AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

La commission des affaires sociales du Sénat a désigné le 10 février 2016 Mme Claire-Lise Campion et M. Philippe Mouiller en qualité de rapporteurs d'une mission d'information relative à la prise en charge des personnes handicapées françaises dans des établissements situés en dehors du territoire français .

Ce thème fait depuis longtemps l'objet d'une exposition médiatique soutenue. En 2014, plusieurs articles de presse se sont faits l'écho de situations de personnes handicapées accueillies à l'étranger dans des conditions très peu satisfaisantes, et ont été récemment relayés par l'Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis (Unapei) dans un livre noir intitulé « les Bannis de la République ». La mission d'information rejoint donc une préoccupation croissante exprimée par les pouvoirs publics, au premier rang desquels le Gouvernement, à l'égard du sujet.

La question du départ de personnes handicapées à l'étranger est ancienne et concerne essentiellement la Belgique, plus particulièrement la Wallonie . Historiquement, la loi de séparation de l'Église et de l'État de 1905 a poussé de nombreuses congrégations religieuses, qui étaient alors les acteurs majoritaires de la prise en charge du handicap du nord de la France, à traverser la frontière. Du fait de proximités culturelles et linguistiques importantes, le départ de personnes handicapées françaises en Belgique a toujours existé et a même récemment connu une accentuation notable.

Le phénomène est préoccupant à plusieurs titres. Le départ de personnes handicapées à l'étranger peut tout d'abord renvoyer à une insuffisance de la politique française du handicap, concernant tant l'offre mise à disposition des personnes concernées que le suivi des profils les plus complexes. Dès 2013, une notoriété importante a été apportée aux ruptures de parcours , ces situations personnelles et familiales qui subissent les carences d'une offre médico-sociale incapable de leur apporter une réponse adaptée, les contraignant ainsi au repli ou au départ.

Outre ces carences, la responsabilité des pouvoirs publics soulève un autre problème. Le financement intégral de la prise en charge à l'étranger par l'assurance maladie et les départements, financeurs de la politique du handicap en France, a pu interroger sur l'implication des pouvoirs publics quant au lieu de la prise en charge , plongeant les familles contraintes de s'exiler dans l'incompréhension.

Sous le double effet des révélations de la presse et des protestations des familles, des alertes ont été émises et plusieurs mesures ont été prises par le Gouvernement. Un accord international, signé en 2011 par la République française et la région wallonne du royaume de Belgique puis entré en vigueur en 2014, organise les modalités de contrôle des établissements accueillant des personnes handicapées françaises. Les discussions de la loi de finances et de la loi de financement de sécurité sociale pour 2016 ont été l'occasion pour de nombreux parlementaires de demander la fin du financement par l'assurance maladie des prises en charge à l'étranger, sans pouvoir l'obtenir en raison de la contrariété d'une telle mesure avec le droit communautaire. Fin 2015, le Gouvernement a annoncé le lancement d'un fonds d'amorçage doté de 15 millions d'euros exclusivement destiné à la création de solutions alternatives aux départs en Belgique et appelé à être périodiquement abondé en fonction des besoins.

De façon plus générale, le problème du départ des personnes handicapées françaises en Belgique est indissociable des difficultés rencontrées en France par les acteurs du monde du handicap, que même les réformes récentes peinent à corriger. La perception et la prise en charge de certains handicaps (dont notamment l'autisme), l'anticipation insuffisante du vieillissement des personnes handicapées, la multiplication des personnes en situation dite « amendement Creton » 1 ( * ) sont autant d'explications potentielles à la décision qu'une famille peut, en désespoir de cause, prendre de partir.

Même si les mesures déjà prises se sont traduites par une amélioration de la situation des personnes dont la prise en charge ne dépend que de l'assurance-maladie, ces constats ont convaincu vos rapporteurs que la résolution de ce problème particulier ne pouvait être que la partie d'une réponse d'ensemble à apporter à un secteur qui connaît des difficultés .

Ce rapport s'inscrit dans la lignée de travaux précurseurs. Les études menées en 1995 et 2005 par l'inspection générale des affaires sociales (Igas) ont été les premiers à proposer une objectivation du phénomène, de même que le rapport de notre collège députée Cécile Gallez en 2008. Plus récemment, le Gouvernement a confié à l'Igas une mission de suivi des crédits du fonds d'amorçage, dont les conclusions sont attendues pour 2017, et la Cour des comptes a diligenté une enquête en juin 2016 sur la prise en charge de l'autisme à l'étranger 2 ( * ) .

Dans la conduite de cette mission, vos rapporteurs sont allés à la rencontre de l'ensemble des acteurs concernés par le phénomène à travers de nombreuses auditions (administrations, représentants d'établissements, représentants associatifs) mais ont aussi effectué plusieurs déplacements, dont un en Belgique et trois autres dans des départements concernés par le déploiement de la « réponse accompagnée pour tous » - le Pas-de-Calais, la Seine-et-Marne et le Haut-Rhin.

Le rapport s'articulera autour de trois axes. D'abord, un état des lieux de la question montrera qu'on dispose d'une connaissance partielle du phénomène et formulera plusieurs propositions pour l'améliorer et comprendre les conditions des départs à l'étranger. Ensuite, une évaluation des premières réponses apportées par le Gouvernement pour prévenir ces départs (accord franco-wallon, plan d'accompagnement global, fonds d'amorçage) sera proposée. Enfin, le rapport se penchera sur les mesures internes à mettre en oeuvre pour limiter les départs par une meilleure gestion de la demande des personnes handicapées ainsi que par une adaptation de l'offre.


* 1 Une situation dite « amendement Creton » désigne la possibilité pour une personne handicapée âgée de plus de 18 ans de demeurer encore deux ans dans l'établissement qui l'accueille, faute de places offertes dans un établissement pour adultes.

* 2 Audition de la Cour des comptes à l'Assemblée nationale sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, 20 septembre 2016.

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