchad, la Corne de l'Afrique et l'Afrique du Nord. Ce fonds, provenant en grande partie du Fonds européen de développement 281 ( * ) , reste néanmoins marqué par son origine que ce soit pour les zones visées en priorité, le type de projets, et ne devrait pas servir, de façon principale, à des projets d'équipements des forces armées locales.

Quatre types de projets essentiellement dans un cadre de développement mais aussi en matière de sécurité (contrôle des frontières, prévention des conflits) sont éligibles à ce fonds :

• la mise en place de programmes économiques porteurs d'emplois 282 ( * ) ;

• des projets en faveur de l'offre de services de base pour les populations locales 283 ( * ) ;

• des projets visant à améliorer la gestion de la migration, notamment à limiter et à prévenir la migration irrégulière, et à lutter contre la traite des êtres humains, le trafic de migrants et d'autres crimes connexes ;

• des projets visant à améliorer la gouvernance, « en facilitant la prévention des conflits et le respect de l'État de droit », le renforcement des capacités pour favoriser la sécurité et le développement, l'application de la loi, « notamment pour ce qui concerne la gestion des frontières et les aspects liés à la migration ». Certaines actions contribueront également à « prévenir et à combattre la radicalisation et l'extrémisme ».

Plus de 500 millions d'euros ont été engagés sur des projets depuis le 14 janvier dernier. La France y a contribué et dispose d'une réelle capacité de suivi et d'influence sur les projets financés par le fonds. A partir d'une contribution de la France de 3 millions d'euros, plus de 150 millions d'euros des crédits du fonds pourront être mis en oeuvre par les opérateurs français en Afrique de l'Ouest.

d) Les conférences de donateurs

A plus grande échelle, il est fréquemment recouru à des conférences de donateurs qui sont des moyens de mobiliser la communauté internationale.

C'est ainsi qu'une conférence a été organisée le 15 mars 2013 à Bruxelles pour le développement du Mali qui a permis d'enregistrer la mobilisation de 3,2 milliards d'euros de financements (dont 280 millions pour la France et 520 pour l'Union européenne). Une seconde conférence qui s'est tenue au lendemain des accords de paix, le 22 octobre 2015, a été l'occasion de faire le point sur l'engagement financier des partenaires au Mali, qui représentera (3,2 milliards d'euros) pour la période 2015-2017, dont un montant de 605 millions d'euros pour les régions du nord sur la base des premières annonces faites au cours de la conférence.

Une conférence des bailleurs de fonds co-organisée par l'Union européenne, la Banque mondiale et les Nations unies doit se tenir cet automne à Bruxelles pour permettre de répondre aux besoins urgents de la RCA, ce qui est bien tardif lorsque l'on doit « répondre à des besoins urgents ». La DGM et la DG Trésor apportent leurs concours à l'organisation de cet événement, notamment au niveau de la coordination des partenaires techniques et financiers internationaux.

Une conférence de donateurs pour soutenir financièrement les déplacés et réfugiés de la guerre civile en Syrie et les pays d'accueil s'est réunie à Londres en février 2016 à l'initiative du Royaume-Uni, de l'Allemagne, de Norvège et du Koweït dans le but d'amener les Etats à doubler leur contribution financière et parviennent à réunir 8,4 milliards de dollars (les promesses ne dépassaient pas jusqu'alors 3,3 milliards). Cette conférence a recueilli également 200 millions de dollars d'aide humanitaire pour l'Irak, pour aider à la stabilisation des zones reconquises. En 2015, une initiative similaire n'avait atteint que la moitié de son objectif.

Si ces conférences offrent une tribune pour les pays fragiles ou en reconstruction pour mobiliser les aides, les annonces de résultats manquent souvent de précisions additionnant dons et prêts, et il convient ensuite de reprendre le dialogue avec chacun des partenaires pour négocier la concrétisation de leurs promesses.

4. La difficile question de l'appropriation

Enfin, si la réunion des moyens et la coordination des intervenants sont des clefs de réussite, encore faut-il que le pays et ses dirigeants soient en mesure de définir une stratégie. Il ne s'agit pas de répondre à des offres, et d'accumuler dons et prêts mais de définir de véritables projets, cohérents et s'inscrivant dans une stratégie de développement. Or souvent par manque de capacités techniques, mais aussi de volonté politique au plus haut niveau, les États fragiles ont de réelles difficultés à s'approprier leur développement et à en devenir les acteurs. C'est pourtant l'objectif principal que ces pays gagnent au terme du processus, davantage d'autonomie.

Dès lors, il faut associer amélioration de la gouvernance et aide au développement et il est important pour avancer de pouvoir dialoguer avec les autorités décentralisées, avec des organisations locales, voire avec des entreprises locales pour conduire des projets à impact rapide pour la population, au moins dans les phases de stabilisation.

Enfin, il est important pour les bailleurs de suivre très concrètement sur le terrain le déroulement des projets.


* 277 Le fonds fiduciaire est un instrument destiné à regrouper des ressources qui proviennent de différentes sources. La création d'un tel fonds est autorisée et définie par le nouveau règlement financier de 2012 (art. 187 et art 259 du règlement d'application). Par définition, un fonds fiduciaire de l'UE requiert la participation d'au moins un État membre de l'UE (ou de tiers bailleurs de fonds, y compris, par exemple, d'autres pays ou organisations internationales).

* 278 Bêkou signifie espoir en Sango.

* 279 Le montant initial du fonds s'élevait à 64 M€ et s'articule ainsi : 39 M€ du Fonds de Développement européen (FED), et 2 M€ du budget de l'action humanitaire européen (ECHO), tous deux gérés par la Commission européenne ; 5 M€ en 2014 de la France ; 5 M€ en 2014 de l'Allemagne ; 3 M€ d'euros des Pays-Bas.

* 280 Deux premiers projets, de 17,5 millions d'euros au total, ont été lancés le 9 septembre, en Turquie pour offrir des possibilités de scolarisation et une aide alimentaire à 240 000 réfugiés syriens.

* 281 C'est principalement le Fonds européen de développement (FED) qui a été mis à contribution fournissant les 3/4 de l'enveloppe. Le reste des fonds provient essentiellement de l'instrument du voisinage.

* 282 En particulier pour les jeunes et les femmes dans les communautés locales, en mettant l'accent sur la formation professionnelle et la création de micro-entreprises et de petites entreprises. Certaines actions viseront, en particulier, a` soutenir la réintégration des personnes de retour dans leurs communautés.

* 283 Tels que la sécurité' alimentaire et la nutrition, la sante', l'éducation et la protection sociale, ainsi que la durabilité' environnementale.

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